La Conscience La conscience est-elle le propre de l'homme ?

Plan

I- Qu’est-ce que la conscience ? Est-elle commune aux êtres vivants et aux êtres humains, ou bien seulement propre aux humains ?

A- les différents degrés de conscience : la conscience, ce qui caractérise le vivant ? (la conscience, un simple rapport au monde ?)

1) Pour le savoir, essayons de réfléchir sur quelques exemples, en partant des choses inertes pour aller jusqu’aux hommes

2) Il existe d’ailleurs plusieurs définitions de la conscience, ce qui semble confirmer notre analyse

a) Leibniz et les petites perceptions

b) tableau récapitulatif des définitions de la conscience communément acceptées

B- La conscience immédiate est-elle vraiment possible sans conscience de soi ? (la conscience comme faculté de synthèse, comme savoir)

1) la synthèse perceptive : qu’est-ce que percevoir le monde, un objet ? (Descartes, Méditations métaphysiques, le morceau de cire)

a) le point de vue du sens commun au crible du morceau de cire : connaissons-nous les choses par l’intermédiaire de nos sens ?

b) la distinction perception et sensation

2) cela ne suppose-t-il pas la capacité de faire la synthèse de soi-même, de se percevoir comme une personne ? (cf. Locke, Essais sur l'entendement humain, la notion d'identité personnelle) C- Descartes : l’essence de la conscience résiderait dans la pensée (le cogito)

II- Avoir conscience de soi fait-il la misère ou la grandeur de l’homme ?

A- La grandeur de l’homme ?

1) capacité d’agir moralement

2) Sartre (l’existentialisme) : la conscience est liberté

B- La misère de l’homme ?

1) conséquences de la thèse de Sartre : nous sommes condamnés à être libres

2) Pascal, Pensées, le roseau pensant...


Cours

 

 

 

 


 

I- Qu’est-ce que la conscience ? Est-elle commune aux êtres vivants et aux êtres humains, ou bien seulement propre aux humains ?

Repartons ici de la question à la fin de l’introduction. Etre conscient, n’est-ce pas une certaine forme de rapport au monde ? Après tout, peut-être que notre manière de nous rapporter au monde n’est qu’une des formes que prend la conscience ? N’y aurait-il pas plusieurs degrés de conscience ?

A- les différents degrés de conscience : la conscience, ce qui caractérise le vivant ? (la conscience, un simple rapport au monde ?)

1) Pour le savoir, essayons de réfléchir sur quelques exemples, en partant des choses inertes pour aller jusqu’aux hommes.

1) Si nous prenons un être minéral, par exemple une pierre, on dira immédiatement que cette chose ne peut être douée d’une quelconque forme de conscience que ce soit, puisqu’elle n’entretient aucun rapport avec le monde extérieur. Elle bouge, certes, elle se corrompt, certes, mais elle ne se meut pas d’elle-même, et n’en sera jamais affectée par le monde extérieur au sens où elle pourrait « sentir » quoi que ce soit. La pierre EST, point.

2) Prenons maintenant un être plus complexe, une plante par exemple. La plante, en plus de la pierre, vit. Mais nous avons dit dans l’introduction que la vie ne suffisait pas à dire qu’il y a conscience. Aurait-elle alors un certain contact avec le monde ? Il semble qu’on puisse parler à leur propos d’une forme de conscience très élémentaire. Forme de sensibilité. Réagissent à certains sons, etc. Cependant, il semble que les formes de réaction que l’on peut enregistrer soient en quelque sorte mécaniques, c’est une forme d’adaptation instinctuelle au monde environnant. Or nous avons dit en intro que tout ce qui est effectué machinalement, ne pouvait apparemment pas se nommer conscience. –Encore que la plante se distingue tout de même, par toutes ces caractéristiques, de la pierre ou d’une chose en général !

3) Prenons maintenant un animal. Pas n’importe lequel évidemment car notre recherche serait sans fin. Prenons un animal domestique, un chat par exemple. Observons-le en train de traquer sa proie, une jolie petite souris verte… N’est-il pas concentré sur la souris ? Ne réagit-il pas d’une manière moins automatique que la plante ? Observons-le encore une fois qu’il a réussi à attraper sa proie : le voilà qui semble jouer avec, etc. Lançons lui une pelote de laine, il l’attrape, appelons-le, il vient, etc. Franchement : cela ne se rapporte-t-il pas à une certaine forme de conscience ? Le chat a un rapport au monde qui l’entoure, il sent, il réagit, etc.

4) Prenons enfin l’homme. Qu’a-t-il, au premier abord, de plus que l’animal ? On dit souvent que l’homme cumule toutes ces formes de conscience. L’homme a la capacité de se dire à lui-même : « je pense », ou « je sais », que je suis en train de sentir en ce moment, je sais que j’existe, je sais que le monde extérieur, etc. Si Garfield peut être considéré comme un chat philosophe car capable d’une telle forme de réflexion, on n’imaginera tout de même pas son chat en train de se poser de telles questions, en train de se dire de telles choses ! Il semble donc que la conscience soit chez l’homme une forme de conscience beaucoup plus élaborée que l’animal.


Avantage de cette réponse : Mais rien n’interdit, apparemment, d’attribuer la conscience à l’animal ! Si on en reste là, alors on peut dire que tous les êtres vivants sont conscients, à des degrés moindres. Seul les deux derniers degrés de conscience seraient propres aux hommes. Cf. Leibniz et son « échelle des êtres ». On peut imaginer autant de degrés de conscience qu’il y a de degrés d’êtres vivants. Condition minimale de la conscience : un certain rapport au monde, entrer en relation avec le monde environnant. Sentir, percevoir, même de façon confuse, suffit à dire qu’il y a conscience.

 

2) Il existe d’ailleurs plusieurs définitions de la conscience, ce qui semble confirmer notre analyse

a) Leibniz et les petites perceptions

Thèse : il y a à tout moment en nous une infinité de petites perceptions dont nous n’avons pas conscience… Mais ce sont bien pourtant des perceptions !

Leibniz, Nouveaux Essais sur l’entendement humain, p. 246 Chemins de la pensée

(…) il y a mille marques qui font juger qu’il y a à tout moment une infinité de perceptions en nous, mais sans aperception et sans réflexion, c’est-à-dire des changements dans l’âme même, dont nous ne nous apercevons pas, parce que les impressions sont, ou trop petites et en trop grand nombre, ou trop unies, en sorte qu’elles n’ont rien d’assez distinguant à part, mais, jointes à d’autres, elles ne laissent pas de faire leur effet et de se faire sentir, au moins confusément, dans l’assemblage. C’est ainsi que l’accoutumance fait que nous ne prenons pas garde au mouvement d’un moulin ou à une chute d’eau, quand nous avons habité tout auprès depuis quelques temps.

 

Il y a donc à tout moment des perceptions en nous, mais sans aperception ou réflexion (dont on n’a pas conscience). En effet, les perceptions sont soit :

a) trop petites ou en trop grand nombre
b) trop unies, mêlées les unes aux autres, si bien qu’on ne peut les remarquer à part les unes des autres (confusion)

Si les petites perceptions dont nous parle ici Leibniz sont trop petites pour qu’on en ait conscience, elles font néanmoins leur effet sur nous. La « preuve » : si on arrête par exemple subitement le moulin, alors, on s’en rendra compte, ce qui veut bien dire que nous percevions bien le bruit sans nous en rendre compte !

Les phénomènes conscients sont l’assemblage global d’éléments trop petits pour que chacun d’eux soit aperçu à part. Cf. images subliminales

Que dit ce texte pour notre propos ? Qu’il existe un rapport au monde (donc une forme de conscience) non réfléchi, et un rapport au monde réfléchi. Ainsi, il semble que contrairement à ce que nous avons dit bien vite dans notre introduction, la conscience ne soit pas par définition une forme de pensée, de savoir. S’il existe une conscience « irréfléchie », alors l’animal peut bien être doué de conscience. Seule la conscience réfléchie serait le propre de l’homme. (cf. d’ailleurs formule de Leibniz : « l’homme agit par habitude dans les ¾ de ses actions ».


b) Faisons un tableau récapitulatif des définitions de la conscience communément acceptées :

 

Conscience irréfléchie Conscience réfléchie Conscience morale
Synonymes : sentir, percevoir

Recul, distance : savoir qu’on sent, savoir qu’on pense, etc. (sensation, perception, accompagnée de savoir : cf. étymologie du mot). Et même, savoir qu’on est.

a- conscience intentionnelle (conscience d’objets) et
b- conscience de soi-même

Juger de la valeur morale de ses actions ; distinguer le bien du mal
On peut percevoir ou sentir quelque chose sans se rendre compte que l’on sent ou perçoit, sans se mettre en opposition au monde, etc.

Par conséquent, c’est se rapporter à soi-même, se juger, se critiquer, ou même, juger, critiquer nos connaissances, etc.

Cf. dédoublement, opposition de soi au monde (comme le miroir réfléchit les images, au sens où il est dédoublement, la conscience est un dédoublement)

 


Ici, on se dit immédiatement que 3) suppose évidemment 2), mais que 2) et 1) ont moins de rapports intrinsèques. Et même 2a et 2b. On pourrait sans doute avoir conscience de soi sans avoir conscience du monde extérieur et avoir conscience du monde extérieur sans avoir conscience de soi.

Problème posé par A : Pourtant, il paraît difficile de pouvoir avoir conscience de quoi que ce soit, sans en avoir conscience explicitement, sans s’en rendre compte ! N’est-ce pas finalement une manière abusive de parler de la conscience ? Une conscience non attentive, non réflexive, ou irréfléchie, n’est-elle pas une contradiction dans les termes ?

Exemples montrant qu’avoir conscience de quelque chose c’est inéluctablement savoir qu’on y pense :

(1) penser à Gertrude et ne pas savoir que je pense à elle : c’est absurde !

(2) dire que je perçois un arbre, c’est dire que j’en ai conscience perceptivement, non pas seulement parce que je le perçois, mais parce que j’ai conscience d’avoir conscience de cet arbre. Je le perçois et je sais que je le perçois. Comment pourrais-je avoir conscience d’une chose tout en l’ignorant ?

(3) une machine qui détecte des objets, qui fait des calculs, qui commande d’autres machines, n’est pas un sujet conscient, ceci, non parce qu’elle est coupée du monde, mais parce qu’elle ne sait pas qu’elle « sait » ou « sait faire » quelque chose.

(4) de même, un animal qui réagit de manière adaptée aux événements qui se produisent dans son environnement n’ignore pas cet événement, mais il n’est pas un sujet conscient car il ne sait pas qu’il connaît : il ne peut rien en dire.


Si on veut aller plus loin que la mise en évidence d’une simple contradiction dans une expression (qui pourrait alors après tout n’être qu’une question de vocabulaire) on peut tout simplement dire que si je ne sais pas que je suis en relation avec le monde, alors, je suis tout entier confondu avec lui, et je ne vois du tout en quoi je puis alors encore en avoir conscience ! Par conséquent, il semble que la conscience suppose la capacité de pouvoir se poser comme différent du monde (et des autres). Elle suppose une distance, un décalage, entre les choses et moi-même. Etre conscient de, ou avoir conscience, suppose de savoir qu’on n’est pas une chose.

Or cela nécessite non seulement une conscience réfléchie, mais une conscience de soi-même, et donc, un esprit complexe et élaboré. On retrouve donc ici le début de notre introduction : la conscience serait bien le propre de l’homme !

 

B- La conscience immédiate est-elle vraiment possible sans conscience de soi ? (la conscience comme faculté de synthèse, comme savoir)- la conscience est donc le propre de l’homme !

Conséquence du problème posé à la fin de A :

Encore faut-il convaincre le plus récalcitrant d’entre vous que même le processus simple de sensation ou de percevoir, n’est pas possible sans conscience « réfléchie », et n’est pas finalement un phénomène irréfléchi !

Nous allons donc devoir montrer que pour avoir conscience des choses, il faut avoir aussi conscience de soi. La conscience est un savoir d’ordre intellectuel, qui met en œuvre une activité de l’esprit. Cf. étymologie du mot : « cum » = avec, ensemble ; « scire » : savoir. Idée d’un savoir rassemblé, d’un faisceau unifié autour d’un centre (qui sera la personne humaine elle-même).

 

1) la synthèse perceptive : qu’est-ce que percevoir le monde, un objet ? (Descartes, Méditations métaphysiques, le morceau de cire)

Nous croyons avoir affaire aux objets extérieurs de manière immédiate, or, ce n’est pas si sûr ! Que nous apportent réellement nos sens ? Pour avoir affaire au monde extérieur, aux objets, à la matière, ne faut-il pas en fait un travail de l’esprit ?

Percevoir un objet : le percevoir comme étant un et le même ; synthèse perceptive = intellectuelle. Ainsi, un BB, ou un animal, doté de 5 sens, mais sans doute privé d’esprit, peut-il percevoir des objets ?). Même la conscience de base du monde extérieur, suppose donc l’esprit.

 

a) le point de vue du sens commun au crible du morceau de cire : connaissons-nous les choses par l’intermédiaire de nos sens ?

Descartes va répondre à cette question en faisant mine d’adopter le point de vue du sens commun : nous avons affaire immédiatement à la réalité à l’aide de nos sens. Nous n’avons besoin de rien d’autre pour nous rapporter à des objets.

Pour voir si cette thèse « naïve » (empiriste : les connaissances sont issues des sens) est fondée ou pas, il va recourir à une expérience de pensée : imaginons un morceau de cire sortant de la ruche, et qu’on le fasse brûler. Au début, le morceau de cire a de multiples propriétés sensibles. Or, si on l’approche du feu, ces propriétés vont changer, voire même disparaître. Or, tout le monde continue à dire que c’est le même morceau de cire, que nous avons affaire à la « même » chose…

Est-ce vraiment, par conséquent, à travers mes sens que j’ai affaire à des objets, ici, à un même morceau de cire ? Cf. ici introduction de permanence, d’identité à soi, malgré, et au-delà, des changements qui affectent la chose !

Descartes va plutôt affirmer qu’il est impossible d’affirmer l’identité de l’objet, si je ne dispose que des sens. En effet, que me livrent mes sens concernant les objets ?

Des informations :
- multiples (odeur, saveur, etc.) : pas d’unité, de lien
- variables (elles sont changeantes, et disparaissent)

Nulle part mes sens ne me livrent donc quoi que ce soit d’identique, d’un, invariable. Les sens ne me donnent à « voir » ou « sentir » aucune chose. Si on ne disposait que de nos sens, le monde ne serait qu’un amas de qualités sensibles, il changerait sans cesse, il n’y aurait aucune stabilité, aucun monde, mais un chaos, un tourbillon permanent (comme une valse incessante !).

 

b) la distinction perception et sensation

C’est donc une autre faculté qui est à l’œuvre dans la perception des objets ! Raisonnement :

(1) les sensations nous donnent accès à de la variation
(2) or, nous percevons, non un monde indifférencié, instantané, ponctuel, changeant, mais un monde ordonné, stable, permanent malgré les changements
(3) donc nous allons toujours au-delà de la sensation, et c’est par une autre faculté que nous percevons le monde…

la perception, activité de synthèse (fait que nous nous rapportons à un monde « un », ayant une signification)

Descartes va dire que c’est l’esprit (« entendement ») qui fait, sans qu’on s’en rende compte, la liaison entre les sensations. Percevoir, ce n’est pas sentir, c’est juger. La perception n’a rien de passif. C’est grâce à l’esprit que je peux identifier un objet, le reconnaître, avoir accès à des choses unes et les mêmes. Sans l’esprit qui unifie nos sensations, nos sensations seraient sans lien, et la connaissance impossible.

On distinguera donc la sensation et la perception !

 

Sentir
Percevoir

Passivité
Réflexe

(définition : état de conscience brut et élémentaire qui est immédiatement consécutif à l’excitation d’un sens, externe ou interne)

Activité

attention (prise de conscience de la sensation ?)

donne des qualités élémentaires : couleur, chaud, froid, piquant, doux, etc. Donne du sens au monde, l’ordonne, travail de synthèse (cf. « percipere » : prendre ensemble, récolter, organiser des sensations en un tout signifiant)
Exemple : voir, entendre Exemple : regarder, écouter (cf. écouter une symphonie, un cours de philosophie : nécessite un certain travail de l’esprit, qui se rapporte aux instants passés pour les lier avec ceux qui sont en train de se passer…)

 

2) cela ne suppose-t-il pas la capacité de faire la synthèse de soi-même, de se percevoir comme une personne ?

Pour pouvoir faire cette première synthèse, synthèse des sensations, unification de mes sensations, et donc, se rapporter à un monde « un », il faut également pouvoir être capable de rapporter ces sensations à soi-même, de se les approprier. Il faut être capable, pour cela, de dire « je ». Et il faut être capable de se rapporter à soi-même comme étant tout aussi « un et le même » que le monde extérieur auquel on se rapporte. Si en effet les sensations m’arrivaient de l’extérieur sans que je ne puisse jamais les retenir, alors, elles me traverseraient de part en part, sans que je puisse rien retenir du tout.

Cf. Les pathologies telles la schizophrénie !

• Altération de la sensation d’identité : les schizo souffrent d’étranges sensations, à tel point qu’ils ne peuvent distinguer leurs actions, parfois, de celles d’autrui ; ne sentent pas, comme nous, que notre corps, nos pensées, nos cations, nous appartiennent ! Par conséquent, ils sentent une partie de leur activité comme étant d’origine étrangère : ils deviennent les témoins passifs des productions de leur propre esprit !
• Cf. hallucinations auditives

Cf. l'histoire du "Marin perdu" dont nous parle le neurologue Sacks dans L'homme qui prenant sa femme pour un chapeau :

Le marin perdu dont nous parle le neurologue s'appelle Jimmie. Il souffre d'une extrême et exceptionnelle perte de mémoire immédiate : tout ce qu'on peut lui dire ou lui montrer a toutes les chances d'être oublié en l'espace de quelques secondes. C'est donc un homme complètement désorienté dans le temps.

Exemple : le médecin pose sa montre sur son bureau; la cache; et lui demande de s'en souvenir. Après une minute de conversation, il lui demande "qu'ai-je mis sous la nappe?" -Jimmie ne se souvient de rien . Les traces qui se déposent dans sa mémoire s'y effacent donc en l'espace d'à peine une minute. Les seules choses qu'il sait faire (calculs, etc) sont celle qui peuvent se faire en un clin d'œil. C'est donc un homme sans passé ni avenir, enlisé dans un moment constamment changeant, vide de sens.

Question que se pose le médecin : peut-on parler d'existence dans le cas d'une absence de mémoire et de continuité aussi radicale?
En effet, son amnésie est qualifiée de "fossé insondable dans lequel tomberaient tout événement, toute expérience, absolument tout, un abyssal trou de mémoire qui engloutirait le monde entier". Cet homme s'est perdu lui-même, il a perdu le "soi".Ce n'est plus un être humain comme tel, une personne : cf; fait que cet homme ne peut pas savoir ce qui lui arrive, pour la simple raison qu'il n'y a justement personne pour le savoir.

Exemple : "comment vous sentez-vous?" J : "je ne peux pas dire que je me sente malade, ni que je me sente bien; je ne sais pas si j'éprouve quoi que ce soit"

Bref : cet "homme" ne peut agir, être, éprouver, sa vie n'a aucun sens, aucun but.

Il faut donc supposer un centre unificateur du monde à l’intérieur de soi, et ce centre unificateur du monde est également le centre unificateur de moi-même. Quand je dis « moi », d’ailleurs, c’est de ce centre dont je parle… Prendre conscience de soi c’est être capable de dire « je » et pour cela il faut aussi unifier ses états mentaux, se rapporter à soi-même comme étant un et le même au-delà des changements qui nous affectent… La conscience est ce qui capable de relier le passé au présent et de jeter un pont vers le futur en assurant ainsi la permanence du je.

 

Cf. Locke et l'identité personnelle

Locke, Essais sur l’entendement humain, II, chap. 27, § 9, 1690

(…) il nous faut considérer ce que représente la personne ; c’est, je pense, un être pensant et intelligent, doué de raison et de réflexion, et qui peut se considérer soi-même comme soi-même, une même chose pensante en différents temps et lieux. Ce qui provient uniquement de cette conscience qui est inséparable de la pensée, et lui est essentielle à ce qu’il me semble : car il est impossible à quelqu’un de percevoir sans percevoir aussi qu’il perçoit. Quand nous voyons, entendons, sentons par l’odorat ou le toucher, éprouvons, méditons, ou voulons quelque chose, nous savons que nous le faisons. Il en va toujours ainsi de nos sensations et de nos perceptions présentes : ce par quoi chacun est pour lui-même ce qu’il appelle soi (…) L’identité de telle personne s’étend aussi loin que cette conscience peut atteindre rétrospectivement toute action ou pensée passée.

 

Thèse

La conscience est donc le fondement de ce qu’on appelle l’identité personnelle. Identité personnelle = conscience que l’être humain a d’être, d’un bout à l’autre de sa vie, la même personne, d’être « le même que soi », d’être un « soi-même » (un seul et même être).

Terme technique pour désigner cela en philosophie : ipséité. Cela qualifie une identité subjective, non objective. Objective : cf. patrimoine génétique, identité sociale, identité corporelle, etc. Subjective : rapport que j’entretiens, de l’intérieur, avec moi-même.

L’identité à soi suppose la conscience qui permet d’unifier tous mes actes, tout ce qui m’arrive. Cf. Fin du texte : on voit ici que la conscience ne se restreint pas au présent : elle s’étend jusqu’où va notre mémoire. C’est la mémoire qui nous permet d’unifier les instants épars de notre vie.

Problème :

Si l’identité personnelle s’étend jusqu’où va notre mémoire, si elle est réductible à la conscience de soi qui est ici présentée comme individuelle (ce sont « mes » souvenirs, le rapport que j’entretiens avec ceux-ci de l’intérieur, etc.), alors suis-je encore moi-même quand fait défaut la conscience de soi ou quand je suis amnésique (temporellement ou définitivement) ?

Ce dont Locke ne rend pas compte c’est que l’identité personnelle renvoie aux autres : on a besoin, pour rester ou être soi-même, des souvenirs des autres, de leur matérialisation des souvenirs, etc. On a besoin des autres pour rester nous-mêmes, pour être celui qu’on est –pour le meilleur, cf. amnésie, mais aussi, pour le pire, cf. crimes commis dans des états seconds qu’on aurait complètement oublié (folie, alcool, etc.). Sorte de devoir de mémoire : nous nous souvenons avec et pour les autres.

Cf. Film de M. Gondry, Lost eternal sunshine of the spotless mind.

Les 2 héros du film, le Coeur brisé par l’échec de leur chagrin d’amour, se rendent chacun de leur côté dans un labo, Lacuna Inc., où des neurotechniciens s’appliquent à éradiquer tout souvenir de leur relation ratée.

Problème : les tentatives d’effacement de ce souvenir se heurte à plusieurs difficultés :
• Pour que cette histoire d’amour s’efface, il faudrait aussi supprimer les voisins d’immeuble, les amis, etc.
• Les souvenirs qu’on veut effacés se mêlent à d’autres souvenirs (effets secondaires graves : nous risquons de perdre notre personne, notre identité personnelle, avec les souvenirs douloureux que nous aimerions parfois effacer…)

 

Bilan de B : on a donc vu que la conscience est quelque chose de très complexe, et qu’elle n’est sans doute par conséquent qu’humaine…


C- Descartes : l’essence de la conscience résiderait dans la pensée (le cogito)

1) du malin génie au cogito : dès que je pense, et au moment où j’y pense, j’ai en même temps et nécessairement conscience d’exister. Penser c’est être.

2) je suis une chose qui pense (ou : une « substance » pensante)

3) la transparence à soi de la conscience (privilège des états de conscience)

Conséquence : nous sommes alors transparents à nous-mêmes, tout ce qui est actuellement en nous ne peut nous échapper, être ignoré de nous, passer inaperçu.

Descartes, Principes de la philosophie, article 9

Par le mot de penser, j’entends tout ce qui se fait en nous de telle sorte que nous l’apercevons immédiatement (en latin, conscience) par nous-mêmes ; c’est pourquoi non seulement entendre, vouloir, imaginer, mais aussi sentir, est la même chose ici que penser.


Réponses aux sixièmes objections :

Il n’y a aucune pensée de laquelle, dans le moment qu’elle est en nous, n’ayons une actuelle connaissance.


Pour D. la conscience est avant tout pensée, et qui dit pensée, dit pensée réflexive : penser c’est savoir qu’on pense. Ie : penser c’est en même temps se rendre compte qu’on pense, et avoir soi-même pour objet. La conscience, identique à la pensée, est donc le domaine de l’intériorité. C’est ma vie intérieure.

La conscience est le domaine de la certitude. Certitude d’être, d’exister, et certitude d’être ce que je pense être. Penser être quelque chose = être cette chose. Cela signifie la possibilité de se connaître soi-même. Au moment où j’ai conscience de quoi que ce soit en moi, je ne peux douter que ce soit faux.

Bilan : L’être conscient est un être qui a à la fois un rapport au monde et à soi, et qui ne peut avoir de rapport au monde que parce qu’il a un rapport à soi. C’est ce qui s’appelle être un sujet (NB : on distingue en général la chose de l’objet en disant qu’une chose dont on a conscience est un objet : l’objet c’est ce qui existe pour un sujet)

II- Avoir conscience de soi fait-il de l’homme un être « digne » ? Misère ou grandeur de l’homme ?

On montrera en quoi la conscience de soi dont est doté l’homme, le met à part des autres animaux : cf. morale, liberté (Sartre) –mais en même temps cela fait de l’homme un être « double », toujours en avant de lui-même, hors de lui-même (cf. sens du terme « exister » qui s’oppose à « vivre »). Cf. Pascal !

Avoir conscience de soi c’est être capable d’agir moralement, c’est être libre ; mais aussi, paradoxalement, notre grandeur fait aussi notre misère, ou, en tout cas, notre ambiguïté

 

A- La grandeur de l’homme

1) capacité d’agir moralement

Cf. conséquence du texte de Locke si on n’a pas conscience de ses actes, si on ne les assume pas, on ne peut être une personne juridique. C’est donc la conscience de soi-même qui fait de nous des êtres à part au sein de la nature, car capables de moralité.

Cela peut avoir des conséquences morales très graves : si à chaque moment on est différent, une personne différente, alors, de quel droit me condamner si j'ai perpétué un crime? Il n'y a même pas de "je", de "moi", qui permette de dire que c'est "moi" …

 

2) Sartre (l’existentialisme) : la conscience est liberté

Sartre : né en 1905. Mort en 1980. Fondateur de l’existentialisme. Philosophie de la liberté absolue de l’homme. Liberté absolue qui pour autant nous rend responsables. (Liberté : pas caprice !). De nous-mêmes, de ce que nous sommes, de notre caractère, etc.

Sartre, L'existentialisme est un humanisme, pp. 16- et 22-23 :


"l'existence précède l'essence, ou, si vous voulez, il faut partir de la subjectivité. Que faut-il entendre au juste par là? Lorsqu'on considère un objet fabriqué, comme par exemple un livre ou un coupe-papier, cet objet a été fabriqué par un artisan qui s'est inspiré d'un concept; il s'est référé au concept de coupe-papier, et également à une technique de production préalable qui fait partie du concept, et qui est au fond une recette. Ainsi, le coupe-papier est à la fois un objet qui se produit d'une certaine manière et qui, d'autre part, a une utilité définie, et on ne peut pas supposer un homme qui produirait un coupe-papier sans savoir à quoi l'objet va servir. Nous dirons donc que, pour le coupe-papier, l'essence -c'est-à-dire l'ensemble des recettes et des qualités qui permettent de le produire et de le définir- précède l'existence; et ainsi la présence, en face de moi, de tel coupe-papier ou de tel livre est déterminée. (…) Lorsque nous concevons un Dieu créateur, ce Dieu est assimilé la plupart du temps à un artisan supérieur; (…)le concept d'homme, dans l'esprit de Dieu, est assimilable au concept de coupe-papier dans l'esprit de l'industriel; et Dieu produit l'homme suivant des techniques et une conception, exactement comme l'artisan fabrique un coupe-papier suivant une définition et une technique. Ainsi l'homme individuel réalise un certain concept qui est dans l'entendement divin. Au 18e siècle, dans l'athéisme des philosophes, la notion de Dieu est supprimée, mais non pas pour autant l'idée que l'essence précède l'existence. (…) L'homme est possesseur d'une nature humaine; cette nature humaine, qui est le concept humain, se retrouve chez tous les hommes, ce qui signifie que chaque homme est un exemple particulier d'un concept universel, l'homme (…). L'existentialistme athée, que je représente, est plus cohérent. Il déclare que si Dieu n'existe pas, il y a au moins un être chez qui l'existence précède l'essence, un être qui existe avant de pouvoir être défini par aucun concept et que cet être c'est l'homme, ou, comme le dit Heidegger, la réalité humaine. Qu'est-ce que signifie ici que l'existence précède l'essence? Cela signifie que l'homme existe d'abord, se rencontre, surgit dans le monde, et qu'il se définit après. (…)

 

L'homme n'est rien d'autre que ce qu'il se fait. Tel est le premier principe de l'existentialisme. C'est aussi ce qu'on appelle la subjectivité, et que l'on nous reproche sous ce nom même. Mais que voulons-nous dire par là, sinon que l'homme a une plus grande dignité que la pierre ou que la table? Car nous voulons dire que l'homme existe d'abord, c'est-à-dire que l'homme est d'abord ce qui se jette vers un avenir, et ce qui est conscient de se jeter vers l'avenir. L'homme est d'abord un projet qui se vit subjectivement, au lieu d'être une mousse, une pourriture ou un chou-fleur; rien n'existe préalablement à ce projet; rien n'est au ciel intelligible, et l'homme sera d'abord ce qu'il aura projeté d'être. (…) si vraiment l'existence précède l'essence, l'homme est responsable de ce qu'il est. Ainsi, la première démarche de l'existentialisme est de mettre tout homme en possession de ce qu'il est et de faire reposer sur lui la responsabilité totale de son existence.

Dans l’Etre et le néant, il oppose l’homme aux choses grâce à la conscience, qui va être assimilée à la liberté.

a) L’en soi et le pour soi (être et exister)

La conscience n’est pas une chose, c’est une non-chose ou un non-être. D’où le titre : l’Etre et le néant. L’être renvoie aux choses et le néant à l’homme. Il va également appeler les choses des « en soi », et les hommes, des « pour soi ».

Sartre, Situations I


Husserl ne se lasse pas d’affirmer qu’on ne peut pas dissoudre les choses dans la conscience. Vous voyez cet arbre-ci, soit. Mais vous le voyez à l’endroit même où il est : au bord de la route, au milieu de la poussière, seul et tordu sous la chaleur, à vingt lieues de la côte méditerranéenne. Il ne saurait entrer dans votre conscience, car il n’est pas de même nature qu’elle. (..) Connaître, s’est « s’éclater vers », s’arracher à la moite intimité gastrique pour aller, là-bas, par-delà soi, vers ce qui n’est pas soi, là-bas, près de l’arbre et cependant hors de lui, car il m’échappe et me repousse et je ne peux pas plus me perdre en lui qu’il ne peut se diluer en moi : hors de lui, hors de moi. (…) Du même coup, la conscience s’est purifiée, elle est claire comme un grand vent, il n’y a plus rien en elle, sauf un mouvement pour se fuir, un glissement hors de soi ; si par impossible vous entriez « dans » une conscience vous seriez saisi par un tourbillon et rejeté au dehors, près de l’arbre, en pleine poussière, car la conscience n’a pas de « dedans », elle n’est rien que le dehors d’elle-même et c’est cette fuite absolue, ce refus d’être substance qui la constituent comme conscience. Etre, dit Heidegger, c’est être-dans-le-monde. Comprenez cet « être-dans » au sens de mouvement. Etre, c’est éclater dans le monde, c’est partir d’un néant de monde et de conscience pour soudain s’éclater-conscience-dans-le-monde. Cette nécessité pour la conscience d’exister comme conscience d’autre chose que soi, Husserl la nomme intentionnalité.

 

On voit dans ce texte que c’est en réfléchissant sur une caractéristique de la conscience que nous avons déjà rencontrée que Sartre en arrive à assimiler conscience et liberté. En effet, rappelons-le : la conscience est une relation entre l’homme et le monde. Notons d’ailleurs que cette caractéristique fondamentale de la conscience se nomme l’intentionnalité (terme qui vient de Husserl : « toute conscience est conscience de quelque chose »). Ie : toujours rapport à autre chose qu’elle-même, toujours au-delà, en avant, de soi. La caractéristique de la conscience est que la conscience n’est pas un objet, une substance, mais le néant qui gît au cœur de l’homme : un grand vent, un mouvement, une fuite vers le monde. Etre un néant, pour la conscience, veut dire qu’elle n’est rien, elle n’est qu’un mouvement pour se fuir, elle est toujours autre chose qu’elle-même puisqu’elle est conscience de quelque chose. « La conscience est l’être qui est ce qu’il n’est pas, et qui n’est pas ce qu’il est ».

Cette caractéristique est ce que Sartre, par opposition à l’en soi appelle le pour soi.

- la conscience est pour soi : cela veut dire qu’elle n’est pas fermée au monde extérieur, mais au contraire, constamment ouverte à autre chose qu’elle-même. Elle est ouverture, elle est visée. La conscience n’existe que dans son rapport à autre chose qu’elle-même (ex = hors de ; sistere = être). La conscience est toujours hors d’elle-même. L’homme est un être en devenir, toujours au-delà de lui-même…

- la chose, elle, est un être parce qu’elle est ce qu’elle est ce qu’elle est, point. Elle est un « en soi ». Fermée au monde extérieur. L’en soi n’a besoin que de lui pour exister.

Ca signifie que la conscience nous arrache aux choses, nous empêche d’être… Nous ne sommes pas, nous existons.

b) Pourquoi cela nous rend-il libres ?

Parce que cela signifie que l’homme a à être tout ce qu’il « est » : il n’ « est » pas, il n’ « est » rien à proprement parler (cf. « néant). Si nous ne sommes pas des choses, nous avons à nous faire nous-mêmes, à nous construire nous-mêmes.

 

B- La misère de l’homme

1) Conséquences de la thèse de Sartre : nous sommes condamnés à être libres alors ! (cf. la mauvaise foi)

La liberté est un lourd fardeau, nous sommes condamnés à être libres, nous sommes responsables de ce que nous sommes…

Par conséquent, la liberté, le néant que nous sommes, nous angoisse, et nous voulons souvent devenir des choses. Nous voudrions pouvoir nous définir.

C’est ce que Sartre appelle la mauvaise foi :

  • être de mauvaise foi c’est s’identifier à un aspect de soi, favorable, auquel on croit et dont on voudrait aussi qu’autrui le reconnaisse (« je suis intelligent », « je suis courageux »).
  • Est également de mauvaise foi celui qui se disculpe de ses échecs, de son caractère, en alléguant les circonstances comme nous ayant été contraires (conduites d’excuse) (je suis timide, ce n’est pas ma faute)


    2) Pascal, Pensées : avoir conscience de soi et du monde c’est avoir conscience de notre finitude…

Pascal, Pensées


L’homme n’est qu’un roseau, le plus faible de la nature ; mais c’est un roseau pensant. Il ne faut pas que l’univers entier s’arme pour l’écraser : une vapeur, une goutte d’eau, suffit pour le tuer. Mais quand l’univers l’écraserait, l’homme serait encore plus noble que celui le tue, parce qu’il sait qu’il meurt, et l’avantage que l’univers a sur lui, l’univers n’en sait rien. Toute notre dignité consiste donc en la pensée. C’est de là qu’il faut nous relever et non de l’espace et de la durée que nous ne saurions remplir. Travaillons donc à bien penser : voilà le principe de la morale.

 

Si on regarde les autres textes du livre, l’homme est un être ambigü, un peu comme chez Sartre. Ce qui fait sa grandeur et sa dignité, ce qui le rend noble, c’est sa conscience, sa pensée. Cela serait censé compenser sa faiblesse « physique »…

Pourtant, c’est en même temps cette prise de conscience qui le rend malheureux ! En effet, l’homme est celui qui pense sa condition, celui qui sait qu’il est mortel, qui peut donc s’effrayer, se sentir dominé par la nature … Certes, il a conscience de cette domination, mais cela lui rend la vie insupportable !

Dès qu’il pense, l’homme pense à la mort, à sa condition. Ainsi a-t-il besoin de se réfugier dans le divertissement, pour s’oublier dans des occupations… . C’est ce qui cause notre malheur !

 

Conclusion générale du cours

La conscience semble être le propre de l’humain car elle est ce savoir qui accompagne tout ce que nous faisons, disons, pensons. Le problème c’est que la conscience, si elle fait de nous des êtres à part, nous rend aussi malheureux. Nous sommes libres, certes, nous pensons, certes, mais quel lourd fardeau nous avons là ! Etre conscient c’est aussi savoir que nous allons vers la mort…


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