Plan
Corrigé
La question de savoir « pourquoi l’optimiste est dit incorrigible » nous interroge sur la raison d’être d’un fait, ou plutôt, d’une expression habituelle. On ne doit pas se demander si l’optimiste est ou non incorrigible. Demander pourquoi il est dit incorrigible c’est présupposer déjà, en effet, que l’optimiste est dit être incorrigible. Ce n’est pas à proprement parler, toutefois, dire qu’il l’est, puisqu’il sera dit incorrigible : ce n’est pas tout à fait la même chose. Nous devons donc chercher s’il est dit incorrigible pour de bonnes ou de mauvaises raisons : qu’est-ce qui nous fait dire que l’optimiste est incorrigible ? Il faut préciser que le terme d’ »incorrigible », dans cette expression dont nous devons ici rendre compte, donner la raison, connote à la fois une faute morale et peut-être une erreur épistémologique. En ce sens, si l’optimiste sera dit incorrigible, ce serait déjà présupposer que l’optimiste commet à la fois une faute morale (il faudrait alors le corriger du fait qu’il est dangereux ou néfaste moralement et socialement) et/ ou parce qu’il commet une erreur fondamentale (point de vue, ici, épistémologique).
Il nous semble donc que pour pouvoir chercher pourquoi l’optimiste est dit, que ce soit par le sens commun ou par le philosophe, incorrigible, il nous faut avant tout nous attacher à comprendre les présupposés de cette attitude : ie, à la fois que l’optimiste est blâmable, et qu’être optimiste est une attitude erronée, exagérée, et peut-être même dangereuse. Les raisons pour lesquelles nous envisageons l’optimiste négativement, nous aideront à comprendre pourquoi il est dit incorrigible, et surtout, quel est l’enjeu de l’échec à le corriger –selon notre réponse, la nature même de l’attitude qui consiste à être optimiste, recevra une réponse différente.
I- QU’EST-CE QU’UN OPTIMISTE ?
C’est quelqu’un, d’abord, au niveau de la vie courante, qui est naturellement disposée à être content de tout. Tout ce qui arrive est pour lui, par définition, « bien », même si c’est une souffrance, qu’elle m’arrive à moi ou à un autre. L’optimiste, c’est celui pour qui « tout est bien dans le meilleur des mondes », comme le dit Pangloss dans le Candide de Voltaire –qui s’attache à railler l’optimisme.
Si on a une telle attitude, c’est en général en raison du fait qu’on croit que le monde est ordonné, que les parties ne peuvent rien dire sur le tout.
D’ailleurs, en philosophie, l’optimiste est celui qui adhère au système optimiste selon lequel tout est beau et bien et bon dans le meilleur des mondes.
On devine tout de suite pourquoi l’optimiste constitue une figure dangereuse : c’est qu’il peut, par exemple au niveau politique, s’opposer à toute réforme. Par exemple, le libéraliste est un optimiste, il croit que le marché s’auto-régule tout seul, et que donc, tout va finir par s’arranger sans qu’on ait besoin d’intervenir : il faut laisser-faire… Ou encore, l’optimiste pourra laisser être la souffrance du malheureux, puisqu’il ne peut qu’être content de ce qui arrive : cf. les stoïciens qui se réjouissent de la torture. Cela, évidemment, parce que l’univers est un tout, et au niveau du tout, la souffrance s’annule, ou bien lui profite, etc.
On comprend donc que le fait que l’optimiste soit considéré comme incorrigible, signifie à la fois le blâme, l’inquiétude ; et que chercher les raisons pour lesquelles il est dit incorrigible pourra nous mener peut-être à voir les « rouages » de l’attitude optimiste.
Si on le dit incorrigible, est-ce parce qu’être optimiste relève de l’irrationnel, et est par définition inaccessible à toute argumentation ? Ou bien est-ce parce qu’il est dogmatique, inattaquable, irréfutable ?
II- SI L’OPTIMISTE EST DIT INCORRIGIBLE, NE SERAIT-CE PAS PARCE QU’IL EST PROFONDEMENT PERSUADE QUE TOUT EST BEAU ET BIEN DANS LE MEILLEUR DES MONDES POSSIBLES ?
Dès lors, son attitude étant de l’ordre de la foi, il ne pourra être atteint par rien d’extérieur à cette foi.
Si l’attitude de l’optimiste se bornait à être de l’ordre de l’erreur, d’une faute de raisonnement, on peut en effet considérer qu’il serait tout à fait incorrigible. Par exemple, je peux facilement corriger celui qui s’est trompé quand il a fait une fausse démonstration mathématique, ou une erreur de jugement ou de perception. S’il a fait une fausse démonstration mathématique, je lui montrerai son erreur dans le raisonnement, et il sera corrigé ; son erreur sera rectifiée. S’il a fait une erreur de jugement ou de perception, soit je lui montre que son jugement est contradictoire avec par exemple une théorie scientifique, ou alors, ce qui est, dans le cas de la perception (exemple : un bâton plongé dans l’eau).
C’est donc bien que si l’optimiste est dit incorrigible, c’est que par définition, son attitude est d’un autre ordre que tout ce qui est apte à être vérifiée et rectifié par une argumentation, une démonstration, etc. Bref : l’optimiste ne serait-il pas alors un aveugle, un passionné ? Son attitude ne serait-elle pas de l’ordre de la foi, de la conviction ? C’est en tout cas ce qui semblerait pouvoir rendre compte du fait qu’il est dit être incorrigible.
Considérons le personnage de Pangloss, dont Voltaire se sert, dans Candide ou de l’optimisme, pour réfuter, de façon ironique, l’optimisme philosophique de Leibniz. Pourquoi nous apparaît-il être incorrigible ? Ou qu’est-ce qui nous fait dire qu’il l’est ? C’est que, s’il se réjouit de tout ce qui arrive, que cet événement soit un tremblement de terre ou un autodafé, son attitude nous paraît, vue de l’extérieur, ie, d’un point de vue non optimiste, absurde et irrationnelle. En effet, n’est-il pas exagéré et même immoral de se réjouir d’une torture, d’un massacre, de la souffrance des innocents ? Il faut bien rendre compte d’une telle attitude en disant qu’il n’a pas raison !
De plus, comment corriger, ie, rectifier cette « erreur de jugement », cet aveuglement devant la qualité réelle des faits, cette quasi indécence, même, puisque l’optimiste semble littéralement être un fou –qui d’autre oserait et pourrait s’exclamer devant le caractère monstrueux des choses ?
Il semble que l’on n’ait aucun moyen de pouvoir « atteindre » l’optimiste au cœur de ce qui fait réagir de telle façon devant n’importe quel événement que ce soit.
Ne serait-ce pas du fait que si l’optimiste est toujours content de tout événement, c’est parce qu’il est convaincu et cela, profondément, que le monde, dans son ensemble, est bel et bon ? Ce pourquoi l’optimiste se réjouit (d’avance), ce qui fait que l’optimiste ne doute jamais de l’issue heureuse de tout événement, de même, c’est donc ce qui fait qu’il est dit incorrigible –et aussi qu’il l’est véritablement !
En effet, si l’optimiste trouve que tout est beau, et croit que tout va l’être à l’avenir, c’est parce qu’il a confiance dans le cours des événements, ie, qu’il voit les choses, la vie en général, à travers une certaine vision du monde. Pour la même raison le pessimiste sera d’ailleurs, sans doute, dit incorrigible : car ce qui fait qu’on est content de tout ce qui arrive ou bien qu’on en est mécontent, c’est que l’on croit que le monde est un bel ordre, envisagé comme un tout, ou au contraire qu’il est par définition un non-ordre, un chaos.
Si les stoïciens, qu’on peut évidemment qualifier d’optimistes, érigent un système pour « prouver » en quelque sorte le bien-fondé de leur vision du monde, on peut dire, toutefois, que la vision du monde est toujours le fruit d’une conviction, que c’est une question de foi.
Exemple. Quand Marc-Aurèle, dans le chapitre 2 du livre III des Pensées, se réjouit des crevasses qu’il y a dans le pain, et du caractère irrégulier des choses en général, ainsi que de la « gueule béante des fauves », de la vieillesse, etc., on peut dire que ce qui fait qu’il est content de tout, c’est d’abord parce qu’il est persuadé de l’harmonie de toutes choses. Ie, que si on sait dépasser les apparences et replacer les parties dans le tout, qui est ordre, raison, cosmos, alors, on ne peut que dire et constater que tout est pour le mieux.
Le sage stoïcien en général est content de tout ce qui arrive, du fait qu’il croit à l’ordre général du monde et qu’il croit que les parties prises à part ne veulent rien dire. En fait il faut même dire qu’il croit profondément, tout simplement, que l’optimisme est la seule attitude rationnelle à avoir devant la vie.
On aura donc beau essayer de lui montrer que son attitude est néfaste, dangereuse, qu’elle peut empêcher toute réforme de l’humanité, par toutes sortes d’arguments, on ne pourra le convaincre : en effet, s’il est incorrigible, et si donc on a raison de le dire tel, c’est que son attitude est de l’ordre de la persuasion, de la foi, le fruit, même, d’une émotion devant la vie dans son ensemble. L’optimiste ne se réjouit pas à proprement parler de la souffrance quand il est content devant un tremblement de terre mais de la vie en général, dans son ensemble. Sa foi est telle que la raison ne peut intervenir pour essayer de la rectifier. On dira donc que si on dit l’optimiste incorrigible, c’est parce que son attitude devant la vie est profondément enracinée en lui, qu’elle n’a pas de « raison » à proprement parler ; si bien que son attitude appartient à un domaine qui, par définition, est inaccessible à toute rectification.
II- MAIS SI ON DIT L’OPTIMISTE INCORRIGIBLE, NE SERAIT-CE PAS AUSSI DU FAIT QUE SON ATTITUDE EST TROP GLOBALE ET PAR CONSEQUENT IRREFUTABLE, INATTAQUABLE ?
Ie, ne serait-on pas tout simplement en présence d’une attitude dogmatique, qui refuse par définition toute critique venue de l’extérieur, et par définition demeure, de nouveau, mais pour une autre raison, tout à fait inaccessible à une correction possible ?
En effet, revenons au début de notre première analyse. Nous avons dit alors que si l’optimisme était seulement une erreur de jugement, alors, il serait corrigible. Et nous en avons déduit d’abord que ce n’est pas par des arguments, démonstrations, etc., qu’on peut corriger l’optimiste ; et ensuite, que ce qui fait qu’il est incorrigible, c’est que son attitude est de l’ordre de la persuasion, de la foi –en l’occurrence, elle vient de la foi dans l’ordre et l’harmonie globale du monde. Si nous avons envisagé cette explication possible du fait dont nous avons à rendre compte d’un point de vue subjectif, et en quelque sorte, passionnel, nous allons maintenant l’envisager d’un point de vue plutôt épistémologique.
De nouveau, il apparaît, de ce point de vue, que si l’optimiste est dit incorrigible, c’est bien parce qu’il a foi dans l’ordre général du monde, mais nous devons donner une autre raison de cette cause. En effet :
D’abord, le fait que ce qui explique son attitude soit une telle vision globale du monde, explique que l’optimiste, même quand il construit des systèmes, ou quand il argumente pour étayer son attitude, ne peut être « attaqué ». Arguer de l’ordre général du monde est une thèse tellement globale, qu’on ne voit pas comment, ie, où, repérer les erreurs éventuelles. Et même, surtout, ce qui pourrait bien être une réfutation.
En fait, il n’y a pas, ici, de réfutation possible. On peut même dire que tout est fait pour qu’elle ne soit pas possible. Cf. Popper et la critique de l’inconscient (cours inconscient, troisième partie). Dire que celui qui ne se contente pas de n’importe quel événement est dans l’erreur, s’appuie en effet, chez un optimiste, sur le « fait » qu’il ne sait pas comment juger correctement des choses, que l’objecteur ne voit les choses (« le spectacle de la nature ») que d’un point de vue particulier, alors qu’il faudrait pouvoir avoir sur elles un point de vue global, celui de Dieu.
On voit bien que, du fait de cette globalité, l’attitude de l’optimiste est intouchable. Jamais on ne pourra lui objecter quoi que ce soit : il est donc bien incorrigible.
Ici, on pourrait nous dire qu’après tout, il n’en est pas autrement de n’importe quelle théorie scientifique. Cf. Duhem, Théorie physique, chapitre 6. Dans ce chapitre, en effet, Duhem montre qu’une expérience de physique ne peut jamais condamner une hypothèse isolée. Car la théorie physique est un ensemble, un corps organisé (on ne peut donc, dit-il, la traiter comme une machine qui se laisserait démonter pièce par pièce.
Mais en fait, il en est tout autrement dans le cas de l’optimiste. En effet, les théories scientifiques sont, tout de même, corrigibles. Puisqu’elles renvoient à l’expérience. Ainsi ce qu’on ne sait pas, quand une expérience « réfute » ou va contre une théorie, c’est ce qui est exactement refuté. Mais on sait, et on accepte, que quelque chose ne va pas quelque part.
On nous objectera encore que les scientifiques, dans ce cas, ont toute latitude pour changer ce qu’ils veulent, et surtout que dans la pratique ils vont chercher pendant longtemps à ajouter des hypothèses ad hoc. Exemple : l’éther ; la science normale (Kuhn).
Mais, toujours, l’objection ne tient pas, puisqu’il y a bien un moment où on est obligé d’abdiquer devant des faits récalcitrants, et de plus, la science fonctionne, etc.
Dans le cas de l’optimiste, on peut dire que rien, dans ce qu’il dit, ou fait, ne renvoie à l’expérience. Par définition, il ne pourra jamais rien apprendre de l’expérience. En effet, revenons à l’exemple dans lequel nous avons dit que l’optimiste est « content » quoi qu’il arrive, ie, même, comme le parodie Voltaire, devant un tremblement de terre. Comment ne peut-on pas ici constater que tout dans le monde corroborera, quoi qu’il arrive, la conviction de l’optimiste ? On ne peut, nous l’avons vu, arguer contre lui des « événements » comme la souffrance, la misère, etc. puisqu’il nous objectera toujours que nous en restons aux apparences et en sommes donc victimes. Que nous jugeons des parties sans les replacer dans le tout. Bref, on ne peut rien objecter à l’optimiste, et tout ce qui arrive pourra par définition toujours lui servir d’argument favorable.
L’optimiste aura donc toujours réponse à tout, et rien ne peut l’atteindre. Jamais il ne pourra donc être corrigé –de plus, qui nous dit, après tout, qu’il n’est pas dans le vrai ? Nous sommes vraiment ici en présence de ces questions à jamais indécidables –comme peut l’être par exemple celle de savoir si l’homme est bon ou mauvais. Cf. Hume, Enquête, section IX.
CONCLUSION
En
conclusion, nous dirons donc que si l’optimiste est dit
incorrigible, c’est parce que, tout simplement, il l’est.
Et cela, à la fois du fait que l’optimiste a une
attitude qui est de l’ordre de la foi, de la conviction
profonde, et est dès lors inaccessible à toute entreprise
rationnelle de déracinement ; et aussi parce qu’elle
est finalement, aussi, de l’ordre du dogme (il aura toujours
réponse à tout, et refuse par avance toute «
preuve » contraire).
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