Thèmes : nature et culture; la nature humaine; la société; la conscience; la perception |
Le questionnaire (distribué en même temps que le film)
1)
Quel est l’intérêt philosophique du film
?
2) Pourquoi Itard décide-t-il de s’occuper de l’enfant
? (Que pense-t-il de son cas ?)
3) Lisez le texte d’Aristote, extrait de Politique,
I, 2 : en quoi l’hypothèse d’Itard rejoint-elle
la thèse d’Aristote ?
4) La première rencontre avec les savants : peut-on parler
de la « naturalité des sens » ?
5) La scène du miroir :
- Victor a-t-il conscience de lui-même ?
- Peut-on parler de la naturalité de la conscience ?
(Confrontez cette scène avec le texte de Sartre)
- Les émotions sont-elles innées ou acquises ?
Aristote, Politiques, I, 2 Il est manifeste, à partir de cela, que (…) l'homme est par nature un animal politique, et que celui qui est hors cité (…) est soit un être dégradé soit un être surhumain (…). C'est pourquoi il est évident que l'homme est un animal politique plus que n'importe quel animal grégaire. Car, comme nous le disons, la nature ne fait rien en vain; or seul parmi les animaux l'homme a un langage. Certes la voix est le signe du douloureux et de l'agréable, aussi la rencontre-t-on chez les animaux; leur nature en effet est parvenue jusqu'au point d'éprouver la sensation du douloureux et de l'agréable et de se les signifier mutuellement. Mais le langage existe en vue de manifester l'utile et le nuisible, et par suite aussi le juste et l'injuste. Il n'y a en effet qu'une chose qui soit propre aux hommes par rapport aux animaux : le fait que seuls ils ont la perception du bien et du mal, du juste et de l'injuste (…). Avoir de telles notions en commun, c'est ce qui fait une famille et une cité. (…) Celui qui n'est pas capable d'appartenir à une communauté ou qui n'en a pas besoin parce qu'il se suffit à lui-même n'est en rien une partie d'une cité, si bien que c'est soit une bête soit un dieu. C'est donc par nature qu'il y a chez les hommes une tendance vers une communauté de ce genre. |
Sartre, L'existentialisme est un humanisme, pp.66-67,
Ed. Nagel Ainsi l'homme qui s'atteint directement par le cogito découvre aussi tous les autres, et il les découvre comme la condition de son existence. Il se rend compte qu'il ne peut rien être (au sens où on dit qu'on est spirituel, ou qu'on est méchant, ou qu'on est jaloux) sauf si les autres le reconnaissent comme tel. Pour obtenir une vérité quelconque sur moi, il faut que je passe par l'autre. L'autre est indispensable a mon existence, aussi bien d'ailleurs qu'à la connaissance que j'ai de moi. Dans ces conditions, la découverte de mon intimité me découvre en même temps l'autre, comme une liberté posée en face de moi, qui ne pense, et qui ne veut, que pour ou contre moi. Ainsi découvrons-nous tout de suite un monde que nous appelons intersubjectivité |
• Ce film permet d’observer le comportement d’un
enfant de onze ans vivant dans la nature, seul, et n’ayant
eu aucune relation avec les hommes et leur société
depuis sa naissance, ignorant même jusqu’à
leur existence. Sa vie se trouve complètement bouleversée
lorsqu’il se trouve face à ses semblables et à
leur mode de vie totalement différent du sien. L’intérêt
philosophique du film est donc de montrer l’importance de
la vie en société (et de la présence des
hommes) dans l’évolution d’un être humain
et de sa prise de conscience de lui-même. Nous pouvons observer
le devenir, le parcours, d’un enfant livré à
lui-même en pleine nature ainsi que son développement
(physique, mental, sensoriel…). On met alors en valeur les
différences entre cet enfant sauvage et un enfant du même
âge ayant été élevé en société
: leurs sens, leur savoir, leur parler, leurs attitudes, leurs
réflexes, etc… A la suite de cette étude,
plusieurs questions nous viennent à l’esprit ; par
exemple : Quels sont les sens qui se développent le plus
chez un homme vivant en pleine nature ? ou encore : Un enfant
peut-il survivre seul dans la nature ; à partir de quel
âge ?, Peut-on réellement avoir conscience de soi
en vivant isolé de ses semblables ?
• Dans ce film, les deux savants (dont Itard) émettent
chacun une hypothèse différente à propos
du cas de Victor, l’enfant sauvage. Le confrère d’Itard
considère cet enfant comme « idiot » par nature
et « irrécupérable ». C’est, d’après
lui, un enfant abandonné par ses parents qui ont voulu
s’en débarrasser en l’égorgeant car
il devait être handicapé, soit un poids pour eux.
C’est donc, pour ce savant, un « idiot » de
naissance et il ne pense pas qu’il soit possible de tirer
quelque chose de Victor ou même de le civiliser.
Itard, au contraire, pense que cet enfant est devenu « idiot
» parce qu’il n’a pas été en contact
avec leur société. Le confrère d’Itard
avait employé ce terme assez péjoratif («
idiot ») pour signifier l’absence d’intelligence
et de civilisation chez cet enfant, son handicap certain, d’après
lui (qui consistait finalement à être simplement
différent de ses semblables). On peut remettre en doute
ce jugement, car l’enfant à survécu et est
subvenu à ses besoins par lui-même en développant
certaines capacités essentielles à sa survie ; ce
qui est une preuve d’intelligence. D’après
Itard, ce serait donc seulement son isolement qui aurait rendu
Victor tel qu’il est. Il pense que son comportement est
dû à son environnement plutôt qu’à
un handicap quelconque. En décidant de s’occuper
de cet enfant sauvage, le savant veut étudier les degrés
d’intelligence de l’enfant, lui faire faire toute
sorte d’exercices qui le stimuleraient. Ainsi il lui fait
travailler sa mémoire, lui inculque une éducation,
essaye de lui apprendre à parler, etc…N’ayant
pas les mêmes notions qu’a habituellement un enfant
de son âge, Itard va voir jusqu’où peut aller
son évolution intellectuelle. Il pense donc que ce changement
de milieu sera favorable à son apprentissage et pourra
l’ouvrir à la société. On se rendra
compte, tout au long du film que les efforts du savant se trouveront
récompensés et qu’en plus d’avoir fait
passer cet enfant d’état « sauvage »
à « civilisé », il lui inculquera des
valeurs beaucoup plus importantes telles que les valeurs morales,
la notion de bien et de mal, de justice…
• Un homme ne peut vivre sans ses semblables à moins qu’il soit un « être dégradé » ou un « être surhumain ». D’après Aristote, la nature ne fait rien au hasard et le langage étant une des grandes particularités de l’homme, il lui permet de s’exprimer, il doit s’en servir pour communiquer avec ses semblables et donc vivre avec eux. Mais ce qui est plus particulièrement propre à l’homme par rapport aux animaux, c’est sa capacité à juger une chose comme bonne ou mauvaise, c’est avoir la notion de bien ou de mal. D’après Aristote donc, le langage permet à l’homme de s’exprimer et de juger ses actes, ainsi que ceux de ses semblables. C’est ce qui fait l’importance de sa vie en communauté dans son évolution et son accomplissement : l’homme a besoin d’une vie en société. Cette thèse d’Aristote rejoint donc l’hypothèse d’Itard. Ce dernier pense en effet que Victor ne s’est pas développé au maximum de ses capacités puisqu’il a vécu seul depuis sa naissance et donc personne n’a pu lui transmettre un savoir minimum. Pour lui cet enfant sauvage est à un état animal puisqu’il n’a eu aucun modèle, n’a reçu aucune éducation et s’est toujours débrouillé seul. C’est la vie en société qui lui a manqué. Lorsque Aristote explique qu’un être qui ne vit pas en communauté et se suffit à lui-même est « soit une bête soit un dieu » ; on retrouve en effet chez Victor un enfant sauvage plus proche de l’animal que de l’homme, mais qui évoluera petit à petit au contact de ses semblables.
• Lors de la première rencontre avec les savants,
Victor montre des signes d’appeurement, de curiosité,
d’animosité, en découvrant d’autres
hommes, une autre vie, tout à fait différents que
ce qu’il avait l’habitude de rencontrer. Ses sentiments
sont partagés mais il finit, petit à petit, par
être plus docile et se laisser examiner. Ainsi les savants
testent ses sens, ses réflexes. Ils se rendent compte que
l’enfant ne s’exprime que par des cris, n’ayant
pas appris à parler, et au début, le croient sourd.
En effet lorsque la porte claque fort derrière de lui,
il ne réagit pas, n’a aucun sursaut, ne se retourne
pas. Cependant les savants remarquent qu’au bruit infime
d’une noix cassée, Victor réagit. Cela paraît
assez contradictoire, mais logique, puisque cet enfant ayant vécu
dans une forêt a été habitué aux bruits
forts comme à ceux plus discrets. Son écoute lui
a servi à survivre et lui permet de distinguer un bruit
dangereux d’un bruit de nourriture (comme celui de la noix).
On peut donc parler de naturalité des sens (sauf exception
rare due à un handicap) puisque chaque être humain
naît avec, à sa disposition, cinq sens. Ces sens
ne sont bien sûr pas aussi développés à
la naissance que chez un adulte, mais ils sont bien présents
et c’est au fil des années qu’ils évoluent.
Les sens sont naturels, innés (dès la naissance),
mais se développent de manière différente
selon le milieu dans lequel ils évoluent. C’est pour
cela qu’il est possible que certains sens aient l’air
« absents », mais cela peut signifier qu’ils
n’ont simplement pas été sollicités
dans tel ou tel milieu. On peut remarquer par exemple que l’ouïe
de Victor semble plus développée sur certains aspects
que la normale, sa survie dépendant beaucoup de son écoute
dans son environnement.
• Dans ce film, la scène du miroir nous fait penser
à celle dans le reportage sur les bonobos, où le
chimpanzé prend conscience de lui grâce à
un miroir. Tout comme lui, Victor découvre cet objet qu’il
n’avait sûrement jamais vu avant et se rend compte
au bout de quelques secondes que ses gestes sont les siens, qu’il
n’y pas une autre personne en face de lui mais qu’il
s’agit bien de lui. Il a en effet, à première
vue, du mal à comprendre que cette image est la sienne
et que l’autre personne reflétée dans ce miroir
(Itard, tenant une pomme) se situe derrière lui, mais il
finit par saisir rapidement le phénomène et attrape
la pomme. On peut donc affirmer, après sa réaction
face au miroir, que Victor a conscience de lui-même, sinon
il n’aurait pas pu attraper la pomme et se serait obstiné
à tenter de passer sa main au travers du miroir.
Victor ne met pas longtemps à comprendre le système du miroir et se « reconnaît » assez vite, on peut donc penser qu’il avait déjà une vague conscience de lui-même auparavant et que le fait de se retrouver devant ce miroir et en compagnie d’autres êtres humains a amplifié cette conscience. Cela rejoint en certains points la théorie de Sartre qui affirme que ce qui permet à l’homme d’avoir conscience de lui-même est la présence et reconnaissance de ses semblables. Cette théorie peut aussi rejoindre la thèse d’Aristote vue un peu plus tôt, puisque finalement, un homme ne s’accomplit, ne se reconnaît, que grâce à ses semblables et donc à une vie en communauté. L’accomplissement d’un homme est dû à sa vie en société. D’après Victor, on peut penser qu’il y a une petite part de conscience de soi innée chez l’homme, mais qui n’évoluera pas sans l’aide de l’autre : « L’autre est indispensable à mon existence […] ; à la connaissance que j’ai de moi. » Par exemple, on ne peut dire d’une personne qu’elle est jalouse ou qu’elle ne l’est pas sans la présence d’au moins une ou deux autres personnes, de même pour la méchanceté, la générosité, etc… Ce sont finalement les autres, de par notre attitude envers eux, qui peuvent nous aider à savoir qui nous sommes vraiment et surtout que nous sommes « nous ». On ne peut donc pas réellement parler de naturalité de la conscience puisqu’elle ne fonctionne qu’avec l’aide d’autres éléments dans notre entourage.
Dans le film, les émotions telles que la tristesse ou la joie ne paraissent pas innées. Le savant Itard a bien remarqué que pendant une longue période, l’enfant sauvage n’a jamais pleuré malgré tous les bouleversements qu’il a subit. On remarque aussi qu’au début, l’enfant tentait sans cesse de s’enfuir, n’ayant aucune attache avec les êtres humains qui l’entouraient, ni même avec leur milieu. Mais au fil du temps, après qu’Itard l’eut adopté, il s’est prit d’affection d’abord pour la servante, puis pour le savant. Un jour, après avoir commis une erreur lors d’un exercice, Victor s’est mit à pleurer ; de même qu’il lui arrivait de prendre un malin plaisir à donner des réponses fausses ce qui énervait son instructeur et le faisait lui, beaucoup rire. Or auparavant on ne l’avait jamais vu rire ou pleurer, ce qui laisse à penser que ces émotions sont apparues au contact d’autres hommes et de leur attitude envers lui. Ainsi lorsque Victor parvient à s’enfuir, il revient après quelques jours d’absence, se rendant compte qu’Itard et sa servante lui avait manqué et ayant trouvé en eux un foyer chaleureux. C’est à ce moment-là qu’il choisit de rester avec eux, s’apercevant qu’il est plus heureux en leur compagnie que seul en pleine nature (on retrouve la thèse d’Aristote : l’homme est plus épanoui en vivant avec ses confrères).
On peut tout de même imaginer que la vie dans la nature
de Victor a entraîné chez lui quelques émotions
; par exemple la satisfaction de manger, d’avoir trouvé
de la nourriture, ou la souffrance due à une blessure,
etc… Mais ces émotions sont tout de même le
résultat d’une cause provoquée dans un milieu
quelconque ; et on peut remarquer que chaque milieu provoque des
émotions différentes, plus ou moins fortes. On peut
donc en déduire que chaque personne naît avec des
émotions contenues, mais qu’au long de son parcours
elles ressortent de différentes manières, à
la suite de certains évènements dus à un
environnement, à des attachements.
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