Introduction
Saussure définit le langage comme n’étant que la faculté propre à tout homme en tant qu’homme, de pouvoir parler, et de faire usage de la langue. Selon Saussure, le langage, à proprement dit, serait uniquement humain et donc articulé. De plus, cette définition sous-entend que l’homme serait amené à l’utiliser comme un instrument puisqu’il en ferait « usage ». Par conséquent, la seule vocation du langage serait de servir l’individu et, à une échelle supérieure, l’ensemble de la société humaine. Le langage serait donc considéré que par l’usage que l’on en fait, c’est-à-dire seulement comme un moyen.
Pourtant, ne peut-il pas être considéré uniquement
dans son essence et n’être, aux yeux des hommes, qu’un
discriminant fondamental de l’être humain et de l’animal
? C’est ainsi que le définit Descartes en premier lieu.
Le langage serait avant tout une des caractéristiques de
l’homme qui lui permettrait de se différencier des
autres êtres vivants et ne résulterait donc pas d’un
usage quelconque.
Ces deux conceptions du langage humain justifient donc la question
qui nous est posée, à savoir « est-ce que le
langage n’est-il qu’un instrument ? », autrement
dit, « est-ce que le langage, au sens le plus restrictif du
terme, c’est-à-dire en tant que langage parlé,
est utilisé uniquement à des fins précises
? ». Si le langage est un instrument, nous sommes amenés
à nous demander quelles sont ses fins et si elles sont positives
ou négatives pour l’homme. Mais, le langage ne peut-il
pas échapper au contrôle de l’homme ? L’homme
est-il libre de l’utiliser comme il est libre d’utiliser
ou non une fourchette pour manger ?
Première partie
Si l’on se réfère à la définition de Saussure, exposée ci-dessus, le langage serait uniquement parlé : mais pour parler, ne faut-il pas avoir d’abord quelque chose à dire, et donc penser ? le langage serait-il un instrument de pensée ?
La pensée qui préexiste au langage, c’est-à-dire celle qui ne renvoie pas encore à une représentation générale et abstraite, à un concept, n’est en réalité qu’une pensée confuse, qui se cherche et qui a donc besoin d’être précisée et définie. Le langage du corps, celui du regard par exemple, ne suffit guère à préciser une pensée : il faut un langage précis et rigoureux, un langage constitué de signes linguistiques, de mots, un langage articulé que seul l’être humain peut posséder. Par l’intermédiaire de ce langage, la pensée se moule dans des mots et ainsi peut se trouver, se dire, s’exprimer et même être communiquée. Le langage servirait à penser de façon rationnelle. C’est cette vocation du langage que les philosophes mettent en évidence, notamment Socrate, à qui l’on attribue d’ailleurs l’invention de la définition. Au moyen de la dialectique, les dialogues socratiques ont pour objectif d’amener les interlocuteurs à conceptualiser leurs pensées : les questions de Socrate ont pour but de faire venir à la parole les idées de ses interlocuteurs afin d’en examiner la cohérence. On peut en déduire que le langage sert à penser de façon rationnelle, il apparaît donc comme instrument de la pensée, nécessaire et positif pour l’homme. Pour autant, peut-on affirmer que le langage, en tant qu’instrument de pensée, est toujours utilisé à des fins positives ?
Si nous avons pu définir le langage comme un instrument de la pensée car il permettait de l’exprimer et de la clarifier, n’oublions pas que le langage peut aussi servir à la déguiser, à la masquer. En effet, les mots peuvent nous servir à cacher intentionnellement certaines choses et peuvent nuire à l’homme. Ainsi, le langage apparaît comme une réalité négative pour l’être humain. C’est le cas de la plupart des mensonges qui, en remplaçant la vérité par une chose fausse, donnent au langage un caractère immoral. Le langage devient un outil de manipulation d’autrui ou de persuasion. C’est dans cette optique que les sophistes, en pratiquant la rhétorique, c’est-à-dire l’art de bien parler en vue d’obtenir par la parole les fins que l’on poursuit, concevaient le langage. Les sophistes profitaient des ambiguïtés du langage pour produire des raisonnements d'apparence logique, mais qui contenaient en réalité des vices cachés. C’est ainsi qu’ils ont révélé les failles du langage qui pouvait être utilisé pour faire n'importe quoi, défendre le vrai comme le faux, accuser l'innocent comme le coupable. Aujourd’hui, l’utilisation du langage comme moyen de persuasion pourrait être celle des publicitaires, prêts à nous faire croire n’importe quoi pour parvenir à nous vendre leurs produits. Par conséquent, il semble évident que le langage ne sert pas uniquement à des fins positives.
Parce qu’il permet à nos pensées de prendre
forme ou de se transformer, le langage parlé semble avoir
pour fonction première d’être l’organe
de la pensée, de la servir et donc d’en être
son instrument. Cependant, si l’on définit l’instrument
comme un outil, c’est-à-dire si nous prenons en compte
le fait qu’un instrument nécessite avant tout d’être
maîtrisé et que l’homme est libre de s’en
servir ou non, le langage peut-il toujours être qualifié
d’instrument ?
Dire que le langage parlé est un instrument implique que
le sujet peut se saisir du langage comme d’un outil parmi
d’autres mais aussi qu’il en possède une totale
maîtrise. Or, l’homme n’emploie pas toujours le
langage délibérément, consciemment. Dans certaines
circonstances, le langage semble dépasser l’individu
et échapper à son contrôle. C’est le cas
du lapsus où l’individu emploie involontairement un
mot pour en désigner un autre. Selon Freud, le lapsus serait
l’expression d’un désir de l’inconscient
et par conséquent, comme le « moi » conscient
de l’homme ne peut pas continuellement dominer l’inconscient,
celui-ci agirait aux dépens de l’homme, par exemple
à travers le langage. De même, les troubles du langage,
tels que la dysphasie, illustrent le fait que l’homme ne peut
pas toujours maîtriser son expression verbale car ces troubles
apparaissent indépendamment de sa volonté et ne parviennent
pas à être soignés par l’être humain.
Par conséquent, il arrive au langage de dépasser le
sujet et d’échapper à toute maîtrise.
L’homme n’est donc pas libre de s’en servir comme
il est libre de se servir d’une fourchette pour manger.
Outre les lapsus et les troubles du langage qui, comme nous venons
de le voir, empêchent l’homme de se servir librement
du langage, le fait que l’homme vive dans une société
semble également être une entrave à une quelconque
liberté humaine d’user du langage ou non. Selon Aristote,
l’homme, qui n’est homme que s’il vit en société,
se voit contraint d’utiliser le langage car vivre en société
nécessite l’apprentissage du langage et, plus précisément,
l’apprentissage de la langue. Saussure définit la langue
comme « un ensemble de conventions nécessaires adoptées
par le corps social pour permettre l’usage de la faculté
du langage chez les individus ». La langue apparaît
donc comme une convention qui régit les relations entre les
hommes et qui semble être destinée à la communication
: le langage parlé permet d’expliquer les pensées
d’un individu, grâce à des signes communs à
tous, afin qu’il puisse les communiquer à ses semblables.
C’est dans cette optique que les hommes ont « inventé
» des signes linguistiques, car sans la présence d’autrui,
l’individu n’aurait pas besoin du langage et pourrait
garder ses pensées telles quelles dans son esprit, il n’aurait
pas besoin de les conceptualiser afin de se faire comprendre des
autres. Bref, à partir du moment où il existe un état
social, il faut qu’il y ait un moyen de communication entre
les différents individus qui composent cet état :
c’est cette fonction que remplit le langage. Langage et société
vont ensemble : un individu ne peut avoir une place dans la société
s’il ne parle pas, ce qui explique par exemple la mise à
l’écart, voire même la non-intégration
sociale des autistes. L’homme a besoin du langage pour exister
en tant qu’ « animal politique », en tant qu’homme
à part entière : il se voit donc contraint d’utiliser
le langage pour accomplir son humanité.
Le langage parlé correspond donc à la faculté
humaine de pouvoir communiquer et semble naturellement lié
à la vie en société. Si l’homme n’apparaît
pas libre de s’en servir, il a tout de même la possibilité
de le transformer en instrument social en s’en servant comme
moyen de différenciation sociale, voire même de différenciation
culturelle.
A première vue, le langage parlé au sein d’une
société paraît être le même pour
tous les individus qui y vivent et renvoyer à une seule et
même langue : en France, par exemple, quand un individu veut
communiquer avec un autre, quelle que soit la région où
il habite, il utilise la langue française, considérée
comme langue officielle des échanges entre les individus
habitant en France. Pourtant, cette langue elle-même a été
divisée de façon conventionnelle en trois registres
- soutenu, courant et familier – lui conférant ainsi
un caractère moins général car il est vrai
que le langage parlé varie selon les interlocuteurs. En effet,
on s’exprime différemment selon son âge, son
milieu social, son niveau culturel, etc., mais également,
selon que l’on s’adresse à un familier, à
un inconnu, à un enfant, à un supérieur hiérarchique.
La façon de s’adresser à son interlocuteur pourrait
donc être un moyen de le différencier, de le classer
dans une certaine catégorie d’individus et de plus,
l’énonciateur disposerait d’une certaine liberté
pour adapter sa manière de s’exprimer aux circonstances.
Cependant, l’exemple du langage des adolescents reste la meilleure
illustration de cette fonction de différenciation sociale
du langage. En effet, le langage des adolescents, inspiré
notamment du verlan ou bien inventé de toute part, est souvent
étranger à celui utilisé par les adultes. Selon
certains psychologues, les adolescents auraient créé
leur propre langage afin de marquer l’appartenance à
un groupe, de créer une communauté à part.
Cette volonté de s’attribuer un langage propre serait
motivée par un besoin de se différencier. De ce fait,
le langage apparaît comme un instrument social qui sert à
différencier les hommes selon leurs conditions sociales.
Outre le fait que le langage se modifie selon les origines sociales
des individus, le langage parlé varie aussi selon leurs origines
géographiques. C’est d’ailleurs par le langage
qu’on différencie les cultures, chaque civilisation
possédant sa propre langue : ainsi « chien »
en français devient « dog » en anglais, «
perro » en espagnol ou encore « cane » en italien.
Selon Lévi-Strauss, « Le langage est l'instrument essentiel
par lequel nous assimilons la culture de notre groupe » :
le langage humain a une histoire, il a évolué en même
temps que les hommes et transporte les valeurs d’une civilisation,
ses jugements et ses préjugés. Ceci explique la diversité
des langues mais surtout les différentes significations d’un
même concept : ainsi le mot « vache » n’a
pas la même signification en France, où il renvoie
à un animal banal, qu’en Inde où il renvoie
à un animal sacré. Par conséquent, plus qu’un
instrument social, le langage est aussi un instrument culturel qui
permet de mettre en évidence les différences entre
chaque civilisation.
Conclusion
Dans un premier temps, il nous a paru aller de soi que le langage, au sens le plus restrictif du terme c’est-à-dire au sens de langage humain, s’affirmait comme un instrument de pensée, du fait qu’il était le seul à pouvoir l’exprimer précisément mais également à pouvoir la déguiser. Or, nous avons vu, dans un second temps, que le langage ne pouvait être un instrument entendu au sens d’ « outil », car il était capable d’échapper à toute maîtrise de l’homme qui, par conséquent, n’était pas libre de s’en servir. De même, nous avons pu affirmer que le langage était également une contrainte pour l’homme car il était imposé par la vie en société. Puis, nous avons remarqué que l’homme avait su tirer des avantages du langage parlé en s’en servant comme moyen de différenciations sociales et culturelles. Bref, langage comme instrument de pensée, langage comme instrument social, langage comme instrument culturel…nous avons plutôt répondu que le
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