Plan
Corrigé
Les termes du sujet
Objet :
- un contenu;
- quelque chose de réel, de tangible;
- mais aussi (sens plus philosophique), ce qui s'oppose au sujet (il n'y a d'objet que pour un sujet pensant)
Pensée de la mort : est-ce penser à la mort en général ? à ma mort ? est-ce penser au sens de l'existence en général ?
Questionnement
Est-ce que la pensée de la mort a un contenu, ou bien est-elle vide de sens ? S'agit-il, quand on pense à la mort, de penser à quelque chose de bien spécifique, "la mort" ? La mort est-elle un "objet" comme les autres, et se pense-t-elle ? Ou bien la mort échappe-t-elle à toute pensée (ie : à une conceptualisation, si penser, c'est conceptualiser) ? A quoi pense-t-on quand on pense à la mort : à la mort, ou bien à autre chose ? (comment donc, donner un sens à la pensée de la mort : c'est tout le problème que pose ce sujet)
La mort peut-elle être objectifiée ? Est-ce que la mort, c'est seulement une réalité biologique ? Dans ce cas, la mort, ce serait par exemple l'état de cadavre, le corps qui ne vit plus (cf. Epicure). Mais la mort, n'est-ce pas une idée, plus qu'une "réalité" tangible ? Idée de quoi ? Cette idée a-t-elle un contenu ? Peut-on penser clairement la mort, ie, lui donner un contenu précis ? Si non, pourquoi ?
Le problème c'est que penser à la mort c'est toujours penser à la mienne (mais cela, à travers la mort des autres : véritable cercle vicieux) ; or, la mort, je ne la vis par définition jamais, du moins en tant que telle. cf. Epicure (mort = rien donc pas d'objet) et Heidegger (mort = toujours celle des autres : "on" meurt = donc, si penser à la mort c'est penser à ma mort, elle n'a pas d'objet; de plus chez Heidegger, deuxième sens du mot "objet" : la mort ne peut être érigée en objet; elle participe du sens de l'existence, etc. ; cf. également Sartre, Jankélévitch).
NB : vous pouvez donc ici faire deux parties différentes, qui progresseraient du "rien" au "néant", ce qui n'est pas la même chose. Epicure le dit au "pied de la lettre", Heidegger lui donne un sens existentiel. Epicure montre en fait qu'il ne peut y avoir d'intuition sensible de la mort. Mais sa pensée de la mort (!) n'est pas convaincante, car je pense qu'il est faux que la mort ne soit rien pour nous (puisque nous y pensons toujours) ! Ce qui est plus pertinent, c'est de montrer le paradoxe de la conscience : la mort est toujours conscience de la mort, elle est toujours pour une conscience; mais elle est pourtant abolition de cette conscience, et de toute conscience. Jamais je ne pourrais en avoir conscience en tant que telle.... (cf. Jankélévitch, dont vous trouverez des extraits après la bibliographie).
Attention : il faut "ruser" pour ne pas dévier du sujet : le sujet ne demande pas si la mort est un objet; mais se demander si la pensée de la mort a un objet, peut mener à se poser cette question!
Mais pourtant, elle participe bien du vécu de chacun car nous en avons conscience, elle fait souvent obstacle à nos projets, etc. En ce sens, elle a bien un objet. Cf. contenu, sens. Elle ne porte pas sur "rien"....
Bibliographie
Epicure, Lettre à ménécée
Heidegger, Etre et temps, §§ 46 à 53, Tel Gallimard (l'angoisse)
Jankélévitch, La mort, Champs Flammarion
Extraits de La mort, de Jankélévitch (1977)
" La mort est à peine pensable : dans ce concept d’une totale nihilisation, on ne trouve rien où se prendre, aucune prise à laquelle l’entendement puisse s’accrocher. La " pensée " du rien est un rien de la pensée, le néant de l’objet annihilant le sujet : pas plus qu’on ne voit une absence, on ne pense un rien ; en sorte que penser le rien, c’est ne penser à rien, et c’est donc ne pas penser. La pseudo-pensée de la mort n’est qu’une variété de somnolence. "
Dès lors, problème : en quoi peut bien consister la " méditation de la mort " que l’on trouve chez les sages de l’Antiquité ? Le sage ne penserait-il alors à rien du tout, puisqu’il n’y a rien à penser sur la mort ? ?
Disons que ce n’est pas une pensée claire, puisque sans matière, mais une pensée naissante et toujours inachevée, une sorte de rêverie. Telle musique ou telle poésie va éveiller en nous une sorte de mélancolie, mais on ne sait au juste à quoi on pense –il n’y a rien là à penser.
Deux solutions possibles : faute de penser la mort,
" L’indicibilité tient évidemment au caractère vague, confus et diffus, à l’indétermination même de l’événement qui écourte notre temps vital. (…) Le caractère évasif de la finitude mortelle est comme un défi au logos, si la vocation du logos est de déterminer et de préciser. "
" non seulement il est impossible d’en donner l’idée à un autre, mais il est avant tout impossible d’en avoir la moindre idée soi-même ; la mort n’est pas à proprement parler une expérience que je désespérerais de vous transmettre : elle est bien plutôt ce que personne n’a jamais éprouvé, ce dont personne n’a jamais goûté la saveur, ni a fortiori ne peut imaginer la tonalité qualitative. (…) personne ne détient le secret de la mort. "
" On sait que la mort arrivera, mais comme on ne sait pas ce qu’est la mort, on ne sait pas, en somme, ce qui arrivera ; et de même qu’on ne sait pas quand, on ne sait pas non plus en quoi consiste ce qui va arriver, ni davantage si ce qui va arriver " consiste " en quelque chose (…) le fait de la mort est certain, mais il s’en faut de beaucoup qu’il soit clair … "
" Non, d’aucune façon l’instant mortel n’est objet de connaissance ni matière à spéculation ou à raisonnement ; d’aucune manière la simultanéité fulgurante, qui est contemporanéité resserrée aux dimensions de l’instant, et finalement annulée, n’est vécue dans une expérience psychologique et consciente –puisque toute conscience est soit anticipatrice soit retardataire ; d’aucune manière la coupe instantanée de la mort n’est une chose, Res, car si elle était " quelque chose ", sa masse serait objet de vision ou de discours ; mais elle ne serait plus l’instant ."
" La mort () n’est pas un objet comme les autres : c’est un objet qui, étranglant l’être pensant, met fin et coupe court à l’exercice de la pensée. La mort se retourne contre la conscience de mourir ! (…) le plus grand sage du monde, frappé d’une attaque d’apoplexie, cesse pour toujours de penser. Comment la sagesse des sages peut-elle dépendre d’un transport au cerveau ? (…) la pensée prend conscience de la mort, et, par cet acte, la survole ;mais, étant elle-même la pensée immortelle d’un être pensant mortel, elle perd cette position dominante, et elle est à son tour maîtrisée par ce qu’elle maîtrise ou (avec d’autres métaphores) englobée par ce qu’elle englobe ; la conscience de la mort est elle-même enveloppée de mort, immergée dans la mort ; dans la mort elle se meut ; elle vit dans la mort. L’homme transcende la mort, et en même temps il reste intérieur à cette mort ; il est à la fois dehors et dedans ; donc il est dedans ; dedans avant tout ! (…) L’être pensant (..) est finalement mortel. Et il est si bien englobé par sa mort que même quand il adopte sur elle une optique transcendante, c’est pour se voir vieillir : ce qui est vécu ne reste à vivre que dans l’illusoire présent de l’insouciance ; mais les insouciants meurent comme les soucieux, et plus tôt encore ! L’homme surconscient obéré par la mort a beau prendre conscience de la nécessité de mourir en général, il reste, devant sa propre mort, relativement inconscient. "
" Mystérieuse et pourtant problématique, la mort est le mystérieux problème auquel il manque toujours une détermination pour être vraiment objet de pensée ; ou ce qui revient au même : la mort est le mystère problématique dont nous prenons par la pensée inépuisablement conscience. La mort est " presque " intelligible, mais il y a en elle un je-ne-sais-quoi atmosphérique, un résidu irréductible qui suffit à la rendre insaisissable. L’insaisissable, l’inépuisable, l’insondable de la mort sollicitent en nous un besoin insatiable d’approfondir qui est en quelque sorte notre mauvaise conscience. Nous avons sur la mort l’optique du spectateur, et nous sommes pourtant plongés en elle comme dans un destin exclusif de toute perspective : le centre est partout et la circonférence nulle part. La mort est donc à la fois objective et tragique. Si la conscience était absolument soustraite à la mort, la mort serait un objet naturel d’expérience, un curieux objet, mais un objet, ou un concept pour notre réflexion, un objet entre autres, un concept parmi tant d’autres, un problème comme tous les autres. Mais la mort, en admettant même qu’elle ne nihilise pas la pensée, supprime l’existence personnelle et psychosomatique de l’être pensant. Cette abolition de toute la personne est le mystère englobant par excellence. "
" (l’homme) se sait mortel, mais à proprement parler il ne " sait " pas qu’il mourra. D’une part en tant que le mortel connaît en général sa mortalité, il englobe la mort par la conscience et il semble avoir barre sur cette mort ; et en tant qu’il ignore les déterminations circonstancielles de sa mort-propre, il est au dedans du destin, et l’événement futur garde vis-à-vis du condamné à mort l’avantage de l’initiative, le bénéfice de la surprise, la supériorité de la position dominante. "
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