Plan
I- La réalité du temps : Newton.
1) Le paramètre t.
2) Le temps est pensé comme une réalité existant hors de nous.
3) Contre cette conception du temps, on a des arguments non seulement philosophiques (qui reposent sur l’expérience que nous faisons du temps, donc, sur la conscience), mais également scientifiques.
II-La subjectivité du temps.
A- Le temps historique (cours sur l’histoire)
B-St Augustin (354-430), Les confessions, Livre XI, chapitres xiv-xxxi : le temps n’existe pas, si ce n’est dans notre esprit.
1) le temps n’existe pas:
2) Le temps s’oppose à l’éternité comme l’apparence à la réalité.
III-Kant : le temps est certes subjectif mais cette subjectivité ne signifie pas qu’il n’est pas objectif : ça va être au contraire ce qui fait qu’il est objectif.
1) rappel : la philosophie transcendantale
2) Le temps comme " forme a priori de la sensibilité ".
3) Comment Kant montre-t-il que le temps appartient à notre esprit, et non aux choses extérieures ?
4) Que veut dire, chez Kant, que le temps est " subjectif " ? Est-il une illusion ?
5) temps et changement.
Conclusion
Cours
I- La réalité du temps : Newton.
1) Le paramètre t.
Dans la physique classique, i.e., chez Galilée et Newton, le temps est le paramètre t (= qui désigne un nombre réel). Il est présent dans toutes les équations de la physique (sous différentes formes : la vitesse, laccélération instantanée, etc.). Ce paramètre t est au fondement même de la mécanique classique ; en effet, il permet de décrire le mouvement des corps dans lespace en donnant leur position à des instants successifs.
Voici ses propriétés :
cest un temps mathématique. Le temps est une grandeur mesurable, susceptible dordonner des expériences et de les relier mathématiquement. Exemple : grâce à ce temps mathématique, Galilée a pu établir que la hauteur de chute libre dun objet est proportionnelle au carré du temps de sa chute (= loi de la chute des corps dans le vide)
il est donc figuré par une ligne géométrique et par conséquent, ordonné (sur une droite, en effet, un point se situe nécessairement avant ou après un autre point)
il est continu (il ne cesse jamais dy avoir du temps qui passe)
il sécoule uniformément, du passé vers le futur
mais il est pourtant réversible (alors que la précédente propriété laisserait à penser que le temps est fléché et irréversible, conformément à lexpérience que nous en faisons) : en effet, on explore avec les mêmes méthodes mathématiques le passé et lavenir ; par exemple, il est aussi facile de déterminer les éclipses passées que les éclipses futures ; ainsi, sur le papier, les planètes pourraient tourner à lenvers. I.e. : tout ce que la nature fait, elle pourrait le défaire selon le même processus. Le temps newtonien nest donc pas fléché. Il ne crée pas et ne détruit pas non plus. Passé et futur se ramènent au seul instant présent.
Cest le temps réel, le " temps du monde ". On lui oppose le temps tel quil est perçu par les sens, par le sens commun. Cest le temps sensible, apparent. Le temps réel est perceptible seulement par lentendement (lintelligence ou lesprit).
Newton, Principes Mathematiques de Philosophie Naturelle (), Scholie : -" on distingue en astronomie le temps absolu du temps relatif par léquation du temps. Car les jours naturels sont inégaux, quoiquon les prenne communément pour une mesure égale du temps ; et les astronomes corrigent cette inégalité, afin de mesurer les mouvements célestes par un temps plus exact. Il est très possible quil nexiste pas de mouvement parfaitement égal, qui puisse servir de mesure exacte du temps ; car tous les mouvements peuvent être accélérés et retardés, mais le temps absolu doit toujours couler de la même manière. La durée ou la persévérance des choses est donc la même, soit que les mouvements soient prompts, soit quils soient lents, et elle serait encore la même, quand il ny aurait aucun mouvement ; ainsi il faut bien distinguer le temps de ses mesures sensibles, et cest ce quon fait par léquation astronomique. La nécessité de cette équation dans la détermination des phénomènes se prouve assez par lexpérience des horloges à pendule, et par les observations des éclipses des satellites de Jupiter. " -" Le temps absolu, vrai et mathématique, en lui-même et de sa propre nature, coule uniformément sans relation à rien dextérieur, et dun autre nom est appelé Durée " -" Le temps relatif, apparent et vulgaire, est une mesure quelconque, sensible et externe de la durée par le mouvement (quelle soit précise ou imprécise) dont le vulgaire se sert ordinairement à la place du temps vrai : tels, lheure, le jour, le mois, lannée ". |
Dire que le temps est absolu, cest donc dire quil nappartient, ni au monde extérieur (matériel et sensible), ni à notre esprit. Il existerait, même si le monde ou notre esprit nexistaient pas. Il ne faut pas confondre le temps sensible, que lon perçoit, et qui est relatif, avec le temps absolu qui le sous-tend.
Il convient dexpliquer pourquoi le temps, ainsi que lespace, le lieu, le mouvement, sont absolus. (Plus précisément, ils doivent lêtre, car sans cette caractéristique, cest tout lédifice de la dynamique newtonienne qui sécroule ; sa loi F =mg, nest valable que dans un espace absolu).
-quelle est la fonction de cette loi ? Elle explique le changement de vitesse, laccélération (la force est ce qui contrecarre la tendance du mobile à aller en ligne droite). Cf. " tout corps persévère dans un état de repos et de mouvement uniforme en ligne droite dans lequel il se trouve, à moins que quelque force ne sexerce sur lui, et ne le contraigne à changer détat ". (Newton, contrairement à Galilée, ne se contente plus de décrire le mouvement, mais lexplique, i.e., lui assigne une cause cela nest possible que si on lui assigne une force).
-Or, pour Newton, on ne peut se référer à des forces que dans un espace (et un temps) absolus (fixes). Il va dire que lespace absolu agit sur les corps (espace doté de qualités dynamiques), alors que lespace relatif se comporte à leur égard comme un simple réceptacle passif. Pourquoi ce recours nécessaire à lespace absolu ? Parce que le mouvement inertiel correspond à l'absence de force imprimée (donc, l'absence dinteraction avec dautres corps) ; or, il faut bien quil soit produit par quelque chose, quil ait une cause ! Doù la solution de Newton : ce qui peut seul produire le mouvement inertiel, cest lespace absolu, qui est le seul objet en présence duquel se trouve le corps. Laction de lespace absolu sur les corps qui y sont soumis consiste donc dans une simple conservation de leur mouvement.
-cette action de lespace absolu elle-même résulte dune force de nature différente de celle des forces imprimées. Je précise que cest une force qui a la drôle de propriété de ne pas produire daccélération (=force inertielle).
-Pour Newton, les forces créent le mouvement absolu et réel dun corps (qui a la caractéristique de pouvoir être référé à une force imprimée) ; le mouvement relatif (et apparent) dun corps, lui, nest pas nécessairement en rapport avec une force, mais il suffit pour lexpliquer, que le corps en référence auquel il est en mouvement, subisse laction dune force.
Je parlerai rapidement de ces derniers, puis, dans les parties II et III, jévoquerai deux arguments philosophiques. Pour ce faire, je vais partir des problèmes que pose la théorie newtonienne. On peut se demander si la physique parle vraiment du temps ou si au contraire elle ne le rate pas. En effet, a) le temps dont elle nous parle est réversible, et est éternel ou immobile (cf. fait que la physique recherche des rapports soustraits aux changements, des lois et des règles indépendants du temps) ; ce temps ressemble donc (trop) à lespace et nest plus du temps (on peut dire que Newton a mis le temps hors du temps! ) ; de plus b) ce temps est un instrument de mesure des phénomènes ; or, rien ne dit que les instruments dont se sert la physique, correspondent à quoi que ce soit de réel. On peut donc objecter à Newton que beaucoup d'événements se déroulent en sens unique, et sont irréversibles. -Cf. événements historiques ; nous-mêmes : nous ne rajeunissons pas ; nous ne pouvons revenir sur ce que nous avons fait, etc. ; et, en physique, les expériences de Sadi Carnot sur des machines à vapeur : la transformation de la chaleur en énergie mécanique est limitée par le sens irréversible dans lequel seffectuent les transferts de chaleur (du chaud vers le froid uniquement). Cette découverte est à lorigine du deuxième principe de la thermodynamique, qui fut énoncé par R.Clausius en 1865 (loi macroscopique qui a) postule lexistence, pour tout système physique, dune grandeur appelée lentropie, qui représente le degré de désordre ou de hasard présent dans le système. Un litre deau froide a une certaine entropie, un litre deau chaude a une entropie différente (en loccurrence plus élevée) ; b) indique que la quantité dentropie contenue dans un système isolé ne peut que croître lors dun quelconque événement physique ; exemple : cest selon cette loi que le sucre va se dissoudre dans votre tasse de café ; et quil ne pourra jamais revenir à son état initial. Ce quon appelle la flèche thermodynamique du temps est donc une flèche qui va du passé au futur et de lordre au désordre. Bref, on ne peut par définition remonter le cours du temps, si ce nest dans les films de science-fiction.
Le temps semble, de toute façon, être quelque chose de subjectif :
Lhistoire est une certaine prise de conscience du temps, une certaine manière de diviser le changement et de le penser. Lécriture de lhistoire ne se conçoit pas sans chronologie, donc, sans perception du temps. Or, le problème est de savoir sil y a une " chronologie en soi ", un découpage du temps tout fait, ou si au contraire cette chronologie nest pas toujours fabriquée par lhistorien lui-même.
Pour y répondre, on peut reprendre le texte de P.Veyne étudié dans le cours sur lhistoire, et plus précisément, la notion de champ évènementiel, et dire que le temps historique, ou la chronologie, dépend de la perspective même quon veut adopter, de lintrigue quon sest donnée au départ; ainsi que lEcole des annales (jen ai parlé à la fin du cours sur linconscient). Je vous rappelle que cest un courant contemporain qui a abandonné létude des grands hommes comme étant lobjet spécifique de lhistoire. Pour ces historiens, le véritable sujet de lhistoire, ce sont les forces économiques, sociales, etc. Ainsi ont-ils écrit une histoire de la Méditerranée, une histoire des mentalités, etc. La conséquence de cette révolution conceptuelle sur la notion de temps historique est la suivante : il y a plusieurs chronologies possibles, et il ny a pas une chronologie en soi, un découpage " tout fait " du temps. Le temps ou plutôt les divers temps, sétale(nt) sur des périodes nayant rien à voir avec le temps de laction, qui est celui des délibérations des acteurs humains/individuels. Il y a par exemple le temps court de lévénement, le temps demi-long de la conjoncture, le temps long de lhistoire des mentalités, la très longue durée de lhistoire des civilisations, etc.
P.Veyne, Comment on écrit l'histoire, Seuil, 1971, p.57
Structure du champ événementiel Les historiens racontent des intrigues, qui sont comme autant d'itinéraires qu'ils tracent à leur guise à travers le très objectif champ événementiel (lequel est divisible à l'infini et n'est pas composé d'atomes événementiels) ; aucun historien ne décrit la totalité de ce champ, car un itinéraire doit choisir et ne peut passer partout; aucun de ces itinéraires n'est le vrai, n'est l'Histoire. Enfin, le champ événementiel ne comprend pas des sites qu'on irait visiter et qui s'appelleraient événements un événement n'est pas un être, mais un croisement d'itinéraires possibles. Considérons l'événement appelé guerre de 1914, ou plutôt situons-nous avec plus de précision les opérations militaires et l'activité diplomatique ; c'est un itinéraire qui en vaut bien un autre. Nous pouvons aussi voir plus largement et déborder sur les zones avoisinantes : les nécessités militaires ont entraîné une intervention de l'Etat dans la vie économique, suscité des problèmes politiques et constitutionnels, modifié les murs, multiplié le nombre des infirmières et des ouvrières et bouleversé la condition de la femme... Nous voilà sur l'itinéraire du féminisme, que nous pouvons suivre plus ou moins loin. Certains itinéraires tournent court (la guerre a eu peu d'influence sur l'évolution de la peinture, sauf erreur) le même "fait", qui est cause profonde sur un itinéraire donné, sera incident ou détail sur un autre. Toutes ces liaisons dans le champ événementiel sont parfaitement objectives. Alors, quel sera l'événement appelé guerre de 1914? Il sera ce que vous en ferez par l'étendue que vous donnerez librement au concept de guerre : les opérations diplomatiques ou militaires, ou une partie plus ou moins grande des itinéraires qui recoupent celui-ci. Si vous voyez assez grand, votre guerre sera même un "fait social total". Les événements ne sont pas des choses, des objets consistants, des substances ; ils sont un découpage que nous opérons librement dans la réalité, un agrégat de processus où agissent et pâtissent des substances en interaction, hommes et choses. Les événements n'ont pas d'unité naturelle ; on ne peut, comme le bon cuisinier du Phèdre, les découper selon leurs articulations véritables, car ils n'en ont pas. Toute simple qu'elle soit, cette |
Ainsi, se pose la question de savoir si, contrairement à la thèse de Newton, le temps ne serait pas subjectif , au sens où il nexisterait que par et pour lhomme, au lieu den être totalement indépendant.. Ne viendrait-il pas seulement de la conscience de lhomme ?
B-St Augustin (354-430), Les confessions, Livre XI, chapitres xiv-xxxi : le temps nexiste pas, si ce nest dans notre esprit.
Dans ce passage des Confessions, St Augustin sinterroge sur la nature du temps. Il cherche à en donner une définition, et surtout, à savoir sil est un être ou un non-être (question ontologique, portant sur lêtre et le mode dêtre de quelque chose).
XI, xiv : "Quest-ce donc que le temps ? Si personne ne me le demande, je le sais ; mais si on me le demande et que je veuille lexpliquer, je ne le sais plus. Pourtant, je le déclare hardiment, je sais que si rien ne passait, il ny aurait pas de temps passé ; que si rien narrivait, il ny aurait pas de temps à venir ; que si rien nétait, il ny aurait pas de temps présent. Comment donc ces deux temps, le passé et lavenir, sont-ils, puisque le passé nest plus et que lavenir nest pas encore ? Quant au présent, sil est toujours présent, sil nallait pas rejoindre le passé, il ne serait pas du temps, mais de léternité. Donc, si le présent, pour être du temps, doit rejoindre le passé, comment pouvons-nous déclarer quil est aussi, lui qui ne peut être quen cessant dêtre ? Si bien que ce qui nous autorise à affirmer que le temps est, cest quil tend à nêtre plus ". |
Si on parle du temps, en disant que les choses " étaient ", " sont ", et " seront ", le langage nous trompe. A lanalyse, i.e., dès que nous voulons penser ce quest le temps, en donner une définition, le temps nous échappe, et on doit avouer que rien de tel que le temps ne peut en fait exister. St Augustin montre en effet que le temps nest composé que dinexistences.
b)Toutefois, si tout en quelque manière e ramène au moment présent, il savère que le présent lui-même nest rien, nexiste pas. En effet, le présent, plus précisément, linstant présent, " ne peut être quen cessant dêtre ". Sa caractéristique majeure, à lui aussi, est de " passer " (sinon, ce ne serait plus du temps !). A peine présent, il est déjà du passé, et jen parle pratiquement toujours au passé
Il est important de préciser que nous sommes ici dans une pensée religieuse, comme chez Pascal. Lintention sous-jacente à sa théorie de nature du temps est de voir comment le temps sarticule avec léternité divine, et quel est le sens de la vie humaine. Cf. fait que la réflexion sur la nature du temps est enchâssée dans une méditation sur les rapports entre léternité et le temps, suscitée par le premier verset de la Genèse (il se pose les questions de savoir que faisait Dieu avant la création, sil y avait un temps, etc.). Léternité, qui caractérise la divinité, va être lautre positif du temps. Le temps est ce qui va caractériser notre existence humaine, et ce qui nous éloigne de Dieu. En effet, pour lui, la vie humaine na aucun sens, et il apparaît dans sa réflexion sur le temps que ce qui rend la vie humaine insensée, cest avant tout son caractère temporel. La vie humaine, qui est temporelle, est en effet marquée par la dissipation (cf.mort, maladie, destruction, etc.). Léternité divine, qui est la vraie réalité, est ce qui va pouvoir donner un sens à cette vie. Cf. opposition célèbre entre la Cité de Dieu (qui existe actuellement dans le cur des croyants et existera plus tard dans léternité, après le jugement dernier, après la fin des temps= éternité existante et positive, du côté du bonheur) () et la Cité terrestre (=temps inexistant et négatif, du côté du manque, de la souffrance).
Le temps est donc subjectif, car il nexiste que dans notre esprit ; et il est humain, " trop humain ", en ce quil caractérise la souffrance et le manque constitutif de notre condition humaine.
1) rappel : la philosophie transcendantale
a) " transcendantal " : désigne les conditions de notre expérience du monde ; ce sont les structures de lesprit humain ; toute expérience doit nécessairement obéir à ces conditions-là. Ces structures sont des " formes a priori ". Exemple : toutes les choses doivent obéir à la catégorie de la causalité (doivent se succéder selon une relation de succession) doivent obéir à la catégorie de la substance (i.e. : une chose ne peut devenir autre à chaque instant) ; toutes les choses doivent apparaître dans lespace et dans le temps.
b) Phénomènes et choses en soi. Mais rien ne nous dit que dautres êtres que nous percevraient le monde de la même façon. Par suite, Kant dit que ce que nous pouvons connaître, ce sont seulement des " phénomènes ", et non des " choses en soi ". Les choses en soi seraient les choses telles quelles sont réellement, indépendamment de ces structures de notre esprit ; on pourrait dire, sans quelles soient déformées par les structures de notre esprit. Ce que lhomme peut connaître, ce sont des " phénomènes ", i.e., les choses telles quelles nous apparaissent ; on pourrait dire, quon peut seulement connaître leffet que font les choses sur nous. Exemple : la couleur nest pas réellement dans les choses. On dira quelle nest pas une propriété réelle des choses, ou quelle nappartient pas aux choses en soi.
Pour lui, " le temps nest quune condition subjective de notre (humaine) intuition (qui est toujours sensible, i.e., qui se produit en tant que nous sommes affectés par les objets), et il nest rien en soi en dehors du sujet ". |
Le temps nest rien en soi hors de lhomme et de sa perception des choses.
Critique de la raison pure, Esthétique transcendantale, §6 : " Le temps nest pas quelque chose qui existe en soi, ou qui soit inhérent aux choses comme une détermination objective, et qui, par conséquent, subsiste, si lon fait abstraction de toutes les conditions subjectives de leur intuition ; dans le premier cas, en effet, il faudrait quil fût quelque chose qui existât réellement sans objet réel. Mais dans le second cas, en qualité de détermination ou dordre inhérent aux choses elles-mêmes, il ne pourrait être donné avant les objets comme leur condition, ni être connu et intuitionné a priori ( ) ; ce qui devient facile, au contraire, si le temps nest que la condition subjective sous laquelle peuvent trouver place en nous toutes les intuitions. Alors en effet cette forme de lintuition interne peut être représentée avant les objets, et par suite, a priori ". |
Deux arguments sont ici soutenus : 1) le temps ne peut être un objet réel, parce que sil létait, on pourrait se représenter un temps vide dobjets, le temps pourrait exister indépendamment de tout objet réel (cest ce quon trouvait chez Newton, qui est donc visé par Kant ) ; 2) il ne peut pas non plus être une propriété inhérente aux choses en soi, car alors, il devrait être connu a posteriori (est dite a posteriori, toute connaissance qui dépend de lexpérience) et ne serait par conséquent pas la condition même de toute expérience ; or, le temps est nécessairement la condition même de toute expérience, car on ne peut se rapporter à rien sans nous référer au temps ; donc le temps est a priori ; donc sil est a priori il ne peut quêtre une structure de notre esprit. C.Q.F.D
A notre définition, Kant ajoute toutefois que si le temps est subjectif, cela nempêche pas le temps dêtre " nécessairement objectif par rapport à tous les phénomènes et, par suite, par rapport à toutes les choses qui peuvent se présenter à nous dans lexpérience ". |
Le temps est " réel " en ce quil est une forme de notre esprit que nous ne pouvons nier et qui est universelle pour tout être humain. Subjectif ne soppose pas à objectif et nest nullement synonyme dillusion. Subjectif veut dire " qui appartient à lesprit humain " ; " objectif ", que tout être humain normalement constitué doit percevoir les phénomènes dans le temps ; et que nous ne pouvons avoir aucune expérience sans le temps. Ainsi, plutôt que " subjectif ", dites plutôt, quand vous parlez de la conception kantienne du temps, " idéalité transcendantale ". Le temps est a) idéal, car il nest pas un être réel ; b) transcendantal, car il préexiste aux objets de lexpérience et en conditionne la connaissance.
Cf. Texte célèbre issu de la Critique de la raison pure, Analytique transcendantale, 1ère Ed., Seconde analogie de lexpérience : " Si, pour un phénomène qui contient un événement, jappelle A létat antérieur de la perception, et B le suivant, B ne peut que suivre A dans lappréhension, et la perception A ne peut suivre B mais seulement le précéder. Je vois, par exemple, un bateau descendre le cours dun fleuve. Ma perception de sa position en aval suit la perception de sa position en amont du cours du fleuve, et il est impossible que dans lappréhension de ce phénomène le bateau puisse être perçu dabord en aval, puis en amont du fleuve. Lordre de la succession des perceptions dans lappréhension est donc ici déterminé, et celle-ci est liée à celui-là. Dans lexemple précédent dune maison mes perceptions dans lappréhension pouvaient commencer par son faîte et finir par le sol, mais aussi commencer le bas et finir par le dessus ( ). Dans la série de ces perceptions, il ny avait aucun ordre déterminé qui imposât par où je devais commencer dans lappréhension pour lier empiriquement le divers. Mais cette règle est toujours à appliquer pour la perception de ce qui advient, et elle rend nécessaire lordre des perceptions qui se succèdent dans lappréhension de ce phénomène ( ). Selon une telle règle, cest donc dans ce qui en général précède un événement que doit se trouver la condition dune règle, selon laquelle toujours et nécessairement cet événement suit ; mais inversement, je ne puis revenir en arrière à partir de lévénement et déterminer (par lappréhension) ce qui précède. Car nul phénomène ne revient du moment au précédent, mais il se rapporte à quelque moment antérieur. " |
Ainsi, malgré la subjectivité du temps, on peut dire que les choses durent, quelles changent au cours du temps, sans se contredire. En effet, les objets sont des phénomènes, ils sont donc eux aussi constitués à travers les cadres a priori de la sensibilité humaine, et donc, à travers les cadres de lespace et du temps. Ce sont les phénomènes qui changent au cours du temps, pas les choses en soi..
Le temps est une " réalité " subjective, qui définit notre condition humaine. Mais il nest pas subjectif au sens de propre à chaque individu. Il est subjectif au sens de " propre à lêtre humain " et au rapport quentretient lhomme avec le monde. Il nest donc ni simple cours objectif des choses, ni simple forme subjective.
Copyright © Philocours.com 2021