Nietzsche
précise ici ce qu’il avait pour la première
fois exprimé dans Humain, trop humain (cf. GM,
AP, 2); mais le problème est maintenant celui de savoir
dans quelles conditions et circonstances :
a)
les hommes ont inventé les jugements de valeur bon et méchant
b) et surtout, quelle valeur ont ces jugements; la valeur à
laquelle il mesure cette valeur est la vie ou volonté de
puissance (cf. GM, II, 11).
c)
la foi en la morale et même toute la morale s’en trouvera
ébranlée. (GM, AP, 6)
La
première partie (le ressentiment) se présente (cf.
Avant propos, 8) comme la clé pour l’interprétation
des aphorismes et du poème. Donc, clé pour l’interprétation
en général.
La
seconde analyse en détail le type réactif, la manière
dont triomphent les forces réactives, et le principe sous
lequel elles triomphent.
Le ressentiment, la mauvaise conscience, l’idéal
ascétique, sont les figures du triomphe des forces réactives,
et aussi, les formes du nihilisme. Or, ces figures sont des fictions.
La force active devient réactive à travers une mystification.
C’est
2) qui fait obstacle à 1).
Première
dissertation : le ressentiment
L’origine
du mot “bon” (au sens d’âme distinguée,
cf; I, 4) se trouve dans l’opposition des nobles ou puissants
aux inférieurs, à la populace (les juifs). C’est
quelque chose de hiérarchique (cf. bon = distingué
et mauvais = commun). La nuance principale du mot bon est que
les nobles se sentaient d’un rang supérieur. Il n’y
a donc aucun lien a priori entre actions non égoïstes
et “bien” (mais c’est une modification ultérieure,
qui vient de l’instinct grégaire et donc du déclin
de la morale des aristocrates).
Cf.
I, 10 : le concept de mauvais des nobles n’est qu’un
contraste tardif.
Le
ressentiment est une vengeance imaginaire (7 et 10)-c’est
celle des juifs (d’une “caste sacerdotale”,
cf. I, 7).
On
aboutit à une nouvelle dichotomie : bon et méchant.
C’est là que N. dit que la morale aristocratique
naît d’un oui triomphant adressé à soi-même,
et que celle des esclaves dit non à un dehors ou à
un autre, à un “différent de soi-même”.
C’est ce non qui est son acte créateur (“falsification
qui entraîne une haine rentrée, qui s’attaque
en effigie, par impuissance, à son adversaire). Le “méchant”
est le principe à partir duquel l’homme du ressentiment
imagine, par imitation, et comme antithèse, un “bon”
: lui-même. (Or, cf. I, 11 : le “méchant”
au sens de la morale du ressentiment est le “bon”
de l’autre morale).
Le
renversement devient donc créateur, et engendre des valeurs
(I, 10).
Sa
construction relève du paralogisme suivant : celui de la
force séparée de ce qu’elle peut (13). Ainsi,
les faibles veulent ensuite faire passer la faiblesse pour du
mérité : ainsi, “ne pas pouvoir se venger
devient ne pas vouloir se venger; et ils appellent leurs “représailles”
“triomphe de la justice”.
C’est
que (I, 15) les faibles deviennent les forts.
Deuxième
dissertation : la mauvaise conscience
II,
8 : le sentiment de la faute, de l’obligation personnelle,
tire son origine du rapport le plus ancien et le plus primitif
qui soit entre personnes, celui entre acheteur et vendeur, créancier
et débiteur -de même que la justice.
Ainsi,
cf. 11, “l’homme actif,
agressif, violent, est toujours 1000 fois plus près de
la justice que l’homme réactif”,
en tant qu’il a une bonne conscience. Le droit est la lutte
contre les sentiments réactifs.
C’est
l’homme du ressentiment qui invente la mauvaise conscience.
Celle-ci
est une maladie grave (II, 16), qui est l’intériorisation
de l’homme (qui arrive quand tous les instincts ne se libèrent
pas vers l’extérieur et se retournent alors vers
le dedans). Elle arrive donc quand les instincts d’inimitié
etc., sont retournés contre leurs possesseurs.
Elle
est une rupture, mais aussi une fatalité inéluctable
(II, 17); elle a son origine dans un acte de violence.
Elle
n’est pas, elle non plus, séparable d’évènements
spirituels et imaginaires (18).
Elle
est par nature antinomique, exprimant une force qui se retourne
contre soi.
L’homme
de la mauvaise conscience s’est emparé de l’hypothèse
religieuse pour porter son propre supplice à un degré
de dureté et de subtilité horrible (II, 22); l’idée
de dette envers Dieu est son instrument de torture; il interprète
ses instincts comme révolte contre le “maître”.
Elle est par là à l’origine du “monde
renversé” (III, 14). C’est le christianisme
qui l’instaure.
Troisième
dissertation : l’idéal ascétique
Il
renvoie à la plus profonde démystification, celle
de l’Idéal qui comprend toutes les autres, toutes
les fictions de la morale et de la connaissance. C’est une
volonté qui veut le néant (28).