Plan
Introduction
I- Les systèmes astronomiques de Ptolémée et Copernic
A- L’astronomie précopernicienne : le géocentrisme
1) Représentation antique de l’univers à laquelle se rattache l’astronomie de Ptolémée
2) Le système de Ptolémée
3) Sauver les phénomènes (statut de l’astronomie jusqu’à Copernic)
B- Le système de Copernic (textes 1 et 2) : l’héliocentrisme
1) Le but de Copernic (texte 1)
2) La Terre en mouvement : l’hypothèse et ses avantages (schéma)
II- En quoi la " découverte " de Copernic est-elle une révolution ?
A- La découverte de copernic, une révolution ?
1) Copernic, le conservateur
2) Une révolution après-coup
3) Première étape de la révolution copernicienne : la " révolution astronomique "
B- deuxième etape de la revolution copernicienne : la révolution scientifique
1) L’abolition de la distinction Terre/ Ciel (Le messager des étoiles) : la lunette de Galilée
2) Galilée, pour démontrer la possibilité du mouvement de la terre, va devoir forger une nouvelle théorie du mouvement
3) Conséquence ultime : réforme de la science physique
4) Newton
5) Finalement : infinitisation de l’univers et destruction du cosmos
Conclusion : La révolution copernicienne, une révolution sans précédent
Elargissement : Nature du progrès et de la théorie scientifiques
1) Comment marche le progrès scientifique ? (Vue d’ensemble)
2) Qu’est-ce qu’une théorie scientifique ?
3) Explication détaillée du progrès/ révolution scientifique
4) Conclusion : la théorie scientifique est-elle vraie ?
CONCLUSION GENERALE
Annexe I : Copernic et la relativité du mouvement
Annexe II : l’affaire de la mémoire de l’eau
Bibliographie
Cours
Copernic, né en 1473 et mort en 1543 en Pologne, est connu pour avoir "découvert " que la Terre tourne autour du Soleil, contrairement à la croyance en vigueur jusqualors. La révolution copernicienne désignerait donc dabord une révolution astronomique, qui consisterait en labandon de la vision géocentrique du monde, et dans le passage à une vision héliocentrique.
Mais est-ce cette découverte que lon désigne quand on parle de révolution copernicienne ? La révolution copernicienne est-elle seulement une révolution astronomique ? Cest ce à quoi je vais ici répondre.
Je montrerai, après, et à travers lexposition des étapes de cette révolution, quelle est la nature du progrès scientifique, ainsi que le statut de la théorie scientifique.
I- Les systèmes astronomiques de Ptolémée et Copernic
Avant daborder la "découverte " de Copernic, il nous faut, pour bien la comprendre, faire un petit saut dans le temps. Il nous faut dabord savoir, en effet, quelles sont les caractéristiques du géocentrisme, afin de bien mesurer en quoi lhéliocentrisme peut bien être une révolution. Pourquoi pouvait-on croire, il y a plusieurs siècles de cela, que la Terre était immobile au centre du monde, et que le Soleil tournait autour delle ? Cest ce à quoi nous allons répondre, à travers les deux plus grands représentants de cette conception : à savoir, Aristote, et Ptolémée.
Lidéal astronomique précopernicien se trouve dans luvre de Ptolémée, connue sous le nom dAlmageste (140). Le terme d " almageste " est un terme arabe, signifiant " grande synthèse ". Pourquoi a-t-on appelé louvrage de Ptolémée ainsi (alors quà lorigine, son titre était Syntaxe mathématique) ? Parce quil sagit dune synthèse de toutes les connaissances astronomiques et cosmologiques (sur la structure de lunivers) accumulées depuis Aristote. Luvre de Ptolémée repose donc sur la représentation aristotélicienne de lunivers.
Commençons donc par nous familiariser avec cette représentation du monde aristotélicienne.
1) Représentation antique de lunivers à laquelle se rattache lastronomie de Ptolémée
a) Lunivers des deux mondes
Ce qui est dabord marquant dans cette représentation du monde, cest la distinction nette entre deux mondes : celui de la Terre, et celui du Ciel.
Cette conception est intuitive, i.e., elle résulte de ce que lon a coutume dobserver autour de nous. Cest aussi une résurgence de la croyance ancienne selon laquelle le ciel est le domaine des dieux mais cette croyance elle-même repose sur lobservation quotidienne
Ce qui les distingue, cest leur degré de perfection : en effet, dans le monde terrestre, on constate que tout est soumis à un perpétuel changement : naissance, mort, altération ("corruption "), évolution, etc. Au contraire, dans le monde céleste, il ny a pas de changements. Les corps célestes se meuvent toujours de la même manière, ils ne naissent ni ne meurent. Le monde terrestre est donc imparfait et le monde céleste est parfait. On nomme le premier monde, le monde "sublunaire ", ce qui signifie "situé sous la Lune " ; si la Lune est une frontière entre les deux mondes, c'est parce que, contrairement aux autres corps célestes, elle change de forme constamment. Le monde céleste se nomme le monde "supralunaire", ce qui signifie quil se trouve "au-dessus de la lune ". Ces deux mondes sont donc soumis à des lois totalement différentes.
On observe également que les différents corps obéissent à un mouvement différent : les corps "lourds " (une pierre) tombent, les corps "légers" montent (la fumée, la vapeur). Ils obéissent à un mouvement qui seffectue en ligne droite. Les corps célestes se meuvent quant à eux de façon circulaire, et de manière uniforme (toujours la même).
b) le monde sublunaire
La sphère terrestre selon Aristote
|
b1) Les éléments naturels
Le monde sublunaire (ou terrestre) est composé de quatre éléments originaux dont tous les corps sont une combinaison des quatre : la Terre, l'Eau, l'Air, le Feu. La Terre au centre, puis l'Eau, l'Air, et enfin le Feu le plus à l'extérieur.
Ces autre éléments déterminent la manière dont les corps terrestres vont se mouvoir.
b2) Mouvements naturels et mouvements violents
En effet, à chaque sorte de corps, classés en lourds et en légers, correspond un élément naturel, qui est encore appelé un lieu naturel. Lélément/ lieu naturel des corps lourds est soit la terre soit leau ; lélément/ lieu naturel des corps légers est soit le feu, soit lair. Les corps ne sont à laise que dans ce lieu/ élément, et cest pour cela quil est qualifié de " naturel ". Leur imposer un autre lieu, cest leur faire violence, car cest les expédier en un lieu qui nest pas le leur, qui ne leur est pas propre/ naturel. Aristote dit quon les prive de leur lieu naturel. Les corps déplacés de leur lieu naturel combleront donc cette privation en faisant tout pour retourner dans leur lieu dorigine. Aristote dit que le mouvement par lequel les corps sont déplacés de leur lieu dorigine est un mouvement " violent ", et que le mouvement par lequel le corps rejoint son lieu dorigine est " naturel ". Le mouvement nest donc pas une réalité positive : il na de sens que par le repos quil promet (lidéal étant en effet de rester éternellement en son lieu propre). Plus précisément, il sert à remettre les choses en ordre : on voit bien quil ny aurait pas de mouvement, si on ne dérangeait pas lordre.
Voici donc quels sont les mouvements naturels : aux lourds, la terre et leau, revient le mouvement rectiligne vers le bas. Aux légers, lair et le feu, revient le mouvement rectiligne vers le haut. Il faut noter que ces directions, ces lieux, sont pour Aristote absolus. Il y a un haut et un bas prédéterminés dans lunivers !
b3) Exemple
Voici donc comment on expliquait la chute des corps chez Aristote : quand vous lancez une pierre, vous lenvoyez dans un lieu qui ne lui est pas naturel (lair, le haut) ; vous lui infligez donc un mouvement violent, duquel sensuivra nécessairement un mouvement naturel rectiligne vers le centre de la Terre ; la pierre tombe, parce quelle veut rejoindre son lieu naturel, comme lamant désire rejoindre laimé.
b4) Conséquences générales de cette théorie
Ie : quest-ce qui accompagne la représentation géocentrique du monde ?
La théorie aristotélicienne du mouvement est donc associée à une théorie de lespace qui est différencié selon des lieux, et à une structure dordre du Cosmos. Les lignes géométriques simples (droite et cercle), les éléments, le léger et le grave, dont Aristote fait des qualités absolues de la matière, sont physiquement liés. Et tout cela forme un tout harmonieux. Cest une des raisons essentielles de son adoption.
La Terre a donc une position centrale pour deux raisons : 1) elle explique comment se meuvent les corps ; 2) c'est la première des sphères, la plus lourde. On voit que la position centrale de la Terre est très importante car tout le comportement des choses de notre vie quotidienne repose sur ce postulat. Autrement dit : la cosmologie détermine une certaine physique. A retenir pour la suite !
c) Le monde céleste
S'opposant à ce monde complexe et perturbé, mais totalement déconnecté de notre expérience, existe le monde Céleste. C'est un monde parfait et immuable, dont les constituants (Lune, Soleil, planètes, Etoiles) sont chacun sur des sphères concentriques, au nombre de 8, et qui tournent autour de celle-ci dun mouvement circulaire uniforme .
Système des huit sphères:
|
c1) Pourquoi ces sphères ?
Les sphères sont des coquilles sphériques appelées "orbes " et comparées à des pelures doignons, qui retiennent les planètes, et qui tournent autour de la Terre dun mouvement circulaire uniforme.
Les sphères et les planètes qui se meuvent obéissent à un mouvement circulaire uniforme, car le cercle représente pour les Grecs un mouvement fondamental et parfait, seul applicable, par conséquent, à ce monde parfait.
Elles sont différentes, parce que chaque sorte de corps céleste a un statut différent (on constate par lobservation quils ne se comportent pas de la même manière). Les objets les plus proches de la Terre (la Lune et le Soleil) tournent le plus rapidement. Les plus éloignés (les étoiles fixes), sont les plus idéaux, les plus parfaits, ils sont à l'origine de tous mouvements, et ne se déplacent pas.
c2) Le monde clos
Point important : on voit bien que lunivers géocentrique est fini. Au-delà de la dernière sphère, mis à part les grands cristallins et le " premier moteur immobile ", équivalent de notre Dieu, qui meut lensemble, il ny a plus rien. Même pas de vide, qui est pour Aristote une aberration.
On peut relever plusieurs raisons de cette affirmation.
Dabord, si on a un monde infini, on aura des parties qui elles-mêmes auront nécessairement des grandeurs infinies. Sil y a des parties infinies, tous les mouvements qui conduiront dun lieu à lautre seront infinis. Mais alors, la chose en mouvement ne pourra jamais arriver en aucun lieu ! Pire encore : si le monde était infini, on perdrait toutes les directions : il ny aurait plus ni haut, ni bas, etc. Dès lors, le mouvement local perdrait tout son sens. Le mouvement naurait ni point de départ ni point darrivée. Et les corps resteraient dans le même état. De plus, si le monde était infini, les astres, qui tournent autour de la Terre en 24h00, le feraient en un temps infini.
Mais surtout, alors que pour nous le terme de "fini " est peut-être un défaut, il est pour un Grec synonyme de perfection. Une chose finie est achevée, définie. Elle est parfaite. Le modèle dune chose "finie " est dailleurs le cercle
c3) Difficultés de ce système de lunivers
Mais ce système de lunivers, certes cohérent (car il explique tout !), nest pourtant pas sans rencontrer quelques difficultés. En effet, il représente les planètes se déplaçant à des distances invariables de la Terre. Or, les apparences/ observations montrent que les planètes ne peuvent toujours rester à même distance de la Terre : les planètes dans le ciel rebroussent parfois chemin : elles semblent revenir en arrière pendant quelques jours, puis ensuite reprendre leur course en suivant leur trajectoire en cercle. Doù : ce système ne rend pas compte des observations.
Ce phénomène, que lon va bientôt désigner comme le "problème de lirrégularité du mouvement des planètes ", a beaucoup intrigué les astronomes : comment le réconcilier avec la cosmologie d'Aristote, qui prône le cercle comme objet parfait, et donc comme seule trajectoire possible des astres ? Il fallait à tout prix que la théorie de cercles imbriqués les uns dans les autres, concorde avec les données de lobservation !
Conséquence : lépoque hellénistique (3è av. JC 1er ap. JC) voit une prolifération considérable de systèmes du monde. La plupart des astronomes sattachent à modifier le système des sphères concentriques, trop rigide pour rendre compte des apparences.
Cest ici quintervient Ptolémée, qui va " sauver " la théorie dAristote, en la remaniant (plus exactement, en lui faisant quelques ajouts).
Il répond en effet au problème de lirrégularité des planètes de la manière suivante.
Système des épicycles de Ptolémée
|
Le système s'appuie toujours sur les grands principes de la vision aristotélicienne : la Terre est au centre de l'univers, et les différents astres (Lune, Soleil, Planètes, Etoiles), sont sur des sphères concentriques tournantes, centrées sur la Terre.
Mais, lastre, au lieu d'être fixé à un grand cercle tournant centré sur la Terre, est en fait fixé sur un petit cercle qui tourne sur lui-même, le centre de ce petit cercle se déplaçant sur le grand cercle centré sur la Terre. On appelle ce petit cercle, un épicycle Ainsi, le mouvement d'un astre dans le ciel est la combinaison de deux effets qui s'ajoutent : une longue révolution le long du grand cercle et une petite révolution plus rapide le long du petit cercle.
Donc, globalement l'astre décrit un grand cercle, auquel s'ajoutent des petites modulations, qui sont les mouvements rapides le long du petit cercle. Ces modulations se manifestent dans le ciel par une accélération dans le sens du mouvement, suivi d'un ralentissement et d'un retour en arrière, chaque fois que le petit cercle fait un tour sur lui-même.
Ainsi, Ptolémée, en utilisant des combinaisons de cercles plus complexes que son prédécesseur, arrive à reproduire, avec une assez bonne précision pour l'époque, les mouvements des planètes dans le ciel. Ce système permettait même de prévoir les éclipses de lune et de soleil, les conjonctions etc. Il était donc globalement satisfaisant, et très utile pour les astrologues.
3) Sauver les phénomènes (statut de lastronomie jusquà Copernic)
Mais il convient de sarrêter un instant sur le statut de lastronomie à cette époque. Par exemple, est-ce que lon croit vraiment à la réalité des sphères célestes ? Est-ce que lastronome de lépoque prétend décrire la structure réelle de lunivers ?
Aristote y croyait : cf. sphères éthérées, sphères de cristal Ptolémée, lui, na jamais prétendu que les cercles utilisés pour calculer les positions des planètes sont réels dun point de vue physique. Conformément au statut de lastronomie en vigueur à lépoque hellénistique, ils ne sont rien de plus que des instruments mathématiquement utiles, des fictions mathématiques, seulement utiles aux calculs. On dit quil sagissait pour eux de " sauver les phénomènes ".
a) Astronomie versus physique (texte 3)
Quest-ce que cela veut dire ? Pour le comprendre, nous allons étudier ce texte de Simplicius :
Il appartient à la théorie physique dexaminer ce qui concerne lessence du Ciel et des astres, leur puissance, leur qualité, leur génération et leur destruction ; et, par Jupiter, elle a aussi le pouvoir de donner des démonstrations touchant la grandeur, la figure et lordre de ces corps. LAstronomie, au contraire, na aucune aptitude à parler de ces premières choses ; mais ses démonstrations ont pour objet lordre des corps célestes, après quelle a déclaré que le Ciel est vraiment ordonné ; elle discourt des figures, des grandeurs et des distances de la Terre, du Soleil et de la Lune ; elle parle des éclipses, des conjonctions des astres, des propriétés qualitatives et quantitatives de leurs mouvements. Puis donc quelle dépend de la théorie qui considère les figures au point de vue de la qualité, de la grandeur et de la quantité, il est juste quelle requière le secours de lArithmétique et la Géométrie ; et au sujet de ces choses, qui sont les seules dont elle soit autorisée à parler, il est nécessaire quelle saccorde avec lArithmétique et la Géométrie. Bien souvent, dailleurs, lastronome et le physicien prennent le même chapitre de la Science pour objet de leurs démonstrations ; ils se proposent, par exemple, de prouver que le Soleil est grand, ou que la Terre est sphérique ; mais, dans ce cas, ils ne procèdent pas par la même voie ; le physicien doit démontrer chacune de ses propositions en les tirant de l'essence des corps, de leur puissance, de ce qui convient le mieux à leur perfection, de leur génération, de leur transformation ; lastronome, au contraire, les établit au moyen des circonstances qui accompagnent les grandeurs et les figures des particularités qualitatives du mouvement, du temps qui correspond à ce mouvement. Souvent, le physicien saccordera à la cause et portera son attention sur la puissance qui produit leffet quil étudie, tandis que lastronome tirera ses preuves des circonstances extérieures qui accompagnent ce même effet ; il nest point né capable de comprendre la cause, de dire, par exemple, quelle cause produit la forme sphérique de la Terre et des astres. Dans certaines circonstances, dans le cas, par exemple, où il raisonne des éclipses, il ne propose aucunement de saisir une cause ; dans dautres cas, il croit devoir poser certaines manières dêtre, à titre dhypothèses, de telle façon que ces manières dêtre une fois admises, les phénomènes soient sauvés. Par exemple, il demande pourquoi le Soleil, la Lune et les autres astres errants semblent se mouvoir irrégulièrement ; que lon suppose excentriques au Monde les cercles décrits par les astres, ou que lon suppose chacun des astres entraîné en la révolution dun épicycle, lirrégularité apparente de leur marche est également sauvée ; il faut donc déclarer que les apparences peuvent également être produites par lune ou lautre de ces manières dêtre, en sorte que létude pratique des mouvements des astres errants est conforme à lexplication que lon aura supposée. Cest pour cela quHéraclide de Pont déclare quil est possible de sauver lirrégularité apparente du mouvement du Soleil en admettant que le Soleil demeure immobile et que la Terre se meut dune certaine manière. Il nappartient donc aucunement à lastronome de connaître quel corps est en repos par nature, de quelles qualités sont les corps mobiles ; il pose à titre dhypothèse que tels corps sont immobiles, que tels autres sont en mouvement, et il examine quelles sont les suppositions avec lesquelles saccordent les apparences célestes. Cest du physicien quil tient ses principes, principes selon lesquels les mouvements des astres sont réguliers, uniformes et constants ; puis, au moyen de ces principes, il explique les révolutions de toutes les étoiles, aussi bien de celles qui décrivent des cercles parallèles à léquateur que des astres qui parcourent des cercles obliques. |
Commentaire Lastronome nest pas un physicien, i.e., il ne se donne pas pour but de décrire la structure réelle (essence, cause) du ciel. Question directrice de lastronome : quels mouvements doit-on supposer pour sauver les apparences que les observateurs constatent, pour que lirrégularité soit réduite à une uniformité et nous permette calculs et prédictions ? Comme nous lavons vu, la réponse la plus avérée est que le mouvement compliqué et irrégulier dune planète qui apparaît à lobservation est le résultat de plusieurs mouvements simples, accomplis suivant un excentrique et un épicycle. Mais est-ce à dire que ces épicycles sont les seuls mouvements réels, dont les autres ne sont que les apparences ? Non : ce sont des artifices de lesprit, permettant seulement de rendre accessibles les phénomènes célestes aux calculs et de fournir des conclusions conformes aux observations. Si les épicycles existaient, les mouvements célestes et autres phénomènes se produiraient exactement comme ils se produisent, et, " pourvu quil ait le moyen de déterminer clairement les lieux et mouvements des planètes, lastronome ne se demande pas si cela provient ou non de lexistence réelle de telles orbites dans le Ciel ". Le seul guide de lastronome qui cherche à sauver les mouvements apparents des astres est la simplicité, ainsi que lexactitude. Conséquence : plusieurs combinaisons de mouvements circulaires et uniformes peuvent également, quoique différentes, sauver les phénomènes. A tel point que certains avaient déjà imaginé de mettre la Terre en mouvement (Aristarque, Héraclide). |
b) Pourquoi ce statut de lastronomie ?
Il y a au moins deux raisons, toutes deux tirées de la nature divine des cieux.
b1) Lhomme na pas la capacité de connaître la nature des cieux
Parce que la connaissance de lessence des choses célestes, celles-ci étant de nature divine, passe les forces de lhomme ; aussi nous est-il impossible de déduire les mouvements des astres à partir de principes certains : il nous est seulement possible de fonder lastronomie sur des hypothèses fictives qui nont rien de certain. (Cf. " il nous est impossible davoir les éléments nécessaires pour raisonner sur le Ciel, qui est loin de nous et trop élevé par sa place et son rang "). Seules les choses " sublunaires " (sous la lune) sont accessibles à notre faible raison.
b2) Le physicien na pas le droit de se prononcer sur la nature des cieux
Cf. fait quon croyait que les cieux étaient la demeure des dieux ; cest pourquoi essayer de les connaître était un sacrilège puisque cela revenait à les naturaliser. Ainsi, Anaxagore, philosophe présocratique, a été mis à mort par les Athéniens pour avoir cherché à connaître le fonctionnement du ciel. Ces derniers ont même été jusquà voter une loi suivant laquelle "sera traduit devant le tribunal quiconque ne croit pas aux dieux, ou donne un enseignement sur les choses célestes ".
Cest donc pour ces deux raisons que la question "pourquoi ", en ce qui concerne les cieux, nest pas valide, mais seulement la question "comment ".
Nous pouvons maintenant passer à lexposition du système de Copernic.
1) Le but de Copernic (texte 1)
Copernic, De la révolution des ordres célestes, préface Je puis fort bien m'imaginer, Très Saint Père, que, dès que certaines gens sauront que, dans ces livres que j'ai écrits sur les révolutions des sphères du monde, j'attribue à la terre certains mouvements, ils clameront qu'il faut tout de suite nous condamner, moi et cette mienne opinion. Or, les miens ne me plaisent pas au point que je ne tienne pas compte du jugement des autres. Et bien que je sache que les pensées du philosophe ne sont pas soumises au jugement de la foule, parce que sa tâche est de rechercher la vérité en toutes choses, dans la mesure où Dieu le permet à la raison humaine, j'estime néanmoins que l'on doit fuir les opinions entièrement contraires à la justice et à la vérité. C'est pourquoi, lorsque je me représentais à moi-même combien absurde vont estimer cette a c s a m a ceux qui savent être confirmée par le jugement des siècles l'opinion que la terre est immobile au milieu du ciel comme son centre, si par contre j'affirme que la terre se meut : je me demandais longuement si je devais faire paraître mes commentaires, écrits pour la démonstration de son mouvement ou, au contraire, s'il n'était pas mieux de suivre l'exemple des pythagoriciens et de certains autres, qui - ainsi que le témoigne l'épître de Lysias à Hipparque avaient l'habitude de ne transmettre les mystères de la philosophie qu'à leurs amis et à leurs proches, et ce non par écrit mais oralement seulement. Et il me semble qu'ils le faisaient non point, ainsi que certains le pensent, à cause d'une certaine jalousie concernant les doctrines à communiquer, mais afin que des choses très belles, étudiées avec beaucoup de zèle par de très grands hommes, ne soient méprisées par ceux à qui il répugne de consacrer quelque travail sérieux aux lettres -sinon à celles qui rapportent ou encore par ceux qui, même si par l'exemple et les exhortations des autres ils étaient poussés à l'étude libérale de la philosophie, néanmoins, à cause de la stupidité de leur esprit, se trouvent être parmi les philosophes comme des frelons parmi les abeilles. Comme donc j'examinais cela avec moi-même, il s'en fallut de peu que, de crainte du mépris pour la nouveauté et l'absurdité de mon opinion, je ne supprimasse tout à fait l'uvre déjà achevée. Mes amis cependant m'en détournèrent, moi qui longtemps hésitai et même leur résistai... [L'un d'entre eux] m'avait fréquemment exhorté et même m'avait poussé par des reproches maintes fois exprimés à éditer ce livre et à faire voir le jour à l'uvre qui était demeurée cachée chez moi non pas neuf ans seulement, mais déjà bien près de quatre fois neuf ans. Ce que me demandèrent également plusieurs autres personnes... m'exhortant de ne plus me refuser - à cause des craintes que je concevais de faire paraître mon uvre pour le plus grand profit de tous ceux qui s'occupent de mathématiques. Et peut-être, aussi absurde que ma théorie du mouvement de la terre ne paraisse aujourd'hui à la plupart, elle n'en provoquera que d'autant plus d'admiration et de reconnaissance lorsque par suite de la publication de mes commentaires ils verront les nuages de l'absurdité dissipés par les plus claires démonstrations. C'est par de telles persuasions et par de tels espoirs que je fus amené à permettre à mes amis de faire l'édition de mon uvre qu'ils m'avaient longtemps réclamée. Mais Ta Sainteté sera peut-être autant étonnée que j'ose faire paraître ces miennes méditations, après avoir pris tant de peine à les élaborer que je ne crains pas de confier aux lettres mes idées sur le mouvement de la terre, que désireuse d'apprendre de moi comment il m'est venu à l'esprit d'oser imaginer contrairement à l'opinion reçue des mathématiciens et presque à l'encontre du bon sens un certain mouvement de la terre. C'est pourquoi je ne veux pas cacher à Ta Sainteté que nulle autre cause ne me poussa à rechercher une autre façon de déduire les mouvements des sphères du monde que le fait d'avoir compris que les mathématiciens ne sont pas d'accord avec eux-mêmes dans leurs recherches. Car, premièrement, ils sont tellement incertains des mouvements du soleil et de la lune qu'ils ne peuvent ni déduire ni observer la grandeur éternelle de l'année entière. Ensuite, en établissant les mouvements de ces [astres], ainsi que des autres cinq astres errants, ils ne se servent ni des mêmes principes et des mêmes assomptions ni des mêmes démonstrations des révolutions et mouvements apparents. Les uns, notamment, ne font usage que de [sphères] homocentriques , les autres d'excentriques et d'épicycles, par quels moyens cependant ils n'atteignent entièrement ce qu'ils cherchent. En effet, ceux qui s'en tiennent aux [sphères] homocentriques, quoiqu'ils aient démontré pouvoir composer à leur aide plusieurs et divers mouvements, n'ont pu cependant rien établir de certain expliquant entièrement les phénomènes. Quant à ceux qui imaginèrent des excentriques, bien qu'avec leur aide ils semblent, en grande partie, avoir pu déduire et calculer exactement les mouvements apparents, ils ont cependant admis beaucoup [de choses], [comme l'utilisation de l'équant], qui semblent s'opposer aux principes premiers concernant l'uniformité des mouvements. Enfin en ce qui concerne la chose principale, c'est-à-dire la forme du monde et la symétrie exacte de ses parties, ils ne purent ni la trouver ni la reconstituer. Et l'on peut comparer leur uvre à celle d'un homme qui, ayant rapporté de divers lieux des mains, des pieds, une tête et d'autres membres très beaux en eux-mêmes, mais non point formés en fonction d'un seul corps et ne correspondant aucunement -, les réunirait pour en former un monstre plutôt qu'un homme. C'est que, dans le processus de démonstration que l'on appelle " méthodon ", ils se trouvent soit avoir omis quelque chose de nécessaire, soit avoir admis quelque chose d'étranger et n'appartenant aucunement à la réalité. Ce qui ne leur serait pas arrivé s'ils avaient suivi des principes certains. Car si les hypothèses qu'ils avaient admises n'étaient pas fallacieuses, tout ce qui en serait déduit aurait, sans aucun doute, été vérifié. Et si peut-être ce que je dis là est obscur, cela deviendra cependant plus clair en son lieu. |
Commentaire Copernic sexprime en mathématicien : il na pas un but réaliste quand il soutient que la terre est en mouvement ; cest seulement une hypothèse (cf. " si alors " ; imaginer) Par là, Copernic est en conformité avec la définition de lastronomie en vigueur à son époque Bien entendu, cest un bon moyen de se défendre de lEglise! Voici quelles sont ses motivations : le système du monde jusquà présent en vigueur, celui de Ptolémée (lAlmageste), est comparé à un " monstre ". Il est devenu trop compliqué, et même trop imprécis, et Copernic veut le simplifier ; cf. le problème du calendrier : le Calendrier de l'époque (le calendrier Julien) pose de plus en plus de problèmes : construit sur le mouvement des planètes prédit par le système de Ptolémée, il se décalait de plus en plus. Ainsi les saisons commencent à se déplacer dangereusement. Cela pose problème : pour l'agriculture bien évidemment, mais également pour les dates des fêtes religieuses, et quasiment tous les types d'activités humaines Doù la nécessité de réformer les techniques astronomiques, en essayant, pourquoi pas, de nouvelles hypothèses (qui ne sont que des hypothèses ! !), comme lont fait beaucoup dautres avant lui Cest donc au double problème des irrégularités des planètes, et de la réforme du calendrier, que Copernic va sattaquer dans le De Revolutionibus. Peut-être que, en échangeant les rôles respectifs du Soleil et de la Terre, on va pouvoir simplifier les techniques de calcul des positions des planètes, et rendre ainsi ce système plus précis : cest tout ce que prétend faire lhypothèse de lhéliocentrisme |
Ce sont donc des arguments astronomiques qui rendent nécessaire le mouvement de la Terre. A priori, cest juste une hypothèse, qui ne prétend pas se prononcer sur sa réalité.
2) La Terre en mouvement : lhypothèse et ses avantages (schéma)
a) la nouvelle représentation du système des deux mondes
La Terre est donc, dans la nouvelle hypothèse de Copernic, une planète transportée autour du Soleil central par une sphère exactement semblable à celle qui était utilisée pour transporter le Soleil autour de la sphère centrale.
b) Commentaire du schéma : quelques changements notoires
II- En quoi la " découverte " de Copernic est-elle une révolution ?
Pourtant, lhypothèse de Copernic est-elle vraiment une révolution ?
Quest-ce quune révolution ? Cest, au sens le plus courant du terme, issu du domaine politique, une rupture radicale avec le passé, considérée, non comme une régression, mais comme un progrès.
Or, Copernic est-il en rupture radicale avec le passé ? Sa théorie marque-t-elle vraiment un progrès ?
a) Il apparaît plutôt comme un conservateur
Il a en effet conservé beaucoup de choses de la vieille astronomie : ainsi, il nattaqua nullement lunivers des sphères.
On va dire quil a quand même innové, et ce, en ce qui concerne le fondement même de lancien système du monde : à savoir, il a complètement changé la position de la Terre, et la mise en mouvement. Mais même là, sa " rupture " avec la tradition ne va en fait pas bien loin : en effet, quand il donne des arguments en faveur du mouvement de la Terre, Copernic se place du point de vue traditionnel, i.e., il est en conformité avec lunivers aristotélicien, qui nest donc nullement détruit par cette novation. Ainsi, comme il le dit lui-même, cest pour pouvoir retrouver le dogme du mouvement circulaire uniforme, mis à mal par les épicycles de Ptolémée, que Copernic a eu lidée de son système
Sa théorie ne fut donc pas perçue comme un bouleversement, ni par ses contemporains ni par ses successeurs immédiats ; elle est restée sans effet important sur lastronomie pendant un demi-siècle environ. Nétant pas en rupture par rapport à la tradition, on voit mal comment son hypothèse aurait pu apporter un quelconque progrès !
b) De plus, il ny a pas vraiment de progrès par rapport au système de Ptolémée
b1) Léchec quantitatif du nouveau système
Est-ce que son hypothèse a apporté un gain de simplicité ? Au premier abord, oui : Copernic parvient à expliquer, sans épicycles, le mouvement des planètes ; en particulier, le mouvement rétrograde devient une conséquence naturelle et immédiate de la géométrie des orbites centrées sur le Soleil.
Mais dun point de vue quantitatif, la solution de Copernic est moins performante que celle de Ptolémée ; on est en fait obligé, quand on raisonne en termes de sphères, de compliquer le système dépicycles mineurs, dexcentriques, et déquants ; Copernic lui-même y fut finalement obligé ! ! (A tel point que son système devint plus compliqué, sur ce point, que celui de Ptolémée)
b2) Labsurdité dune Terre en mouvement dans un monde traditionnel
Pire encore, Copernic ne propose pas de représentation de lunivers cohérente, comme pouvait lêtre celle dAristote. En effet, sa cosmologie repose sur la physique dAristote, alors que cette dernière est incompatible avec la nouvelle cosmologie !
Exemples de ces contradictions :
a) Copernic a ouvert la voie à une révolution, il ne la pas faite
Une chose est donc sûre : louvrage de Copernic ne fut pas révolutionnaire, il le devint ; ce nest pas lui qui a fait la révolution copernicienne, mais il la seulement inaugurée. La révolution copernicienne est en somme une "révolution après-coup ". Mais qui alors la faite ? Et comment se fait-il, vu les problèmes que pose louvrage de Copernic, quelle ait même pu avoir lieu ?
Tout simplement parce que ce que Copernic a montré à ses héritiers, cest que peut-être la solution au problème des planètes peut être trouvée en acceptant son hypothèse héliocentrique, i.e., en changeant de référentiel. Un nouveau programme de recherche, basé sur ce nouveau référentiel, va donc germer dans les esprits (scientifiques bien sûr !).
b) Les changements graduels de mentalité
On peut noter ici que si la révolution a été possible, cest aussi que des changements dans les mentalités étaient en germe depuis un siècle au moins.
b1) Ainsi, il faut dabord remarquer quaux 14ème et 15ème siècles, une sorte de crise scientifique éclate. Il y a des problèmes dans le système dAristote, et on commence à sattaquer à quelques points de son système
Oresme et Buridan (et bien dautres encore, mais ce sont les plus connus) ont essayé de corriger, par leur théorie de limpetus, un maillon faible de la physique aristotélicienne : il sagit de lexplication du mouvement des projectiles. Aristote croyait que, à moins dêtre mue par une poussée extérieure, une pierre ou bien resterait au repos, ou bien se déplacerait en ligne droite vers le centre de la Terre. Or : quand elle quitte la main, la pierre ne tombe pas droit sur le sol, mais continue à se déplacer dans la direction vers laquelle elle a été initialement lancée, même après que le contact avec lélément lanceur initial a été rompu. Aristote le savait bien, et il corrigea sa théorie de la façon suivante : il imagina que lair perturbé était à lorigine dune poussée qui prolonge le mouvement du projectile après que le contact avec lélément lanceur a cessé. Buridan et Oresme y répondent par la théorie de limpetus :
Buridan, Questions sur les huit livres de la Physique dAristote Nous devons dire que dans la pierre ou dans un autre projectile est imprimé quelque chose qui est la force motrice de ce projectile ( ) le lanceur imprime un certain impetus ou force motrice dans le corps en mouvement ( ) Et il imprimera dans ce corps un impetus dont le montant est le même que celui dont le moteur meut ce corps en mouvement plus rapidement. |
Si cette théorie na pas contribué à détruire le système dAristote, cest parce que, comme lhypothèse héliocentrique de Copernic, elle sattaque à quelques points du système, sans pouvoir être en mesure de reconstruire les autres pans. Leur faible est donc de ne pas pouvoir apporter une représentation du monde cohérente. Mais ils ont contribué à faire naître le soupçon concernant les théories admises. Ils ont rendu possible la contestation des systèmes aristotélicien et ptoléméen, ce qui sera très important pour la suite.
b2) De plus, la Renaissance fut une période de bouleversements nationaux ou internationaux : il y avait du changement dans lair, ce qui a contribué à habituer les esprits à une nouvelle vision du monde
Tout ceci contribua donc à changer lattitude des intellectuels vis-à-vis de lhéritage scientifique, ainsi que du sens commun.
On le voit, la révolution copernicienne fut donc une révolution graduelle, lente dont il nous faut donc maintenant retracer les étapes essentielles.
3) Première étape de la révolution copernicienne : la " révolution astronomique "
Après la mort de Copernic, en 1543, on commence à se servir de ses tables astronomiques, mais sans croire vraiment à lhypothèse du mouvement de la Terre.
Si certains ont pu être attirés par louvrage de Copernic, cest parce quà lépoque, comme on la vu à travers notre esquisse des changements de mentalité à la Renaissance, il y avait un élan néoplatonicien, attiré par les arguments de simplicité mathématique et qui croit à la place centrale du Soleil dans lunivers. Or, nous lavons vu, le système de Copernic se présente comme apportant ou en tout cas comme voulant apporter, dans la représentation de lunivers, harmonie et cohérence, et il met le Soleil au centre de cet univers.
A ces deux aspects fortement attrayants pour nombre dintellectuels/ savants de lépoque, sajoute lidée (implicitement présente dans luvre de Copernic) selon laquelle ce nest pas dans les livres (en loccurrence, ceux dAristote et de Ptolémée) que lon trouvera la bonne solution au problème des planètes.
Ce point-là va guider même ceux qui ne sont pas daccord avec lhéliocentrisme (cf. T. Brahé : non convaincu par lhypothèse copernicienne, il va pourtant scruter soigneusement les cieux et obtenir des tables astronomiques plus précises que jamais auparavant). Tous les astronomes vont maintenant être obligés de recourir à lexpérience, plutôt quaux textes anciens. A la suite de la publication de louvrage de Copernic, on peut dire quune crise émerge : on "sent " que Ptolémée a très bien pu se tromper, et quil faut réformer lastronomie. Louvrage de Copernic a donc contribué à révolutionner lastronomie, en lui donnant de nouvelles orientations.
Cest surtout Kepler qui va donner un élan nouveau à lastronomie. Convaincu, lui, de lhypothèse héliocentrique, en vertu de son néoplatonisme, il se sert des tables de son maître T. Brahé. Continuant son travail, il découvre que les trajectoires ne décrivent pas une orbite circulaire mais elliptique et attribue au Soleil lorigine de tous les mouvements célestes. Comme il sappuie sur les observations très précises de Brahé, il bénéficie vite dun certain crédit, ce qui permet aux astronomes de shabituer de plus en plus à lhypothèse héliocentrique.
Toutefois, ne nous trompons pas sur le sens de cette étape, première et astronomique, de la révolution copernicienne. En fait, pour quastronomes et sens commun croient vraiment à lhéliocentrisme, il a fallu lénorme travail de Galilée. Seul il a su donner à cette "croyance " les fondements nécessaires, en "inventant " une représentation du monde nouvelle, en rupture avec le passé, susceptible de remplacer lancienne.
La deuxième étape de la révolution copernicienne, appelée soit révolution scientifique, soit révolution galiléenne, est monumentale : elle va, en effet, à terme, changer toute notre conception du monde.
Mais, avant dexposer quelles sont les caractéristiques de cette révolution, demandons-nous pourquoi elle était nécessaire, pour passer à lhéliocentrisme.
Pour y répondre, faisons dabord un bref rappel.
Nous avons vu ci-dessus que :
Il fallait donc nécessairement, pour réellement passer à un univers héliocentrique, fonder une nouvelle physique, qui seule pouvait rendre cohérente la nouvelle hypothèse. Cest Galilée qui va sy attaquer, et transformer le système copernicien en conception du monde cohérente. Il va dabord "prouver " que la distinction Terre/ Ciel est fausse, puis, créer une nouvelle théorie du mouvement (cf. la loi de linertie et la relativité du mouvement), pour aboutir finalement à une totale réforme de la science physique elle-même (sa méthode, sa nature). Cest, toutefois, Newton qui sera le véritable "point daboutissement " de cette révolution (cf. gravitation universelle ; mécanique céleste ; monde infini).
1) Labolition de la distinction Terre/ Ciel (Le messager des étoiles) : la lunette de Galilée
Tout commence quand Galilée, en 1609, construit une longue vue avec des lentilles de très grande qualité. Il sen sert alors pour regarder le ciel. En 1610, il publie ses résultats, ainsi que leurs conséquences, dans Le messager des étoiles. Voici quelles sont ses découvertes :
Croquis de Galilée (les cratères de la lune) :
La lune jusqu'alors était imaginée comme une grande sphère parfaite, rigide et polie, sans imperfection ni rugosité à sa surface. Galilée, après l'avoir observée pendant l'hiver 1609, détruisit complètement cette vision en dessinant les cratères multiples, sa surface complètement irrégulière, semblable à ce que l'on voit ... sur Terre.
Toutes ces découvertes portent les germes dune véritable révolution, puisquelles aboutissent, non seulement à la confirmation de lhypothèse copernicienne, mais surtout, à labandon de la distinction entre un monde parfait et imparfait. Les deux mondes sont sans doute de même nature et on peut donc tout à fait concevoir que la Terre est un astre. Galilée apportait grâce à sa lunette des preuves de lhéliocentrisme, en en démontrant les implications physiques.
NB : il faut quand même préciser que lon va critiquer avec virulence les découvertes de Galilée, qui mettent tant à mal lancienne représentation du monde, celle qui est encore en vigueur. Ainsi va-t-on dire par exemple que la lentille déforme les objets, et que Galilée est donc victime dillusions doptique. Et, quand nombre dastronomes vont se rallier à Galilée et exhiber de nouvelles "preuves " empiriques de lhéliocentrisme, on va dire que les tâches du Soleil ne sont dues quau passage de gerbes de corpuscules opaques et sombres devant lui
Conséquence : alors que luvre de Copernic était restée, avant Galilée, sans conséquence, car elle nétait et ne se présentait que comme une hypothèse, naffirmant rien concernant la structure réelle de lunivers, elle est maintenant mise à lindex par les autorités religieuses, car, interprétée de façon réaliste, elle sape les fondements de la religion (surtout, le dogme de la Terre au centre du monde et du monde fait pour lhomme, centre de lUnivers).
Une fois convaincu de la grande plausibilité de lhéliocentrisme, Galilée va donc, comme nous lavons dit, chercher à le rendre cohérent. I.e. : il faut bien se rendre à lévidence, il faut changer de physique, il faut se débarrasser de lancienne, qui est sans doute erronée.
Nous en connaissons la raison : la nécessité dune nouvelle physique, avons-nous dit, simpose du fait que lastronomie et la physique terrestre ne sont pas des sciences indépendantes.
Mais une autre raison, dordre du " bon sens ", en quelque sorte, nécessite cette nouvelle physique : comment se fait-il quon ne sente pas ce prétendu mouvement de la Terre ? On ne va pas arrêter dobjecter à Galilée que si la Terre était en mouvement, nous serions expulsés de la surface de la Terre ; ou encore, si on jetait par exemple une pierre du haut dune tour, elle ne tomberait pas en bas, mais, comme la Terre se serait pendant ce temps déplacée, elle tomberait en arrière de cette tour. Vraiment, lhypothèse du mouvement de la Terre est contraire au bon sens et aux lois du mouvement connues depuis longtemps !
Galilée va démontrer et découvrir, suite à ses recherches pour résoudre ce problème, la relativité du mouvement, ainsi que la loi dinertie.
Puis, il va détruire la conception aristotélicienne de lespace, ensemble différencié de lieux intramondains. Il va montrer que lespace est homogène. Cest donc une géométrisation de lespace : lespace réel de lUnivers est désormais considéré comme identique, en sa structure, à celui de la géométrie euclidienne (extension homogène et nécessairement infinie)
3) Conséquence ultime : réforme de la science physique
a) La science est un mélange savamment dosé de raison et dexpérience (la science est instrumentale)
Cest lavènement de la méthode expérimentale, devenue le modèle même de la méthode scientifique : elle consiste à avancer des hypothèses, que lon prend soin de vérifier en faisant des expériences. Ces expériences ne sont pas, évidemment, des observations, car Galilée sait quil faut se méfier de ce que nos sens nous " disent " Cest laccompagnement des instruments qui rend lexpérience distincte de lobservation, et plus objective, plus précise.
b) La physique mathématique et lexplication quantitative de la chute des corps
Alors que pour les aristotéliciens, la science est purement descriptive, intuitive, et sexprime en langage quotidien, avec Galilée, la science devient explicative et sexprime dans un langage mathématique. Ainsi, alors que chez Aristote, expliquer le mouvement cétait en donner une raison globale (une pierre tombe parce que sa nature lattire vers le centre de lunivers) et qualitative, chez Galilée (et plus tard Newton) ce sera en donner une explication différentielle et quantitative, qui permet de prédire ce qui va se passer à chaque instant. Lexplication aristotélicienne nest plus considérée comme scientifique mais comme métaphysique et même comme tautologique. I.e. : elle nexplique, finalement, rien du tout. Cf. Molière qui se moque des scolastiques en ridiculisant le médecin qui expliquait lefficacité de lopium en lui attribuant une vertu dormitive.
c) Nouveau statut également de lastronomie, qui découle de ce quon peut appeler la " naturalisation du ciel "
Lastronomie a maintenant à charge de décrire la structure réelle de lunivers, non plus de seulement sauver les phénomènes. Elle est une science physique à part entière, instrumentale elle aussi. Cela, parce que le ciel nest plus un monde différent du nôtre.
Newton va achever cette révolution en expliquant ce que Galilée navait pas expliqué : à savoir, comment se fait-il que les planètes ne tombent pas sur la terre, une fois enlevées les sphères ? Quest-ce qui fait même se mouvoir les planètes ? Newton y répond par sa théorie de la gravitation universelle. Il forge une "mécanique céleste ". Voici les deux mondes bien réunifiés (ils obéissent aux mêmes lois). Enfin, on a une représentation cohérente de lunivers, où on comprend de nouveau, après la "crise " inaugurée par Copernic, comment tombent les corps et comment se meuvent les planètes
5) Finalement : infinitisation de lunivers et destruction du cosmos
Lunivers est désormais considéré non plus comme fini, mais comme infini. Cest là lun des grands aspects de la révolution scientifique du 17ème reconnus par Koyré dans Du monde clos à lunivers infini : celle-ci marque, en plus de la géométrisation de lespace, point que nous avons vu chez Galilée, la destruction du cosmos aristotélicien/ antique.
I.e., du monde conçu comme un tout fini et bien ordonné, dans lequel la structure spatiale incarnait une hiérarchie de valeur et de perfection, monde dans lequel "au-dessus " de la Terre lourde et opaque, centre de la région sublunaire du changement et de la corruption, sélevaient les sphères célestes des astres impondérables, incorruptibles et lumineux, et la substitution à celui-ci dun Univers indéfini, ne comportant plus aucune hiérarchie naturelle et uni seulement par lidentité des lois qui le régissent dans toutes ses parties ainsi que par celles des composants ultimes placés, tous, au même niveau ontologique.
Conclusion : La révolution copernicienne, une révolution sans précédent
La révolution copernicienne trouve donc son accomplissement dans la révolution scientifique, qui elle-même a sa source dans la révolution copernicienne. Il faut retenir de tout ceci que la révolution copernicienne nest pas seulement une révolution astronomique. Elle nest donc pas luvre de Copernic, ni même, finalement, luvre dun homme.
La révolution copernicienne, comme nous lavons vu, désigne plutôt un événement à caractère multiple et complexe, qui est non seulement luvre de plusieurs scientifiques, mais aussi de domaines extra-scientifiques :
a) noyau : transformation de lastronomie mathématique
b) implications/ conséquences imprévues et révolutionnaires :
- changements dordre conceptuel en cosmologie (conceptions sur la structure de lunivers = notamment, nouvelle conception de lespace, infini et non plus fini),
- en physique (transformation des fondements dune science particulière = nouvelle physique et rôle sans précédent de la science)
- en philosophie, en religion (objet de controverses philosophiques et religieuses décisives dans la transition de la société médiévale à la société occidentale moderne = nouvelle théorie de la connaissance et nouvelle relation de lhomme à Dieu)
- nouvelles valeurs, nouvelle vision du monde, changements dans la vie quotidienne (pensée non scientifique)
Concluons donc cet exposé de la révolution copernicienne en disant avec Kuhn quelle "fut une révolution didées, une transformation de la conception que se faisait lhomme de lunivers et de sa propre relation à cet univers. ( ) cet épisode de la pensée de la Renaissance fut un tournant dans lhistoire du développement intellectuel de lOccident ", car, en effet, elle a changé la science, notre manière de penser, et même lunivers dans lequel nous vivons.
Il est temps maintenant de profiter de lhistoire de cette révolution unique en son genre, en répondant à la question de savoir comment marche le progrès scientifique, question qui suppose une autre question : celle de savoir ce quest précisément une théorie scientifique.
Elargissement : Nature du progrès et de la théorie scientifiques
1) Comment marche le progrès scientifique ? (Vue densemble)
Nous pouvons donc prendre la révolution copernicienne comme exemple privilégié du processus par lequel les concepts scientifiques se développent et remplacent ceux qui les ont précédés.
Ce que remet en question létude de la révolution copernicienne, cest le modèle habituel du progrès scientifique : on croit communément, en effet, que le progrès scientifique consiste en deux processus essentiels : on réfuterait et abandonnerait une théorie antérieure, grâce à de nouvelles découvertes expérimentales ; mais aussi, on ajouterait, au fil des siècles, une théorie, un nouveau fait, une loi, etc., à ce bel édifice cumulatif. Dans ce processus, cest lexpérience qui aurait le premier rôle. Elle nous convaincrait dabandonner une ancienne théorie et nous montrerait où est la vérité.
Or, nous pouvons maintenant critiquer ces deux postulats.
Le premier : parce que lon voit que les expériences ne suffisent pas toujours à réfuter et à abandonner les théories antérieures (cf. la lunette de Galilée, mais aussi le problème de lirrégularité des planètes).
Le second : parce quil semble bien que le progrès scientifique fonctionne, non par une série daccumulations, mais plutôt par une série de ruptures (quels points communs, en effet, entre la théorie aristotélicienne et celle de Copernic ?).
Voici donc comment fonctionne le progrès scientifique, si on tire les leçons de lhistoire de la révolution copernicienne :
Ancienne théorie (représentation du monde cohérente : réponse à la question : comment est fait le monde ? et programme de recherche : quelles sont les questions scientifiques et les outils pour les résoudre) |
Etat de crise (difficultés de la théorie en vigueur : elle nexplique pas tout de façon satisfaisante ; anomalies de plus en plus persistantes et gênantes) |
On cherche à résoudre la crise (on propose de nouvelles théories) |
Nouvelle théorie (nouvelle population du monde, nouveau programme de recherche ) |
Géocentrisme (Aristote, Ptolémée) -physique qualitative -monde clos -espace différencié selon des lieux |
-irrégularités des planètes -calendrier imprécis -complexité et imprécisions grandissantes de la théorie |
-Copernic -Tycho Brahé -Kepler -Galilée |
Héliocentrisme et gravitation universelle (Galilée, Newton) - nouvelle physique (nouvelle explication du mouvement ; physique mathématique et instrumentale, appliquée) -monde infini -espace géométrique indifférencié |
En filigrane : changements de mentalité |
La révolution est un épisode à développement non cumulatif, dans lequel une vieille théorie est remplacée par une nouvelle, incompatible avec la précédente. Cest une reconstruction totale de la théorie, à partir de nouveaux fondements.
On voit quil est très difficile (et donc rare !) de changer de théorie : il faut en effet, pour renverser lancienne, changer complètement dunivers, de manière de penser, etc.
2) Quest-ce quune théorie scientifique ?
Pour bien comprendre ce processus, et sa radicalité, il nous faut savoir ce quest précisément une théorie scientifique. Kuhn nomme celle-ci un " paradigme ".
Cest le cur de la théorie. Il comporte trois éléments :
Le paradigme scientifique |
|
Ontologie |
Programme de recherche (méthodologie) |
Ce qui est considéré comme composant le monde (quelles sont les entités fondamentales qui constituent lunivers est composé ? Quelles sont les interactions entre elles et avec les sens ?) |
Ce qui est considéré comme un problème scientifique, et la façon de le traiter (quelles questions peuvent être légitimement posées à propos de telles entités, et quelles techniques instruments, procédés expérimentaux- peuvent être employées à la recherche de solutions ?) |
Données dobservation (faits et expérimentations) |
a) Lontologie
Toute théorie scientifique suppose que la nature est constituée dun certain genre dentités fondamentales, telles que, par exemple, les atomes. Ces entités sont soumises à des lois qui expliquent leur comportement, leurs pouvoirs, etc. Ces entités et leurs lois permettent de comprendre les phénomènes de la vie quotidienne : ils en sont lorigine.
Mais on ne peut pas les observer. Tout ce quon peut observer, ce sont leurs conséquences observables. On peut en effet mesurer et prédire de façon précise leurs effets. Par exemple, latome possède des propriétés chimiques et physiques précises : a) chimiques : il a un poids spécifique et la possibilité de se combiner avec dautres atomes selon des lois elles aussi bien précises (réactions chimiques), et pas avec nimportes quels atomes nimporte comment ; b) il exerce des forces, et il en reçoit (cf. diffusion des gaz, électrolyse).
Pourquoi cet "arrière-plan " inobservable est-il nécessaire ? Parce que seul il permet dunifier de manière cohérente tout ce qui arrive dans notre monde, et de faire des prédictions. Cest à cela que sert une théorie scientifique.
b) Le programme de recherche
Cette "ontologie " va déterminer une certaine méthodologie, que lon peut aussi nommer un "programme de recherche ". En effet, croire que la nature est constituée de telle manière, implique que lon va se poser telles questions à son sujet, que lon va faire telles expérimentations, telle ou telle mesure (ou même pas de mesure du tout, cf. Aristote), etc. La méthodologie, conséquence directe de lontologie, indique donc la direction dans laquelle le scientifique va faire ses expériences.
Par exemple :
Autrement dit : le paradigme détermine quelles questions, quels problèmes, et quels moyens de les résoudre, sont scientifiques. Entrent donc dans le paradigme les instruments et expérimentations (quelles mesures on doit faire, etc.). Ils sont théoriques (plus précisément : ils sont la matérialisation de la théorie).
c) Conséquence sur la nature des rapports entre la théorie et lexpérience : caractère théorique de la vision (on ne voit jamais les choses telles quelles sont en soi ; pas de faits bruts) les données dobservation
Que le paradigme détermine une ontologie et une méthodologie, cest-à-dire, une direction dans laquelle interroger le monde, revient à dire quil détermine la manière même dont nous allons voir/ percevoir/ observer les phénomènes. Ce paradigme dans lequel le scientifique travaille, influence sa perception de la nature. Cest une sorte de filtre à travers lequel est perçu le monde.
Par exemple, lorsque Tycho Brahé, qui est géocentriste, et Kepler, qui est héliocentriste, contemplent le coucher de soleil, leurs rétines ont beau être " bombardées " par les mêmes photons, ils ne voient pas la même chose. Lun y voit la conséquence du mouvement du Soleil, lautre la conséquence du mouvement de la Terre. Ou encore, quand Aristote voit une pierre tomber, il y voit un corps tendant à rejoindre son lieu naturel, le centre de la Terre ; Galilée, lui, y voit un corps qui obéit à la loi de linertie.
Autrement dit, on voit ce à quoi on croit, et on ne peut rien y faire. Cest ce qui explique que les disciples dAristote refusèrent souvent de regarder à travers la lunette, ou donnèrent des phénomènes observés une interprétation autre que celle de Galilée. Galilée, héliocentriste convaincu, inventeur de la méthode expérimentale, y voyait des confirmations de la théorie héliocentrique, qui le préparait à voir ce quil voyait, et donc, à voir les satellites de Jupiter, par exemple. Les aristotéliciens, habitués à faire confiance à lobservation immédiate (sans instruments), croyant depuis des siècles au géocentrisme, ny verront que des déformations de la réalité, ou bien même la confirmation du géocentrisme ou bien encore, finalement, ne verront rien du tout (soit parce quils ny feront pas attention, soit parce quils refuseront de regarder dans une direction autre que celle à laquelle ils sont habitués).
On ne voit donc pas le monde de façon neutre mais à travers des concepts. Il ny a pas de "faits bruts ", qui ne soient pas emprunts de théorie. Ce que voit un sujet dépend à la fois de ce quil regarde et de ce que son expérience antérieure, visuelle ou conceptuelle, lui a appris à voir.
Ceci vaut bien sûr de toute expérience, pas seulement de lexpérience scientifique. Ainsi, prenons pour exemple lénoncé dobservation qui peut nous paraître le plus immédiat : " regardez, cest terrible, le vent pousse le landau du bébé vers la falaise ! ". Cet énoncé, qui paraît être une pure observation, suppose des théories, et des connaissances : on sait que le bébé sera écrasé sil tombe de la falaise, et que cest le vent qui pousse le landau. On peut imaginer que si un extra-terrestre écoutait cet énoncé, il ne le comprendrait pas
NB : Conséquence : cela revient à détruire le " mythe " du savant complètement objectif, qui recopierait presque, quand il expérimente, la réalité telle quelle est " en soi ". Lexpérience scientifique, qui nous intéresse ici plus particulièrement, nest pas objective au sens où elle se garderait de projeter des savoirs a priori sur lexpérience : dans le laboratoire, les opérations et les mesures sont déterminées par le paradigme. Le savant ne se soucie pas de toutes les manipulations possibles mais il choisit celles qui ont une importance pour la comparaison d'un paradigme avec lexpérience immédiate, que ce paradigme vient à sont tour déterminer en partie.
On ne peut observer sans " préjugés ", et le scientifique qui essaierait de le faire, naboutirait à aucun résultat : Chalmers, Quest-ce que la science, Le livre de Poche, pp.66-67 un exemple dexpérimentation en laboratoire (Hertz). " imaginons Heinrich Hertz, en 1888, effectuant lexpérience électrique qui lui permit d'être le premier à produire et à détecter des ondes radio. Sil avait été parfaitement innocent en effectuant ces observations, il aurait été obligé de noter non seulement les lectures sur différents mètres, la présence ou labsence détincelles à différents lieux critiques dans les circuits, etc., mais aussi la couleur des mètres, les dimensions du laboratoire, le temps quil faisait, la pointure de ses chaussures, et un fatras de détails sans aucun rapport avec le type de théorie qui lintéressait et quil était en train de tester. (Dans ce cas particulier, Hertz testait la théorie électro-magnétique de Maxwell pour voir sil pouvait produire les ondes radio quelle prédisait). " |
Récapitulons le point 1) : la théorie scientifique est une sorte dimmense réseau, dans lequel se trouvent des croyances concernant la composition ultime de lunivers, des connaissances issues dautres champs que le savoir proprement scientifique, des instruments eux-mêmes dépendants des théories en vigueur, des données dobservation (confirmations de cette théorie mais elles-mêmes interprétées dans les données de la théorie), etc. On appelle cela le " holisme " (la théorie scientifique est un tout complexe dans lequel les parties sont interdépendantes et nexistent pas à létat isolé).
3) Explication détaillée du progrès/ révolution scientifique
a) Le travail quotidien du scientifique
Quel va être, à partir de là, le travail " normal ", quotidien, du scientifique ? Il est de nature conservatrice. En effet, le paradigme est un acquis, qui ne peut, faute de pouvoir faire aucune recherche, être remis en question.
Lactivité de la science normale ne consiste ainsi :
La science normale consiste tout simplement à étendre les faits que le paradigme indique comme particulièrement révélateurs ; à trouver des nouvelles applications du paradigme ; à augmenter la précision dune application déjà faite ; à clarifier le paradigme Bref, lactivité scientifique normale consiste à peaufiner le paradigme.
Conséquence essentielle : le scientifique va donc tout faire pour conserver sa théorie, et pour faire rentrer les faits dans le cadre de sa théorie. Les faits doivent être en accord avec la théorie, et cela, a priori, i.e., parce quon y croit. Chemin qui ne va pas de lexpérience à la théorie mais de la théorie à lexpérience. I.e., de lesprit au monde. Cest comme si on forçait la nature à être en accord avec la théorie.
Exemples : les hypothèses ad hoc (hypothèses servant à conserver côute que coûte la théorie et à la protéger des assauts du dehors, i.e., de lexpérience) que sont les épicycles de Ptolémée, ou encore lhypothèse de lair ambiant dAristote. A la limite ce nest pas la théorie qui est fausse, mais le fait !
b) Comment alors peut se faire le changement de paradigme ?
Cest donc cette nature conservatrice du travail de la science normale, qui explique la lenteur et la rareté du progrès scientifique.
b1) Les anomalies
Imaginons que nous travaillions dans le cadre de la science normale aristotélicien (précopernicien). Jusquà présent, tout va bien. On arrive à peu près à résoudre les quelques anomalies (faits contraires à nos attentes théoriques) qui se présentent de temps en temps. Par exemple : les saisons semblent se décaler ? Ajoutons un petit épicycle. Une étoile apparaît dans le ciel puis disparaît bientôt, alors que nous pensons que le ciel est immuable et parfait ? On ny fait pas trop attention. Etc.
b2) La crise
Et puis, quand même, il y a tellement danomalies quelles finissent par attirer notre attention croissante : on ne peut plus faire comme si elles nexistaient pas. Cest alors létat de crise : quand les tentatives répétées pour quune anomalie se conforme au paradigme aboutissent à un échec.
Un bon exemple de cet état de crise est présent dans la préface de Copernic : en effet, on y voit à quel point on ne peut plus faire comme si de rien nétait face aux anomalies du système ptoléméen. Au départ, on a réagi face à ces anomalies en réajustant sans cesse la théorie (en ajoutant des cercles, et des cercles de cercles), en faisant tout pour quelle concorde avec les observations. Cétait le problème " normal " de la science " normale ". Mais la théorie est devenue davantage complexe quexacte, et le traitement des anomalies aboutit alors à un état de crise. Cest la prise de conscience de cette crise que manifeste ici Copernic.
La crise est une raison déterminante et nécessaire de ladoption dun nouveau paradigme. Cf. fait que lhypothèse héliocentrique dAristarque, au III siècle avant JC, a à peine été prise en considération. De même aussi, lhypothèse de Copernic.
Pendant cet état de crise, des théories rivales vont commencer à sédifier. On va proposer des nouvelles interprétations des faits, de nouvelles théories (cest ce qua fait Galilée), ou bien essayer de nouveau darranger lancienne théorie. Comment va-t-on décider de ladoption de lune dentre elles ?
b3) La résolution de la crise (apparition dune nouvelle théorie)
On pourrait dire que ce qui décide les scientifiques à passer à une nouvelle théorie, est la reconnaissance du fait quune de celles-ci est assez solide pour prendre sa place. Mais ceci nest pas assez explicatif : comment reconnaît-on cela ?
Par des arguments peut-être ? Par exemple, en disant que :
Mais hélas tout nest pas si logique, si rationnel. Car on va toujours pouvoir opposer à cela une autre interprétation des faits. Celle qui est déterminée par lancien paradigme, justement. Il y a des tâches sur le soleil ? Cest que quelque chose passe devant le soleil, ou même encore, cest que la lunette nous trompe, etc.
En dautres termes : cest comme si les tenants des théories rivales ne pouvaient pas discuter entre eux. Il ny a tout simplement pas de terrain commun : ni les entités théoriques (lontologie) ni la méthodologie. Chacune va opposer à lautre des arguments issus de son propre paradigme (cf. fait que pas de faits sans théorie).
Mais comment alors, insistons sur ce point, passe-t-on à une nouvelle théorie ? Quest-ce qui décide les scientifiques à adopter une théorie complètement incompatible avec celle davant ? Ce sont des raisons dordre subjectif. Il faut ici invoquer, non la conviction, qui est rationnelle car elle repose sur des arguments (après avoir suivi une démonstration faite par mon prof de math, je suis convaincu de la vérité du résultat, car jai compris les étapes qui y mènent), mais plutôt la persuasion.
Exemples :
Si Kepler a pu adhérer à la nouvelle théorie, ce nest pas par conviction (de toute façon la théorie de Copernic nétait pas si convaincante que ça, cf. imprécisions, manque de cohérence) mais par persuasion ; il y a cru parce que dabord il était néoplatonicien et croyait donc que lunivers était de nature mathématique (donc : les mathématiques peuvent nous dire comment est le monde), que le Soleil était lorigine de toute vie (donc : il est le centre de lunivers).
Si Galilée a cru au système de Copernic, cest parce quil était également très enthousiasmé par les mathématiques, quil avait reçu à luniversité lenseignement de la théorie de limpetus, qui remettait plus ou moins en question la théorie dAristote, etc.
On le voit, les raisons de ladoption dune théorie sont finalement plus subjectives quobjectives. Conséquence : le passage dune théorie à lautre se fait par persuasion, non par conviction. Il faudrait même dire, par conversion !
Ce nest donc vraiment jamais, insistons sur ce point, parce que des anomalies ou des preuves contraires se présentent, que lon va abandonner une théorie !
4) Conclusion : la théorie scientifique est-elle vraie ?
Cette question se pose pour de multiples raisons :
a) étant donné la définition holiste de la théorie scientifique, comment peut-on la prouver ?
Il semble ny avoir aucun moyen pour ce faire.
En effet, toute hypothèse que lon élabore pour essayer de rendre compte dun fait (polémique), est liée à lensemble de la connaissance (dans lequel, nous lavons vu, se trouvent les instruments scientifiques eux-mêmes, qui sont la matérialisation de la théorie). Donc, quand on teste une hypothèse, ce n'est pas seulement cette hypothèse qu'on teste, mais aussi, tout un arrière-fond scientifique/ culturel. On ne sait donc pas trop, finalement, ce qui ne va pas si lhypothèse est réfutée. Est-ce lhypothèse elle-même, ou bien linstrument, ou bien une de ses hypothèses auxiliaires, etc. ?
Conséquence : certains ont dit que le scientifique avait donc toute la latitude pour faire les changements quil veut, quand le test ne marche pas ; en loccurrence, que va-t-il faire ? Il va abandonner le pan du réseau le moins important pour lensemble, celui qui nécessite le moins de changements possibles. Mais cest plus ou moins arbitraire : on ne sait pas si cest bien ça qui était mis en défaut par lexpérience réfutatrice.
Quine, Les deux dogmes de lempirisme. " lensemble de la science est comparable à un champ de forces, dont les frontières seraient lexpérience. Si un conflit avec lexpérience intervient à la périphérie, des réajustements sopèrent à lintérieur du champ. Il faut alors redistribuer les valeurs de vérité à chacun de nos énoncés. La réévaluation de certains énoncés entraîne la réévaluation de certains autres, à cause de leurs liaisons logiques quant aux lois logiques elles-mêmes, elles ne sont que des énoncés situés plus loin de la périphérie du système. Lorsquon a réévalué un énoncé, on doit en réévaluer dautres, qui lui sont peut-être logiquement liés, à moins quils ne soient des énoncés de liaison logique eux-mêmes. Mais le champ total est tellement sous-déterminé par ses frontières, cest-à-dire par lexpérience, quon a toute liberté pour choisir les énoncés quon veut réévaluer, au cas où intervient une seule expérience contraire. Aucune expérience particulière n'est, en tant que telle, liée à un énoncé particulier situé à l'intérieur de ce champ, si ce nest à travers des considérations déquilibre concernant la totalité du champ ". |
Cf. lacharnement des scientifiques pour que les faits rentrent dans leurs théories (hypothèses ad hoc servant à résoudre les anomalies pendant une crise)
b) la relativité des sciences
Conséquence ultime : certains philosophes des sciences ont ainsi été amenés à comparer la science aux mythes et croyances les moins justifiés. Feyerabend, dans Contre la méthode, a ainsi défendu une " théorie anarchiste de la connaissance ". Selon lui, en science, " tout est bon ". Nimporte quelle hypothèse, même la plus farfelue, peut être scientifique. Ce qui fera quelle sera scientifique, cest quelle va être acceptée à un moment donné par le groupe scientifique. Ce qui fait la vérité scientifique, cest finalement la majorité des voix. Une théorie ne serait pas scientifique en raison de critères objectifs, mais parce quun groupe la préfère. Il ny a pas de théorie scientifique "en soi ", ou de théorie scientifiquement meilleure quune autre "en soi ".
Exemple : les explications qualitatives aristotéliciennes sont-elles "en soi " pseudo-scientifiques ?
Rappel : cette manière dexpliquer les phénomènes revient à faire appel aux " essences " des corps matériels. Ainsi, par exemple, si une pierre tombe, cest parce que sa " nature " lattire vers le centre de lunivers, parce quelle a une tendance à tomber. Cest une explication qui est globale, non quantitative, non prédictive.
Pourtant, ce genre dexplication a longtemps été considéré comme seul scientifique par toute une communauté de savants (celle qui travaillait dans le paradigme aristotélicien). Cette communauté considérait même comme absurde, comme irrationnelle, lexplication mathématique des phénomènes physiques, qui leur apparaissait alors comme une véritable hérésie scientifique.
Quand on est passé à un autre paradigme, celui du 17è, les savants qui travaillaient à lintérieur du paradigme se sont mis à considérer lexplication qualitative comme complètement absurde et non scientifique, et au contraire, lexplication quantitative, différentielle, comme seule scientifique. Cela, parce que, on la vu, le monde des savants nest plus du tout le même.
Or, voilà que Newton, dans sa théorie de la gravitation universelle, remet au goût du jour les explications aristotéliciennes. Newton ne pouvait en donner lexplication dernière, et sa théorie était donc vague. Les corps sattirent, parce quils ont une force attractive par nature : la gravité newtonienne semble avoir le même rang que la tendance à tomber des aristotéliciens ! Conséquence : on assiste alors à un véritable retour des normes aristotéliciennes. On accepte comme scientifique le genre dexplication en vigueur chez Aristote et jusqualors tant décrié. Ainsi, vers 1740, les spécialistes de lélectricité parlaient de la " vertu " attractive du fluide électrique, sans sexposer au ridicule comme le médecin de Molière un siècle plus tôt. Et il convient même de noter que grâce à cette acceptation de normes jusqualors abandonnées comme pertinentes pour faire des découvertes utiles, on a pu expliquer le phénomène " mystérieux " de laction électrique à distance, considéré alors comme leffet de ce que nous connaissons maintenant sous le nom de charge par induction. Avant de revenir au mode soi-disant occulte dexplication par des " tendances " attractives, on ne pouvait expliquer ce phénomène, ni même y faire attention.
Reprenons pour finir lexemple déjà cité de la " mémoire de leau " : cette hypothèse a été rejetée par les savants comme étant non scientifique. Mais cest quelle ne correspond pas au cadre de recherche de la science normale. Peut-être que lors dun changement futur de paradigme sera-t-elle exploitée et deviendra-t-elle scientifique !
Il faut relativiser tous ces débats, bien contemporains, sur le statut de la science. La science nest pas du tout comparable à nimporte quel type de discours ; au contraire, le fait quelle réussisse, sur le fondement de certaines théories (et donc sur la base de certaines entités théoriques), à faire de nouvelles découvertes, et à faire des prédictions, doit incliner à croire quelle est au moins approximativement vraie !
ANNEXE I : Copernic et la relativité du mouvement
Texte de Copernic, Des révolutions des sphères célestes, Livre I, chapitre 5 ("un mouvement circulaire convient-il à la Terre ; et de son lieu ")
" Il a déjà été démontré que la terre a la forme dun globe ; jestime quil faut examiner maintenant si un mouvement suit également de sa forme, et quel est le lieu qui lui revient dans lUnivers ; sans quoi on ne saurait trouver la raison certaine des apparences (phénomènes) célestes. Certes il est admis ordinairement parmi les auteurs que la terre est en repos au centre du monde, de telle façon quils estiment insoutenable et même ridicule de penser le contraire. Si cependant nous examinons cette question avec plus dattention, elle nous apparaîtra comme nullement résolue encore et partant, aucunement méprisable. En effet, tout mouvement local apparent provient soit du mouvement de la chose vue, soit de celui du spectateur, soit dun mouvement, inégal bien entendu, des deux. Car lorsque les mobiles je veux dire : le spectateur et lobjet vu- sont animés dun mouvement égal, le mouvement nest pas perçu. Or cest de la terre que ce circuit céleste est vu et représenté pour notre vision. Si donc quelque mouvement appartenait à la terre, celui-ci apparaîtrait en toutes les choses qui lui sont extérieures, comme si elles étaient entraînées avec la même vitesse, mais en sens contraire ; et telle est en premier lieu la révolution diurne. Celle-ci, en effet, semble entraîner le monde entier, à lexception de la terre et des choses qui sont près delle. Or si lon admettait que le ciel ne possède rien de ce mouvement, mais que la terre tourne de lOccident en Orient, et que lon examinât sérieusement ce qui en résulterait par rapport au lever et au coucher apparents du soleil, de la lune et des étoiles, on trouverait quil en est ainsi. ( )Et certes, de cet avis furent les pythagoriciens Héraclides et Ecphantus, ainsi que le Syracusain Nicetus chez Cicéron, qui faisaient tourner la terre au centre du monde. Ils pensaient, en effet, que les étoiles se couchent par suite de linterposition de la terre, et se lèvent lorsque celle-ci rétrocède. Or, si lon admet ceci, il sensuit un autre problème non moindre concernant le lieu de la terre, quoiquil soit, en effet, admis et cru par presque tout le monde que la terre est le centre du monde. Car si quelquun niait que la terre occupe le centre du monde, nadmettant pas que la distance de la terre au centre du monde soit assez grande pour être comparable avec la dimension de la sphère des fixes, mais très grande et très apparente par rapport aux orbes du soleil et des autres planètes ; sil estimait en outre que leurs mouvements paraissent irréguliers en tant et parce que ordonnés par rapport aux orbes du soleil et des autres planètes ; sil estimait en outre que leurs mouvements paraissaient irréguliers en tant et parce que ordonnés par rapport à un autre centre que le centre de la terre, il pourrait peut-être apporter une explication nullement absurde de lirrégularité des mouvements apparents. Comme, en effet, les astres errants sont vus être plus proches et plus éloignés de la terre, il sensuit nécessairement que la terre nest pas le centre de leurs cercles. Et il nest pas clair, si cest la terre qui sapproche et séloigne deux, ou si ce sont eux qui sapprochent et séloignent delle ".
Copernic a ici lintuition de la relativité du mouvement. Un mouvement partagé nétant pas senti, cela autorise à émettre lhypothèse que la Terre nest pas immobile. Si en plus cela permet de simplifier le problème de lirrégularité des planètes, alors, cette hypothèse est vraiment supérieure à lancienne. Cest ce que va montrer Copernic : vue à partir dune terre en mouvement, une planète dont le mouvement est en fait régulier semblera avoir un mouvement irrégulier. Dans le système de Copernic, les irrégularités majeures du mouvement des planètes sont seulement apparentes.
Annexe II : laffaire de la mémoire de leau
J. Benveniste, un nouveau Copernic ?
Le 30 juin 1988 paraît dans la revue britannique Nature un article au titre peu évocateur (" Dégranulation des basophiles humains induite par de très hautes dilutions dun anti-sérum-anti-IGE "), cosigné par 13 chercheurs. Les travaux ont été conduits par le docteur Jacques Benveniste, qui dirige lunité 200 de lInserm à Clamart, spécialisée dans limmunopharmacologie de lallergie et de linflammation. Trois laboratoires ( ) ont participé aux expériences et confirment leur extraordinaire conclusion : une cellule sanguine (basophile) est activée par une simple solution aqueuse contenant un corps dilué à linfini. Autrement dit, leau peut transmettre une information biologique spécifique et produire un effet moléculaire en labsence de molécule. Quinze jours avant la publication dans Nature, devant le congrès homéopathique de Strasbourg, J. Benveniste a, pour la première fois, décrit ce phénomène : " tout se passe, a-t-il dit, comme si leau se souvenait davoir vu la molécule ". La presse retient une image : la mémoire de leau. ( ) Si laffirmation du docteur Benveniste est juste, ce sont deux siècles de physique et de biologie moléculaire qui seffondrent. ( ) Avant de troubler les esprits ou de les séduire, la "mémoire de leau " est dabord un coup dépée dans la science officielle, celle qui domine, celle qui a raison. Qui a " ses " raisons ; une chaîne ininterrompue de cerveaux ayant, génération après génération, apporté leur pierre à lédifice moléculaire. Leau garderait la trace et le principe actif- de ce qui nexiste plus ? Lorsque Nature se résout à publier le texte de J. Benveniste ( ), le rédacteur en chef, alors John Maddox, laccompagne dune réserve éditoriale sous le titre " Quand croire à lincroyable ". A ses yeux, une telle fissure dans le noyau des connaissances suppose de " se demander avec plus de soin quà laccoutumée si lobservation nest pas incorrecte ".
Avec le recul des années, cette petite phrase résonne comme un jugement anticipé, voire prémédité. " Jai été condamné par Nature ", dit aujourdhui J. Benveniste, désormais au ban de la communauté scientifique. ( ) Insensiblement, le débat a glissé. Il est moins question de leffet, prouvé ou non, des hautes dilutions, que de savoir si J. Benveniste est fou, paranoïaque, mégalomane, caractériel. Le discours en vogue consiste à dire quil a été un grand scientifique, mais quil a " perdu les pédales " faute de navoir pas reçu le prix Nobel, ni reproduit ses expériences, ni élucidé son propre système expérimental. Par ses récentes recherches (qui portent sur la capacité de leau à mémoriser un signal moléculaire électromagnétique transmissible par Internet), il serait définitivement placé hors de la science.
extraits de : le Monde, 21/01/97
Duhem, Sauver les phénomènes- essai sur la notion de théorie physique de Galilée à Platon, Vrin, 1908
Feyerabend, Contre la méthode, Esquisse dune théorie anarchiste de la connaissance, Points Seuil, 1979
Koyré, Du monde clos à lunivers infini, Tel Gallimard
Kuhn, La révolution copernicienne, Livre de Poche ; La structure des révolutions scientifiques, Champs Flammarion
Sokal et Bricmont, Impostures intellectuelles, Le livre de Poche, 1997
J.P. Verdet, Une histoire de lastronomie, Points Seuil Sciences, 1990La révolution copernicienne : du géocentrisme à lhéliocentrisme
Copyright © Philocours.com 2021