- Une
doctrine anthropologique ?
Elle
est le projet d’une “nouvelle façon de vivre”.
Cela, parce que selon N., toutes les valeurs valides à
présent sont anéanties, nos valeurs, nos buts,
nos fins, s’affaiblissent et s’anéantissent
mutuellement. La modernité est malade de n’avoir
ni oui ni non, de ne pas savoir où investir son courage.
Ainsi : “toutes les fins sont anéanties. Les hommes
doivent s’en donner une (...) les préalables de
tous les buts d’antan sont anéantis”.
N. oppose à cette perspective de la modernité
la pensée de l’éternel retour (“face
au sentiment paralysant de dissolution générale,
je brandis l’éternel retour”). L’homme
doit être élevé au-dessus de soi (cf. surhomme)
et devenir le “seigneur de la terre”, le législateur
du futur dans un nouveau monde humain hiérarchisé
par le rang et la puissance.
C’est en cela que cette doctrine est anthropologique :
elle se présente en effet comme “suprême
centre de gravité éthique” pour la volonté
ayant perdu ses buts dans une existence devenue éphémère.
Elle veut frapper la modernité de son accent le plus
lourd : celui de la responsabilité du futur.
Cette doctrine est donc orientée vers le futur de l’homme
européen. Elle veut créer un nouveau “pourquoi
faire”, de nouveaux horizons. Elle est un marteau créateur
entre les mains du plus puissant des hommes (ie : celui qui
a dépassé la volonté de néant).
Elle veut élever cette existence finie à une signification
éternelle. Ce qu’elle enseigne n’est pas
une vérité, mais un postulat pratique : “vivre
de telle sorte que tu souhaites revivre, voilà ta tâche”.
Le retour n’est pas un événement futur,
ni l’incessant retour du même, mais une volonté
de renaissance (qui consiste à supporter notre immortalité).
Pour cela, il faut désirer et vouloir que tout revienne
de la même façon.
Le temps de l’éternel retour n’est donc pas
un éternel présent mais le temps futur d’un
but délivré du fardeau du passé et issu
de la volonté d’avenir. L’éternité
est alors le but voulu d’une volonté de pérennisation.
Si bien qu’on peut comprendre cette doctrine comme une
fiction, comme un “comme si” il y avait un retour
objectif. (cf. “pensons aux effets possibles d’une
damnation éternelle”).
La signification cosmique, ou théorique, de la doctrine,
semble être en contradiction avec le surhomme : en effet,
dès lors, quel sens attribuer à vouloir se surmonter,
vouloir un avenir européen, et même vouloir tout
court?
N.
a essayé de fonder scientifiquement l’éternel
retour comme structure temporelle du monde.
- La
proposition scientifique de la conservation de l’énergie
exige l’éternel retour.
Cette
conception du monde affirme le mouvement circulaire sans but,
sans début ni fin, d’une certaine quantité
d’énergie qui se conserve. Le monde n’a ni
origine ni fin, car il n’est pas la création d’un
dieu arbitraire créant un jour l’être à
partir du néant, il est à chaque instant début
et fin en même temps, une constante transformation du
même.
- Problème
: comment ce monde des rythmes cosmiques, qui pour ainsi dire
se veut soi-même, est-il conciliable avec la volonté
humaine de puissance et de soumission, de domination de l’autre
et de soi, du dépassement et du dépassement
de soi?
On
peut dire que N. y répond dans le Zarathoustra,
en disant que l’homme et le monde sont une vie indivise
dont le propre est de se surmonter : la volonté de puissance
est une modalité du dépassement de soi de tout
ce qui est vivant d’une vie commune, la vp étant
un vouloir commander et obéir de tout ce qui est vivant.
N.
veut rétablir, par une interprétation cosmique
de la vp, l’unité et l’ordre perdu de l’ensemble
de l’être. Ce que cette doctrine de l’er veut
réinstituer, après la dissolution de l’interprétation
chrétienne de l’existence, commencée avec
Descartes, c’est la vision présocratique du monde.
Mais, N. reste prisonnier du nihilisme et du positivisme de
son siècle ; sa tentative de les lier par la loi toujours
égale du monde circulaire reste donc vaine.
De plus, il semble qu’il n’y ait rien de plus étranger
au rapport originel et naturel du monde à la nature que
cette volonté de dépasser les forces physiques
du cosmos par un “fils de l’homme” antichrétien.
- Pourquoi
sa doctrine échoue-t-elle?
Cf. Chapitre IV : la “reprise antichrétienne de
l’antiquité au sommet de la modernité”:
S elon Löwith, l’impossibilité de s’en
tenir à la philo d’avant midi et de lui trouver
une alternative théoriquement cohérente, s’explique
par le fait que N., trop enraciné dans la tradition christiano-moderne,
ne peut concevoir l’er (ie : la récupération
d’une vision grecque, naturaliste, de l’existence)
sinon comme le résultat d’une tension projectuelle,
comme une rédemption qu’il faut atteindre, et qui,
en définitive, devrait rendre l’homme éternel,
ie, lui enlever précisément cette mortalité
naturelle qui inspirait le naturalisme antique.
Si cela échoue, c’est donc parce que, chez N.,
le rapport de l’homme et du monde reste irrésolu;
et que N. qui a voulu être grec, a été en
réalité profondément chrétien, dans
le moment où il a manifesté une irrésistible
volonté de futur, elle aussi vouée à l’échec
après la perte du dieu chrétien qui aurait pu
apparaître comme le sens du mouvement.
Bref selon L. la doctrine de l’er est une théodicée
dans laquelle est recherchée l’harmonie entre la
marche du monde et l’existence humaine