Note obtenue : 13.5/20 Commentaire général : C’est très savant. Mais je dirais aussi, hélas, TROP savant ! Tu as trop exposé ce que tu savais, et pas assez questionné. Au bout du compte, tu oublies un peu le sujet (relis-toi : n’oublies-tu pas d’y répondre de façon précise ?). Il n’y a pas d’évolution véritable : le plan est trop répétitif. Je pense que ce problème vient à la fois du « trop » de connaissances, que tu voulais à tout prix « caser », et du manque d’analyse de la formule du sujet. Tu as ainsi oublié et la problématique, et l’enjeu (notamment, tu aurais dû te demander : qu’est-ce qui se passe, si on répond oui à la question ? est-ce que ça veut dire que la connaissance n’est jamais « objective », et donc, que l’homme est incapable de connaître ? etc. ). Peut mieux faire ! Ne te laisse pas emporter par tes connaissances ! |
Notre époque a vu s’effondrer toutes ses certitudes. A l’enseignement religieux, guide moral pendant plusieurs siècles, à l’optimisme marxiste et ses promesses rédemptrices, à la foi dans le progrès industriel qui affranchirait l’homme de sa misère, notre temps a substitué le doute. En cette « ère des soupçons » toute idéologie en vaut une autre, aucune église ne peut se prétendre supérieure à ses rivales, et les différentes écoles dites des « sciences humaines » débitent leurs travaux en un défilé cacophonique de théories qui se contredisent les unes les autres sans convaincre personne. Toute pensée philosophique n’est plus qu’un courant intellectuel à la mode qui, à peine a-t-elle fait son entrée sur l’agora, que l’on attend déjà son successeur avec la lassitude des vieux qui en ont vues d’autres (attention au style : relis-toi). Si donc (lien logique avec ce qui précède ? pourquoi parler de ça comme si ça découlait de ce qui précède ? –en plus, tu n’en parleras plus par la suite…) toute vérité de ce qui était autrefois l’indubitable raison a sa genèse dans une irrationnelle volonté de puissance ou dans un désir sexuel refoulé également irrationnel, on peut comprendre la tentation de tourner le dos à la philosophie et de lui préférer la connaissance plus modeste des physiciens et des ingénieurs (pourquoi cette critique de l’élaboration des connaissances ne vaudrait-elle que de la philo ? –tu aurais pu exploiter cette thèse par la suite, si tu avais dégagé un enjeu : ainsi, tu aurais pu montrer que l’on peut critiquer toute connaissance, en tant qu’elle est issue de quelque chose de subjectif… Vraiment, ça fait mauvais effet d’aborder une thèse, surtout si importante, dans l’intro, et de ne pas y revenir). Déjà Locke et Hume s’en prenaient à toute prétention métaphysique : nous ne pouvons tenir un discours sensé et solide que sur les choses empiriques. En conséquence tenons-nous en à ce que nous pouvons connaître et taisons le reste (on ne te suit pas : pourquoi parles-tu de métaphysique ? le sujet porte sur la connaissance en général ! analyse d’abord la formule/ l’énoncé du sujet –ce que tu savais bien faire jusqu’alors !). Toutefois la connaissance même des objet les plus ordinaires résiste-t-elle à l’analyse critique ? (bonne question ; enfin, tu en viens au sujet !) L’objet de la connaissance, que ce soit la connaissance du common sense empiriste ou celle plus sophistiquée de la science moderne, n’est pas indépendant du sujet connaissant (mais c’est une question, un problème, même : ici, tu affirmes déjà ce qu’il aurait fallu questionner). Au contraire nous soupçonnons avec Kant que « nous ne connaissons des choses que ce que nous y mettons nous-mêmes ». (il fallait donc commencer par là) Il convient alors de se poser trois questions : en quoi la thèse de Locke sur la connaissance n’est-elle pas tenable ? Si nous ne connaissons de la chose que ce qui vient de nous-mêmes, que mettons-nous alors dans celle-ci pour en faire l’objet d’une connaissance ? Finalement quant est-il alors de l’objet de connaissance scientifique ? (questions pertinentes ; mais attention, ça fait quand même trop « histoire de la philo » ; en plus, on ne sait pas en quoi consiste la thèse de Locke, et donc, pourquoi tu en parles ! Est-ce parce que ce qu’il dit rejoint le sens commun ?)
Commentaire
général sur l'introduction :
- tu ne vas pas droit au but (cf. toute la moitié de ton
intro) ; on ne sait pas pourquoi, au bout du compte, tu parles de
métaphysique, avant d’en venir à la formule
que tu devais analyser; d’ailleurs, tu vois bien que le sujet
ne porte pas sur la métaphysique, puisque tu n’y reviens
pas dans ton devoir (tu aurais par contrer pu en parler en disant
que tout projet métaphysique croit qu’il est possible
de connaître le monde tel qu’il est)
- je te conseille donc d’être plus « modeste »
: c’est-à-dire, de commencer directement par l’analyse
du sujet
Nous pensons d’ordinaire que la connaissance est un rapport
entre un sujet connaissant et un objet extérieur à
lui tel que le second informe le premier quant à son essence
et à son existence. (Bien,
mais vraiment, j’insiste : à lire ton intro, on ne
savait pas trop de quoi tu allais parler) Dans l’Essai
Philosophique concernant l’Entendement Humain Locke analyse
la connaissance comme provenant des objets extérieurs au
moyen de nos organes des sens. (très
bonne utilisation des références philosophiques) Aussi
écrit-il : « nos sens étant frappés
par certains objets extérieurs font entrer dans notre âme
plusieurs perceptions distinctes des choses, selon les diverses
manières dont ces objets agissent sur nos sens ».
La réflexion, qui pour Locke est l’opération
de l’âme sur ces perceptions, amène l’âme
à connaître, douter ou raisonner sur ce qui lui vient
des sens. Ainsi « au commencement l’âme est
ce qu’on appelle une table rase, vide de tout caractère,
sans aucune idée » ; les sensations générées
par les objets extérieurs impriment l’idée de
leur essence dans l’âme. Le sujet est donc un réceptacle
passif qui se laisse docilement injecter les sensations telles qu’elles
se donnent. Très bien A partir ce ces sensations et des idées
qu’elles inscrivent sur la page blanche de l’âme,
l’âme formera les « idées générales
» telles celles d’identité et de diversité,
de cause et d’effet, et de substance par exemple. La connaissance
dérive donc entièrement de l’expérience
et il ne reste au sujet qu’à subjuguer chaque perception
sous l’idée générale qui lui revient. (Pas mal, mais pas assez problématisé,
ni assez développé : tu aurais dû parler des
idées secondes et premières, d’empirisme et
de réalisme).
Toutefois cette conception de la connaissance soulève d’importantes
objections. (Aïe !!! Pourquoi
soutenir une thèse et son contraire dans une seule et même
partie ? Il ne faut jamais faire ça ! Ici, tu aurais dû
développer ton premier §, et mettre le deuxième
§ en seconde partie !
De plus, j’aurais préféré
que tu poses une grande question, du genre : « connaissons-nous
les choses telles qu’elles sont, comme semble le présupposer
Locke ainsi que le sens commun ? Quand nous connaissons, nous bornons-nous
à copier passivement la réalité ? Ou bien y
introduisons-nous quelque chose de nous » ?
Voici ce que tu aurais pu faire ici :
A- Nous connaissons les choses telles qu’elles sont (pourquoi
? cf. extérieur vers intérieur ; intérieur
« vide », etc.)
B- Et, d’ailleurs, la connaissance consiste à se défaire
de l’attitude « animiste », qui consiste à
projeter sur les choses ce qui ne vaut que de nous (du « sujet
» = objectivité versus subjectivité) ; exemple
de ces projections : la notion de finalité naturelle ; texte
utile : Auguste Comte –je te l’envoie en fichier-joint.
Meilleur exemple de « connaissance » : la science, qui
s’oppose au mythe, à la religion, etc. Comme ça,
plus loin, tu pouvais remettre en question cette scission science/
mythe, comme tu l’as fait dans ta dernière partie.
Ici, tu abordais l’enjeu du sujet : que se passe-t-il, au
premier abord, si on dit que « nous ne connaissons des choses
que… ? » Et bien, on déprécie la connaissance
! On est dans le domaine de l’illusion, on ne connaît
pas vraiment, et c’est tout le progrès de la science
que de s’être détachée de la projection
du sujet dans l’objet. Nous ne connaissons donc des choses
que ce que nous n’y mettons pas nous-mêmes ! (cf. également,
en plus de Comte, Bachelard)
Premièrement
les sens ne nous donnent pas les objets tels qu’ils sont.
Nos organes des sens influencent la manière dont une chose
nous apparaît : l’ivrogne voit deux arbres là
où il n’y en a qu’un seul, et le daltonien ne
distingue pas l’objet rouge de l’objet vert. Des expériences
entomologiques suggèrent que la pétale que nous voyons
comme jaune est ultra-violette aux yeux de la guêpe, et on
sait que les baleines perçoivent des ondes sonores qui pour
nous ne sont que silence. En outre le même objet est parfois
perçu différemment par le même individu. Dans
la deuxième Méditation Métaphysique Descartes réfléchit sur le morceau de cire qui tantôt
était dur, froid et rendait un son et maintenant, après
avoir été au contact du feu, est liquide, jaune et
n’émet plus aucun son. Comment pouvons-nous dire que
nous connaissions la cire par les sens si ceux-ci nous le présentent
d’abord comme ayant telles qualités, puis telles autres
? « Qu’est-ce que donc que l’on connaissait
dans ce morceau de cire avec tant de distinction ? Certes ce ne
peut être rien de tout ce que j’ai remarqué par
l’entremise des sens, puisque toutes les choses que tombaient
sous le goût, sous l’odorat, sous la vue, sous l’attouchement
et sous l’ouïe, se trouvent changées, et que cependant
la même cire demeure. » Ainsi nous sommes amenés
à conclure avec Descartes que les sens nous donnent certes
une expérience de quelque chose, mais non pas une connaissance.
Oui ; par les sens, nous savons qu’il y a quelque chose, que
la chose existe ; mais on ne sait pas ce qu’elle est. Donc
: non seulement on ne peut connaître par l’intermédiaire
des sens, mais encore, ils peuvent même nous tromper sur la
réalité, la déformer ! Pour qu’il y ait
connaissance, il faut que l’entendement intervienne et je
ne connais la cire comme identique sous toutes ses manifestations
sensibles que par la pensée (POURQUOI
? Trop rapide).
Deuxièmement
l’expérience fournie par les sens n’aboutit pas
à une connaissance, mais simplement à des constatations
qui ne nous permettent pas de généraliser. Or pour
qu’il y ait connaissance et non seulement observation passive
et aléatoire il faut que nous puissions généraliser
à partir de nos observations de telle manière que
celles-ci nous permettent de prédire un événement
futur à partir d’un événement présent.
Très bien La perception seule ne me permet que de conclure
à des conjonctions constantes telle que l’échauffement
de la pierre a toujours suivi son illumination par le soleil. Elle
ne m’autorise pas à un jugement de connexion nécessaire
ou causalité tel « le soleil chauffe la pierre ».
Dans l’Enquête sur l’Entendement Humain Hume écrit que c’est l’habitude de voir deux
évènements en conjonction constante qui fait qu’à
la vue du premier je m’attends immédiatement au second,
mais qu’il n’y a rien en l’événement
lui-même qui suggère qu’il aura été
précédé ou qu’il sera suivi par tel autre
Très bien : « cette idée de connexion nécessaire
entre les évènements naît du nombre de cas semblables
où se présente la conjonction constante de ces évènements,
et cette idée de peut jamais être suggérée
par aucun des cas qu’on considérait sous tous les jours
et positions possibles ». Si de deux évènements
que j’ai toujours observés en conjonction j’induis
qu’ils le seront toujours, comme la dinde inductiviste de
Russell (à développer
! tu ne dois jamais rien présupposer !) , je risque
d’être déçu.
La connaissance ne dérive donc pas de la perception des choses extérieures (un peu excessif, quand même ! disons « pas seulement », au sens où on n’a pas, par l’intermédiaire des sens et de la perception, de savoir certain, donc, pas une connaissance véritable). Par conséquent sa genèse ne peut être que la conscience humaine (comment peux-tu dire cela ? c’est trop rapide –je pense que tu aurais dû faire tout un § sur cette intervention de l’esprit humain, en mettant ensemble l’interprétation de Descartes et de Hume, qui disent tous les deux mais en un sens différent que l’esprit humain est pour beaucoup dans la connaissance –mettre Hume avant Descartes car chez Descartes c’est ce qui rend la connaissance objective !), c’est à dire que nous constituons l’objet reçu par les sens en objet de connaissance. La question se pose alors : comment le constituons-nous et qu’est-ce qui nous autorise à le faire ? Bonne question
Commentaire général : le plan de cette partie est raté, car tu soutiens deux thèses inverses, ce qu’il ne faut jamais faire. De plus, ce n’est vraiment pas problématisé, on ne sait pas ce que tu soutiens, du moins, pas par rapport à la question précise qui t’es posée. Tu aurais dû te demander ce que répondraient les auteurs cités à la question posée, et quel sens précis a la formule de l’énoncé selon eux.
Considérons un objet que nous nous disons ‘connaître’ ; quelles sont ses caractéristiques ? Nous le voyons doté de trois caractéristiques principales : il est temporel, il est spatial et il est un. La majorité d’entre nous serait tentée de considérer ces attributs comme faisant partie de l’objet lui-même et donc de conclure que nous connaissons la chose en soi (à expliquer impérativement !). Toutefois il convient d’examiner de plus près ces trois caractéristiques. Bien –tu aurais pu en faire une troisième partie, dans laquelle tu dirais : attention, si l’homme projette beaucoup de choses de lui-même dans la connaissance, ce n’est pas pour autant une connaissance illusoire…
Dans la Critique de la Raison Pure Kant examine la temporalité (entre autres ; il aurait fallu,
ici, annoncer rapidement quel est le projet kantien, quelle est
sa grande question). Nous pensons connaître les objets
dans le temps car nous les percevons toujours comme simultanés
ou en succession. Tout objet est avant, après ou en même
temps qu’un autre. Nous ne pouvons nous le représenter
autrement, même s’il nous est possible d’imaginer
un temps sans événements. Or la simultanéité
ou la succession ne peuvent être perçues que si le
temps leur sert de fondement a priori. Oui, c’est bien exposé
Aussi Kant écrit-il que « ce n’est que sous cette
supposition que l’on peut se représenter qu’une
chose existe en même temps qu’une autre (simultanément)
ou dans des temps différents (successivement) » et
que par conséquent le temps n’est pas un attribut de
la chose en soi, mais quelque chose qui dérive de notre intuition
de la chose. Ainsi le temps est une représentation nécessaire
que sert de fondement à toutes nos perceptions et qui donc
les précède. Le temps ne fait pas partie de l’objet,
c’est nous qui le lui ajoutons (oui
; mais profite de cette thèse pour répondre à
la question posée ! ainsi, ici, on dira que quand on connaît,
on ajoute à ce qu’on connaît des caractéristiques
qui n’y sont pas ; mais ce sont justement elles qui font qu’on
connaît, qu’on a affaire à un « objet »
et pas à un amas de sensations. Ce que nous ajoutons à
la perception fait toute la cohérence de l’expérience).
Il est aisé de penser que le corps que nous connaissons ne peut être autre chose que spatial. Le corps est bien une rex extensa, quelque chose que par définition est étendu et donc dans l’espace. Néanmoins, si l’espace était une propriété des choses en soi comment expliquer que des objets qui ont rigoureusement le même concept ne sont cependant pas superposables ? En effet, dans les Prolégomènes à toute Métaphysique Future Kant examine les objets symétriques : alors que nous ne pouvons penser aucune différence entre la main droite et la main gauche, l’une ne peut être substituée à l’autre. Ce fait est incompréhensible à l’entendement et néanmoins nous l’observons à chaque fois que nous regardons nos mains. Il y a donc là quelque chose qui ne fait pas partie de l’essence de la main, et qui néanmoins apparaît dans notre représentation de cette main.Oui Nous en concluons que l’espace ne peut être une propriété de la chose en soi, car alors nous serions capables de la penser, mais une qui (attention au style) appartient à notre intuition de cette chose. L’espace est donc quelque chose que nous (attention au style) mettons nous-mêmes dans les choses. (si l’espace était une propriété des choses en soi, alors, l’homme ne pourrait savoir qu’il y a de l’espace avant de connaître les choses : l’espace serait une notion acquise par expérience)
Considérons maintenant cette chose spatio-temporelle que
notre intuition constitue en un représentation une. D’où
lui vient son unité ? comment se fait-il que le rouge, le
goût sucré et la rondeur que je perçois s’agglomèrent
pour former l’individu « pomme » ? (très
bonne question ; dommage que tu ne développes pas assez l’idée
selon laquelle sans rien ajouter à l’expérience
« brute », on n’aurait aucune expérience
–en tout cas, je pense que tu le sais, mais tu ne le dis pas
assez explicitement) L’on pourrait croire que cette
unité appartient à la chose elle-même. Très
bien Or des études faites sur des individus de cultures différentes
montrent que ceux-ci, face au même objet, ne perçoivent
pas la même chose. Ainsi A.F.Chalmers montre qu’une
figure qui pour nous représentent un escalier représente
autre chose pour d’autres observateurs et il infère
que « l’expérience visuelle qu’a un observateur
en voyant un objet dépend en partie de son expérience
passée, de ses connaissances et de ses expectations »
(Qu’est-ce que la science?) La manière dont
notre entendement assemble les perceptions est donc arbitraire (un
peu exagéré ! culturel, plutôt… le problème,
ici, c’est que tu sembles dire que Kant dirait ça ;
or, Kant pense que tout homme connaît les choses de la même
manière : l’a priori qu’il projette dans les
choses, ou à travers lequel l’homme perçoit
nécessairement les choses, n’est pas arbitraire, ni
culturel, mais structurel : l’entendement de l’homme
est fait comme ça. Pas de subjectivité chez Kant,
au sens où la connaissance qu’on aurait des choses
serait faussée du fait qu’on ne peut les contempler
telles qu’elles sont en soi. Il parle alors de subjectivité
transcendantale, qui est un mélange de subjectivité
(c’est l’esprit de l’homme qui est à la
base de la connaissance) et d’objectivité (grâce
à la structure de son entendement, des catégories,
l’homme peut connaître la réalité…). En conséquence l’unité de la chose connue lui
vient de nous . C’est nous qui créons un objet un à
partir de sensations diverses selon nos besoins, habitudes ou expectations.
Comme l’écrit Kant dans Critique de la Raison Pure le divers de la représentation est lié par le je pense
ou, en termes kantiens, dans l’unité originaire de
l’aperception.
En conclusion, l’objet que nous connaissons n’est pas
la chose en elle-même qui, contrairement à ce que pense
Locke, demeure inaccessible, mais l’objet tel qu’il
nous apparaît dans notre intuition et tel que le pense notre
entendement. Nous appelons cet objet de la connaissance le phénomène.
Il n’y a de connaissance, donc de science, que des phénomènes.
Qu’est alors la science ? (je ne saisis pas
trop le sens de ta question, ou, plus précisément,
son « à propos ». Veux-tu parler de la valeur
de la science ? Ou bien veux-tu en fait réhabiliter la valeur
de la connaissance, comme je pense qu’il faudrait le faire
? Le problème est que tu n’expliques pas assez ce que
tu fais.)
L’expérience simplement empirique ne peut aboutir à
une connaissance, c’est à dire à des affirmations
valables toujours et pour tous, mais seulement à des observations
personnelles et contingentes. Or la science exige des jugements
d’expérience valables nécessairement et universellement.
Puisqu’elle ne peut les dériver de l’expérience
empirique ils doivent obligatoirement avoir une autre source. On
tourne un peu en rond ! cf. conclusion de ta première partie La genèse des jugements d’expérience ne peut
donc être que nous-mêmes qui imposons a priori et avant
toute perception nos lois aux phénomènes afin de conférer
au divers que nous appréhendons un caractère universel
et nécessaire. Kant appelle ces lois les catégories
de l’entendement. Celles-ci sont universelles, valables pour
tout entendement en tout temps. C’est pourquoi une science
des phénomènes est possible car un même phénomène
est soumis aux mêmes catégories par tout entendement.
Ainsi c’est parce que la causalité est une catégorie
de l’entendement que les choses que nous percevons en conjonction
constante sont néanmoins pensées comme cause et effet.
Nous mettons donc nous-mêmes dans l’objet son caractère
de connaissance valable pour tous. Très bien : là,
tu réponds vraiment au sujet.
Toutefois le jugement d’expérience est une condition
nécessaire, mais non pas suffisante, pour que nous puissions
parler d’une science. Un amas de jugements d’expérience
nous informeque le soleil chauffe tout objet qu’il illumine
ou que tout corps est soumis à l’attraction terrestre,
mais la science exige davantage oui. Ainsi dans l’Introduction
à l’Etude de la Médecine Expérimentale
Claude Bernard montre que « la simple constatation de faits
ne pourra jamais parvenir à constituer une science. On aurait
beau multiplier les faits et les observations que cela n’en
apprendrait pas davantage ». Une observation ne peut jamais
confirmer une autre observation et lui servir de contrôle.
Au contraire la science se constitue au moyen d’expériences
scientifiques qui différent des expériences que l’on
ferait au hasard dans la nature en ce qu’une expérience
scientifique a été élaborée dans le
but de vérifier une hypothèse de la part du scientifique.
L’objet de connaissance scientifique est donc une telle expérience
artificiellement mise au point pour répondre à une
question précise. Pour cette raison un biologiste n’observe
pas les souris du sous-sol de sa maison, mais des souris en cage
qui ont été manipulées de manière à
ce que leur aspect ou comportement confirme ou infirme une hypothèse.
Très bien ; mais qu’en fais-tu par rapport au sujet
? Par exemple dans un laboratoire au Texas des souris modifiées
génétiquement ont été amputées
d’un bout de leur oreille dans le but de vérifier si
la mutation de telle gène permet à leur organisme
de réparer l’organe mutilé . De telles souris
ne se trouvent pas à l’état sauvage, mais ont
été créées afin de permettre des études
micro-biologiques sur l’aptitude du corps à se reconstituer.
Cependant ce type de souris n’est un objet de connaissance
scientifique qu’au sein d’une théorie qui représente
le corps d’un organisme vivant comme constitué de cellules
comportant un noyau qui contient des chromosomes qui sont des longues
séquences d’ADN formant les gènes qui, elles,
décident de l’aspect et des capacités du phénotype
de l’individu. En dehors de ce contexte les souris du laboratoire
texan ne sont que des créatures sans oreilles. Dans La
Structure des Révolutions Scientifiques Kuhn montre
que l’objet scientifique, quel que soit son degré d’abstraction
ou d’artifice, n’a de sens qu’au sein d’un
paradigme, c’est à dire d’une théorie
scientifique qui le définit comme tel. Bien Ce n’est
qu’au sein de la mécanique newtonienne que la pomme
qui tombe de l’arbre est un corps d’un certaine masse
sur lequel agit une force, la pesanteur, qui l’attire vers
le globe terrestre. A la lumière d’une autre théorie
la même pomme tombante serait peut-être animée
d’une force interne ou flottant dans un champs magnétique
ou simplement une illusion optique. Ceci est d’autant plus
manifeste que l’objet scientifique est plus abstrait. La science
actuelle forge des objets que nul n’a jamais observé
dans la nature afin d’expliquer certains faits observés.
Ainsi personne n’a jamais vu un atome et encore moins ces
particules élémentaires dont foisonne la mécanique
quantique, électrons, positrons, leptons, quarks et autres
créations exotiques forgées dans un but explicatif,
mais qui n’ont ni sens ni existence en dehors de la théorie
qui les a enfantées. Et pourtant, de nos jours, connaître
un objet de manière scientifique veut bien dire savoir de
quels atomes il est fait et comment ces atomes se regroupent en
molécules ayant telle ou telle structure. Loin d’être
un phénomène observable dans la nature, l’objet
de connaissance scientifique tend à devenir de plus en plus
abstrait au point de devenir un objet mathématique –
par exemple les superstrings – que même les instruments
les plus sophistiqués ne pourraient jamais nous faire voir.
Commentaire
général : Ce que tu dis ici aurais pu te servir à
montrer que, certes, l’entendement met beaucoup de lui-même
dans les objets qu’il connaît (cf. partie II), mais
que cela ne veut pas dire pour autant que nous ne connaissons pas
la réalité ; au contraire : c’est la condition
sine qua non pour qu’on puisse vraiment connaître, cf.
Kant/ la science. J’ai vraiment l’impression que c’est
là que tu voulais en venir, voilà pourquoi je te mets
la moyenne. Mais j’insiste, veille à expliquer ce que
tu fais)
Ainsi la connaissance, loin d’être le reflet passif
d’un objet étranger, est entièrement (pas
sûr…j’aurais justement critiqué cet «
entièrement ») man-made. Nous étudions
un monde de phénomènes nôtres au moyen d’outils
et de concepts faits maison. Par conséquent on constate que
la science diffère moins des autres domaines de l’activité
humaine qu’on avait pu le croire auparavant . Connaître,
c’est bien également créer, inventer, croire
et même rêver et la science ne peut donc plus prétendre
à une quelconque supériorité sur l’art,
ni même sur la mythologie (personnellement,
je trouve cette thèse un peu exagérée : la
science, quand même, parvient à faire des prédictions,
et à expliquer la réalité d’une manière
cohérente –ce que ne font pas toujours le mythe et
la magie…). Les grandes théories scientifiques
sont des visions du monde qui ne sont pas sans affinité avec
les visions cosmologiques des mythes des temps passés. L’objet
de connaissance scientifique est une création, produit tant
de l’imagination que d’une intelligence observatrice.
Parfois la vison des scientifiques est même devancée
par les artistes, tel Delacroix qui dans son Journal décrit
comment les grandes vagues qu’il regarde semblent faites de
vagues plus petites, mais pareilles aux grandes, et les petites
vagues sont elles aussi composées de vagues plus petites,
mais par ailleurs identiques à elles et ainsi de suite. Ainsi,
avant Mandelbrot, Delacroix énonce la propriété
des objets fractals qui est d’avoir une structure invariante
à toutes les échelles. (cité par Cl. Lévy-Strauss
dans Regarder, Ecouter, Lire). La frontière entre vision
artistique et vision théorique, entre poésie et science,
est plus mince qu’on ne l’imagine. Il nous faut donc
vivre avec nos incertitudes et avec le savoir que ce que nous construisons
aujourd’hui sera très certainement déconstruit
demain. Cela implique que nous devons renoncer au solide et à
l’indubitable, mais aussi que nous ne sommes jamais assujettis
à un savoir qui, comme un tyran, nous soumettrait pour toujours
à ses lois immuables. Dans un monde que nous contribuons
à créer, nous sommes aussi beaucoup plus libres.
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