Texte
Leibniz, Animadversiones (Remarques sur la partie générale des principes de Descartes), Trad. Schrecker in Opuscules philosophiques choisis, Vrin, 1962, pp. 20-21
Descartes a très bien signalé que la proposition : "je pense, donc je suis", est une des vérités premières. Mais il eût été convenable de ne pas négliger les autres vérités de même ordre. En général, on peut dire que toutes les vérités sont ou bien des vérités de fait, ou bien des vérités de raison. La première des vérités de raison est le principe de contradiction ou, ce qui revient au même, le principe d'identité, ainsi qu'Aristote l'a remarqué justement. Il y a autant de vérités de fait premières, qu'il y a de perceptions immédiates ou, si l'on peut ainsi dire, de consciences. Car je n'ai pas seulement conscience de mon moi pensant, mais aussi de mes pensées, et il n'est pas plus vrai ni plus certain que je pense, qu'il n'est vrai et certain que je pense telle ou telle chose. Aussi est-on en droit de rapporter toutes les vérités de fait premières à ces deux-ci : "Je pense", et "des choses diverses sont pensées par moi". D'où il suit non pas seulement que je suis, mais encore que je suis affecté de différentes manières. |
Corrigé
Introduction
Thème
: la conscience
Question à laquelle l'auteur répond : le cogito est-il
la première /seule certitude? Ou bien suis-je aussi certain
d'autre chose? A travers la conscience de moi-même, n'ai-je
pas aussi, immédiatement, conscience des choses?
Problème :
la
conscience est-elle pure intériorité? Ou n'est-elle
pas par définition rapport au monde extérieur, et
constituée par lui? -C'est un texte qui s'oppose donc à
l'idéalisme (problématique!) cartésien.
Plan :
1)
L. 1 à 3 : position du problème
2) l.3 à
11 : développement : énoncé des différentes
sortes de vérité, et ce que sont les vérités
premières dans chacune
3) l.11 à
15 : conclusion et thèse de l'auteur : élargissement
du cogito cartésien, et donc de la conscience elle-même
-Porte sur le cogito cartésien. Il n'est pas remis en cause : c'est un bon point de départ; mais il est reconnu insuffisant.
-"Une des vérités premières" : expliquer pourquoi (ie : expliquer rapidement le cogito)
- problème : pourquoi l' "une"? (oui, au sens où après il y a Dieu)
Il va ici montrer pourquoi le cogito est incomplet, en prenant pour point de départ l'analyse des vérités, plus précisément, ce qu'est la vérité en général.
1) - deux sortes de vérité : de fait; de raison; distinction classique au 17e, reprise d'Aristote :
a)
Vérités d'ordre logique, qui n'ont rien à
voir avec le réel mais avec la structure de notre pensée
ou de la raison. Par suite, vérités éternellement
vraies, car ne dépendent pas la réalité pour
être vraies.
Le contraire des vérités de raison est contradictoire
(cf. 2 et 2 font 4)
b)
Et vérités portant sur le monde (genre "tous
les corps sont pesants"). Peuvent être vraies aujourd'hui
et fausses demain car dépendent, pour être vraies,
du monde.
Le contraire d'une vérité de fait est possible ("Je
fais cours aujourd'hui à 17h00 dans la salle 13" est
une vérité de fait, car le contraire était
possible, et n'est donc pas contradictoire
2) Les vérités premières dans chacun de ces genres de vérité :
a) dans le premier genre, Leibniz dit qu'il n'y a qu'une vérité première : c'est le principe de contradiction (identité : "A est A"; "si A est A, il ne peut en même temps être non A")
b) dans le second, il est impossible qu'il n'y ait qu'une vérité première, cela découle de son concept même, de son domaine. C'est en effet en montrant sur quoi elle porte, que Leibniz pose cette thèse d'une multiplicité de fait premières - qui le conduit, on va le voir, à faire un drôle d'usage du terme de "conscience"
Thèse : vérités de fait premières : il y en a une multiplicité; autant en fait que de perceptions immédiates (qui sont assimilées à des consciences)
Explication : j'ai certes conscience de mon moi pensant mais aussi de mes pensées, ie, d'une variété de pensées
- Attention : Descartes l'a dit aussi : je n'ai conscience que de penser, d'être une chose pensante, d'avoir des pensées;
- Mais ce que veut dire Leibniz, c'est que s'il est indubitable que je pense, il l'est autant que je pense telle ou telle chose : Descartes ne rajouterait pas ça : ça, c'est incertain (cf. MG; rêve). J'ai des pensées, pour D = sûr et certain; quelque chose en dehors : non, peut-être pas.
Ca
veut dire qu'une conscience sans contenu, une pensée sans
objet, est impossible (d'où encore "les consciences"
: ce sont des pensées ou perceptions immédiates).
Mais plus encore, ça veut dire que ce contenu, cet objet
de nos pensées, est tout aussi certain que mes pensées
et que moi-même. Ou encore, saisi "en premier"
Conclusion : Leibniz transforme donc ici la portée du cogito
de Descartes, en en faisant, non plus la vérité rationnelle
première, mais une vérité de fait première,
à laquelle il adjoint aussitôt une autre : "il
y a une grande variété dans mes pensées"
Note : Pourquoi le cogito est-il de l'ordre des vérités de fait?
Car il porte sur quelque chose d'existant, dont on est immédiatement conscient, dont on a une perception immédiate. Et c'est une vérité première car c'est de nous-mêmes, de la conscience d'exister, que nous partons pour connaître le réel. C'est donc une vérité de base, sans laquelle nous ne pouvons pas connaître le réel (on en part : en cela c'est toujours une philo de la conscience/du sujet)
Cela mène à un élargissement du cogito cartésien, et de la conscience elle-même.
La formule exacte et complète du cogito est :
Prémisses
: "Je pense" et "des choses diverses sont pensées
par moi";
Conclusion : "je suis" et "je suis affecté
de différentes manières"
Donc : le monde extérieur m'est donné immédiatement dans le cogito, avec la conscience. Et : le moi n'est pas quelque chose d'abstrait, il se donne avec des qualités.
Explicitation.
Pour
Descartes :
(1) le cogito seul est vérité première (la
variété des pensées n'étant exploitée
pour prouver le monde extérieur qu'à la fin des Méditations)
(2) la variété n'intervient alors qu'après
le sentiment de contrainte
Pour Leibniz :
Il y a deux vérités générales et premières qui parlent de l'existence des choses :
(1)
nous pensons
(2) il y a une grande variété dans nos pensées;
et c'est cette deuxième vérité (de fait) première
qui est négligée par Descartes.
(3) Or, de celle-ci (=variété), il s'ensuit qu'il
y a, hors de moi qui pense, autre chose que moi (cf. "je suis
affecté" : renvoie à autre chose que moi).
(4) en effet, cette variété de pensées ne saurait venir de ce qui pense, car une seule et même chose ne saurait être cause des changements qui sont en elle : la variété des pensées et leur variation exige comme cause une multiplicité agissant sur l'âme pensante, qui est une; la multiplicité est donc bien externe
Soit :
1) discussion sur le rapport que nous avons au monde extérieur, puisque la conséquence est que les vérités de fait ne sont pas nécessairement trompeuses
2) conscience comme intentionnalité
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