Plan
I- LE DUALISME : IL EXISTE DEUX SORTES DE REALITE DISTINCTES ET AUTONOMES
A- le dualisme populaire et/ ou religieux
1) la distinction âme et corps
2 ) point historique = le vitalisme
B- le dualisme cartésien : distinction radicale… mais interactionniste
a) Descartes radicalise la distinction populaire
b) Le mystère dont il faut rendre compte : l’union
corps et âme chez l’homme
c) La critique leibnizienne
II- Mais est-ce que ces deux sortes de réalité existent véritablement ? (le monisme)
A- le matérialisme
1) le matérialisme de l’Antiquité : l’esprit
n’est que le résultat de processus atomiques
2) le matérialisme de Marx : l’esprit n’est que
le résultats de processus matériels économiques
3) matérialisme contemporain : l’esprit n’est
que l’effet de processus cérébraux
B- le spiritualisme: l’idéalisme de Berkeley : la matière
n’existe pas
Cours
INTRODUCTION
- question ontologique : quelle est la nature du réel ? de
quoi la réalité est-elle faite, au-delà des apparences
sensibles ?
- existe-t-il bien deux genres de réalité distincts ? En moi mais aussi en général, dans le monde ? Ou bien n’est-ce qu’une illusion ?
I- Le dualisme : il existe
deux sortes de réalités distinctes, et autonomes…
Intuitivement, on croit qu’il existe deux principes distincts
dans la réalité, mais surtout en nous ; on répond
à la question de savoir de quoi nous sommes faits, de manière
dualiste : nous croyons que nous possédons à la fois
un esprit et un corps, il y a d’un côté l’âme,
l’esprit, de l’autre le corps, la matière.
L’esprit (spiritus) | Le corps |
siège des états mentaux de toute sorte = penser, imaginer, sentir ; tout ce qui se passe dans notre tête = intériorité. Se définit par opposition à la matière, ie, comme immatériel… et par conséquent, éternel. | n’est que l’habitacle provisoire de l’esprit qui s’en échappe à la mort. |
Pourquoi croyons-nous cela ?
A- la "psychologie populaire" ou "psychologie du sens commun"
Nos explications psychologiques ordinaires supposent que nos croyances, désirs, intentions et autres états mentaux sont des causes de nos comportements et entretiennent les uns avec les autres des relations causales. La plupart d’entre nous croyons que ces états mentaux sont d’une nature différente de celle corps et de ses activités : les états mentaux sont conscients alors que le corps et ses activités ne le sont pas.
Le spirituel et le matériel semblent avoir des propriétés
plutôt différentes et sans doute irréconciliables.
Les évènements mentaux ont une qualité subjective
qui leur est associée, alors que les évènements
physiques n’en ont évidemment pas. Par exemple, qu’est-ce
que l’on ressent lorsqu’on se brûle le doigt ? A
quoi ressemble le ciel bleu ? A quoi ressemble une musique agréable
? Les philosophes appellent qualia ces aspects subjectifs de l’esprit.
Il y a quelque chose à quoi ressemble une couleur, une brûlure,
et ainsi de suite ; les qualia interviennent dans ces évènements
mentaux. L’argument est alors que ces qualia semblent particulièrement
difficiles à ramener à quoi que ce soit de physique.
B- Descartes : un dualisme exacerbé Descartes radicalise la distinction « populaire »
1) « Je pense, j’existe »
Fondement indubitable de toute connaissance : l’ego, le «
je pense ». Douter c’est penser ; je ne puis en douter.
Donc cette pensée est réelle. Par conséquent
le je qui pense est réel.
2)
Conséquence : que suis-je ? une chose qui pense, une âme,
un esprit, une conscience (cf. Seconde Méditation)
a) je suis une chose qui pense
L'esprit qui doute s'appréhende lui-même et se met devant
le verbe exister : "moi donc à tout le moins, ne suis-je
pas quelque chose » ? Pour répondre à cela il
essaie divers sujets, les choses, son corps, etc., mais à chaque
fois, de bonnes raisons font lever un point d'interrogation. Il pose
"je suis" et essaie tous les attributs possibles en se demandant
si le "je" peut subsister sans eux Résultat : la
pensée seule ne peut être détachée de moi
b) qu'est ce qu'une chose pensante?
"Une
chose qui doute, qui conçoit, qui affirme, qui nie, qui veut,
qui ne veut pas, qui imagine aussi, et qui sent".
Descartes,
Discours de la Méthode, IVe partie. Puis, examinant avec attention ce que j'étais, et voyant que je pouvais feindre que je n'avais aucun corps et qu'il n'y avait aucun monde ni aucun lieu où je fusse, mais que je ne pouvais pas feindre pour cela que je n'étais point, et qu'au contraire, de cela même que je pensais à douter de la vérité des autres choses, il suivait très évidemment et très certainement que j'étais, au lieu que, si j'eusse seulement cessé de penser, encore que tout le reste de ce que j'avais jamais imaginé eût été vrai, je n'avais aucune raison de croire que j'eusse été, je connus de là que j'étais une substance dont toute l'essence ou la nature n'est que de penser, et qui pour être n'a besoin d'aucun lieu ni ne dépend d'aucune chose matérielle ; en sorte que ce moi, c'est-à-dire l'âme, par laquelle je suis ce que je suis, est entièrement distincte du corps, et même qu'elle est plus aisée à connaître que lui et qu'encore qu'il ne fût point, elle ne laisserait pas d'être tout ce qu'elle est. |
3) le corps, pure extériorité mécanique (la thèse du corps-machine)
Qu’est-ce le corps si on veut le concevoir de manière
claire et distincte ? Le corps est une substance étendue en
longueur, largeur, et profondeur. D’où la conception
du corps vivant mécaniste : le corps est une machine, un assemblage
de pièces et de rouages, comme une horloge n’est rien
d’autre qu’un ensemble formé seulement de roues
et d’engrenages.
Bilan : le dualisme cartésien
l’âme ou l’esprit est une substance pensante (simple, n’occupant aucun espace assignable, indivisible)
On ne peut couper une idée en deux !
le corps ou la matière est une substance étendue (divisible, sans pensée ni intériorité) ; la matière : ce qui est susceptible d’occuper un étendue et de subir des mouvements.
On peut ainsi concevoir la moitié d’un corps ou le ¼ d’un corps
Unité, identité Sujet, ipséité, ie, dotée d’unité centrale : l’âme est un sujet, car
- elle peut rapporter tous ses actes à elle-même, comme un centre ou point fixe ;
- elle est toute entière en chacun de ses actes
-elle est la même tout au long de la durée
Aucune unité, aucune identité réelle : ainsi deux morceaux de corps sont le même corps
Pas d’unité centrale : pas présent en chacune de ses parties, caractère discontinu (unité de composition, d’assemblage, de fonction)
l’âme ou l’esprit, est du côté de la liberté ; l’esprit a la capacité d’initier des mouvements sans être causé par rien du tout (ainsi je peux prendre l’initiative de me jeter d’un train juste pour prouver que je suis libre, sans que rien ne m’y contraigne). Le corps est du côté du déterminisme, de la nécessité
Cette
représentation du corps ne cessera de hanter l’imaginaire
occidental
- Cf. le corps pour la médecine : on répare le corps, on opère des greffes…
-
La distinction médecine généraliste et psychanalyse/
psychologie : on va mal quelque part dans le corps, on voit un médecin
du corps… on va mal quand on est « déprimé
», quand l’âme est triste, on va voir un médecin
de l’ « âme »
II- Les difficultés du dualisme
A- Le mystère de l’union
1) l’homme est un composé d’esprit
et de matière
a) Problème : Le corps ne m’est pas extérieur
comme n’importe quelle chose du monde ! Nous faisons constamment
l’expérience des relations entre les deux
Exemples de relations causales :
(1) un événement corporel (se piquer) a pour effet un
événement mental (ressentir une douleur)
(2) Un événement mental (penser : « c’est
l’heure de se lever ») est la cause d’un événement
corporel (se lever)
Exemples d’imbrication totale :
cf. expériences diverses de la douleur, de la faim, du toucher, de la fatigue, etc.
-
la douleur : le « je » regarde-t-il le corps souffrant
comme un objet jeté à distance de lui ? Non, le «
je » n’est pas hors du corps, il est en et avec lui !
C’est bien la totalité de mon être qui souffre,
ce n’est pas moi ET mon corps, c’est moi en tant que totalité
incarnée, être de fusion …
b) l’union vécue chez Descartes Descartes était
conscient de ces problèmes :
Descartes, Abrégé des Méditations Métaphysiques, 1647 «
L’âme de l’homme est réellement distincte
du corps et toutefois (…) elle lui est si étroitement
conjointe et unie qu’elle ne compose que comme une même
chose avec lui » |
Descartes, Méditations Métaphysiques, VI La nature m’enseigne aussi par ces sentiments de douleur, de faim, de soif, etc., que je ne suis pas seulement logé dans mon corps, ainsi qu’un pilote en son navire. Mais, outre cela, que je lui suis conjoint très étroitement et tellement confondu et mêlé, que je compose comme un seul tout avec lui. Car, si cela n’était, lorsque mon corps est blessé, je ne sentirais pas pour cela de la douleur, moi qui ne suis qu’une chose qui pense, mais j’apercevrais cette blessure par le seul entendement, comme un pilote aperçoit par la vue si quelque chose se rompt dans son vaisseau. |
Ainsi,
nous ne constatons pas mais nous éprouvons ce qui affecte mon
corps. Nous n’enregistrons pas la douleur, la soif, la faim,
comme le ferait le pilote qui consulte les cadrans de son tableau
de bord, elles sont vécues au plus profond de notre être.
Au-delà de la dualité conçue, il y a l’unité
vécue ; l’union des deux substances n’est pas simple
juxtaposition mais fusion. Entre l’âme et le corps, mêlés
au point de ne plus faire qu’un, l’interaction est intime
et permanente, le corps agit sur l’âme et l’âme
agit sur le corps. Il a d’ailleurs affirmé l’unité
particulière et réelle du corps humain
2)
Comment expliquer dans ce cadre l’interaction des deux substances
? Comment expliquer que deux réalités sans commune mesure
ni point de contact peuvent s’influencer l’une l’autre
?
Comment mes volontés, processus immatériels, pourraient-ils se traduire en gestes, ie, en mécanismes, en réalités matérielles et spatiales ?
Comment expliquer également les émotions (passions de l’âme) ie, que l’âme subisse les effets du corps ?
Comment se peut-il que l'expérience consciente puisse mettre en mouvement un corps, i.e. un objet matériel doté de propriétés physico-chimiques ?
Comment
peut-on vouloir être la cause du fonctionnement de nos neurones
et de la contraction de nos muscles, de sorte qu'ils réalisent
ce que nous nous proposons de faire ?
a) la solution cartésienne
Dans le Traité des passions de l’âme,
Descartes dit que l'union se situe dans la glande pinéale,
au centre du cerveau. Sorte de carrefour où se rencontrent
les deux ordres de réalité, par lequel les esprits animaux
(minuscules corpuscules circulant dans le sang) arrivent au cerveau,
puis repartent dans le corps. La causalité esprit/corps est
donc possible : elle s'effectue dans la glande pinéale.
Descartes, Traité des passions de l’âme, article 37 : « Comment il paraît qu’elles sont toutes causées par quelque mouvement des esprits » Et parce que le semblable arrive en toutes les autres passions, à savoir, qu’elles sont principalement causées par les esprits contenus dans les cavités du cerveau, en tant qu’ils prennent leur cours vers les nerfs qui servent à élargir ou étrécir les orifices du coeur, ou à pousser diversement vers lui le sang qui est dans les autres parties, ou, en quelque autre façon que ce soit, à entretenir la même passion : on peut clairement entendre de ceci pourquoi j’ai mis ci-dessus en leur définition qu’elles sont causées par quelque mouvement des esprits. |
Statut
des passions : se situent aux confins de l’âme et du corps
: elles relèvent des choses dont nous faisons l’expérience
en nous-mêmes (ce sont des pensées) mais pourtant, elles
ne sont pas produites par l’âme, mais par le corps. Si
ce sont bien des pensées, elles se distinguent donc des pensées
créées par l’âme même, à savoir,
les « volontés ».
Cause immédiate ou prochaine : mouvement de la glande pinéale qui se situe au centre du cerveau
Cause de ce mouvement = esprits animaux
Cause (la plus lointaine dans l’ordre du vécu mais première
dans l’ordre chronologique) de ce mouvement : un objet qui agit
sur nos sens
Descartes
parle d’une institution naturelle entre les mouvements des esprits
animaux, qui nous disposent à nous comporter ou à agir
de telle façon Rles passions disposent notre âme à
vouloir les choses auxquelles elles préparent le corps. La
nature a institué un mouvement des esprits animaux qui se communique,
à telle occasion, à la glande pinéale, et agite
l’âme de la façon requise… Une passion est
associée par nature ou habitude à un certain mouvement
des esprits animaux, qui va se déclencher pour causer en l’âme
une réaction appropriée dans telle circonstance.
Cf. la peur : la vue d’une chose effrayante nous dispose ou
nous incite à fuir. Plus exactement :
1- perception d’un objet effrayant : processus physiologique
qui
2- met en mouvement un processus physiologique supplémentaire
3- ce qui conduit au comportement caractéristique de la peur
: événement mental causé par un 3e processus
physiologique
Mais disposer ou incliner n’est pas nécessiter : il y a ainsi la possibilité pour l’âme de changer ces associations (dissocier une passion d’une volonté et l’associer à une autre).
Conséquence quant au dualisme cartésien : il stipule certes la distinction et l’indépendance des substances, mais l’union des deux en l’homme
b) Problème : comment l’interaction est-elle possible ?
-Cela ne fait que déplacer le problème :
Si la glande est corporelle, comment l’âme immatérielle peut-elle agir sur elle ? Si âme et corps sont deux réalités distinctes, ayant des caractères bien spécifiques et complètement différents, alors, on ne voit pas comment il peut y avoir interaction; cela reste quand même un mystère. Comment peut-on affirmer sans absurdité que quelque chose d'immatériel puisse avoir un effet matériel; et vice-versa?
Ainsi, pour Descartes, quand je veux lever la main, ce qui cause le mouvement du corps, ce n'est pas vraiment quelque chose de corporel ou d'inscrit dans le fonctionnement corporel; mais c'est un acte de la volonté qui cause ce mouvement, c’est-à-dire, quelque chose qui n'est qu'une propriété de la substance mentale immatérielle que je suis (c’est-à-dire, de l'esprit). Cela revient à introduire une rupture dans le processus causal, faire intervenir quelque chose de mystérieux, dont on ne sait pas comment il peut bien avoir quelque efficace dans monde physique (car : il va de soi que seules des entités physiques peuvent normalement entrer en interaction)
- le lieu même de l’interaction n’est pas très clair
Par exemple, le fait de se brûler les doigts cause de la douleur.
Apparemment, il y a une chaîne d’événements,
partant de la brûlure de la peau, conduisant à la stimulation
des terminaisons nerveuses, puis à un (ou plusieurs) événements
ayant lieu dans un endroit particulier du cerveau, pour finalement
terminer par la sensation de douleur.
Mais la douleur n’est pas supposée être localisable. Alors, où est-ce que l’interaction a lieu ? On se retrouve avec une relation causale très étrange. La cause est localisée en un lieu donné, mais l’effet n’est localisé nulle part.
- Comment l’interaction se produit-elle ?
l’idée même d’un mécanisme expliquant le lien entre le mental et le physique serait, au mieux, très étrange. En effet, comparons-le à un mécanisme que l’on comprend.
Prenons une relation causale très simple, comme par exemple ce qui se produit lorsque la bille blanche cogne la bille noire au billard américain, et la fait aller dans le trou. Ici, on peut dire que la bille blanche a une certaine quantité de mouvement quand sa masse traverse la table de billard à une certaine vitesse, puis que cette quantité de mouvement est transférée à la bille noire, qui se dirige alors vers le trou.
Comparons maintenant cette situation avec ce qui se produit dans le cerveau, où l’on voudrait qu’une décision entraîne le déclenchement de certains neurones et ainsi entraîner le mouvement de mon corps.
L’intention « Je vais traverser la pièce » est un événement mental et, en tant que tel, ne possède aucune propriété physique comme une force. Si elle n’a pas de force, alors comment pourrait-elle entraîner le déclenchement d’un quelconque neurone ? Est-ce par magie ? Comment quelque chose ne possédant aucune propriété physique pourrait-il avoir le moindre effet physique ?
A cela, on pourrait répondre de la manière suivante : « en effet, il y a quelque chose de mystérieux dans la manière dont l’interaction entre le mental et le physique a lieu. Mais le fait qu’il y ait quelque chose de mystérieux ne signifie pas que l’interaction n’a pas lieu. Simplement, il y a une interaction, qui a lieu entre deux sortes d’événements totalement différents. »
Transition : bref, si la matière nous paraît être une évidence (encore que, cf. Descartes et son malin génie), mais l’esprit ne serait-il pas après tout qu’une illusion ? ne serait-il pas qu’une manière commode de parler, due à l’ignorance où nous sommes des véritables causes ?
III- le matérialisme
: ne serais-pas qu'un corps ?
Définition : tout est matière. L’esprit est soit
une illusion, soit un certain degré de matière, soit
de la matière « tout court ».
A- le matérialisme de Marx : l’esprit est l’effet ou le résultat de processus matériels économiques
Les conditions matérielles de la société déterminent notre mode de pensée, mais aussi tout ce qu’on attribue à l’esprit en général (la morale, politique, le droit, la religion, l’art, la philosophie).
Conditions matérielles = forces économiques et sociales.
Exemple
: dans l’Antiquité, la connaissance était considérée
comme théorique : on ne s’occupait pas de ses applications
pratiques. Ce mode de pensée est lié à l’organisation
de la vie quotidienne sur le plan économique. Seuls les esclaves
travaillaient, donc, l’efficacité était dévaluée,
au profit de la pensée pure
détermine
Matière (ou conditions de vie « matérielles »)
= infrastructure
Esprit = superstructure conditions de production (ressources naturelles
= climat, matières premières) moyens de production (outils,
appareils, machines) rapports de production (répartition du
travail, statut des propriétaires)
Les idées, pensées, la culture, l’art, la politique,
le droit, la religion, etc., ne sont que le reflet de l’infrastructure
Est le reflet de
C’est
la matière, ou ses transformations, qui transforme(nt) l’histoire,
pas les idées ou pensées des hommes.. Cependant, on
parle de matérialisme « dialectique » : cela signifie
que la superstructure, même si elle ne peut avoir de vie autonome,
peut à son tour influencer l’infrastructure.
B- le matérialisme contemporain : l’esprit est l’effet ou le résultat de processus cérébraux
C’est un matérialisme scientifique, qui règne dans ce qu’on appelle les « sciences cognitives » : ces sciences ont pour but d’appliquer à l’esprit les méthodes d’investigation des sciences de la nature (il s’agit donc de naturaliser l’esprit).
1) origines de cette nouvelle science (neuropsychologie)
- Gall, père de la phrénologie, qui a localisé
les facultés mentales : pour lui, chaque fonction mettait en
jeu une structure cérébrale spécifique, dont
le volume était d’autant plus important que la faculté
correspondante était développée. D’où
sa théorie des bosses du crâne, mais aussi son principal
apport : l’idée de la localisation des facultés
mentales
- en 1861, Broca nous expose le cas de Mr Leborgne, qui pouvait dire
seulement « Tan » mais comprenait ce qu’on lui disait
; on a découvert une atteinte de l’hémisphère
gauche.
- Le cas célèbre de Phinéas Cage décrit
par Damasio dans L’erreur de Descartes :
P. Gage était un ouvrier en bâtiment ; en 1848, lors d’une explosion, une barre de métal d’un diamètre de plus de 2,5 cm traversa sa boîte crânienne, détruisant les aires d’association de ses lobes frontaux. Avant cet accident, il était connu comme un homme décent et consciencieux ; après, il fut décrit comme infantile et irrévérencieux. Il était incapable de contrôler ses impulsions et se livrait constamment à des planifications qu’il abandonnait ensuite.
Cas qui montre bien l’impact des lésions du lobe frontal et temporal sur la personnalité (lésions qui entraînent des changements de comportement constituant la personnalité des individus- la personnalité renvoyant à la fois à ce qui fait la réputation d’une personne, la façon qu’on a de la percevoir, et aux attributs psychologiques durables qui créent cette réputation).
Damasio
en a déduit que le cortex joue le rôle d’inhibiteur
des émotions. C’est lui qui nous évite d’être
l’esclave perpétuel de nos pulsions et impulsions. Lobe
frontal = lieu de contrôle de soi. Si un cerveau lésé
peut créer une âme lésée, alors c’est
que nous n’en sommes pas responsables ! La personnalité
réside dans le cerveau, pas dans l’âme ! Une part
de la personnalité serait innée et certaines personnes
sont nées avec des tendances à se comporter de manière
antisociale ou indifférente envers autrui.
2) le réductionnisme esprit et cerveau
cf. Changeux, L'homme neuronal, 1983 : il n’y a pas
d'"esprit", mais que des neurones. Ou encore : l’esprit
est identique au cerveau.
Il s'agit d'un "matérialisme éliminativiste": les phénomènes mentaux ne sont rien d'autre que des phénomènes physiques; les termes mentaux ordinaires ne désignent rien de réel, et ne sont qu'un mythe que nous projetons sur les structures de notre comportement. Par là, on est censé se débarrasser définitivement du dualisme interactionniste, c’est-à-dire, de l’idée d'une substance mentale qui aurait des effets physiques.
Dans une telle perspective, l'explication psychologique peut être considérée comme scientifiquement redondante par rapport à l'explication physique, même si elle est commode en pratique.
Exemple : comment explique-t-on les maux de l’adolescence quand on est neuropsychologue ?
Nouvel Observateur, 15-21 septembre 2005 (Sur les travaux du neurologue Giedd) Pourquoi les adolescents ne raisonnent-ils pas comme les adultes, s’ils ont les mêmes cellules grises ? Pourquoi passent-ils leur temps à se mettre en danger, à changer de personnalité, à s’identifier à des desperados ou à écouter les Spice Girls ? Bref, comment expliquer qu’un cerveau mature produise une conduite immature ? Longtemps, la science a recouvert cette question d’un voile pudique. Faute de pouvoir ouvrir la boïte noire du cerveau adolescent, on se rabattait sur les explications psychologiques. On imaginait que la situation particulière du jeune, à la fois sur les plans physiologique, mental et social, l’empêchait d’avoir l’attitude raisonnable que ses neurones auraient dû lui dicter. On sait désormais qu’il n’en est rien : le cerveau des adolescents n’est pas plus achevé que leur corps ! Et son développement incomplet aide à comprendre bien des aspects du comportement et de l’état d’esprit propres à cet âge charnière. (…) au cours de l’enfance et l’adolescence, la densité de matière grise varie de manière importante, commençant par augmenter pour ensuite diminuer progressivement. (…) Le développement du cerveau obéit à deux principes antagonistes : « le premier est la surproduction. Le cerveau produit plus de cellules et de connexions qu’il ne peut en survivre, grâce à une abondance de nutriments, de facteurs de croissance et d’espace disponible dans le crâne. Cette surproduction est suivie d’une élimination par la compétition féroce à laquelle se livrent les cellules et les connexions. Seul un petit pourcentage d’entre elles vont survivre et gagner ». (…) le lobe frontal, que l’on considère souvent comme le « centre de décision » du cerveau (…) est impliqué dans la planification, la stratégie, l’organisation, la mobilisation de l’attention, la concentration. « En gros, c’est la partie du cerveau qui nous distingue le plus de la bête, dit Giedd. C’est celle qui a changé le plus au cours de l’évolution humaine, qui nous permet de faire de la philosophie, de penser sur la pensée ou de nous interroger sur notre place dans l’univers… Pendant l’adolescence, cette partie n’est pas terminée. Ce n’est pas que les ados soient stupides ou incapables. Mais il est en quelque sorte injuste d’attendre d’eux qu’ils aient des niveaux adultes d’organisation ou de prise de décision avant que leur cerveau soit achevé ». Courrier International, n° 717, 29 juillet au 18 août 2004 (idem) La dernière zone cérébrale à subir l’élagage neuronal et à trouver sa forme et ses dimensions adultes est le cortex préfrontal, siège de ce qu’on appelle les fonctions exécutives Rprévoir, se fixer des priorités, organiser ses pensées, réprimer ses pulsions, peser les conséquences de ses actes. En d’autres termes, la dernière partie du cerveau à se développer est celle qui est capable de prendre une décision de ce type : « je finis mes devoirs, je descends la poubelle et ensuite j’enverrai un texto à mes copains pour aller au cinéma ». (…) « à partir du moment où nous avons commencé à savoir très précisément où et quand les modifications cérébrales se produisaient, nous avons pu élucider le mystère : le problème est simplement que la partie du cerveau qui responsabilise les ados n’est pas encore finie de se développer ». Nouvel Observateur, 15-21 septembre 2005-12-12 (L. Rotenberg, psychothérapeute, spécialiste de l’adolescence) Ces progrès apportent un enrichissement incontestable. Ainsi, en France, des recherches menées à Ste Anne ont permis de voir que dans la dépression il y a des régions du cerveau qui ne fonctionnent pas, et que lorsqu’on administre un antidépresseur, une partie des cellules inactives sont restimulées. C’est intéressant de visualiser de telles données, auxquelles on n’avait pas accès quand le seul moyen d’observer le cerveau était l’examen post mortem. Mais en même temps ces travaux ne nous disent pas comment il faut traiter un patient dépressif. Je me méfie d’une conception du tout biologique qui aboutirait à surexploiter les résultats scientifiques. (…) C’est une des tendances actuelles dans les milieux psychiatriques. Pour ma part, j’appartiens à une génération où l’on essaie de tenir compte de tous les éléments. Je trouverais absurde de ne pas m’intéresser aux nouveaux développements scientifiques, mais la référence à la psychanalyse, à des notions de base comme le complexe d’OEdipe, reste valable. |
Mais que vaut ce matérialisme ?
IV- Critiques du matérialisme
: la réduction de l’esprit à la matière
n’est pas tenable
A-Critiques d’ordre logique
comment l’esprit peut-il venir de la matière ? qu’est-ce qui dans la matière peut aboutir à la création de l’esprit ? la matière peut-elle penser ?
si on a besoin de recourir au concept d’esprit pour expliquer les comportements humains, alors pourquoi ne correspondrait-il à rien ?
Ainsi, ne se moquerait-on pas du physicien qui prétendrait rendre compte d’un match de football en terme de corps en mouvements, définis par leurs masse et leur vitesse ?)
la science ne peut vraiment objectiver l’esprit ou prouver que
l’esprit est matériel et n’est que le nom que nous
donnons à des phénomènes dotés pour nous
(humains) d’importance.
Cf. techniques d’imagerie cérébrale (tomographie
à émission de positrons) : elles peuvent nous faire
voir (donc localiser) la zone du cerveau mise en branle quand nous
pensons, faisons des calculs logiques, jouons d’un instrument
de musique, etc. Mais pas ce à quoi nous pensons, et surtout,
ce qu’est la pensée (comment elle naît, etc.)
On peut faire ici la distinction cause et condition : par exemple, le piano produit de la musique : dira-t-on alors que le piano est la cause et la musique l’effet ?
Le piano est un moyen, ce sans quoi quelque chose (la musique) ne peut être réalisé (condition) La cause c’est ce qui produit l’existence et qui rend raison.
La cause de la musique (par exemple du 21ème concerto de Mozart) c’est sa pensée, son génie.
De même, le corps, ou le cerveau, est la condition de l’esprit, mais n’en saurait être la cause (et donc, que l’esprit, s’il doit avoir une assise corporelle, n’y est pas réductible).
Bergson, L’âme et le corps, coll. Profil, pp. 67-68 ; 71 Celui qui pourrait regarder à l’intérieur d’un cerveau en pleine activité, suivre le va-et-vient des atomes et interpréter tout ce qu’ils font, celui-là saurait sans doute quelque chose de ce qui se passe dans l’esprit, mais il en saurait peu de chose. Il en connaîtrait tout juste ce qui est exprimable en gestes, attitudes et mouvements du corps, ce que l’état d’âme contient d’action en voie d’accomplissement, ou simplement naissante : le reste lui échapperait. Il serait, vis-à-vis des pensées et sentiments qui se déroulent à l’intérieur de la conscience, dans la situation du spectateur qui voit distinctement tout ce que les acteurs font sur la scène, mais n’entend pas un mot de ce qu’ils disent. Sans doute, le va-et-vient des acteurs, leurs gestes et attitudes, ont leur raison d’être dans la pièce qu’ils jouent ; et si nous connaissons le texte, nous pouvons prévoir à peu près le geste ; mais la réciproque n’est pas vraie, et la connaissance des gestes ne nous renseigne que fort peu sur la pièce, parce qu’il y a beaucoup plus dans une fine comédie que les mouvements par lesquels on la scande.
|
B-Critique d’ordre éthique : le matérialisme nie la liberté et détruit la notion de responsabilité
Cf.
analyse de Damasio à propos de Phinéas Cage : on n’a
donc finalement plus aucun mérite quand on agit moralement
(d’ailleurs que veut dire ici agir « moralement »
?) ; et on est malade plutôt qu’immoral, quand on agit
de manière non morale… Cf. explication scientifique de
l’adolescence : quand on agit correctement on n’a aucun
mérite, et quand on agit mal ce n’est pas de notre faute
!
C- Dépassement du matérialisme et du dualisme : le monisme de Spinoza : l’unité de l’être humain
Le corps et l’esprit ne sont-ils pas qu’une seule et même chose, vue sous deux aspects différents … ? Tout état de l’homme sera simultanément mouvement dans le corps et idée dans l’âme.
Spinoza Ethique, III, 2, Scholie. Traduction B. Pautrat, Paris, le Seuil, 1988
|
1) Le contexte
But de l’Ethique : connaître la nature humaine, afin de
bâtir sur une elle la véritable morale (pas d’idéalisme).
Connaissance rationnelle, discursive (modèle mathématique).
Spinoza affirme dans l’Ethique (surtout dans le livre II) l’unité du corps et de l’esprit. L’homme est A LA FOIS étendue/ matière, et pensée/ esprit.
Ne nous y trompons pas : c’est une philosophie unitaire de l’existant humain, pas la somme de deux réalités différentes. L’esprit ne sera pas ajouté au corps pour l’animer, le mettre en mouvement (ce qu’on a encore chez Aristote ?)
La conséquence en sera une théorie de l’affectivité originale par rapport à la tradition qui le précède, puisque cette affectivité sera le fondement de la nature humaine, et de la morale (cf. « le désir est l’essence de l’homme »).
Modèle de la réalité : une seule nature, spirituelle et matérielle, qui n’est autre que Dieu (théorie de l’immanence : « deus sive natura) ; cette Substance se manifeste sous une infinité d’attributs, qui sont ses manières d’être. L’étendue et la pensée sont dans ce contexte deux expressions distinctes d’une même substance. A l’intérieur de cette nature (l’homme est une partie de cette nature), on a l’être humain, qui se caractérise par l’unité corps/ esprit, et par le désir.
Pour bien comprendre ce que signifie cette unité esprit-corps, suivons son raisonnement. Dans l’Ethique II, 11, nous avons la description de la réalité effective de l’esprit (ie, pas d’une idée).
Qu’est-ce que l’esprit humain ?
2) L'esprit humain est l’idée d’une chose singulière existant en acte.
Traduction :
- Esprit =idée = pas concept mais activité de penser=activité de conscience (pas âme !)
- cette activité de penser, cette idée, a un objet
- cf. Husserl : « toute conscience est conscience de quelque chose » (rapport à quelque chose d’autre qu’elle-même)
a) pas d’autonomie, pas de substantialité de
l’esprit : l’esprit ou activité de conscience
est toujours rapport au monde extérieur
b) premier objet de cette conscience/ esprit : le corps (le
sien)
Le rapport au monde extérieur s’appuie donc toujours
sur le lien étroit idée/ corps. Le contenu principal
de la conscience est son corps. L’esprit humain EST la conscience
du corps. Je suis conscience de mon corps.
c) Ça ne veut pas dire que l’esprit serait le
reflet passif du corps mais que l’esprit est la même chose
que le corps mais en un langage différent (cf. notion de parallélisme)
L’esprit va enchaîner des connaissances, va désirer
; le corps, lui, va enchaîner des mouvements.
Parallélisme : pas de relation de production, de relation causale
: mais identité, ie, quand il y a des événements
dans le corps, il y a des événements dans l’esprit.
Un seul événement s’exprime de deux manières.
d) Comment ça fonctionne ? Quelles sont leurs relations ?
Tout événement du corps est perçu par l’esprit.
Perçu, c’est-à-dire pas compris, pas connu : ce rapport peut être mal compris, mal interprété.
En soi, l’esprit perçoit tous les événements du corps ; comment ? Par les idées des affections du corps.
Idées = conscience des modifications du corps.
Affection = pas relatif à l’affectivité mais désigne une transformation, un mouvement, du corps (des humeurs, du sang)
Autrement dit, la conscience perçoit le corps par la conscience interprétative des événements du corps.
Exemple : un ulcère de l’estomac ne sera conscient que quand il entrera en crise ; l’ulcère va être conscient ; sous quelle forme ? sous la forme d’une brûlure, qui est l’idée, la conscience, d’un événement qui se passe dans l’estomac, et qui n’est pas une brûlure mais un processus chimique.
On voit bien ici que l’événement physique est autre dans le vécu psychique… Une modification du corps est perçue par une interprétation.
Bref : la conscience est toujours conscience des événements du corps, et cette conscience, ou, les idées des affections du corps sont d’abord confuses. (Evénements : pas oxygénation, digestion ? En tout cas événements de la vie de tous les jours….). Nous n’avons une conscience claire ni des événements organiques, ni des événements affectifs…
Ce qui signifie que la conscience n’est pas forcément claire, n’est pas forcément connaissance (réflexion claire qui comprend ce qui se passe, comment, et pourquoi).
Par contre, toute affection du corps peut être connue, devenir un concept clair. Ie : la conscience confuse de notre quotidien peut devenir l’objet d’une connaissance. (Avoir une idée de l’idée !)
Avantages : nouvelle médecine ? un corps, non plus objet mais sujet ?
Cf. phénomènes placebo et nocebo
- maladie de Parkinson : faire croire au malade qu’on lui injecte
de la dopamine sous forme de cachet stimulerait probablement les derniers
neurones capables d’en fabriquer, et supprime (momentanément
au moins) les tremblements
- les quelques cas de guérison de cancers à Lourdes
s’expliquent par un état d’extase mystique qui
déclencherait une production massive de substances anticancéreuses
-
les pensées négatives d’un patient peuvent contrecarrer
l’évolution d’une maladie
Cf. méthode Meizières en kiné… = le corps sujet !
Conclusion
Il nous paraît donc abusif de se débarrasser de l’esprit, mais avouons pourtant que nous ne savons toujours pas vraiment ce qu’il peut être précisément !
On peut même retourner la critique scientifique de l’esprit contre leur croyance en l’existence de la matière : la matière existe-t-elle vraiment ? Comment en être si sûr après tout ?
Cf. Descartes et l’expérience du morceau de cire : la matière n’est pas si concrète que ce que l’on pourrait croire ! N’est-elle pas un concept qui nous permet de réunir entre elles de multiples sensations ? Si on la perçoit, n’y a-t-il pas tout un travail de l’esprit ?
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