Plan
Corrigé
Erreurs (instructives) des élèves :
-Un élève a cité cette phrase de Camus : " les hommes aussi sécrètent de l'inhumain ", sans que ça fasse avancer le développement ; il fallait que le " aussi " ait un sens : avant, dire que les animaux par exemple se comportent de façon inhumaine ; mais alors, il fallait également avoir défini l'inhumain (par exemple, comme comportement bestial ; puis dire que ça veut dire que l'humanité est un mélange complexe : elle comporte des aspects bestiaux, cf. crime
-l'être en général : attention de ne pas l'employer comme synonyme d'être humain "
-beaucoup ont dit : plutôt que de dire qu'il y a des êtres inhumains, il faut dire qu'il y a des actes inhumains ; mais il fallait montrer que l'enjeu était par là de sauver l'humanité ; mais de toute façon, pas très pertinent : ça revient après tout au même !
Problématique :
- la question suppose que parler d'êtres inhumains, c'est peut-être exagéré, qu'il ne peut pas y en avoir ou qu'il n'en existe pas.
- il fallait remarquer que cette expression est construite par opposition avec l'expression commune d'être humain :
- être humain : l'homme ; humanité : ce qui caractérise l'homme en propre, et le différencie des animaux ou des plantes
- inhumanité : sans humanité : non homme, animal ou plante. Mais aussi, ce terme a une connotation morale : on juge qu'un être, un acte, sont inhumains, parce que ça nous choque, on trouve que ce n'est pas digne de l'humanité, que c'est immoral , bestial, cruel, etc.
- le paradoxe : existerait-il, comme il existe l'espèce des chiens, des chats (genre animal), comme il existe des êtres humains (dans l'espèce animale, l'homme), une espèce à part entière, appelée " êtres inhumains " ? Ou bien est-ce que ce sont les êtres humains qui sont appelés tels? Dès lors, c'est la notion même d'humanité qui est à discuter.
I- Y a-t-il une espèce d'êtres inhumains ?
Ce sont peut-être les êtres non humains qui sont appelés " êtres inhumains ", et cette expression est banale : on veut dire, en l'employant, que tous les êtres qui existent dans le monde ne sont pas des êtres humains. Ou bien n'ont pas les caractères spécifiques à l'homme. Ce dernier point est problématique : en effet, comment savoir où s'arrête la coupure entre l'homme et l'animal ? Comment savoir si les animaux n'ont pas certaines facultés que nous croyons humaines par excellence ? Cf. l'outil, la pensée, le langage, etc.
Toutefois, Aristote semble avoir un critère imparable pour déterminer la coupure : le droit, la morale, la justice. Etude rapide de Politiques, I, 2.
II- Ne serait-ce pas plutôt les êtres humains qui seraient dits inhumains ?
Ce sont les êtres humains eux-mêmes qui ont en eux une part d'inhumanité, si on dit qu'être inhumain, c'est ne pas être digne de l'humanité, en tant qu'on ne réalise pas ce qui haut plus haut point définit l'homme : chez Aristote, la morale, le droit, la vie en communauté.
Problème : dans ce cas, il faut dire que ce qui n'existe pas, c'est des êtres humains.
- il faut bien reconnaître que c'est un homme qui est dit inhumain (alors, il fait un mauvais usage de sa raison, il fait le mal, ce que l'animal ignore). Et puis, on va dire qu'un homme est inhumain car il réalise mal le concept d'homme, ou il réalise des acts allant contre la dignité de l'humanité
- cf. fait très troublant que si c'est un homme qui est inhumain i.e., bestial, cruel, etc., alors, il le fait librement, avec un projet, et alors, il veut sciemment, en toute conscience, agir contre l'humanité
- ou ce que nous considérons comme inhumain n'est que la faiblesse inhérente à l'homme ? Oui mais toujours, c'est la notion d'humanité qui est à détruire : l'humain n'existe nulle part!
III- Le risque d'ethnocentrisme, ou comment distinguer l'humain et l'inhumain sans projeter ses propres valeurs ?
L'humanité est une croyance, on exalte l'homme, alors que l'humanité pure, n'existe nulle part. De plus, dire qu'un être est inhumain, n'est-ce pas expulser l'autre, le différent, hors de l'humanité ? Or, comment juger de cela avec certitude ?
Cf. ethnocentrisme : dire qu'un être est inhumain, c'est dire qu'il est différent de nous ; on ne peut faire autrement, car nous ne pouvons nous échapper de notre système culturel ; nous le projetons inconsciemment sur toutes les autres cultures (cf. Levi Strauss, Race et histoire, et Montaigne, Les Essais, Des cannibales, I, 31).
Montaigne, Des Cannibales, I, 31 : "Il n'y a rien de barbare et de sauvage en cette nation, à ce qu'on m'en a rapporté, sinon que chacun appelle barbarie ce qui n'est pas de son usage; comme de vrai, il semble que nous n'avons d'autre mirage de la vérité et de la raison que l'exemple et idée des opinions et usages du pays où nous sommes".
Cf. racisme : les noirs sont des êtres inhumains, parce qu'ils ne sont pas comme nous. Mais aucun fondement scientifique. Cf. patrimoine génétique commun à l'humanité.
Cf. texte d'Aristote, Politiques, I, 2 : selon lui, l'homme, l'humanité, se caractérise par la perception du bien et du mal, par la notion de morale ou de justice. Or, les valeurs morales sont-elles absolues, i.e., invariables à la fois selon les époques et selon les lieux ? C'est bien ce qu'il croyait, tout comme Antigone, cf. Rhétorique, I, 13 (il y a deux sortes de droit : un droit naturel, éternel, le même pour tous les hommes ; et un droit positif, changeant selon les sociétés et les époques). On peut dire qu'Aristote pense donc qu'il existe des valeurs morales absolues, et d'autres, relatives, et qu'ici, puisqu'il s'agit de définir la nature humaine, il pense aux valeurs morales absolues. Il pense donc qu'il est facile de déterminer quand un homme est vraiment homme, se comporte en être humain, et quand il se comporte au contraire de manière inhumaine, d'une manière indigne de l'homme. C'est quand il fait quelque chose de mal, et ce, en toute conscience.
Or, il n'existe pas de valeurs universelles. Croire cela, cela mène à dire qu'est inhumain celui pour qui le mal est le bien. I.e. : ce qui pour nous est mal, est bien pour lui.
IV- Ce relativisme n'est-il pas dangeureux ?
En effet, si on va jusqu'au bout de notre thèse, alors il faut dire que celui qui tue un homme, qui viole quelqu'un, etc. , ne fait rien de mal, puisque peut-être c'est sa culture, ou bien encore, il pense que c'est bien (rappel : nul ne peut faire le mal volontairement). Ainsi, on ne pourrait juger Hitler qui a fait déporter les juifs, etc.
Or, tribunal de Nuremberg : on a été obligé d'inventer un nouveau genre de crime : les crimes contre l'humanité. C'est bien qu'il y a quand même moyen de dire que certains actes ou certains êtres sont inhumains, portent atteinte à l'humanité. Ce serait exagéré de dire, comme le disent aujourdh'ui les chinois, que par là, les occidentaux ne font qu'imposer leurs propres valeurs (celles des droits de l'homme) aux autres sociétés!
Cf. définition du crime contre contre l'humanité par le Tribunal Militaire International de Nuremberg, le 8 août 1945 : "atrocités et délits y compris sans être limités à l'assassinat, à l'extermination, la mise en esclavage, la déportation, et tout autre acte inhumain commis contre toutes les populations civiles, avant ou pendant la guerre, ou bien les persécutions pour des motifs politiques, raciaux, ou religieux lorsque ces actes ou persécutions, qu'ils aient constitué ou non une violation du droit interne des pays où ils ont été perpétrés, ont été commis à la suite de tout crime rentrant dans la compétence du tribunal".
La notion de " personne " remplace notion d'être humain (dignité, droits de l'homme, etc.). L'humanité, c'est ce qui nous rend dignes de notre condition humaine. On en est indigne si on attente à d'autres personnes, car alors, on porte atteinte à l'idée d'humanité en général. Cf. impératif catégorique de Kant.
Conclusion
C'est donc un devoir moral de dire qu'il y a des êtres inhumains. Sinon, on laisse faire des crimes indignes de l'homme.
Bibliographie
Aristote, Politiques, I, 2 (la nature humaine, les valeurs morales absolues)
Primo Levi, Si c'est un homme (témoignage sur l'horreur des camps de concentration)
Montaigne, Les Essais, I, 23, "De la coutume et de ne changer aisément une loi reçue"; I, 31, Des Cannibales ("le barbare, c'est celui qui croit à la barbarie)
Montesquieu, Lettres persanes (l'ethnocentrisme)
Rousseau, Discours sur l'origine de l'inégalité parmi les hommes (y a-t-il une nature humaine ?)
Levi Strauss, Race et histoire (l'ethnocentrisme, le relativisme culturel)
Todorov, Nous et les autres
Déclaration des droits de l'homme et du citoyen
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