I-
Qu’est-ce que la conscience ? Est-elle commune aux êtres
vivants et aux êtres humains, ou bien seulement propre aux
humains ?
Repartons
ici de la question à la fin de l’introduction. Etre
conscient, n’est-ce pas une certaine forme de rapport au
monde ? Après tout, peut-être que notre manière
de nous rapporter au monde n’est qu’une des formes
que prend la conscience ? N’y aurait-il pas plusieurs degrés
de conscience ?
A-
les différents degrés de conscience : la conscience,
ce qui caractérise le vivant ? (la conscience, un simple
rapport au monde ?)
1)
Pour le savoir, essayons de réfléchir sur quelques
exemples, en partant des choses inertes pour aller jusqu’aux
hommes.
1)
Si nous prenons un être minéral, par exemple une
pierre, on dira immédiatement que cette chose ne peut être
douée d’une quelconque forme de conscience que ce
soit, puisqu’elle n’entretient aucun rapport avec
le monde extérieur. Elle bouge, certes, elle se corrompt,
certes, mais elle ne se meut pas d’elle-même, et n’en
sera jamais affectée par le monde extérieur au sens
où elle pourrait « sentir » quoi que ce soit.
La pierre EST, point.
2)
Prenons maintenant un être plus complexe, une plante par
exemple. La plante, en plus de la pierre, vit. Mais nous avons
dit dans l’introduction que la vie ne suffisait pas à
dire qu’il y a conscience. Aurait-elle alors un certain
contact avec le monde ? Il semble qu’on puisse parler à
leur propos d’une forme de conscience très élémentaire.
Forme de sensibilité. Réagissent à certains
sons, etc. Cependant, il semble que les formes de réaction
que l’on peut enregistrer soient en quelque sorte mécaniques,
c’est une forme d’adaptation instinctuelle au monde
environnant. Or nous avons dit en intro que tout ce qui est effectué
machinalement, ne pouvait apparemment pas se nommer conscience.
–Encore que la plante se distingue tout de même, par
toutes ces caractéristiques, de la pierre ou d’une
chose en général !
3)
Prenons maintenant un animal. Pas n’importe lequel évidemment
car notre recherche serait sans fin. Prenons un animal domestique,
un chat par exemple. Observons-le en train de traquer sa proie,
une jolie petite souris verte… N’est-il pas concentré
sur la souris ? Ne réagit-il pas d’une manière
moins automatique que la plante ? Observons-le encore une fois
qu’il a réussi à attraper sa proie : le voilà
qui semble jouer avec, etc. Lançons lui une pelote de laine,
il l’attrape, appelons-le, il vient, etc. Franchement :
cela ne se rapporte-t-il pas à une certaine forme de conscience
? Le chat a un rapport au monde qui l’entoure, il sent,
il réagit, etc.
4)
Prenons enfin l’homme. Qu’a-t-il, au premier abord,
de plus que l’animal ? On dit souvent que l’homme
cumule toutes ces formes de conscience. L’homme a la capacité
de se dire à lui-même : « je pense »,
ou « je sais », que je suis en train de sentir en
ce moment, je sais que j’existe, je sais que le monde extérieur,
etc. Si Garfield peut être considéré comme
un chat philosophe car capable d’une telle forme de réflexion,
on n’imaginera tout de même pas son chat en train
de se poser de telles questions, en train de se dire de telles
choses ! Il semble donc que la conscience soit chez l’homme
une forme de conscience beaucoup plus élaborée que
l’animal.
Avantage de cette réponse : Mais rien n’interdit,
apparemment, d’attribuer la conscience à l’animal
! Si on en reste là, alors on peut dire que tous les êtres
vivants sont conscients, à des degrés moindres.
Seul les deux derniers degrés de conscience seraient propres
aux hommes. Cf. Leibniz et son « échelle des êtres
». On peut imaginer autant de degrés de conscience
qu’il y a de degrés d’êtres vivants.
Condition minimale de la conscience : un certain rapport au monde,
entrer en relation avec le monde environnant. Sentir, percevoir,
même de façon confuse, suffit à dire qu’il
y a conscience.
2)
Il existe d’ailleurs plusieurs définitions de la
conscience, ce qui semble confirmer notre analyse
a) Leibniz et les petites perceptions
Thèse
: il y a à tout moment en nous une infinité de petites
perceptions dont nous n’avons pas conscience… Mais
ce sont bien pourtant des perceptions !
Leibniz,
Nouveaux Essais sur l’entendement humain, p. 246 Chemins
de la pensée
(…)
il y a mille marques qui font juger qu’il y a à
tout moment une infinité de perceptions en nous,
mais sans aperception et sans réflexion, c’est-à-dire
des changements dans l’âme même, dont
nous ne nous apercevons pas, parce que les impressions sont,
ou trop petites et en trop grand nombre, ou trop unies,
en sorte qu’elles n’ont rien d’assez distinguant
à part, mais, jointes à d’autres, elles
ne laissent pas de faire leur effet et de se faire sentir,
au moins confusément, dans l’assemblage. C’est
ainsi que l’accoutumance fait que nous ne prenons
pas garde au mouvement d’un moulin ou à une
chute d’eau, quand nous avons habité tout auprès
depuis quelques temps. |
Il
y a donc à tout moment des perceptions en nous, mais sans
aperception ou réflexion (dont on n’a pas conscience).
En effet, les perceptions sont soit :
a)
trop petites ou en trop grand nombre
b) trop unies, mêlées les unes aux autres, si bien
qu’on ne peut les remarquer à part les unes des autres
(confusion)
Si
les petites perceptions dont nous parle ici Leibniz sont trop
petites pour qu’on en ait conscience, elles font néanmoins
leur effet sur nous. La « preuve » : si on arrête
par exemple subitement le moulin, alors, on s’en rendra
compte, ce qui veut bien dire que nous percevions bien le bruit
sans nous en rendre compte !
Les
phénomènes conscients sont l’assemblage global
d’éléments trop petits pour que chacun d’eux
soit aperçu à part. Cf. images subliminales
Que
dit ce texte pour notre propos ? Qu’il existe un rapport
au monde (donc une forme de conscience) non réfléchi,
et un rapport au monde réfléchi. Ainsi, il semble
que contrairement à ce que nous avons dit bien vite dans
notre introduction, la conscience ne soit pas par définition
une forme de pensée, de savoir. S’il existe une conscience
« irréfléchie », alors l’animal
peut bien être doué de conscience. Seule la conscience
réfléchie serait le propre de l’homme. (cf.
d’ailleurs formule de Leibniz : « l’homme agit
par habitude dans les ¾ de ses actions ».
b) Faisons un tableau récapitulatif des définitions
de la conscience communément acceptées :
Conscience
irréfléchie |
Conscience
réfléchie |
Conscience
morale |
Synonymes
: sentir, percevoir |
Recul,
distance : savoir qu’on sent, savoir qu’on pense,
etc. (sensation, perception, accompagnée de savoir
: cf. étymologie du mot). Et même, savoir qu’on
est.
a-
conscience intentionnelle (conscience d’objets) et
b- conscience de soi-même |
Juger
de la valeur morale de ses actions ; distinguer le bien du
mal |
On
peut percevoir ou sentir quelque chose sans se rendre compte
que l’on sent ou perçoit, sans se mettre en opposition
au monde, etc. |
Par
conséquent, c’est se rapporter à soi-même,
se juger, se critiquer, ou même, juger, critiquer
nos connaissances, etc.
Cf.
dédoublement, opposition de soi au monde (comme le
miroir réfléchit les images, au sens où
il est dédoublement, la conscience est un dédoublement) |
|
Ici,
on se dit immédiatement que 3) suppose évidemment
2), mais que 2) et 1) ont moins de rapports intrinsèques.
Et même 2a et 2b. On pourrait sans doute avoir conscience
de soi sans avoir conscience du monde extérieur et avoir
conscience du monde extérieur sans avoir conscience de
soi.
Problème
posé par A : Pourtant, il paraît difficile
de pouvoir avoir conscience de quoi que ce soit, sans en avoir
conscience explicitement, sans s’en rendre compte ! N’est-ce
pas finalement une manière abusive de parler de la conscience
? Une conscience non attentive, non réflexive, ou irréfléchie,
n’est-elle pas une contradiction dans les termes ?
Exemples
montrant qu’avoir conscience de quelque chose c’est
inéluctablement savoir qu’on y pense :
(1)
penser à Gertrude et ne pas savoir que je pense à
elle : c’est absurde !
(2)
dire que je perçois un arbre, c’est dire que j’en
ai conscience perceptivement, non pas seulement parce que je le
perçois, mais parce que j’ai conscience d’avoir
conscience de cet arbre. Je le perçois et je sais que je
le perçois. Comment pourrais-je avoir conscience d’une
chose tout en l’ignorant ?
(3)
une machine qui détecte des objets, qui fait des calculs,
qui commande d’autres machines, n’est pas un sujet
conscient, ceci, non parce qu’elle est coupée du
monde, mais parce qu’elle ne sait pas qu’elle «
sait » ou « sait faire » quelque chose.
(4)
de même, un animal qui réagit de manière adaptée
aux événements qui se produisent dans son environnement
n’ignore pas cet événement, mais il n’est
pas un sujet conscient car il ne sait pas qu’il connaît
: il ne peut rien en dire.
Si on veut aller plus loin que la mise en évidence d’une
simple contradiction dans une expression (qui pourrait alors après
tout n’être qu’une question de vocabulaire)
on peut tout simplement dire que si je ne sais pas que je suis
en relation avec le monde, alors, je suis tout entier confondu
avec lui, et je ne vois du tout en quoi je puis alors encore en
avoir conscience ! Par conséquent, il semble que la conscience
suppose la capacité de pouvoir se poser comme différent
du monde (et des autres). Elle suppose une distance, un décalage,
entre les choses et moi-même. Etre conscient de, ou avoir
conscience, suppose de savoir qu’on n’est pas une
chose.
Or
cela nécessite non seulement une conscience réfléchie,
mais une conscience de soi-même, et donc, un esprit complexe
et élaboré. On retrouve donc ici le début
de notre introduction : la conscience serait bien le propre de
l’homme !
B-
La conscience immédiate est-elle vraiment possible sans
conscience de soi ? (la conscience comme faculté de synthèse,
comme savoir)- la conscience est donc le propre de l’homme
!
Conséquence
du problème posé à la fin de A :
Encore
faut-il convaincre le plus récalcitrant d’entre vous
que même le processus simple de sensation ou de percevoir,
n’est pas possible sans conscience « réfléchie
», et n’est pas finalement un phénomène
irréfléchi !
Nous
allons donc devoir montrer que pour avoir conscience des choses,
il faut avoir aussi conscience de soi. La conscience est un savoir
d’ordre intellectuel, qui met en œuvre une activité
de l’esprit. Cf. étymologie du mot : « cum
» = avec, ensemble ; « scire » : savoir. Idée
d’un savoir rassemblé, d’un faisceau unifié
autour d’un centre (qui sera la personne humaine elle-même).
1)
la synthèse perceptive : qu’est-ce que percevoir
le monde, un objet ? (Descartes, Méditations métaphysiques,
le morceau de cire)
Nous
croyons avoir affaire aux objets extérieurs de manière
immédiate, or, ce n’est pas si sûr ! Que nous
apportent réellement nos sens ? Pour avoir affaire au monde
extérieur, aux objets, à la matière, ne faut-il
pas en fait un travail de l’esprit ?
Percevoir
un objet : le percevoir comme étant un et le même
; synthèse perceptive = intellectuelle. Ainsi, un BB, ou
un animal, doté de 5 sens, mais sans doute privé
d’esprit, peut-il percevoir des objets ?). Même la
conscience de base du monde extérieur, suppose donc l’esprit.
a)
le point de vue du sens commun au crible du morceau de cire
: connaissons-nous les choses par l’intermédiaire
de nos sens ?
Descartes
va répondre à cette question en faisant mine d’adopter
le point de vue du sens commun : nous avons affaire immédiatement
à la réalité à l’aide de nos
sens. Nous n’avons besoin de rien d’autre pour nous
rapporter à des objets.
Pour
voir si cette thèse « naïve » (empiriste
: les connaissances sont issues des sens) est fondée ou
pas, il va recourir à une expérience de pensée
: imaginons un morceau de cire sortant de la ruche, et qu’on
le fasse brûler. Au début, le morceau de cire a de
multiples propriétés sensibles. Or, si on l’approche
du feu, ces propriétés vont changer, voire même
disparaître. Or, tout le monde continue à dire que
c’est le même morceau de cire, que nous avons affaire
à la « même » chose…
Est-ce
vraiment, par conséquent, à travers mes sens que
j’ai affaire à des objets, ici, à un même
morceau de cire ? Cf. ici introduction de permanence, d’identité
à soi, malgré, et au-delà, des changements
qui affectent la chose !
Descartes
va plutôt affirmer qu’il est impossible d’affirmer
l’identité de l’objet, si je ne dispose que
des sens. En effet, que me livrent mes sens concernant les objets
?
Des
informations :
- multiples (odeur, saveur, etc.) : pas d’unité,
de lien
- variables (elles sont changeantes, et disparaissent)
Nulle
part mes sens ne me livrent donc quoi que ce soit d’identique,
d’un, invariable. Les sens ne me donnent à «
voir » ou « sentir » aucune chose. Si on ne
disposait que de nos sens, le monde ne serait qu’un amas
de qualités sensibles, il changerait sans cesse, il n’y
aurait aucune stabilité, aucun monde, mais un chaos, un
tourbillon permanent (comme une valse incessante !).
b)
la distinction perception et sensation
C’est
donc une autre faculté qui est à l’œuvre
dans la perception des objets ! Raisonnement :
(1) les sensations nous donnent accès à de la variation
(2) or, nous percevons, non un monde indifférencié,
instantané, ponctuel, changeant, mais un monde ordonné,
stable, permanent malgré les changements
(3) donc nous allons toujours au-delà de la sensation,
et c’est par une autre faculté que nous percevons
le monde…
la
perception, activité de synthèse (fait que nous
nous rapportons à un monde « un », ayant une
signification)
Descartes
va dire que c’est l’esprit (« entendement »)
qui fait, sans qu’on s’en rende compte, la liaison
entre les sensations. Percevoir, ce n’est pas sentir, c’est
juger. La perception n’a rien de passif. C’est grâce
à l’esprit que je peux identifier un objet, le reconnaître,
avoir accès à des choses unes et les mêmes.
Sans l’esprit qui unifie nos sensations, nos sensations
seraient sans lien, et la connaissance impossible.
On
distinguera donc la sensation et la perception !
Sentir |
Percevoir |
Passivité
Réflexe
(définition
: état de conscience brut et élémentaire
qui est immédiatement consécutif à
l’excitation d’un sens, externe ou interne) |
Activité
attention
(prise de conscience de la sensation ?) |
donne
des qualités élémentaires : couleur,
chaud, froid, piquant, doux, etc. |
Donne
du sens au monde, l’ordonne, travail de synthèse
(cf. « percipere » : prendre ensemble, récolter,
organiser des sensations en un tout signifiant) |
Exemple
: voir, entendre |
Exemple
: regarder, écouter (cf. écouter une symphonie,
un cours de philosophie : nécessite un certain travail
de l’esprit, qui se rapporte aux instants passés
pour les lier avec ceux qui sont en train de se passer…) |
2)
cela ne suppose-t-il pas la capacité de faire la synthèse
de soi-même, de se percevoir comme une personne ?
Pour
pouvoir faire cette première synthèse, synthèse
des sensations, unification de mes sensations, et donc, se rapporter
à un monde « un », il faut également
pouvoir être capable de rapporter ces sensations à
soi-même, de se les approprier. Il faut être capable,
pour cela, de dire « je ». Et il faut être capable
de se rapporter à soi-même comme étant tout
aussi « un et le même » que le monde extérieur
auquel on se rapporte. Si en effet les sensations m’arrivaient
de l’extérieur sans que je ne puisse jamais les retenir,
alors, elles me traverseraient de part en part, sans que je puisse
rien retenir du tout.
•
Cf. Les pathologies telles la schizophrénie
!
•
Altération de la sensation d’identité :
les schizo souffrent d’étranges sensations, à
tel point qu’ils ne peuvent distinguer leurs actions,
parfois, de celles d’autrui ; ne sentent pas, comme nous,
que notre corps, nos pensées, nos cations, nous appartiennent
! Par conséquent, ils sentent une partie de leur activité
comme étant d’origine étrangère :
ils deviennent les témoins passifs des productions de
leur propre esprit !
• Cf. hallucinations auditives
•
Cf. l'histoire du "Marin perdu" dont nous parle
le neurologue Sacks dans L'homme qui prenant sa femme pour
un chapeau :
Le
marin perdu dont nous parle le neurologue s'appelle Jimmie. Il
souffre d'une extrême et exceptionnelle perte de mémoire
immédiate : tout ce qu'on peut lui dire ou lui montrer
a toutes les chances d'être oublié en l'espace de
quelques secondes. C'est donc un homme complètement désorienté
dans le temps.
Exemple
: le médecin pose sa montre sur son bureau; la cache; et
lui demande de s'en souvenir. Après une minute de conversation,
il lui demande "qu'ai-je mis sous la nappe?" -Jimmie
ne se souvient de rien . Les traces qui se déposent dans
sa mémoire s'y effacent donc en l'espace d'à peine
une minute. Les seules choses qu'il sait faire (calculs, etc)
sont celle qui peuvent se faire en un clin d'œil. C'est donc
un homme sans passé ni avenir, enlisé dans un moment
constamment changeant, vide de sens.
Question
que se pose le médecin : peut-on parler d'existence dans
le cas d'une absence de mémoire et de continuité
aussi radicale?
En effet, son amnésie est qualifiée de "fossé
insondable dans lequel tomberaient tout événement,
toute expérience, absolument tout, un abyssal trou de mémoire
qui engloutirait le monde entier". Cet homme s'est perdu
lui-même, il a perdu le "soi".Ce n'est plus un
être humain comme tel, une personne : cf; fait que cet homme
ne peut pas savoir ce qui lui arrive, pour la simple raison qu'il
n'y a justement personne pour le savoir.
Exemple
: "comment vous sentez-vous?" J : "je ne peux pas
dire que je me sente malade, ni que je me sente bien; je ne sais
pas si j'éprouve quoi que ce soit"
Bref
: cet "homme" ne peut agir, être, éprouver,
sa vie n'a aucun sens, aucun but.
Il
faut donc supposer un centre unificateur du monde à l’intérieur
de soi, et ce centre unificateur du monde est également
le centre unificateur de moi-même. Quand je dis «
moi », d’ailleurs, c’est de ce centre dont je
parle… Prendre conscience de soi c’est être
capable de dire « je » et pour cela il faut aussi
unifier ses états mentaux, se rapporter à soi-même
comme étant un et le même au-delà des changements
qui nous affectent… La conscience est ce qui capable de
relier le passé au présent et de jeter un pont vers
le futur en assurant ainsi la permanence du je.
•
Cf. Locke et l'identité personnelle
Locke,
Essais sur l’entendement humain, II, chap. 27, §
9, 1690
(…)
il nous faut considérer ce que représente
la personne ; c’est, je pense, un être pensant
et intelligent, doué de raison et de réflexion,
et qui peut se considérer soi-même comme soi-même,
une même chose pensante en différents temps
et lieux. Ce qui provient uniquement de cette conscience
qui est inséparable de la pensée, et lui est
essentielle à ce qu’il me semble : car il est
impossible à quelqu’un de percevoir sans percevoir
aussi qu’il perçoit. Quand nous voyons, entendons,
sentons par l’odorat ou le toucher, éprouvons,
méditons, ou voulons quelque chose, nous savons que
nous le faisons. Il en va toujours ainsi de nos sensations
et de nos perceptions présentes : ce par quoi chacun
est pour lui-même ce qu’il appelle soi (…)
L’identité de telle personne s’étend
aussi loin que cette conscience peut atteindre rétrospectivement
toute action ou pensée passée. |
•
Thèse
La
conscience est donc le fondement de ce qu’on appelle l’identité
personnelle. Identité personnelle = conscience que l’être
humain a d’être, d’un bout à l’autre
de sa vie, la même personne, d’être «
le même que soi », d’être un « soi-même
» (un seul et même être).
Terme
technique pour désigner cela en philosophie : ipséité.
Cela qualifie une identité subjective, non objective. Objective
: cf. patrimoine génétique, identité sociale,
identité corporelle, etc. Subjective : rapport que j’entretiens,
de l’intérieur, avec moi-même.
L’identité
à soi suppose la conscience qui permet d’unifier
tous mes actes, tout ce qui m’arrive. Cf. Fin du texte :
on voit ici que la conscience ne se restreint pas au présent
: elle s’étend jusqu’où va notre mémoire.
C’est la mémoire qui nous permet d’unifier
les instants épars de notre vie.
•
Problème :
Si
l’identité personnelle s’étend jusqu’où
va notre mémoire, si elle est réductible à
la conscience de soi qui est ici présentée comme
individuelle (ce sont « mes » souvenirs, le rapport
que j’entretiens avec ceux-ci de l’intérieur,
etc.), alors suis-je encore moi-même quand fait défaut
la conscience de soi ou quand je suis amnésique (temporellement
ou définitivement) ?
Ce
dont Locke ne rend pas compte c’est que l’identité
personnelle renvoie aux autres : on a besoin, pour rester ou être
soi-même, des souvenirs des autres, de leur matérialisation
des souvenirs, etc. On a besoin des autres pour rester nous-mêmes,
pour être celui qu’on est –pour le meilleur,
cf. amnésie, mais aussi, pour le pire, cf. crimes commis
dans des états seconds qu’on aurait complètement
oublié (folie, alcool, etc.). Sorte de devoir de mémoire
: nous nous souvenons avec et pour les autres.
Cf.
Film de M. Gondry, Lost eternal sunshine of the spotless
mind.
Les
2 héros du film, le Coeur brisé par l’échec
de leur chagrin d’amour, se rendent chacun de leur
côté dans un labo, Lacuna Inc., où des
neurotechniciens s’appliquent à éradiquer
tout souvenir de leur relation ratée.
Problème
: les tentatives d’effacement de ce souvenir se heurte
à plusieurs difficultés :
• Pour que cette histoire d’amour s’efface,
il faudrait aussi supprimer les voisins d’immeuble,
les amis, etc.
• Les souvenirs qu’on veut effacés se
mêlent à d’autres souvenirs (effets secondaires
graves : nous risquons de perdre notre personne, notre identité
personnelle, avec les souvenirs douloureux que nous aimerions
parfois effacer…) |
Bilan
de B : on a donc vu que la conscience est quelque chose
de très complexe, et qu’elle n’est sans doute
par conséquent qu’humaine…
C- Descartes : l’essence de la conscience résiderait
dans la pensée (le cogito)
1)
du malin génie au cogito : dès que je pense, et
au moment où j’y pense, j’ai en même
temps et nécessairement conscience d’exister. Penser
c’est être.
2)
je suis une chose qui pense (ou : une « substance »
pensante)
3)
la transparence à soi de la conscience (privilège
des états de conscience)
Conséquence
: nous sommes alors transparents à nous-mêmes, tout
ce qui est actuellement en nous ne peut nous échapper,
être ignoré de nous, passer inaperçu.
Descartes,
Principes de la philosophie, article 9
Par
le mot de penser, j’entends tout ce qui se fait en
nous de telle sorte que nous l’apercevons immédiatement
(en latin, conscience) par nous-mêmes ; c’est
pourquoi non seulement entendre, vouloir, imaginer, mais
aussi sentir, est la même chose ici que penser.
Réponses aux sixièmes objections :
Il
n’y a aucune pensée de laquelle, dans le moment
qu’elle est en nous, n’ayons une actuelle connaissance. |
Pour D. la conscience est avant tout pensée, et qui dit
pensée, dit pensée réflexive : penser c’est
savoir qu’on pense. Ie : penser c’est en même
temps se rendre compte qu’on pense, et avoir soi-même
pour objet. La conscience, identique à la pensée,
est donc le domaine de l’intériorité. C’est
ma vie intérieure.
La
conscience est le domaine de la certitude. Certitude d’être,
d’exister, et certitude d’être ce que je pense
être. Penser être quelque chose = être cette
chose. Cela signifie la possibilité de se connaître
soi-même. Au moment où j’ai conscience de quoi
que ce soit en moi, je ne peux douter que ce soit faux.
Bilan
: L’être conscient est un être qui a à
la fois un rapport au monde et à soi, et qui ne peut avoir
de rapport au monde que parce qu’il a un rapport à
soi. C’est ce qui s’appelle être un sujet (NB
: on distingue en général la chose de l’objet
en disant qu’une chose dont on a conscience est un objet
: l’objet c’est ce qui existe pour un sujet)
II-
Avoir conscience de soi fait-il de l’homme un être
« digne » ? Misère ou grandeur de l’homme
?
On
montrera en quoi la conscience de soi dont est doté l’homme,
le met à part des autres animaux : cf. morale, liberté
(Sartre) –mais en même temps cela fait de l’homme
un être « double », toujours en avant de lui-même,
hors de lui-même (cf. sens du terme « exister »
qui s’oppose à « vivre »). Cf. Pascal
!
Avoir
conscience de soi c’est être capable d’agir
moralement, c’est être libre ; mais aussi, paradoxalement,
notre grandeur fait aussi notre misère, ou, en tout cas,
notre ambiguïté
A-
La grandeur de l’homme
1)
capacité d’agir moralement
Cf.
conséquence du texte de Locke si on n’a pas conscience
de ses actes, si on ne les assume pas, on ne peut être une
personne juridique. C’est donc la conscience de soi-même
qui fait de nous des êtres à part au sein de la nature,
car capables de moralité.
Cela
peut avoir des conséquences morales très graves
: si à chaque moment on est différent, une personne
différente, alors, de quel droit me condamner si j'ai perpétué
un crime? Il n'y a même pas de "je", de "moi",
qui permette de dire que c'est "moi" …
2)
Sartre (l’existentialisme) : la conscience est liberté
Sartre
: né en 1905. Mort en 1980. Fondateur de l’existentialisme.
Philosophie de la liberté absolue de l’homme. Liberté
absolue qui pour autant nous rend responsables. (Liberté
: pas caprice !). De nous-mêmes, de ce que nous sommes,
de notre caractère, etc.
Sartre,
L'existentialisme est un humanisme, pp. 16- et 22-23 :
"l'existence précède l'essence, ou,
si vous voulez, il faut partir de la subjectivité.
Que faut-il entendre au juste par là? Lorsqu'on
considère un objet fabriqué, comme par exemple
un livre ou un coupe-papier, cet objet a été
fabriqué par un artisan qui s'est inspiré
d'un concept; il s'est référé au
concept de coupe-papier, et également à
une technique de production préalable qui fait
partie du concept, et qui est au fond une recette. Ainsi,
le coupe-papier est à la fois un objet qui se produit
d'une certaine manière et qui, d'autre part, a
une utilité définie, et on ne peut pas supposer
un homme qui produirait un coupe-papier sans savoir à
quoi l'objet va servir. Nous dirons donc que, pour le
coupe-papier, l'essence -c'est-à-dire l'ensemble
des recettes et des qualités qui permettent de
le produire et de le définir- précède
l'existence; et ainsi la présence, en face de moi,
de tel coupe-papier ou de tel livre est déterminée.
(…) Lorsque nous concevons un Dieu créateur,
ce Dieu est assimilé la plupart du temps à
un artisan supérieur; (…)le concept d'homme,
dans l'esprit de Dieu, est assimilable au concept de coupe-papier
dans l'esprit de l'industriel; et Dieu produit l'homme
suivant des techniques et une conception, exactement comme
l'artisan fabrique un coupe-papier suivant une définition
et une technique. Ainsi l'homme individuel réalise
un certain concept qui est dans l'entendement divin. Au
18e siècle, dans l'athéisme des philosophes,
la notion de Dieu est supprimée, mais non pas pour
autant l'idée que l'essence précède
l'existence. (…) L'homme est possesseur d'une nature
humaine; cette nature humaine, qui est le concept humain,
se retrouve chez tous les hommes, ce qui signifie que
chaque homme est un exemple particulier d'un concept universel,
l'homme (…). L'existentialistme athée, que
je représente, est plus cohérent. Il déclare
que si Dieu n'existe pas, il y a au moins un être
chez qui l'existence précède l'essence,
un être qui existe avant de pouvoir être défini
par aucun concept et que cet être c'est l'homme,
ou, comme le dit Heidegger, la réalité humaine.
Qu'est-ce que signifie ici que l'existence précède
l'essence? Cela signifie que l'homme existe d'abord, se
rencontre, surgit dans le monde, et qu'il se définit
après. (…)
|
L'homme
n'est rien d'autre que ce qu'il se fait. Tel est le premier principe
de l'existentialisme. C'est aussi ce qu'on appelle la subjectivité,
et que l'on nous reproche sous ce nom même. Mais que voulons-nous
dire par là, sinon que l'homme a une plus grande dignité
que la pierre ou que la table? Car nous voulons dire que l'homme
existe d'abord, c'est-à-dire que l'homme est d'abord ce
qui se jette vers un avenir, et ce qui est conscient de se jeter
vers l'avenir. L'homme est d'abord un projet qui se vit subjectivement,
au lieu d'être une mousse, une pourriture ou un chou-fleur;
rien n'existe préalablement à ce projet; rien n'est
au ciel intelligible, et l'homme sera d'abord ce qu'il aura projeté
d'être. (…) si vraiment l'existence précède
l'essence, l'homme est responsable de ce qu'il est. Ainsi, la
première démarche de l'existentialisme est de mettre
tout homme en possession de ce qu'il est et de faire reposer sur
lui la responsabilité totale de son existence.
Dans
l’Etre et le néant, il oppose l’homme
aux choses grâce à la conscience, qui va être
assimilée à la liberté.
a)
L’en soi et le pour soi (être et exister)
La
conscience n’est pas une chose, c’est une non-chose
ou un non-être. D’où le titre : l’Etre
et le néant. L’être renvoie aux choses et le
néant à l’homme. Il va également appeler
les choses des « en soi », et les hommes, des «
pour soi ».
Sartre,
Situations I
Husserl ne se lasse pas d’affirmer qu’on ne
peut pas dissoudre les choses dans la conscience. Vous
voyez cet arbre-ci, soit. Mais vous le voyez à
l’endroit même où il est : au bord
de la route, au milieu de la poussière, seul et
tordu sous la chaleur, à vingt lieues de la côte
méditerranéenne. Il ne saurait entrer dans
votre conscience, car il n’est pas de même
nature qu’elle. (..) Connaître, s’est
« s’éclater vers », s’arracher
à la moite intimité gastrique pour aller,
là-bas, par-delà soi, vers ce qui n’est
pas soi, là-bas, près de l’arbre et
cependant hors de lui, car il m’échappe et
me repousse et je ne peux pas plus me perdre en lui qu’il
ne peut se diluer en moi : hors de lui, hors de moi. (…)
Du même coup, la conscience s’est purifiée,
elle est claire comme un grand vent, il n’y a plus
rien en elle, sauf un mouvement pour se fuir, un glissement
hors de soi ; si par impossible vous entriez « dans
» une conscience vous seriez saisi par un tourbillon
et rejeté au dehors, près de l’arbre,
en pleine poussière, car la conscience n’a
pas de « dedans », elle n’est rien que
le dehors d’elle-même et c’est cette
fuite absolue, ce refus d’être substance qui
la constituent comme conscience. Etre, dit Heidegger,
c’est être-dans-le-monde. Comprenez cet «
être-dans » au sens de mouvement. Etre, c’est
éclater dans le monde, c’est partir d’un
néant de monde et de conscience pour soudain s’éclater-conscience-dans-le-monde.
Cette nécessité pour la conscience d’exister
comme conscience d’autre chose que soi, Husserl
la nomme intentionnalité.
|
On
voit dans ce texte que c’est en réfléchissant
sur une caractéristique de la conscience que nous avons
déjà rencontrée que Sartre en arrive à
assimiler conscience et liberté. En effet, rappelons-le
: la conscience est une relation entre l’homme et le monde.
Notons d’ailleurs que cette caractéristique fondamentale
de la conscience se nomme l’intentionnalité (terme
qui vient de Husserl : « toute conscience est conscience
de quelque chose »). Ie : toujours rapport à autre
chose qu’elle-même, toujours au-delà, en avant,
de soi. La caractéristique de la conscience est que la
conscience n’est pas un objet, une substance, mais le néant
qui gît au cœur de l’homme : un grand vent, un
mouvement, une fuite vers le monde. Etre un néant, pour
la conscience, veut dire qu’elle n’est rien, elle
n’est qu’un mouvement pour se fuir, elle est toujours
autre chose qu’elle-même puisqu’elle est conscience
de quelque chose. « La conscience est l’être
qui est ce qu’il n’est pas, et qui n’est pas
ce qu’il est ».
Cette
caractéristique est ce que Sartre, par opposition à
l’en soi appelle le pour soi.
-
la conscience est pour soi : cela veut dire qu’elle n’est
pas fermée au monde extérieur, mais au contraire,
constamment ouverte à autre chose qu’elle-même.
Elle est ouverture, elle est visée. La conscience n’existe
que dans son rapport à autre chose qu’elle-même
(ex = hors de ; sistere = être). La conscience est toujours
hors d’elle-même. L’homme est un être
en devenir, toujours au-delà de lui-même…
-
la chose, elle, est un être parce qu’elle est ce qu’elle
est ce qu’elle est, point. Elle est un « en soi ».
Fermée au monde extérieur. L’en soi n’a
besoin que de lui pour exister.
Ca
signifie que la conscience nous arrache aux choses, nous empêche
d’être… Nous ne sommes pas, nous existons.
b)
Pourquoi cela nous rend-il libres ?
Parce
que cela signifie que l’homme a à être tout
ce qu’il « est » : il n’ « est »
pas, il n’ « est » rien à proprement
parler (cf. « néant). Si nous ne sommes pas des choses,
nous avons à nous faire nous-mêmes, à nous
construire nous-mêmes.
B-
La misère de l’homme
1)
Conséquences de la thèse de Sartre : nous sommes
condamnés à être libres alors ! (cf. la
mauvaise foi)
La
liberté est un lourd fardeau, nous sommes condamnés
à être libres, nous sommes responsables de ce que
nous sommes…
Par
conséquent, la liberté, le néant que nous
sommes, nous angoisse, et nous voulons souvent devenir des choses.
Nous voudrions pouvoir nous définir.
C’est ce que Sartre appelle la mauvaise foi :