Plan
Introduction
I- La cité existe par nature :Aristote, Politique, Livre I, chapitre 2
A) Politiques, I, 2 : les causes de la cité
B- L'idée d'un bien commun
II- Le contrat social : le fondement de l'Etat ce n'est pas la nature mais la volonté
A) Hobbes : le pacte d'association (Léviathan)
B) Rousseau, Du contrat social (1762)
Annexe : Bodin, Les six livres de la République (1756)
Conclusion
Cours
Etat : société organisée, dotée d'un gouvernement, vivant selon des lois.
Ici, problème de philo politique (texte 1) : il s'agit de réfléchir sur les fondements de la politique. Quel est le fondement/la source de l'Etat?
"On me demandera si je suis prince ou législateur pour écrire sur la Politique? Je réponds que non, et que c'est pour cela que j'écris sur la Politique. Si j'étais prince ou législateur, je ne perdrais pas mon temps à dire ce qu'il faut faire; je le ferais, ou je me tairais". (Rousseau, Du contrat social, I, Préambule). Texte 1. |
I- La cité existe par nature :Aristote, Politique, Livre I, chapitre 2.
Aristote cherche ici quels sont les fondements de la vie politique. Pourquoi vit-on politiquement? D'où vient la cité?
Cf. texte n° 2 :
"Il est manifeste, à partir de cela, que la cité fait partie des choses naturelles, et que l'homme est par nature un animal politique, et que celui qui est hors cité, naturellement bien sûr et non par le hasard (des circonstances), est soit un être dégradé soit un être surhumain" (Aristote, Les Politiques, I, 2, 1253a2sq) Texte 2. |
Premier argument : La cité est naturelle. En effet, ce dont elle vient, ce dont elle est composée, est naturel (familles et villages).
la naturalité de la cité chez Aristote.
Rappel : Nous avons vu que chez Aristote, chaque être a une nature propre, ou une fonction propre; l'esclave : par nature ne peut délibérer mais peut travaller, etc. Par csqt, chacun a besoin de chacun pour accomplir ses désirs naturels : chaque communauté se forme donc parce que chacun a par nature des qualités particulières, une certaine nature. Il y a complémentarité de ces natures dans les associations de la famille et celle du village.
Au sommet, nous avons un autre de genre de communauté, la cité. Nous avons vu que méthode = génétique : donc, la cité est la totalité dont les autres communautés sont les parties. Elle les englobe. Si elle est naturelle, c'est donc au sens où elle est constituée de parties naturelles.
Rappel : Mais la cité n'est-elle naturelle qu'en ce sens? Sa différence spécifique par rapport aux autres communautés n'est-elle que d'être extensivement la plus englobante? Pour cela, il nous faut chercher quelle est sa fonction (fonction=nature)
a) Lire texte 3 (Pol I, 1, i)
"Puisque toute cité, nous le voyons, est une certaine communauté, et que toute communauté a été constituée en vue d'un certain bien (car c'est en vue de ce qui leur semble un bien que tous les hommes font ce qu'ils font), il est clair que toutes les communautés visent un certain bien et que, avant tout, c'est le bien suprême entre tous que vise celle qui est la plus éminente de toutes et qui contient toutes les autres. Or, c'est celle que l'on appelle la cité, c'est--à-dire la communauté politique." Aristote, Les politiques, I, 1, Texte 3. |
Elle vise, dit Aristote, le bien suprême. Qu'est ce bien suprême?
syllogisme ("raisonnement dans lequel, certaines choses étant posées, quelque chose d'autre en résulte nécessairement, du seul fait de ces données" -Premiers analytiques, I, 1) :
(1) toute cité est une communauté
(2) toute communauté est faite en vue d'un bien, et la communauté suprême vise un certain bien
(3) Or, la cité est la communauté suprême, parce qu'elle contient toutes les autres communautés (cf. fait que les autres communautés sont les parties dont est composée la cité)
(4) Donc, la cité vise le bien suprême.
Explication :
(1) communauté = suppose une fin commune visée par ses membres regroupés; c'est cette fin commune qui fait de cette pluralité des membres une unité (sentiment d'appartenir à un "nous"); mais communauté est le genre, la cité, une espèce. Diff spécifique = elle est politique; (Aristote montrera dans le ivre III, qui traite de la cause formelle, de l'essence, de la cité, que cette communauté suppose une constitution, le droit, la justice =les choses en commun supposent d'être régies par la justice? Mais ici il s'agit de la définir par sa fonction ou fin)
(2) Toute communauté est faite en vue d'un bien
-cf.principe : "c'est en vue de ce qui leur semble un bien que les hommes font ce qu'ils font ". (Ethique à Nico, I,5); (Eth à Nico, i,1 "tout art et toute investigation et pareillement toute action et tout choix tendent vers quelque bien").
-"bien" : pas le bien au sens moral (exemple : une association de malfaiteurs est constituée en vue d'un certain bien, l'enrichissement de leurs membres). On peut dire que "bien" est ici synonyme de "fin". Il peut être apparent ou réel, particulier ou général.
Mais pour Ar, toute action vise forcément une fin, elle est finalisée. Faire quelque chose, c'est chercher à obtenir quelque chose (un "bien")
-appliqué à communauté : normal puisque visée commune; c'est donc un "regroupement en vue de tel ou tel type de fin" (c'est compris dans la déf même d'une communauté)
(3) communauté extensivement la plus englobante
c'est la plus grande des communautés
(4) et qualitativement la plus englobante car vise "Bien suprême".
Ici, différence spécifique de la cité, communauté politique. Dans suprême, il y a une connotation de bien ou de fin au delà de laquelle il n'y en a plus d'autre : c'est donc le bien ou la fin la plus haute possible; plus haute au sens de meilleure, de ce qui est préférable. Synonyme : le "souverain bien". Chaque communauté supérieure dans la hiérarchie vise un bien également supérieur. Donc, cqfd.
b) Mais quel peut bien être le contenu de ce bien suprême?
Cf. Ethique à Nicomaque, I, 5 : passage où il explique pourquoi il y a une hiérarchie des biens dans les actions de l'homme, et quelle est la fin ultime, dernière, de toutes ces actions. Question : parmi les divers biens possibles, quel est le plus complet?
-départ : autant de types de biens que de types d'activités; bien = fin. Parmi eux, recherche de la fin finale. Trois catégories de fins qui sont hiérarchisées en fonction du ritère selon lequel un moyen est moins élevé que la fin :
-activité en vue d'autre chose : moyen : faire un footing pour être en bonne santé (bien relatif)
-fin en vue d'autre chose mais aussi en vue d'elle-même : fin-moyen : être en bonne santé (bien relatif)
-fin qui n'est que fin : il parle de fins autosuffisantes : qui n'ont pas d'autre fin qu'elles-mêmes, et qui n'ont pas d'autre fin au-dessus ou en dehors; fin qui est voulue pour elle-même. C'est la fin qui n'est que fin et qui est suprême, c'est le souverain bien. Fin ultime de toutes nos actions (bien suprême) : le bonheur : c'est en vue d'être heureux que nous voulons être en bonne santé (et que nous courons pour cela). Le bonheur est donc le seul bien suprême, car seul il est recherché pour lui-même (imaginez-vous de dire que vous voulez être heureux pour être en bonne santé? Ou en vue de courir? Non: tout ce que vous faites, les fêtes, le repos, est en vue du bonheur).
Tout ce que veulent et recherchent les hommes n'est recherché qu'en vue du bien souverain, le bonheur. Pourquoi? Parce que le bonheur, c'est une vie "autarcique", complète, qui se suffit à elle-même, dans laquelle on ne manque de rien.
Donc : si la cité vise le bien suprême, elle vise le bonheur. C'est en vue du bonheur que les hommes s'associent en familles, en villages; ils tendent donc naturellement à vivre en cité.
Ici, la cité est naturelle en un nouveau sens, plus fort que les sens précédent :
a) elle l'est parce qu'elle vise la fin la plus haute pour l'homme, la satisfaction du bien suprême de l'homme, celui que tous visent naturellement. Elle est en conformité avec la nature de l'homme ou son désir naturel.
Explication : nature = fin (p.90). Ce qui définit un être, ce n'est pas ce qu'il est au départ, quand il naît par exemple. Ainsi, la nature d'un embryon, c'est pour Ar d'être un homme, un adulte. L'embryon n'est pas au départ ce qu'il est puisqu'il n'a pas encore développé ses potentialités. Ar dit qu'un être qui a réalisé sa nature est en "acte".
Ici : nature = fin de l'homme = être heureux. Le bonheur, c'est l'état de perfection de l'homme. La cité est donc naturelle puisqu'elle vise le bonheur. Et elle réalise l'homme. C'est en elle que l'homme réalise sa fin.
b) Mais on n'a pas encore vraiment vu pourquoi. Dire que c'est parce qu'elle vise le bien suprême, n'est pas une véritable explication. C'est comme de dire qu'il pleut parce qu'il pleut. Il semble qu'on puisse donner deux raisons à cette thèse :
-d'abord, il faut préciser que pour définir ce qu'est le bonheur, il faut d'abord chercher quelle est la fonction propre de l'homme.
Aristote le fait dans Et I, 6 et 13: ce qui est propre à l'homme par rapport aux plantes et aux animaux, ce n'est ni la reproduction, la croissance, la vie en général, ni la sensation mais la raison. C'est aussi bien sûr la partie la plus excellente de nous-mêmes.
Donc, si le bonheur est la perfection de l'homme, alors, il consistera dans une vie conforme à la raison. Il cherche dans cet ouvrage à montrer que cette vie conforme à la raison est une vie de "vertu" : la vie bonne, c'est la vie morale, une vie d'excellence et d'équilibre, qui consiste à savoir déterminer le juste milieu en toutes circonstances. Faire ce qui est le mieux pour l'homme en chaque circonstance. (A la fois parce que seul l'homme, par sa raison, est un être moral, mais aussi parce que il a montré que seule une vie morale est assez stable pour pouvoir mériter l'appellation d'heureuse (I, 11).
On peut donc penser que si cette vie s'obtient dans la cité, c'est parce que vivre selon des lois, c'est prendre l'habitude de bien agir (cf. EN, I, 10 : "la fin de la politique est la fin suprême; cette science met son principal soin à faire que les citoyens soient des êtres d'une certaine qualité, ie, des gens honnêts et capables d'action"; or, cf.EN, II, 1, "c'est en pratiquant des actions justes que nous devenons justes" -plus gén : c'est en pratiquant des actions morales que nous demeurons morales).
Mais n'est-ce pas aussi surtout parce que l'homme ne serait rien sans la cité? Ie, parce qu'il est un être naturellement sociable? C'est bien ce qu'il dit not dans Pol, I, 2 (texte 2, deuxième phrase): l'homme est un animal politique (zoon politikon = un vivant des cités). En effet seul de tous les animaux l'homme parle des valeurs de la justice, du bien, du mal, bref, discute de choses communes à tous (politiques) et nobles (morales); or, comme la nature ne fait rien en vain (principe de finalité), c'est que l'homme est naturellement fait pour vivre dans des cités (où il pourra discuter avec d'autres de ces choses en commun, et les réaliser). Donc : il est un animal politique. Donc : si le bonheur est la vie parfaite de l'homme, sa perfection, si elle réalise la nature ou fonction de l'homme, alors, la cité vise bien le bien suprême de l'homme.
La cité est donc bien naturelle parce qu'elle est en conformité avec la nature de l'homme. Ce qui veut dire encore que si la cité a été décomposée au début en ses éléments constitutifs, il ne faut pas croire que ces membres puissent être quoi que ce soit à part de la cité. C'est elle qui les rend réelles. Ar dit que chrono, les parties sont antérieures au tout, mais que téléologiquement, ou logiquement, c'est la cité qui les précède.
Cf. métaphore organiciste : la main sans le corps auquel elle appartient ou une main de pierre, n'est une main que par homonymie (de nom). En effet un organe n'existe que par l'exercie de sa fonction, qui n'est possible que dans la totalité à laquelle il appartient. De même pour la cité et ses éléments : ses éléments n'acquièrent leur nature véritable qu'en elle. L'individu n'est pas humain en dehors de la cité (il n'est qu'une bête ou un dieu)
Trois remarques :
Il va ici contre les sophistes pour qui la communauté politique n'est qu'une garantie de survie individuelle, un pis-aller. Ce n'est pas par intérêt que les hommes vivent dans des cités, mais pour vivre la vie bonne, la vie meilleure et la plus haute qui soit. L'homme réalise son humanité dans la cité, puisque si la fin naturelle de l'homme c'est le bonheur, si c'est dans le bonheur qu'il se réalise pleinement, alors, tout homme va nécessairement et naturellement tendre vers elle. L'homme est fait pour vivre en cité.
Aristote s'oppose ici aux cyniques, qui revendiquaient un individualisme forcené et un refus de toute exigence sociale (indifférence pour les interdits, et impudeur notamment). Aristote dit que c'est à peine un homme car il se veut en dehors de la cité. Il dit même que c'est un passionné de guerre : en effet, ceux qui vivent hors cité entreront forcément en conflit avec elle, car, à moins qu'il ne soit un dieu, il a besoin des autres. Mais, comme il n'a pas de place dans la cité, le mode de rapport avec autrui sera le conflit.
L'idée de droits de l'homme est impensable :
On n'est pas un homme indépendamment de la société, et surtout pas contre elle. En effet, l'idée qu'on pourrait revendiquer son humanité contre ce qui fait de vous un humain (l'appratenance à cité) est une contradiction dans les termes. Finalement, on peut dire que chez Aristote, c'est le bien de l'Etat qui est plus important et plus parfait que celui de l'individu
La cité est naturelle car c'est en elle que les autres communautés vont pouvoir satisfaire pleinement leurs besoins. Si famille et village sont ant chrono à la cité, la cité est toutefois la cause finale de la famille et du village; en effet, c'est dans la cité que rien ne nous manque plus, que nous satisfaisons pleinement nos besoins (les autres com ne se suffisent pas à elles-mêmes).
Si nous savons maintenant que la différence spécifique de la cité c'est le bien vivre (les autres : le vivre), reste à préciser en quoi la cité se distingue de la famille
D'abord, la cité vise-t-elle :
-Le bonheur de chacun en particulier? (ou bien particulier)
-Le bonheur de tous au sens d'une somme des bonheurs particuliers? (ou somme des biens particuliers)
Si on répond chacun = rien ne le distingue de la famille, elle n'a alors pas de bien spécifique; mais alors pas non plus bien suprême!
Si on répond somme = rien ne la distingue du village, et ib.
Le but spécifique de la cité, son bien spécifique, ce n'est pas un bien économique, mais un bien politique. Il ne faut pas confondre les deux, sinon, on confond société et Etat (pour parler en termes modernes). L'Etat est politique, il vise donc un bien politique. La société est économique, elle vise donc un bien ayant à voir soit avec la satisfaction des besoins quotidiens, soit des besoins sociaux. Les biens particuliers seraient ceux du foyer, la somme de ces biens serait le village, association de familles. La cité, elle, désigne l'idée d'un bien commun à tous. Ce bien s'identifie au bonheur tout simplement parce que tant qu'il sont en famille ou en société, les hommes ne peuvent parvenir au bonheur, puisqu'ils sont toujours en état de manque.
Remarque : Ce qui nous montre qu'Aristote distingue déjà société et Etat, c'est que pour lui, les relations de pouvoir qui ont lieu dans la communauté politique sont spécifiquement différentes de celles qui ont lieu dans les autres communautés.
Pouvoir despotique : a lieu entre inégaux
Pour lui, le pouvoir politique, celui qui a lieu entre les citoyens (membres de la cité), est un pouvoir entre gens égaux et libres. Les citoyens sont investis du pouvoir politique : en effet, dans toute communauté, il y naturellement relations de commandant à commandé.
Attention : Ar ne fait pas reposer la politique sur des principes abstraits! En effet, le citoyen, c'est seulement le maître de maison, l'homme libre. Ne sont citoyens, ni les métèques, ni les femmes, ni les esclaves, ni les enfants. Etre citoyen, ce n'est donc pas être habitant d'une ville.
Sans doute parce que, étant naturellement aptes à délibérerer et à commander, n'ayant pas de soucis domestiques, ils sont naturellement aptes à délibérer sur le bien de tous. Ainsi Aristote dit-il que le citpyen a un pouvoir délibératif et judiciaire.
Question : Aristote dit-il que tous les citoyens commandent, ie, tous en même temps et en permanence? Ce serait attendu puisque c'est un pouvoir entre égaux. Ce serait l'idéal, mais c'est impossible. Donc : il va dire que les citoyens doivent être tour à tour commandnats et commandés.
Dernière question sur ce point : pourquoi est-ce mieux que ce pouvoir s'exerce entre égaux?
Parce que le but spécifique du politique c'est l'intérêt commun, le bonheur de tous. Donc (III, 11) seuls des égaux pourront prendre des décisions sages et justes concernant ce bien commun. Sans doute parce que étant tous de même nature, étant unis par une véritable fin commune, et par l'amitié, ils sont capables de prendre des décisions en commun. L'amitié en effet est une vertu sociale, qui unit ceux qui ont entre eux une affinité morale. Cf. EN, VIII : l'ami c'est un autre moi-même donc nos intérêts se rejoignent et nous cherchons par définition un intérêt commun (cf. "la justice ira croissant avec 'amitié")
(Etat : ce sont des relations de droit, de justice, qui vont permettre ce bien vivre ensemble).
Note : autrui dans la philo classique.
Contrairement à Descartes, autrui ne fait donc pas un problème. Les hommes ont naturellement besoin des autres, et l'homme ne se définit pas autrement que par sa relation aux autres. Pas de doute sur le fait qu'autrui existe et qu'on communique avec lui -c'est même plus réel que l'individu isolé. L'homme n' rien à voir une conscience, une intériorité, mais il se définit par par son humanité, qui elle-même est politique.
Problème : l'esclave est-il un homme (mon alter ego)?
Non, si l'homme se définit par son rôle social et comme citoyen (celui qui possède un pouvoir dans la cité, non l'habitant). L'autre, c'est un individu qui peut ne pas avoir la même nature et la même fonction que moi. Le problème d'Aristote, ce n'est pas le respect des individus, mais l'intérêt de chacun à travers celui du tout. Le problème est celui de nos places respectives dans la vie sociale, et de notre complémentarité. Dans ce cadre, les natres ne sont pas interchangeables.
Par contre, si l'homme se définit par l'être de sa conscience, chaque "moi" est un être à part entière : ce que je suis socialement est second par rapport à ce moi essentiel. Deux moi se valent alors que chez A., deux êtres humains ne se valent pas forcément. (On ne peut traiter également ce qui est inégal)
Conclusion : L'existence d'une communauté politique est naturelle, elle est légitimée par l'existence d'un cosmos, d'une nature sensée. L'homme est fait pour vivre en cité. Elle nous permet de devenir ce que l'on est naturellement (chacun a une place pré-établie, des dispositions à actualiser). Donc : pas de conflit entre l'individu et l'Etat puisque l'Etat réalise l'individu, le fait devenir ce qu'il doit être. De toute façon, celui qui gouverne, c'est le plus sage, le plus intelligent (par nature) : ce qui nous assure qu'il est à même de voir où est le bien de tous.
Critique : Ne peut-on pas répondre que chercher une origine cosmique à l'Etat c'est légaliser le pouvoir de fait, ie, légitimer ce qui est?
Cf. l'esclavage : Aristote ne se demande pas s'il est acceptable mais s'il est naturel (ne se demande pas si l'inégalité naturelle, est compatible avec les valeurs que l'homme porte en lui, et si la nature ne doit pas être corrigée par un idéal). Ainsi peut-on le soupçonner de justifier par la nature ce qui est enraciné dans les murs. Qui nous dit que ce qui nous apparaît comme naturel n'est pas au fond qu'une longue habitude, qu'une longue accoutumance (cf. texte de Hume)?
N'est-ce pas un refus d'interroger les fondements? Peut-on réduire la légitimité de l'Etat à une question de stabilité? Ce serait oublier l'essence même de la politique, qui est l'expression d'un vivre ensemble d'un peuple. Le pouvoir politique détaché du peuple peut-il encore être considéré comme légitime? N'est-ce pas une contradiction dans les termes? Il faut donc revenir au fondement, ie, aux personnes contenues dans un Etat.
II- Le contrat social : le fondement de l'Etat ce n'est pas la nature mais la volonté.
HOBBES La cause finale, le but, le dessein, que poursuivirent les hommes, eux qui par nature aiment la liberté et l'empire exercé sur autrui, lorsqu'ils se sont imposé des restrictions au sein desquelles on les voit vivre dans les Républiques, c'est le souci de pourvoir à leur propre préservation et de vivre plus heureusement par ce moyen: autrement dit, de s'arracher à ce misérable état de guerre qui est, je l'ai montre, la conséquence nécessaire des passions naturelles des hommes, quand il n'existe pas de pouvoir visible pour les tenir en respect, et de les lier, par la crainte des châtiments, tant à l'exécution de leurs conventionsqu'à l'observation des lois de nature. La seule façon d'ériger un tel pouvoir commun, apte à défendre les gens de l'attaque des étrangers, et des torts qu'ils pourraient se faire les uns aux autres, et ainsi à les protéger de telle sorte que par leur industrie et par les productions de la terre, ils puissent se nourrir et vivre satisfaits, c'est de confier tout leur pouvoir et toute leur force a un seul homme, ou à une seule assemblée qui puisse réduire toutes leurs volontés, par la règle de la majorité en une seule volonté. Cela revient à dire: désigner un homme, ou une assemblé pour assumer leur personnalité et que chacun s'avoue et se reconnaisse comme l'auteur de tout ce qu'aura fait ou fait faire, quant aux choses qui concernent la paix et la sécurité commune, celui qui a ainsi assumé leur personnalité, que chacun par conséquent soumette sa volonté et son jugement à la volonté et au jugement de cet homme ou de cette assemblée. Cela va plus loin que le consensus, ou concorde: il s'agit d'une unité réelle de tous en une seule et même personne, unité réalisée par une convention de chacun avec chacun passe de telle sorte que c'est comme si chacun disait à chacun: j'autorise cet homme ou cette assemblée, et je lui abandonne mon droit de me gouver- ner moi-même, a cette condition que tu lui abandonnes ton droit et que tu autorises toutes ses actions de la même manière. Cela fait, ta multitude ainsi unie en une seule personne est appelée une REPUBLIQUE, en latin CIVITAS. Telle est la génération de ce grand LEVIATHAN, ou plutôt pour en parler avec plus de révérence, de ce dieu mortel, auquel nous devons, sous le Dieu immortel, notre paix et notre protection. T. Hobbe, Léviathan, Philosophie politique, Ed. Sirey, 1971. |
Propos inverse : on suppose des êtres humains individuels (donc humains sans la cité) vivant séparément; et on se demande comment on peut penser l'institution de la société à partir de l'individu
Structure du texte :
1) état de guerre : il faut s'en arracher
3) Léviathan, dieu mortel : paix, protection
2) le passage de 1) à 3) se fait par un pacte d'association, qui va produire le Léviathan.
1) lignes 1 à 9 : par nature l'homme aime faire ce qu'il veut et faire d'autrui ce qu'il veut. Or, on constate que cette tendance naturelle est limitée, restreinte volontairement dans un Etat (République : res publica). Pourquoi? C'est que cette tendance naturelle est destructrice et conduit à un conflit de tous contre tous.
2) Lignes 16 à 27 : Donc, l'Etat est un régulateur. Mais comment naît-il? Par un pacte passé entre libertés individuelles :
-l.10 à 16 : la finalité de l'Etat
-l.16-27 : pacte réciproque et total.
3) Conséquences : lignes 27 à fin : l'Etat est une personne, un automate artificel (cautionné par Dieu).
1) l'état de nature comme état de guerre de tous contre tous.
a) Etat de nature :
-Fiction, hypothèse théorique, et non recherche historique (quel a pu être l'état originel de l'homme?). Pour connaître la nature véritable de l'homme, il faut en revenir à l'origine. Essayer de le dépouiller du culturel. Cette origine servira de norme pour juger de l'état actuel des choses (si notre vie actuelle, dans un Etat, ne lui ressemble pas, alors, c'est qu'elle n'est pas conforme à nature ou état naturel de l'homme). -Note : origine = nature alors que pour Aristote finalité = nature.
- différence état et Etat : état= conditions, circonstances = ainsi, l'état de nature est l'état dans lequel se trouvent les hommes quand ils ne sont pas encore soumis à l'autorité politique, quand ils ne vivent pas sous des lois, sous un pouvoir commun. S'oppose à état civil.
b) thèse : état de nature = état de guerre de tous contre tous. Démonstration :
-Individus solitaires, isolés les uns des autres.
-Etat de liberté et d'égalité des hommes (nul n'a reçu de la nature le droit de commander (contre Aristote!)).
Chacun a donc naturellement les mêmes droits (idée d'un droit de nature = fondé dans l'humanité abstraite de l'homme). Hobbes parle d'un droit (naturel) illimité : nous avons le droit :
-de faire tout ce que nous voulons,
-de prendre possession de tout ce que nous voulons;
-et surtout, droit primordial (loi naturelle ou de raison) de conserver notre vie (de tout faire pour cela, de juger des moyens nécessaires et conformes à la poursuite de cette fin naturelle-nous sommes en ce domaine les seuls juges)
-Chacun a également les mêmes forces, et les mêmes désirs : Hobbes parle de passions fondamentales qui définissent l'homme : la convoitise, la gloire. Tous veulent les mêmes choses, et surtout les choses que veut autrui.
Or, si tous sont égaux et libres de faire ce qu'ils veulent, de satisfaire tous leurs désirs quand ils le veulent et comme ils le veulent, et si tous peuvent comme ils le veulent décider des moyens leur permettant de réaliser leurs désirs ou de se maintenir en vie, comment vivre en paix, en sécurité?
Nous allons nous battre si nos désirs se portent sur les mêmes objets (et même nous entretuer). A n'importe quel moment, l'autre peut décider que ce qui est le moyen nécessaire à la poursuite de son élan vital, de ses désirs, c'est de me tuer moi. C'est son droit.
Ainsi, l'égalité, la liberté, le droit naturels, sont négatifs :
-égalité : égal pouvoir de tuer
-la liberté illimitée : est-ce une liberté réelle si je suis susceptible de mourir à chaque instant? Je vis donc dans la crainte perpétuelle de la mort violente. La liberté absolue est la liberté la plus menacée qui soit.
-un droit illimité n'est au bout du compte un droit à rien du tout, puisque tous désirent la même chose.
Bref : état de contradiction.
c) La solution raisonnable : chercher la paix
(seconde loi de raison -cf. fin = donnée par Dieu); je la trouve en me rendant compte que la liberté et le droit illimité engendrent une contradiction fin/moyen (si je veux la fin = préserver ma vie, alors, il me faut un moyen : la paix). Ie, ce que chacun découvre par l'exercice de sa raison, c'est qu' il faut contraindre les tendances destructrices naturelles à l'homme.
d) Par quel moyen?
Par un pouvoir qui me tient en respect, par la crainte du châtiment, ie, un arbitre, un juge, un tiers = c'est l'Etat. (pouvoir commun = un même juge pour tous, qui nous soit extérieur). En effet, sans cela, l'état de guerre va continuer.
e) lignes 10 à 16 : la finalité de l'Etat.
-paix civile : sécurité int et ext
-confort (se nourrir, se conserver et être heureux) = le confort "petit bourgeois"
Préserver ma vie et mes biens.
Hobbes répond ici à Aristote que ce n'est pas parce que l'homme désire naturellement entrer en société, qu'il est naturellement sociable, un "animal politique". Au contraire, c'est parce qu'il n'est pas naturellement sociable, parce qu'il porte en lui des tendances destructrices, qu'il doit inventer l'Etat. (Inventer, instituer, décision libre) Etat, solution aux maux naturels de l'homme. Donc, l'Etat est par définition une entreprise contre nature : c'est un artifice. Il naît autrement que naturellement.
2) Comment naît-il et qui l'institue?
(Nous remettons cette liberté dans les mains d'un arbitre, pour acquérir d'autres droits, et une liberté limitée mais plus efficace)
a) le contrat.
- Pourquoi le seul moyen d'obtenir la paix et de vivre en sécurité, est-il d'instituer un pouvoir qui nous fasse peur?
C'est contenu dans l'idée même de la loi naturelle qui dit "si tu veux la fin, veux aussi les moyens". En effet, tous ont reçu de la nature ou plus précisément de Dieu la raison qui les fait réfléchir sur les moyens aptes à réaliser leur fin : vivre. Ils vont donc se dire que comme le droit naturel illimité que nous avons s'autodétruit, alors, il nous faut limiter d'une façon quelconque ce droit.
Si nous faisons une promesse : je te promets de ne rien faire qui aille contre la liberté et contre droit, qui m'assurera que cette promesse sera toujours tenue? Après tout, nous sommes toujours en possession de ce droit de juger de ce qui est bien pour nous maintenir en vie.
Solution : il faut agir contre le mal, contre la passion qui a le plus d'influence sur nous (si nous voulons une situation de certitude, et non plus d'incertitude) : la peur de la mort violente. S'il n'y a pas de pouvoir au-dessus de nous qui nous punisse si nous enfreignons les règles que nous nous sommes imposés, alors, nous ne nous sentirons pas obligés de les respecter. Nous resterons à l'état de nature.
- Non seulement ce pouvoir (commun) doit nous faire peur, mais il doit détenir toute la force et tout le droit qui nous appartenait à tous à l'état de nature.
Pour que ça marche, il faut que nous ne soyons plus rien : la seule façon, dit Hobbes, d'ériger un tel pouvoir commun, c'est "de confier tout leur pouvoir et toute leur force à un seul homme et à une seule assemblée", ce qui se fait par une série de pactes passés entre chacun de nous, au profit d'un seul -au profit, ie : nous abandonnons tous nos droits, toute notre force, à un seul, de façon totale et réciproque.
-bref : je m'annule dans l'Etat. L'Etat détient tout le droit et la force de tous les hommes. Il est tout puissant. Maintenant, nous devons lui obéir : c'est lui qui va décider du droit, et c'est lui qui va décider des peines à nous infliger si nous ne respectons pas ce droit. C'est un arbitre. Il s'occupe de trancher tous les différends qui mènent à un état d'insécurité. (Position volontariste = est juste, est permis, ce que dit le souverain, du seul fait qu'il est le souverain)
Problème : n'est-ce pas un pacte de soumission?
-L'Etat repose sur la force et sur la crainte; je n'ai plus rien, ma liberté est limitée, mon droit aussi, je ne peux plus faire ce que je veux. Toujours un rapport de forces (Etat ou juge = droit du plus fort?)
-De plus, cet Etat semble bien menaçant, puisqu'il n'est pas lié par le contrat. Il est "au-dessus des lois". On peut se demander comment les hommes ont bien pu choisir de vivre une telle vie, qui se ramène à vivre en commun sous des lois imposées par un tiers.
b) La métaphore de la représentation/du théâtre.
En obéissant à l'Etat, à la puissance collective, je ne remplace pas un mal par un autre mal. L'Etat n'agit pas à ma place, mais par moi ou par tous.
Références dans le texte : "confier qui puisse réduire, par la règle de la majorité (consensus, accord non unanime mais suffisant). Cela revient à dire : désigner ( ) pour assumer leur personnalité; et que chacun s'avoue comme l'auteur ou de tout ce qu'aura fait ou fait faire, quant aux choses ( ) celui qui a ainsi assumé leur personnalité ".
En effet, personnifier = représenter quelqu'un, jouer le rôle de quelqu'un d'autre (cf.persona, masque = l'acteur joue le rôle de quelqu'un d'autre, le personnage de la pièce; il parle et agit en son nom).
Ici, il y a un acteur, et des auteurs. Les auteurs = chacun de nous. Le tiers, l'arbitre désigné par chacun de nous = l'acteur. L'acteur agit en notre nom et parle en notre nom. Parce que nous lui avons délégué notre pouvoir d'agir et de dire. Il assume donc notre personnalité, il nous personnifie, il nous représente. Chacun autorise l'agent de l'Etat à décider et à agir pour lui.
Il est mandataire : il porte nos intérêts, veille sur eux, et peut légitimement exiger de nous ce qu'il faut faire pour le bien de nos intérêts synthétisés en intérêt général.
Il y a unité parce que d'un côté il y a une multitude, des auteurs divers, qui autorisent; de l'autre, celui qui est autorisé à, est un acteur unique. Effet de miroir : on a l'impression d'être, grâce à la personne unique du souverain qui juge et décide à notre place mais aussi pour nous et en vertu de notre accord, un Individu unique et unifié.
Conclusion : ce pouvoir est légitime, et ne va pas contre notre liberté. En effet, il représente ce que nous voulons véritablement, à savoir, nous conserver en vie. Tout ce à quoi il nous force, c'est à respecter nos conventions et la loi de nature/raison. Au bout du compte, quand nous obéissons à l'Etat, c'est à nous-mêmes que nous obéissons!
c) l'Etat comme personne artificielle (ou automate).
Métaphore (organiciste) qui redouble la métaphore du théâtre. Montre comment nous avons acquis une nouvelle organisation, un nouveau mode de vie, qui n'est pas naturel. Il y a formation d'une sorte d'organisme (à la fois artificiel et monstrueux), d'une personne collective, qui réunit l'arbitre et les contractants en un tout.. Les hommes sont, par le pacte social, métamorphosés en corps de l'Etat, ayant pour âme le souverain.
Références dans le texte : "qui puisse réduire toutes leurs volontés en une seule volonté"; "cela va plus loin que le consensus ou concorde : il s'agit d'une unité réelle de tous en une seule et même personne"; "cela fait, la multitude unie en une seule personne est appelée République. Telle est la génération de ce grand Léviathan, de ce dieu mortel".
Multitude (individus de l'état de nature) unis (artificiellement) en un tout (peuple, société). Le léviathan, c'est un homme géant, un monstre, artificiel, qui contient en lui tous les individus comme autant d'atomes réunis en un tout et gouvernés par une âme (principe directeur et unifiant) souveraine.
Souverain = âme
Corps = multiplicité des individus
C'est l'âme qui unifie le corps (elle est permanente, non sujette au changement, c'est elle qui fait que le corps est "un" corps malgré les changements qu'il subit. Signification : les individus sont les organes, les rouages, d'un grand automate. Il y a incorporation. ("corps politique" : assuré par l'unité du souverain)
Donc :
-ce que j'ai perdu, je le retrouve dans l'Etat, mais différemment (en mieux, car nous avons mis nos forces et nos droits en commun)
-idée d'un mode d'existence complètement différent (d'organisation) : nouveau mode d'être que celui du vivre en commun : pas naturel du tout, mais artificiel.. Métamorphose, changement de nature, mutation totale. Etat de nature = multitude d'individus épars, rivaux, et prêts à se détruire; ici : un peuple, une entité politique gouvernée et unifiée par un puvoir unique qui en fait l'unité.
Ce que veut Hobbes en insistant sur l'unité : si le souverain n'est pas un, alors, le peuple se disperse, revient à l'état de nature, et la sécurité n'est plus assurée. Veut donc justifier le pouvoir absolutiste.
Problème : c'est notre création, mais elle nous domine (monstre, dieu mortel); de plus, la République, au bout du compte, ce n'est pas le peuple mais celui par qui le peuple existe : le roi ou l'assemblée
Problèmes.
-si la loi est juste parce que le souverain le dit alors pas de droit de rébellion.
-le je disparaît dans le Je de l'arbitre (je ne peux plus parler, à moins que le souverain ne m'y autorise). (pas de débat public)
-liberté = il ne me reste pas grand chose (seulement "dans le silence de la loi")
-obéissance = définitive
Exercice : demander aux élèves de distinguer totalitarisme, dictature, et Etat absolutiste. Etat qui régente tous les domaines de la vie. Etat non légitime, pouvoir pris par la force pour briser pouvoir en place. Etat qui repose sur exercice raison d'Etat = c'est le souverain qui seul peut décider de ce qui est nécessaire pour le salut du peuple; on ne peut rien y faire, etc.
Conclusion : au bout du compte, l'Etat a bien un fondement (une base) légitime, mais ensuite, plus aucun moyen de contrôle = au bout du compte, le pouvoir politique m'échappe. L'idéal ne serait-il pas que ceux qui instituent l'Etat soient eux-même détenteurs du pouvoir politique?
Introduction.
C'est le problème que cherche à résoudre Rousseau, et qu'il reproche à Hobbes de n'avoir pas résolu. Il part des mêmes présupposés que Hobbes -l'homme n'est pas naturellement sociable, ie, apte à vivre en société; il va y entrer librement, donc le fondement de l'Etat sera aussi la volonté; mais la nature du contrat sera différente de celle de Hobbes. En effet, ce que veut faire Rousseau, c'est trouver le fondement légitime d'une autorité politique telle qu'elle rende les individus aussi libres dans l'état social que dans l'état de nature.
Toute la problématique de Rousseau est à lire en fonction du reproche fondamental qu'il fait à Hobbes dans Du Contrat Social, I, 4 : c'est une liberté d'esclave que nous propose Hobbes : ne vit-on pas en sécurité aussi dans les cachots?
Voyons comment il résoud le problème que Hobbes n'a pas résolu, tout en partant des mêmes prémisses.
1) L'état de nature.
Pour R., ce serait trop accorder à l'homme que de lui supposer l'exercice de toutes ses facultés avant ou sans la société (note : pour lui, Hobbes prend l'homme, non à l'état de nature, mais à l'état déjà civil). Pour lui, l'homme à l'état de nature, c'est l'homme tel qu'il pouvait être en sortant des "mains de son auteur". Ainsi, on ne peut supposer ces hommes (cf. CS, I, 8) que comme des "animaux stupides et bornés" :
a) stupides : pas encore exercice de la raison (Il a bien une raison innée, mais elle n'existe qu'en puissance : tant qu'on n'en a pas besoin, elle ne s'exerce pas, car elle serait inutile); selon R., les seuls sentiments qu'on peut attribuer à ces hommes, ce sont l'instinct de conservation et la pitié, ou, l'amour de soi et l'amour des autres. Bref il suit aveglément ses impulsions
b) "borné" : suivre son instinct lui suffit, il n'a pas besoin de plus. Borné = suffisant et limité : peu de besoins, donc, pas besoin de prévoir par exemple
C'est donc aussi un animal tranquille : il vit en solitaire, il est heureux, peu de besoins à satisfaire, pas de contraintes, etc. Paradis terrestre!
2) Le passage à l'état civil.
Comment a-t-on pu passer de cet état naturel d'indépendance à l'état civil, dans lequel on obéit à une autorité commune? Pourquoi en est-on sorti? Et quel peut en être le gain? (le 2e état de nature, qui est en même temps première société)
a) la longue sortie de l'état de nature.
Ce n'est d'abord pas volontaire. Nous en sommes sortis lentement et au cours d'une longue histoire chaotique, ie, par une longue succession de rencontres et de hasards. L'histoire naturelle va provoquer le changement des facultés de l'homme, qui vont être obligées de s'exercer à cause des circonstances extérieures qui vont les rendre nécessaires.
Amenés à se rencontrer de plus en plus souvent : acquièrent la parole, la mémoire, des idées morales, des sentiment (aimer les autres = devenir faible);
D'où : multiplication besoins;
Il ne va plus pouvoir les satisfaire sans l'aide des autres (cf; fait qu'ils sont nés au contact des rapprochements nécessités par les changements de la surface de la terre).
Or, ce besoin d'autrui va le rendre plus faible, plus soucieux, moins libre; il dépend des autres. Il devient aussi plus sournois : il apprend à agir sous les yeux d'autrui, il veut lui plaire et dominer les autres. C'est alors la domination du paraître sur l'être (moi social, faux, versus moi profond, individuel, véritable). Bref : nous sommes devenus des êtres doubles, en contradiction avec nous-mêmes, et malheureux. Nous ne nous suffisons plus à nous-mêmes.
b) Le premier contrat : la formation de la société et du droit.
Le faux contrat : on légalise l'état de fait par peur de révolte des faibles (possession = propriété (enclos des champs) = division des tâches = enrichissement = asservissement). Pas légitime.
La socialisation est quelque chose d'ambigü :
-sans elle, l'homme est un animal : c'est elle qui l'a fait devenir homme
-mais, elle le corrompt au lieu de le rendre heureux et libre. Avant, il était heureux, innocent, il est devenu malheureux et méchant. C'est ici qu'on a l'état de guerre de tous contre tous. La société est cause de conflits.
Il faut donc se donner les moyens de trouver comment rendre légitime et bénéfique à l'homme une telle organisation sociale.
3) Le contrat social (I, 6),Rousseau
" Je suppose les hommes parvenus à ce point où les obstacles qui nuisent à leur conservation dans létat de nature lemportent, par leur résistance, sur les forces que chaque individu peut employer pour se maintenir dans cet état. Alors cet état primitif ne peut plus subsister ; et le genre humain périrait sil ne changeait sa manière dêtre. Or, comme les hommes ne peuvent engendrer de nouvelles forces, mais seulement unir et diriger celles qui existent, ils nont plus dautre moyen, pour se conserver, que de former par agrégation une somme de forces qui puisse lemporter sur la résistance, de les mettre en jeu par un seul mobile et de les faire agir de concert. Cette somme de forces ne peut naître que du concours de plusieurs ; mais la force et la liberté de chaque homme étant les premiers instruments de sa conservation, comment les engagera-t-il sans se nuire et sans négliger les soins quil se doit ? Cette difficulté, ramenée à mon sujet, peut sénoncer en ces termes " Trouver une forme dassociation qui défende et protège de toute la force commune la personne et les biens de chaque associé, et par laquelle chacun sunissant à tous nobéisse pourtant quà lui-même et reste aussi libre quauparavant. " Tel est le problème fondamental dont le contrat social donne la solution. Les clauses de ce contrat sont tellement déterminées par la nature de lacte que la moindre modification les rendrait vaines et de nul effet ; en sorte que, bien quelles naient peut-être jamais été formellement énoncées, elles sont partout les mêmes, partout tacitement admises et reconnues ; jusquà ce que, le pacte social étant violé, chacun rentre alors dans ses premiers droits et prenne sa liberté naturelle, en perdant la liberté conventionnelle pour laquelle il y renonça. Ces clauses bien entendues se réduisent toutes à une seule, savoir laliénation totale de chaque associé avec tous ses droits à toute la communauté. Car, premièrement, chacun se donnant tout entier, la condition est égale pour tous, et la condition étant égale pour tous, nul na intérêt de la rendre onéreuse aux autres. De plus, laliénation se faisant sans réserve, lunion est aussi parfaite quelle peut lêtre et nul associé na plus rien à réclamer car sil restait quelques droits aux particuliers, comme il ny aurait aucun supérieur commun qui pût prononcer entre eux et le public, chacun étant en quelque point son propre juge prétendrait bientôt lêtre en tous, létat de nature subsisterait Et lassociation deviendrait nécessairement tyrannique ou vaine. Enfin chacun se donnant à tous ne se donne à personne, et comme il ny a pas un associé sur lequel on nacquière le même droit quon lui cède sur soi, on gagne léquivalent de tout ce quon perd, et plus de force pour conserver ce quon a. Si donc on écarte du pacte social ce qui nest pas de son essence on trouvera quil se réduit aux termes suivants : Chacun de nous met en commun sa personne et toute sa puissance sous la suprême direction de la volonté générale ; et nous recevons en corps chaque membre comme partie indivisible du tout. A linstant, au lieu de la personne particulière de chaque contractant, cet acte dassociation produit un corps moral et collectif composé dautant de membres que lassemblée a de voix, lequel reçoit de ce même acte son unité, son moi commun, sa vie et sa volonté. Cette personne publique qui se forme ainsi par lunion de toutes les autres prenait autrefois le nom de Cité, et prend maintenant celui de République ou de corps politique, lequel est appelé par ses membres Etat quand il est passif, Souverain quand il est actif, Puissance en le comparant à ses semblables. A légard des associés ils prennent collectivement le nom de peuple, et sappellent en particulier citoyens comme participants à lautorité souveraine, et sujets comme soumis aux lois de lEtat. Mais ces termes se confondent souvent et se prennent lun pour lautre; il suffit de les savoir distinguer quand ils sont employés dans toute leur précision." |
§1 Question : pourquoi ne pas revenir à l'état de nature? Parce que le retour en arrière est impossible ("la nature humaine ne rétrograde pas"). La nature a changé, la constitution de l'homme également. Il faut donc trouver un état civil tel qu'il puisse rendre la vie de l'homme non seulement aussi bonne qu'elle pouvait l'être, et même, meilleure qu'elle ne l'était.
Problème : comment sortir de l'état de nature, devenu état de guerre, sans que cela ne se solde par la perte de la liberté personnelle des individus? Comment créér une autorité souveraine qui garantisse la conservation des personnes et des biens sans qu'elle porte atteinte aux libertés, donc de telle sorte que chacun soit aussi libre qu'avant?
(Rousseau s'interroge ici, non sur la façon dont le droit s'est formé mais sur la façon il aurait dû se former; il veut rendre légitime ce qui dans le Discours n'est qu'un faux contrat, une usurpation).
Difficulté : pourquoi Rousseau dit-il que ce contrat consiste à aliéner tous ses droits, et la liberté naturelle? (cf. Contrat social, I, 4, où Rouuseau a critiqué le pacte d'association de Hobbes, en disant que le peuple qui abandonne ses droits, et surtout sa liberté naturelle, est esclave de son chef).
Etat de nature (1) |
Passage : contrat social : abandon total et réciproque des droits et libertés individuels (l.22-3) |
Etat civil (2) |
Lien autorité Etat et liberté individuelle |
"homme de la nature": indépendant et solitaire |
|
"homme de l'homme" : dépendant des autres |
|
|
Individu |
|
|
Homme |
|
Membre de la communauté (=ensemble des individus; souverain) |
Ce n'est pas une aliénation mais un échange avantageux (l.24-33). Je reste libre, je ne perds rien car : a) tous font la même chose (égalité), il n'y a pas d'exception (personne ne garde ses droits naturels); b) de plus, en se donnant à tous, on ne se donne à personne, si bien que personne n'a de droits sur moi et moi-même je n'ai de droits sur personne en particulier. Tous et chacun pris à part nous sommes donc grâce au contrat social mutuel, à l'abri de toute soumission et de toute dépendance particulière. Cf.aussi fait que je ne contracte en fin de compte qu'avec moi-même : ie, moi, comme homme ou individu, je contracte avec moi comme membre du souverain |
Volontés particulières Préférences personnelles impulsions, appétits égoïstes par définition (je ne veux que ce qui me plaît à moi comme individu particulier)
Loi naturelle
Liberté naturelle (=licence) : droit illimité à tout ce qui vous tente et que vous pouvez atteindre ("possession" naturelle); borné par les forces de l'individu (qui sont inégales) |
|
Sujet Citoyen A des devoirs a des droits Obéissance fait la loi (passive) (actif)
Loi civile (de raison)
|
Obéissance libre : je suis libre tout en obéissant à la loi car j'obéis à une décision dont je suis l'auteur (liberté=autonomie =cf.I, 8 : "l'obéissance à la loi qu'on s'est prescrite est liberté"; une loi "hétéronome", qui vient non de nous mais d'une volonté extérieure, est une contrainte, non une obligation ou un devoir proprement dit)
Comme citoyen, je veux l'intérêt général; les lois sont l'expression de cet intérêt; donc, je ne peux que vouloir comme sujet ce que je veux comme citoyen, et je ne peux donc que vouloir faire ce que les lois ordonnent. Les lois ne sont rien d'autre que ma liberté véritable (qui est rationnelle : "l'impulsion du seul appétit est esclavage"). Nous voyons enfin où est notre bien véritable. Etre libre, ce n'est pas suivre son intérêt particulier car il ne correspond qu'aux préférences immédiates, qui ne sont pas toujours notre véritable interêt (cf. fumer).
Conséquence : on ne peut s'opposer à la volonté générale sans perdre sa liberté et donc sa qualité d'homme, puisque être libre, c'est vouloir ce que veut la volonté générale. Si un individu s'oppose à la loi, le reste de la communauté le forcera à y obéir ce qui revient à le "forcer à être libre" (IV, 2)! Donc : pas de droit du citoyen à l'opposition, car on ne peut pas s'opposer à ce qu'on veut/à soi-même. Mais cela ne peut être un problème que si les lois sont l'expression de la domination d'une majorité sur une minorité (ce qu'elles ne sont pas censées être selon Rousseau) |
Je me suis donc donné, par le contrat social, au peuple souverain qui décidera, par ses lois, de la partie de mes droits et biens qu'il me reversera. Ie : ma liberté est limitée par la loi. Mais cela ne veut rien dire d'autre que je cette liberté ne sera limitée par personne. En effet, cf. Rousseau, Contrat social, II, 6 : la loi, qui n'est que l'expression de la volonté générale, est abstraite, universelle (à la fois dans son contenu = objet général; et dans son origine = généralité du peuple), ie, impersonnelle. Elle ne lèse personne car elle ne s'applique à personne en particulier mais à tous. Elle exclut donc le privilège et implique la stricte égalité devant elle. Elle libère parce qu'étant impersonnelle, nous garantit que nous ne dépendront de personne.
Avantage : nous sommes sûrs que la loi est juste.
Origine : tous, sans exception, sur tous, sans exception : En effet, si chacun statue sur tous, je suis compris dans ce "tous". Donc : personne ne va avoir intérêt à imposer aux autres des charges qu'il ne serait pas prêt à supporter pour lui-même; donc, il ne va vouloir que des lois qui comportent un bien quelconque.
Par exemple : ce n'est pas un individu avec tels intérêts particuliers (le bourgeois) ou telle classe avec tels intérêts (les commerçants) généraux par rapport à l'individu mais particuliers par rapport à tous qui va décider d'une loi portant sur les impôts que doivent payer les commerçants ou les bourgeois ayant tel revenu! Ici, il y aurait de l'arbitraire dans la loi (on déciderait sur des cas, certaines personnes sur certaines personnes seulement, en s'en exceptant ou s'en s'y mettant au contraire l'unique bénéficiaire, on serait mû par des intérêts , la sympathie, la haine, la pitié, etc).
Alors que si toute la procédure reste abstraite, nous allons nous affranchir de toutes ces contingences, et toujours se demander si c'est bénéfique à tous, moi y compris, en faisant abstraction de ma condition sociale, de mon sexe, etc. On doit ignorer, au moment de se pronconcer, si concrètement on ressentira les inconvénients ou avantages de la loi.
La loi est de la forme : "tous les x doivent faire y" (on fait abstraction des circonstances particulières, comme le nom d'un homme, d'un lieu, d'une date, etc)
Exemple : (1)"il y aura telle peine pour tel genre de délit"
(2)"telle autorité fixera les impôts selon telle règle"
Note : Mais dans la vie courante, il faut bien que ces lois s'appliquent et s'interprètent. Qui va le faire?
Réponse : le peuple souverain ne fait que faire les lois (pouvoir législatif). Mais il ne les exécute pas, car ce serait faire quelque chose de particulier. Celui qui les exécute (pouvoir exécutif), c'est le gouvernement, le prince, qui est donc au service de nos intérêts et de notre liberté. Seul il décide du sort des individus, gère les situations concrètes, mais, en étant tenu par les lois. Ce ne sont plus des lois mais des décrets.
Exemples : (1') en vertu de (1) il faut condamner Paul
(2') en vertu de (2) telle partie de la population versera telle somme
Note 2 : nous sommes garantis aussi de n'avoir que des devoirs qui correspondent à des droits (exemple : l'obligation scolaire correspond au droit de participer à la culture)
Problème : un Etat dans lequel le citoyen ne peut s'opposer aux lois est-il encore un Etat digne de ce nom, un Etat juste? Certes, chez Rousseau, ça marche parce que les citoyens sont raisonnables, éduqués, et en petit nombre. Mais là où ces conditions ne sont pas réunies, peut-il y avoir volonté générale? Peut-on être sûr que les lois sont toujours l'expression de la volonté générale? -cf. fait que pas de démocratie directe possible. Pourquoi descendons-nous parfois dans la rue pour déclarer que les lois sont injustes? (donc, ne peuvent être reçues comme loi!)
ANNEXE : BODIN, LES SIX LIVRES DE LA RÉPUBLIQUE (1576).
Définition Etat : "République est un droit de gouvernement de plusieurs ménages et de ce qui leur est commun avec puissance souveraine".
L'Etat remplace le lien civil établi sur la guerre et les conquêtes.
La souveraineté n'est ni impériale ni seigneuriale.
1) L'empire : cf. Digeste; romains. Sa première caractéristique est l'épée, le glaive militaire. La fonction de l'imperator est donc militaire.
2) La seigneurie : (dominium) forme dominiale du pouvoir.
Souvent, la seigneurie est acquise par la guerre., le brigandage et le coup de force. Mais surtout, c'est la "puissance en propriété" : les relations publiques sont confondues avec les rapports individuels; il amalgame les liens privés des hommes entre eux avec les rapports qu'ils entretiennent avec les choses. Il traite les personnes comme des biens, il exerce le pouvoir comme on use du droit de propriété. Le dominium est l'asservissement, l'appropriation par le maître, d'un corps humain comme sa chose.
3) La souveraineté : pouvoir légitime.
a) contrairement au pouvoir 1), il n'est donc pas fondé sur la force. Sa caractéristique première n'est pas militaire mais civile (avant l'épée, la balance ou épée de justice). La législation l'emporte sur l'armée, la politique intérieure sur l'extérieure.
b) la relation de maîtrise de 2) n'est pas l'équivalent de la relation politique.. On ne doit pas traiter les sujets comme des esclaves ni tenir les hommes pour des choses car les hommes sont à l'image de Dieu et donc libres. La puissance n'est pas une propriété.
La puissance est une "fonction publique" : elle n'appartient ni aux seigneurs, ni au prince, ni à l'Etat. Elle EST l'Etat. Le prince n'a pas la propriété du pouvoir parce que le pouvoir est un bien commun et par conséquent n'est pas une propriété privée. Il est un lien civil fondé sur la loi. Ainsi :
- le droit public n'est pas une émanation du droit privé
- le rapport politique ne dérive pas d'un rapport de propriété.
Copyright © Philocours.com 2021