Plan
Avertissement
I- la métaphysique est-elle une science ? (A)
Introduction : le but général de Kant
A-l’examen des sciences
B- le " problème " de la métaphysique (§9)
C- les trois grandes attitudes de la raison : le dogmatisme, le scepticisme, le criticisme
II- La nouvelle théorie de la connaissance (A) (B) (C)
A-La révolution copernicienne (A) §11
B- L’idéalisme transcendantal (A) (B)
Conclusion : le sauvetage kantien de la métaphysique
Vocabulaire
Cours
Ce cours peut être considéré comme une annexe aux cours suivants : " Les théories scientifiques sont-elles issues de lexpérience ? ", " La révolution copernicienne " et " Quest-ce que la philosophie ".
Il est avant tout une lecture de la préface à la seconde édition de la Critique de la raison pure (1781 pour la 1ère édition, 1787 pour la seconde). Mais pour cette lecture, je ferai appel à dautres textes importants pour bien comprendre la théorie de Kant ; il sagit essentiellement de lintroduction (op. cit.), ainsi que la première partie des Prolégomènes à toute métaphysique future qui voudra se présenter comme science (1783). Les élèves de terminale pourront se contenter de la première uvre, les élèves de 2nd cycle devront lire les deux uvres lune à la suite de lautre. Je vous conseille fortement de lire ces textes avant de lire mon cours ; puis de lire alternativement le cours et les textes ; mais pour que le cours soit plus facile à suivre, je vous renvoie précisément aux passages essentiels ; ainsi pourrez-vous, une fois avoir suivi ce cours, lire de nouveau intégralement et " seuls " les textes, et mieux les comprendre. Jajoute que, toujours par souci de simplicité, je me référerai au premier texte la seconde préface de la Critique de la raison pure- par le signe (A) ; au second lintroduction de la Critique de la raison pure- par le signe (B) ; au troisième les Prolégomènes- par le signe (C).
I- la métaphysique est-elle une science ? (A)
Le projet de Kant est de savoir si la métaphysique est une science ; pour ce faire, il faut dabord savoir ce quest une science : il sagit de savoir si, " dans le travail que lon fait sur des connaissances qui sont du domaine propre de la raison, on suit ou non la voie sûre dune science" ( §1). Ainsi Kant va-t-il étudier successivement toutes les sciences existantes, pour voir si ce sont vraiment des sciences, et déterminer ce qui fait quelles sont des sciences. Alors, il pourra appliquer ce critère à la métaphysique, et voir si elle est une véritable science.
Si donc Kant sintéresse aux sciences, et à ce qui fait quune science est une science, retenez bien que ce nest pas de manière complètement désintéressée : cest avant tout pour critiquer les prétentions de la métaphysique à se présenter comme science.
Mais avant daborder ce point, comme on la dit, Kant se demande ce quest une science, en étudiant successivement toutes les connaissances issues de la raison, et qui se présentent comme des sciences. Il sagit de la logique, des mathématiques, et de la physique. En dernière position, viendra la métaphysique.
Dans les §§ 2 et 3, Kant commence son examen des sciences par la logique : cest quelle apparaît comme étant la plus certaine des sciences (cf. cours logique et mathématiques, partie I). Elle est la science la plus exacte et la plus sûre, car elle est toujours vraie. Elle a en effet à voir avec la déduction, avec les règles dune pensée valide. Par exemple : "si a alors non a " est un énoncé logiquement faux car il nobéit pas au principe de contradiction selon lequel une chose ne peut en même temps être elle même et son contraire.
Or, Kant va dire que ce qui fait la certitude de la logique, fait aussi ses limites. En effet, si la logique est une " science " si certaine, cest parce quelle na pas dobjets. Ici, la raison na affaire quà elle-même. La logique ne soccupe que des règles dont la raison se sert pour penser. Si bien que la logique nest pas une véritable science, elle nest que " le vestibule des sciences ". Elle servira à la condition minimale de la vérité, qui est la non-contradiction, laccord avec soi-même.
La logique nétant certaine que parce quelle est une connaissance purement formelle, vide de contenu, où la raison ne sapplique quà elle-même, elle est limitée, et nest donc pas le modèle de la connaissance. Elle est dailleurs achevée, et on na rien à en apprendre.
Quen est-il des mathématiques ? Elles aussi se présentent comme un savoir certain. Mais, à la différence de la logique, elles ont un contenu. Elles sont une connaissance exacte et certaine, certes, mais elles ne sont pas purement formelles. Ici, la raison ne sapplique pas seulement à elle-même.
Kant opère ici une certaine révolution dans la caractérisation de la spécificité des mathématiques. Jusqualors, elles étaient considérées comme étant de nature logique (cf. (B) § 5). Kant va avoir une conception intuitionniste des mathématiques : en mathématiques, contrairement à la logique, tout nest pas affaire seulement de forme, de concept, mais il faut toujours une intuition.
Kant (A) § 6 Le premier qui démontra le triangle isocèle (quil sappelât Thalès ou comme lon voudra) eut une révélation ; car il trouva quil ne devait pas suivre pas à pas ce quil voyait dans la figure, ni sattacher au simple concept de cette figure comme si cela devait lui en apprendre les propriétés, mais quil lui fallait réaliser (ou construire) cette figure, au moyen de ce quil y pensait et sy représentait lui-même a priori par concepts (ie par construction), et que, pour savoir sûrement quoi que ce soit a priori, il ne devait attribuer aux choses que ce qui résulterait nécessairement de ce que lui-même y avait mis, conformément à son concept. |
Kant nous dit dans ce texte que la raison mathématique nest ni pure raison, ni pure sensibilité. Elle nest pas pure raison, car on ny a pas affaire à de simples concepts. Ainsi dit-il que pour démontrer les propriétés de la figure, on ne peut se contenter de déduire ce qui est contenu dans le concept de figure. Mais elle nest pas pour autant purement sensible : ainsi dit-il quon napprend pas plus les propriétés de la figure si on se contente de la regarder, ce qui renvoie non à la raison mais aux sens.
Kant ne développe pas, ici, ce quil entend par " connaissance mathématique " ; cest quil a besoin de développer sa nouvelle théorie de la connaissance, et plus précisément, son " esthétique transcendantale ", théorie de lespace et du temps. Disons rapidement que les mathématiques sont lapplication de lesprit à nos intuitions pures a priori que sont lespace et le temps. Kant veut dire que lespace et le temps ne sont pas des intuitions empiriques, que nous acquérons par un contact immédiat avec lexpérience, mais quelles sont dans notre esprit antérieurement à toute expérience. Il prouvera cela, dans lesthétique transcendantale, en disant que nous ne pouvons avoir aucune expérience sans quelle ne nous apparaisse comme étant dans lespace et dans le temps.
Ce qui caractérise donc cette science quest la mathématique, cest que lesprit sy applique à lintuition pure. Lesprit travaille a priori mais il construit ses concepts (dans lintuition), il ne les déduit pas par pure analyse, comme en logique.
Pour plus de détails sur la conception kantienne des mathématiques, cf. cours logique et mathématiques, partie II, A et E.
Quest-ce qui caractérise la physique ? Est-elle une véritable science, et si oui, quest-ce qui fait quelle est une science ?
Cest avant tout une connaissance empirique (cf. (A) § 7 : "je ne veux considérer ici la physique quen tant quelle est fondée sur des principes empiriques "). Mais elle nest pas purement empirique : la raison y a une grande part.
Kant (A) § 7 Quand Galilée fit rouler ses sphères sur un plan incliné avec un degré daccélération dû à la pesanteur déterminé selon sa volonté, quand Torricelli fit supporter à lair un poids quil savait davance lui-même être égal à celui dune colonne deau à lui connue, ( ) ce fut une révélation lumineuse pour tous les physiciens. Ils comprirent que la raison ne voit que ce quelle produit delle-même daprès ses propres plans et quelle doit prendre les devants avec les principes qui déterminent ses jugements, suivant des lois immuables, quelle doit obliger la nature à répondre à ses questions et ne pas se laisser pour ainsi dire conduire en laisse par elle ; car, autrement, faites au hasard et sans aucun plan tracé davance, nos observations ne se rattacheraient point à une loi nécessaire, chose que la raison demande et dont elle a besoin. Il faut donc que la raison se présente à la nature tenant, dune main, ses principes qui seuls peuvent donner aux phénomènes concordant entre eux lautorité de lois, et de lautre, lexpérimentation, quelle a imaginée daprès ces principes, pour être instruite par elle, il est vrai, mais non pas comme un écolier qui se laisse dire tout ce quil plaît au maître, mais au contraire, comme un juge en fonctions qui force les témoins à répondre aux questions quil leur pose |
Ce qui fait que la physique est une science, cest que la raison humaine interroge le réel selon ses propres plans (vues a priori, qui seront pour Kant des concepts appartenant à sa structure), et le fait rentrer dedans, le soumettant ainsi à des lois. Elle ne se borne pas à recopier passivement et fidèlement le réel, qui en tant que tel ne peut rien lui apporter. Il faut dabord élaborer des lois, des théories (raison a priori) et ensuite vérifier si la théorie est valide, en faisant des expériences.
Ce qui fait de la physique une science, cest quelle est théorique, " expérimentale ", et non purement sensible. Cest une connaissance ordonnée. Et ce qui la caractérise, cest que la raison sy applique à lexpérience (non plus à lintuition pure comme les mathématiques, mais toujours de façon a priori, en projetant ses concepts sur lexpérience).
Pour plus de détails sur les rapports entre la théorie et lexpérience, cf. les cours : théorie et expérience ; l révolution copernicienne (surtout lélargissement).
Quen est-il de la métaphysique ? Nous le savons déjà, la métaphysique est pour Kant un problème : elle revendique le statut de science, mais pourtant, il semble que ce statut nemporte pas la conviction.
Cest bien le constat de Kant, dans le §9 :
Kant, (A) § 9 La Métaphysique, connaissance spéculative de la raison tout à fait isolée et qui sélève complètement au-dessus de enseignements de lexpérience par de simples concepts (et non pas, comme la Mathématique, en appliquant ses concepts à lintuition), et où, par conséquent, la raison doit être son propre élève, na pas encore eu jusquici lheureuse destinée de pouvoir sengager dans la voie sûre dune science ( ). (Kant va en donner deux raisons) (1) En elle, il faut sans cesse rebrousser chemin, parce quon trouve que la route quon a suivie ne mène pas là où lon veut arriver. (2) Quant à laccord de ses partisans dans leurs assertions, elle en est tellement éloignée quelle semble être plutôt une arène tout particulièrement destinée à exercer les forces des lutteurs en des combats de parade et où jamais un champion na pu se rendre maître de la plus petite place et fonder sa victoire sur une position durable. On ne peut pas hésiter à dire que sa méthode nait été jusquici quun simple tâtonnement et, ce quil y a de plus fâcheux, un tâtonnement entre de simples concepts. |
Kant en donne ici une définition par la méthode, et par la faculté de connaissance employée. Par la méthode : il sagit dune connaissance "spéculative ", qui recourt à des concepts, et non à lexpérience ; plus précisément, elle "sélève complètement au-dessus des enseignements par lexpérience ". Par la faculté de connaissance employée : il sagit de la "raison ". On a donc deux grands traits caractéristiques de la métaphysique : un emploi de la raison sans expérience et des concepts sans intuitions.
Cela revient à dire, dores et déjà, que la métaphysique nest pas une science, puisque les deux sciences acceptées par Kant sont les mathématiques et la physique : la première est le concept appliqué à lintuition (pure) et la seconde, la raison combinée avec, ou appliquée à, lexpérience.
Pour comprendre en quoi consiste précisément ce genre de savoir, prenons lexemple de Leibniz, grand métaphysicien du 17e auquel Kant réfère souvent. Leibniz estimait fournir des connaissances de ce quest le monde véritablement, ie, de ce quest le monde, au-delà des apparences sensibles. Il parle donc bien du monde, mais sans se référer aux "enseignements de lexpérience ". Il se réfère à sa raison seule, et donc, seulement à des concepts (idées abstraites). La raison est donc la faculté de lesprit qui nous permet de connaître le fonds de la réalité, qui nest pas sensible, puisquon ne peut le connaître par expérience, mais " intelligible ". Seul lesprit est à même de pouvoir atteindre une telle réalité. Par suite, la métaphysique est un discours qui prétend connaître, non pas seulement le monde, mais lâme, et Dieu. Tous les métaphysiciens sattachent à démontrer par la force seule de lesprit, que Dieu existe, que lâme existe, quils ont telle propriété, etc. Ils ont une grande foi en la raison, qui a en elle (=indépendamment de lexpérience = a priori) de quoi dire comment est la réalité. Cette foi en la raison leur vient évidemment de sa réussite dans les sciences précitées.
La métaphysique se présente donc comme une science, mais encore, comme la science suprême, comme LE savoir. Kant parlera plus tard à son propos dune attitude dogmatique : ceci, parce que la raison métaphysique est certaine de sa capacité à connaître, elle ne doute pas delle-même.
NB : précisons que Kant détermine également la métaphysique par son objet. Elle a précisément trois objets spécifiques : il sagit de lâme, du monde, de Dieu. Est métaphysique, tout discours qui prétend dire ce quest lâme (est-elle mortelle ou immortelle, simple ou composée, etc. ?), ce quest le monde (est-il composé ou non datomes, est-il infini ou non, etc. ?), ce quest Dieu et sil existe. Par là, on voit que la métaphysique est cette connaissance qui prétend soulever le voile des apparences, afin de découvrir la nature ultime, véritable, des choses, mais aussi, elle interroge sur le sens de la réalité, et rejoint par là la religion (pourquoi sommes-nous là ? etc.)
Il nous faut préciser avant daller plus avant dans notre analyse que Kant use dun terme spécial pour caractériser cette forme de connaissance du monde par la pensée quest la métaphysique. Il sagit de lexpression de " jugement synthétique a priori ". Un jugement est dit synthétique a priori quand il prétend se prononcer sur lexpérience et apporter des connaissances (cest la signification du terme de " synthétique ") en se fondant pour ce faire, non pas sur lexpérience (il serait alors dit " a posteriori ") mais sur la raison elle seule, sur les concepts, sur la pensée (il est donc " a priori " : indépendant et antérieur à lexpérience, et nayant pas besoin delle pour que lon sache quil est vrai). Comment peut-on avoir des connaissances, sans recourir à lexpérience ? Comment des jugements synthétiques a priori sont-ils possibles, et sont-ils même possibles ? Ces questions sont la forme particulière que prend le problème de la légitimité de la métaphysique chez Kant. De la réponse à cette question, dépendra le destin même de la métaphysique.
Or, la métaphysique, nous dit Kant, apparaît comme un perpétuel champ de bataille, ie, comme un domaine plein de contradictions et où on nobtient donc aucun résultat certain. Pourquoi ?
Parce que, ici, on ne peut recourir à lexpérience pour départager deux théories concurrentes : ainsi, si un métaphysicien quelconque défend lidée que le monde est infini, et lautre quil est fini, comment les départager ? Comment savoir qui a raison, et donc, qui est dans le vrai ? Chacun développe des arguments valides en faveur de la thèse à laquelle il croit, et la démontre habilement par simples concepts. Les deux sont à la limite possibles ! On ne peut donc trouver ici rien qui permette laccord : il ny a pas de communauté de métaphysiciens et donc aucun savoir ne peut être atteint par cette voie.
NB : cf. grande ressemblance de la métaphysique avec la logique, qui a pour spécificité de navoir pas de contenu.
C- les trois grandes attitudes de la raison : le dogmatisme, le scepticisme, le criticisme
1) Lenfance et ladolescence de la raison : du dogmatisme au scepticisme
Cet état de guerre de la métaphysique a mené au scepticisme. Après la période dogmatique pendant laquelle la raison a eu autant confiance en elle, est venu le doute concernant les capacités de la raison à connaître, conséquence nécessaire de léchec de la raison à apporter un savoir sûr et certain. Cf. (C) Préface (le passage sur Hume)
Kant (A) §18 Or, doù vient quon na pu trouver encore ici la sûre voie de la science ? Cela serait-il par hasard impossible ? ( ) combien peu de motifs nous avons de nous fier à notre raison si, non seulement elle nous abandonne dans un des sujets les plus importants de notre curiosité, mais si encore elle nous amorce par illusions dabord, pour nous tromper ensuite ? |
Mais Kant refuse le scepticisme concernant la raison humaine. Il serait absurde quelle ne nous serve à rien ; de plus, la raison a réussi à obtenir, dans la science physique, de grands résultats. Il semble quelle fournisse à la connaissance des éléments issus de son propre fonds, des éléments a priori : condamner la métaphysique en clamant son absurdité, cest donc aussi condamner la science, en disant quelle aussi est illégitime, puisque, tout comme la métaphysique, elle semble recourir à des jugements synthétiques a priori. Or, pour Kant, cest un fait indéniable quil y a des sciences, et que par conséquent, que la raison est capable de nous apporter des connaissances.
En fait, si la raison échoue en métaphysique, elle ny échoue que faute dune mauvaise application de la raison, et celle-ci nest quun usage non réfléchi de la raison. La métaphysique, forte des succès de la raison dans la logique, dans les mathématiques, et dans la physique, sest crue capable de trouver en elle-même tout ce quil fallait pour connaître la réalité (sans sappuyer sur lexpérience). Jamais la raison ne sest demandé comment elle était parvenue à ces glorieux résultats, et dans quelles limites elle pouvait le faire.
Kant fait donc appel, contre le scepticisme, non au dogmatisme, quil vient également de rejeter, mais à une attitude critique, quil nommera encore plus tard "transcendantale ". Le terme de critique se trouve dans le titre de son uvre ("critique de la raison pure "). Il faut que, avant de chercher à connaître quoi que ce soit, la raison sapplique à elle-même pour se juger, pour savoir ce quelle peut faire et dans quelles limites.
Kant (A) § 16 La Critique ( ) est opposée au dogmatisme, ie, la prétention daller de lavant avec une connaissance pure (la connaissance philosophique) tirée de concepts daprès des principes tels que ceux dont la raison fait usage depuis longtemps sans se demander comment ni de quel droit elle y est arrivée. Le dogmatisme est donc la marche dogmatique que suit la raison pure sans avoir fait une critique préalable de son pouvoir propre. |
Pourquoi la nécessité dune critique de la raison simpose-t-elle ? Pourquoi cette idée de limites ?
Commentaire de H. Grenier, La connaissance philosophique, Masson et Cie, 1973 , p. 59 Parce que si fonder revient à valider, authentifier un pouvoir, létablir dans ses droits, cest le propre de tout droit que de marquer les limites de son ressort. Tout droit saccompagne au moins dun devoir, celui de se délimiter. Une puissance ne se compare pas à un pouvoir. Une puissance est absolue et se situe au-delà du droit. Pour nous, un droit sans limite sinjurierait lui-même, comme il le fait dans le dogmatisme, cette manifestation débridée dune raison sauvage, incapable de se donner un état civil. |
Lidée de limite du savoir, de la raison, nest donc pas négative, mais positive. Il sagit de savoir jusquoù on peut aller dans lusage de la raison, sans " déraper ". De plus, toujours dans le § 16, Kant dit que " la Critique est plutôt la préparation nécessaire au développement dune métaphysique établie en tant que science "
NB : cette critique de la raison dogmatique vaut aussi de la raison scientifique irréfléchie, celle que lon a pu appeler " scientiste " et qui a cru pouvoir atteindre le savoir absolu, du fait de ses grands progrès à un moment donné (cf. Comte et son " esprit positif ").
Le sceptique dit que la raison, dans les connaissances quelle produit, dépasse toujours lexpérience (il y a de la priori dans toute science : cf. physique et mathématiques, et ne parlons pas de la métaphysique, qui montre à quel point la raison " fait nimporte quoi ", projette ses attentes sur le réel ) ; il en déduit quil ny a pas de véritable science. Le philosophe transcendantal, lui, part de la réalité des sciences, pour remonter à leurs conditions de possibilité : il y a des sciences, la raison nous apporte des savoirs ; comment fait-elle ? Quelles sont les conditions de possibilité de la science telle quelle existe ? Quelles sont les structures doù la science tire ses possibilités ?
NB : " transcendantal " signifie : 1) conditions de possibilité dune connaissance ; mais aussi, comme nous le verrons ci-dessous, 2) science des éléments a priori de la connaissance.
Cest cette critique qui a donc cruellement manqué à la métaphysique. Par la critique, Kant compte donc redonner tout son sens, à la fois à la raison et à la métaphysique. Nous allons voir que cette attitude critique va lui permettre daccomplir la " révolution copernicienne " en philosophie, qui avait permis aux sciences de se constituer en sciences et de connaître le progrès.
II- La nouvelle théorie de la connaissance (A) (B) (C)
Ainsi, pour résoudre les problèmes connexes de la métaphysique et de la raison, Kant ne fait rien dautre que de prendre appui sur son exposé des sciences. Il a en effet montré, dans lexposé de chacune dentre elles, que toute science a pu progresser en changeant radicalement de méthode. Il ne sagit de rien dautre que dune application de la question critique/ transcendantale, puisquil sagit de se demander comment les sciences ont pu devenir sciences.
On voit bien en effet, dans le texte (A) que Kant ne veut pas abandonner la métaphysique, mais veut essayer de lui redonner un sens. Comment ? Il en donne la clef à la fin du § 10 : " Peut-être jusquici ne sest-on que trompé de route : quels indices pouvons-nous utiliser pour espérer quen renouvelant nos recherches nous serons plus heureux quon ne la été avant nous ? ".
Les mathématiques doivent ainsi leur progrès à une " révolution dans la méthode " :
Kant (A) § 6 ( ) elle est restée longtemps à tâtonner et ce changement définitif doit être attribué à une révolution quopéra lidée dun seul homme, dans une tentative à partir de laquelle la voie que lon devait suivre ne devait plus restée cachée et par laquelle était ouverte et tracée, pour tous les temps et à des distances infinies, la sûre voie scientifique. Lhistoire de cette révolution dans la méthode, qui fut plus importante que la découverte du fameux chemin du cap, et celle de lheureux mortel qui laccomplit, ne nous sont point parvenues |
Il en est de même pour la physique : ainsi dit-il dans (A) § 7 que le progrès dans la physique et son avènement au range de science, "ne peut que sexpliquer par une révolution subite dans la manière de penser ".
Pourquoi ne pourrait-on faire la même chose en philosophie ? Si la métaphysique tâtonne autant, peut-être est-ce parce quelle na pas encore opéré ce radical changement de méthode ? -Changement de méthode qui ne pouvait bien entendu être possible quà partir du moment où a une attitude critique envers la raison.
Kant (A) §§10 et 11 ( ) Peut-être jusquici ne sest-on trompé que de route : quels indices pouvons-nous utiliser pour espérer quen renouvelant nos recherches nous serons plus heureux quon ne la été avant nous ? Je devais penser que lexemple de la Mathématique et de la Physique qui, par leffet dune révolution subite, sont devenues ce que nous les voyons, était assez remarquable pour faire réfléchir sur le caractère essentiel de ce changement de méthode qui leur a été si avantageux et pour porter à limiter ici du moins à titre dessai,- autant que le permet leur analogie, en tant que connaissances rationnelles, avec la métaphysique. Jusquici on admettait que toute notre connaissance devait se régler sur les objets ; mais, dans cette hypothèse, tous les efforts tentés pour établir sur eux quelque jugement a priori par concepts, ce qui aurait accru notre connaissance, naboutissaient à rien. Que lon essaie donc enfin de voir si nous ne serons pas plus heureux dans les problèmes de la métaphysique en supposant que les objets doivent se régler sur notre connaissance, ce qui saccorde déjà mieux avec la possibilité désirée dune connaissance a priori. |
Rappel : la révolution copernicienne est ce " moment ", dans lhistoire des sciences, où lon décide, face aux problèmes que pose lancienne astronomie géocentriste de Ptolémée, de changer de référentiel : les choses ne seraient-elles pas plus simples si lon échangeait les rôles respectifs de la terre et du soleil ? Ie, si on faisait tourner la terre autour du soleil, au lieu de dire, comme auparavant, que le soleil tourne autour de la terre ? Cf. cours " lrévolution copernicienne "
Ainsi Kant va chercher sil ne serait pas possible de changer les rôles du sujet et de lobjet dans la connaissance, et résoudre les problèmes de la métaphysique. En effet, dans lhypothèse où on suppose que la connaissance est un processus dans lequel le sujet (lesprit connaissant) recopie fidèlement et passivement la réalité, et reçoit donc tout de lextérieur, sans rien apporter de lui-même, alors, la métaphysique, qui suppose que la raison peut, sans recourir à aucune expérience, connaître quelque chose, apporter des connaissances, est une entreprise dénuée de sens. Peut-être quen supposant le contraire, on va pouvoir lui donner un sens et une certaine validité.
B- Lidéalisme transcendantal (A) (B)
Comment cette nouvelle méthode permet-elle à Kant de résoudre les problèmes connexes de la métaphysique et de la raison scientifique ? Quelle est sa nouvelle théorie de la connaissance, le nouveau rôle de la raison dans la connaissance ? Comment la raison connaît-elle et que connaît-elle ? Et surtout, que connaît-elle a priori des choses ? Cette dernière question permet vraiment de voir sil y a un usage valide de la métaphysique. Rappelons ici que le problème de la métaphysique prend chez Kant un nouveau nom : celui de savoir si et comment est possible un jugement synthétique a priori. Comment peut-on connaître a priori quelque chose de la réalité ? et le peut-on ?
Je vous conseille ici la lecture du texte suivant, que mon exposé permettra dexpliquer ; mais on ne peut se contenter dun commentaire linéaire de ce seul texte pour expliquer en quoi consiste la révolution kantienne. Je vais également me reporter, et même davantage, à (B). Ce nest quensuite que, à mon sens, séclairera ce texte.
Kant (A) §§ 11 et 12 § 11 Or, en métaphysique, on peut faire un pareil essai, pour ce qui est de lintuition des objets. Si lintuition devait se régler sur la nature des objets, je ne vois pas comment on en pourrait connaître quelque chose a priori ; si lobjet, au contraire (en tant quobjet des sens), se règle sur la nature de notre pouvoir dintuition, je puis me représenter à merveille cette possibilité. Mais, comme je ne peux pas men tenir à ces intuitions, si elles doivent devenir des connaissances ; et comme il faut que je les rapporte, en tant que représentations, à quelque chose qui en soit lobjet et que je détermine par leur moyen, je puis admettre lune de ces hypothèses : (1) ou les concepts par lesquels jopère cette détermination se règlent aussi sur lobjet, et alors je me trouve dans la même difficulté sur la question de savoir comment je peux en connaître quelque chose a priori, (2) ou bien les objets, ou, ce qui revient au même, lexpérience dans laquelle seuls ils sont connus (en tant quobjets donnés) se règle sur ces concepts.et je vois aussitôt un moyen de sortir de lembarras. En effet, lexpérience elle-même est un mode de connaissance qui exige le concours de lentendement dont il me faut présupposer la règle en moi-même avant que les objets me soient donnés par conséquent a priori, et cette règle sexprime en des concepts a priori sur lesquels tous les objets de lexpérience doivent nécessairement se régler et avec lesquels ils doivent saccorder ( ) nous ne connaissons a priori des choses que ce que nous y mettons nous-mêmes. §12 Cet essai réussit à souhait et promet à la métaphysique, dans sa première partie, où elle ne soccupe que des concepts a priori dont les objets correspondants peuvent être donnés dans lexpérience conformément à ces concepts, le sûr chemin dune science. On peut, en effet, très bien expliquer, à laide de ce changement de méthode, la possibilité dune connaissance a priori et, ce qui est encore plus, doter les lois, qui servent a priori de fondement à la nature, considérée comme lensemble des objets de lexpérience, de leurs preuves suffisantes deux choses qui étaient impossibles avec la méthode jusquici adoptée. Mais cette déduction de notre pouvoir de connaître a priori conduit, dans la première partie de la métaphysique, à un résultat étrange et qui, en apparence est très préjudiciable au but quelle poursuit dans sa seconde partie : cest quavec ce pouvoir nous ne pouvons pas dépasser les limites de lexpérience possible, ce qui pourtant est laffaire la plus essentielle de cette science. ( ) cette faculté natteint que des phénomènes et non les choses en soi qui, bien que réelles par elles-mêmes, restent inconnues de nous. |
Lanalogie avec la révolution dans la méthode se comprend facilement : en effet, Kant veut changer de point de vue, changer de méthode en philosophie. Mais lanalogie avec la révolution copernicienne lest beaucoup moins, quand on la développe. Copernic a changé de point de vue par rapport au géocentrisme : il a fait lhypothèse que la terre tourne autour du soleil. Mais cela avait pour conséquence darracher lhomme à la place quil sétait arrogée au centre du cosmos (cf. cours révolution copernicienne). Or, en quoi va consister la révolution kantienne ? A donner une place centrale au sujet connaissant ! Il va faire tourner la réalité autour de la structure de notre esprit. Cf. dans le texte " nous ne connaissons (a priori) des choses que ce que nous y mettons nous-mêmes " Donc, ce que Kant renverse nest-ce pas Copernic lui-même ?
Mais que veut-on dire, quand on dit que Kant fait tourner la réalité autour de la structure de notre esprit ? Cest ce que nous allons voir en exposant la nouvelle philosophie de la connaissance de Kant, lidéalisme transcendantal.
1) Le rôle du sujet dans lélaboration de lexpérience (B) §§ I et II
Il consiste à dire que, dans la connaissance, tout ne vient pas de la réalité seule. Le rapport sujet/ objet dans la connaissance ne peut être un rapport dans lequel le sujet est passif, un réceptacle, et le réel, lextérieur, actif.
Pourquoi ? Parce que la connaissance, comme le dit Kant en (B), si elle est le point de départ de toute connaissance (en tant quelle lui apporte un contenu, une " matière "), ne peut suffire à nous donner une connaissance véritable. Entre la perception dun corps qui tombe et la loi de linertie, il y a un gouffre ! Dans la perception première, en effet, on ne trouve que la rencontre avec un certain corps individuel qui tombe ; on ne sait pas si tous les corps tombent, sils tomberont tout le temps, et dans quelles circonstances, etc. Bref, dans un cas, on a un énoncé particulier, dans lautre, on a une loi, un énoncé universel et nécessaire. Si vous avez bien compris la critique de linduction (cf. cours théorie et expérience ; et la dissertation " Lexpérience instruit-elle? "), vous devez maintenant savoir que lon ne peut tirer un tel énoncé, universel et nécessaire, de lexpérience. Rien dans lexpérience nest susceptible de nous procurer quoi que ce soit duniversel et nécessaire.
Mais, là où Hume disait, dans son Enquête sur lentendement humain : donc, la connaissance scientifique nest pas fondée, puisquelle va sans arrêt au-delà de lexpérience, Kant va dire que, puisquil y a une science, puisque nous avons des énoncés universels et nécessaires (du genre : " deux et deux font quatre ", " tout changement doit avoir une cause "), cest quil y a quelque chose dautre que lexpérience, qui participe à lélaboration des connaissances. Ce quelque chose dautre devra être indépendant de lexpérience, au sens où il aura sa source indépendamment delle ; Kant le nomme " a priori ". Est a priori quelque chose dont on dispose avant toute expérience.
Où le trouver ? Nulle part ailleurs que dans les structures de notre esprit. Lexpérience apporte à la connaissance un matériau, un contenu, et lesprit connaissant lui imprime la forme, une unité, un ordre. Cest donc lesprit qui est chez Kant lauteur de lexpérience (pas de sa matière, mais de sa forme).
Kant (B) § II Et ce nest pas simplement dans les jugements, mais encore dans quelques concepts mêmes que se révèle une origine a priori. Enlevez peu à peu du concept expérimental que vous avez dun corps tout ce quil a dempirique : la couleur, la dureté ou la mollesse, la pesanteur, limpénétrabilité, il reste cependant lespace quoccupait ce corps (maintenant totalement évanoui) et que vous ne pouvez pas faire disparaître Pareillement, si dans le concept empirique que vous avez dun objet quel quil soit, corporel ou non corporel, vous laissez de côté toutes les propriétés que vous enseigne lexpérience, il en est une cependant que vous ne pouvez lui enlever, celle qui vous le fait penser comme substance ou comme inhérent à une substance ( ). Il faut donc que, poussés par la nécessité avec laquelle un concept simpose à vous, vous reconnaissiez quil a son siège a priori dans votre pouvoir de connaissance. |
Kant nous dit ici que en plus des jugements a priori (" tout événement a une cause "), il semble également y avoir des intuitions ainsi que des concepts a priori ; ce sont eux qui nous permettent, justement, de former les jugements a priori.
Il en donne deux exemples : lespace, et la substance. Ces deux éléments ne peuvent se trouver quen notre esprit, car ils sont a priori, ie, indépendants de lexpérience. Kant en obtient la preuve par une expérience de pensée : enlevez aux corps toutes leurs qualités sensibles, donc, tout ce que vous en donne lexpérience, et vous aurez toujours quelque chose, dont vous ne pouvez vous dépouiller ; il sagit de lespace, et de la substance. Ces deux concepts apparaissent dans toute expérience, et pourtant, ils en sont indépendants. Ils ne viennent donc pas de lexpérience, mais de lesprit.
Kant va développer cela en détail dans la Critique de la raison pure : il sagit de lidéalisme transcendantal, nom quil donne à sa nouvelle théorie de la connaissance, théorie dans laquelle cest le sujet pensant qui est la source de lexpérience, et plus précisément, qui est la condition même de toute expérience.
Essayons de la résumer à laide des deux derniers textes auxquels nous avons fait référence : (B) § II et (A) §§ 11 et 12; dans ce dernier texte, comme dans celui que nous venons de lire, Kant dit que la nouvelle méthode permet dexpliquer à la fois le niveau sensible de lexpérience, et son niveau intellectuel (intuition des objets/ concepts par lesquels nous déterminons ces concepts = espace et temps/ causalité, substance, etc.)
Point de départ : lesprit a en lui une structure a priori qui élabore ce que nous apporte lexpérience (au sens de donné brut). On peut désigner cette structure par des termes multiples : une forme, un ordre, une unité, un " cadre ", un " filtre ". Il y a des formes sensibles, et des formes intellectuelles.
Voyons dabord ce quil en est des formes sensibles, et du premier niveau de lexpérience.
Cest dans la partie nommée " esthétique transcendantale " que Kant nous explique ce qui se passe au plus bas niveau de notre expérience. Ce niveau, cest le niveau sensible, immédiat, premier, de lexpérience. Esthétique transcendantale signifie science de la sensation, et plus précisément, science des conditions de toute expérience sensible (science des principes a priori de la sensibilité). Il se pose la question de savoir comment elle est possible, et quels éléments sont requis.
Au point de départ de toute expérience, quavons-nous ? Un ensemble de données sensibles non ordonnées (un " fouillis sensible ", que Kant nomme le divers de la sensation, ou encore, la matière de toute représentation/ intuition sensible). Ce chaos na rien en lui qui lui permette dêtre ordonné. Il sagit de tout ce que le sujet reçoit de lextérieur. Cest donc la matière de lexpérience.
Cest lesprit qui va lui donner une première mise en forme, une première unité, grâce à ses cadres que sont lespace et le temps. Lespace et le temps sont des structures de notre esprit, que Kant nomme à ce stade notre " sensibilité " (= côté sensible de lesprit). Ils ne sont donc pas dans les choses elles-mêmes. Ces cadres sont appelés des " intuitions pures " ou encore " formes de lintuition ". Ceci, parce que, nous lavons déjà vu, ils ne viennent pas de lexpérience. Mais ils sont antérieurs à elle, et en sont la condition même de possibilité. On ne peut rien imaginer sans se représenter ce quelque chose dans un espace ou dans un temps.
Exemple de lespace : afin que nous puissions nous rapporter à des objets comme étant hors de nous et comme placés tous ensemble dans lespace, il faut déjà que jai la représentation despace. Cf. Esthétique Transcendantale, in Critique de la raison pure, I, § 2, 1) : " lexpérience extérieure nest elle-même possible avant tout quau moyen de cette représentation ". Doù :
Kant, CRPure, Esthétique Transcendantale, I, § 2, 1) Lespace est une représentation nécessaire a priori qui sert de fondement à toutes les intuitions extérieures. On ne peut jamais se représenter quil ny ait pas despace, quoique lon puisse bien penser quil ny ait pas dobjets dans lespace. Il est considéré comme la condition de possibilité des phénomènes, et non pas comme une détermination qui en dépende, et il est une représentation a priori qui sert de fondement, dune manière nécessaire, aux phénomènes extérieurs. |
Ensuite, une fois cette première unité obtenue, une fois établi ce premier ordre dans les données que nous recevons du dehors, lesprit va recourir à dautres cadres : ces cadres sont appelés des " catégories ", ou " concepts purs ".
Kant expose ces éléments intellectuels (non plus sensibles) a priori de la connaissance dans la logique transcendantale, et plus précisément, dans la partie de cette logique appelée " analytique transcendantale " : il sagit de la science de nos concepts a priori.
Exemples : la cause, la substance (permanence dans le temps). Ces concepts purs, indépendants de lexpérience, mettent en rapport les objets divers qui constituent notre expérience, en en faisant la liaison (= synthèse).
Comment Kant les a-t-il trouvés ? En prenant pour fil directeur la table logique des jugements établie par la logique formelle (issue dAristote). Pourquoi ? Parce que le concept est ce qui nous permet dunifier en une représentation une diversité de représentations. Or, quest-ce quun jugement ? Cest une manière de lier un sujet et un prédicat, cest une unification dune diversité. Et si le concept est une fonction dunification, alors, cest quil est une possibilité de jugement, mais celui-ci est comme tel, en tant que seulement possible, indéterminé. On va donc pouvoir explorer la table des jugements possibles, afin de dénombrer les concepts de lentendement.
Voici la table des catégories obtenue par Kant à partir de la table des jugements :
Logique générale (table des jugements formels) |
Logique transcendantale (table des catégories) |
Universels Particuliers Singuliers |
Unité Pluralité Totalité |
Affirmatifs Négatifs Indéfinis |
2-Qualité Réalité Négation Limitation |
Catégoriques Hypothétiques Disjonctifs |
3-Relation Substance et accident Cause-effet Action réciproque entre lagent et lagent (communauté) |
Problématiques Assertoriques Apodictiques |
Possibilité-Impossibilité Existence-Non existence Nécessité-Contingence |
Les catégories obtenues sont donc les conditions a priori de toute expérience possible, et de toute connaissance scientifique. Aucun objet et aucune liaison dobjets réels ne peuvent contredire ces catégories. Elles ne dépendent pas de lexpérience, car elles sont nécessaires et universelles (présentes dans toute expérience et toujours les mêmes) : or, lexpérience est contingente et toujours changeante. Toute connaissance devra obéir à ces conditions, qui nous disent quelles conditions doivent remplir les objets dont nous ferons lexpérience. Pas dobjet, pas dexpérience, qui ne réponde pas à ces conditions préalables.
Sans ces catégories, on ne pourrait pas vivre, parce que les objets nauraient entre eux aucun lien, et nauraient même aucune permanence. Par exemple, une chose pourrait être elle-même et son contraire, linstant qui suit pourrait être cause de linstant davant, je ne serais pas sûr de pouvoir retrouver les choses quhier jai mis à tel endroit, parce que cette chose pourrait peut-être disparaître entre temps, cesser dexister, etc.
Ces concepts purs sont donc a priori dans le même double sens que lespace et le temps : ils sont antérieurs à toute expérience, et la rendent possible : ce sont les conditions même de lexpérience.
Vous allez me dire que tout ceci nest pas si nouveau, et donc, pas si révolutionnaire : Descartes ne disait-il pas la même chose dans son morceau de cire ? Quand on enlève successivement (par une expérience de pensée) à la cire quon passe sous le feu ses qualités sensibles, il ne reste quun " quelque chose " qui est la substance. Et cette substance ne vient que de notre esprit, pas de lexpérience, puisquelle ne nous donne rien de permanent. Kant, ici, se réfère à cette même substance, et dit quelle est lélément a priori de notre connaissance/ expérience. Et cet élément, nous dit-il à la fin, ne peut avoir son siège que dans notre pouvoir de connaissance.
Mais en fait, il y a une différence, et elle est de taille. Cest elle qui va nous faire passer dune philosophie du sujet à une philosophie du sujet transcendantal. Descartes disait juste que dans toute perception, il y a intervention du sujet, puisque cest en lui que se trouve lunité de lobjet perçu. Mais il sarrêtait là. On ne savait pas si lexpérience était alors une réelle connaissance de la réalité, si elle était objective : peut-être avait-on tort de projeter ainsi notre esprit sur le réel ? Cest ce que lui reprochera Hume. Kant, lui, a " vu " que le seul moyen de justifier les prétentions de la raison à connaître quoi que ce soit a priori, est de dire que les objets de notre expérience obéissent à ces mêmes structures de notre esprit. Ainsi, il y aurait accord assuré entre la réalité et lesprit. Mais comment cela est-il possible ?
Le " génie " de Kant va consister à dire quil est nécessaire de prendre lobjet en deux sens. Il y a lobjet tel quil nous apparaît, tel quil est pour nous, pour notre esprit, et lobjet tel quil est en dehors de nous, en soi, indépendamment de nous. Le premier objet, Kant le nomme " phénomène " ; le second, la " chose en soi ". Ce nest que de cette manière quon va pouvoir admettre et comprendre la possibilité dune connaissance a priori et de sa légitimité.
Mais avant dexpliquer en détail cette distinction, il nous faut préciser un point important.
Nous avons dit que les intuitions pures et les concepts purs sont antérieurs et donc indépendants de toute expérience, mais aussi, quils sont les conditions de possibilité de lexpérience. De là, découle une limitation de nos intuitions et concepts purs. Kant va dire (dans la seconde partie de la logique transcendantale intitulée " analytique des principes " =ensemble des règles auxquelles on doit recourir pour lapplication des catégories à lexpérience) quils ne valent que dans les limites de lexpérience, et quen combinaison avec lexpérience.
Expliquons-nous.
Nous avons dans notre esprit des formes pures a priori qui nous permettent davoir une expérience, et qui sont même lorigine des lois de la nature. Mais ces formes pures a priori ne sont que les formes de toute pensée, elles ne sont que la possibilité de lexpérience, pas la réalité ! On peut bien par elles penser (puisquelles sont des connaissances possibles), mais ce nest pas encore connaître. Pour quil y ait connaissance, il faut toujours une intuition, une expérience (au sens de " réalité extérieure ", si on veut, pas au sens de connaissance). Cest en recourant quon peut passer du possible au réel.
Cela revient à dire quon ne peut avoir une connaissance absolue des choses, puisquon ne peut connaître les choses que dans certaines limites. Kant peut ici expliquer en quoi consiste léchec de la métaphysique : elle na pas vu que les concepts purs a priori ne sont que les formes générales de toute pensée, ie, que, en tant que telles, elles sont vides et que leur utilisation " valide " nécessite le recours à lexpérience, un " remplissage "
Suite à cela, Kant va nommer " entendement " la faculté de lesprit par laquelle nous connaissons (= faculté des concepts). La " raison " est quant à elle définie comme la faculté de lesprit par laquelle nous avons tendance à réifier ces concepts purs, à croire quils peuvent nous donner des connaissances indépendamment de toute expérience (= faculté des Idées, une Idée étant une conception à laquelle rien ne correspond dans lexpérience).
b) Que tout ce que nous pouvons connaître, ce sont des phénomènes, non les choses en soi
Allons plus loin : non seulement les formes de lesprit ne valent que dans les limites de lexpérience, et quen combinaison avec lexpérience, mais elles ne valent que pour lhomme, et que pour la façon quont les choses dapparaître à lhomme.
Extraits de la Critique de la raison pure, Esthétique Transcendantale p. 66 : Ces intuitions " ne se rapportent aux objets quen tant quils sont considérés comme phénomènes et non quils sont pris comme choses en soi. Les phénomènes forment seuls le champ où elles aient de la valeur ; si lon sort de ce champ, on ne trouve plus à faire de ces formes un usage objectif " I, § 3 b) : " cette proposition : " toutes les choses sont juxtaposées dans lespace ", na de valeur quavec cette limitation, que les choses soient prises comme objets de notre intuition sensible. Si donc jajoute ici la condition au concept et que je dise : " toutes les choses, en tant que phénomènes externes, sont juxtaposées dans lespace, cette règle a alors une valeur universelle et sans restriction " |
Ces éléments purs a priori ne sappliquent quà la manière quont les choses de nous apparaître, pas aux choses telles quelles sont en soi (=indépendamment des conditions de notre sensibilité). Nous ne pouvons donc connaître les choses comme elles sont, mais seulement comme elles nous apparaissent. Nous ne pouvons nous représenter les choses que dans lespace et dans le temps, que dans des liens de causalité, etc., mais cela nest valable que de lhomme :
Esthétique Transcendantale, § 8 ( ) quant à ce que peut être la nature des objets en eux-mêmes et abstraction faite de toute réceptivité de notre sensibilité, elle nous demeure tout à fait inconnue. Nous ne connaissons que notre mode de les percevoir, mode qui nous est particulier, mais qui peut fort bien nêtre pas nécessaire pour tous les êtres, bien quil le soit seulement pour tous les hommes. |
Sans cette restriction, nous dit Kant, on ne voit pas comment on pourrait savoir a priori quoi que ce soit sur la " réalité " ! Cf. (C) 287 : sinon, " on ne voit pas du tout comment les choses devraient saccorder nécessairement avec limage que nous nous chargeons nous-mêmes détablir à lavance ". Si les objets de notre expérience étaient les choses en soi, alors, tout ce quon en apprendrait devrait dabord nous être donné ; mais le problème est que lexpérience ne nous apporte rien duniversel et nécessaire, bref : on naurait alors aucune connaissance. Alors que si on admet que nous ne connaissons des choses que les phénomènes, ie, les choses telles quelles obéissent à notre sensibilité (espace et temps), alors, on peut comprendre que lon puisse avoir en nous, a priori, de quoi intuitionner ces objets de manière universelle et nécessaire.
Ce qui " prouve ", bien évidemment, lhypothèse de Kant, cest le fait que nous ayions des connaissances universelles et nécessaires (car si seul les phénomènes rendent compte de la possibilité de ces éléments, alors, comme ces éléments sont réels, les phénomènes le sont aussi).
Nous le disions tout à lheure : par ce moyen, Kant peut expliquer que notre connaissance soit objective. En effet, dire que nous nos concepts ne valent que des objets entendus comme phénomènes, tels quils sont pour lhomme, et non des objets tels quils sont sans lhomme, cest pouvoir dire que les objets obéissent aux règles de notre esprit, sy conforment.
c) Lidéalisme transcendantal, le scepticisme, et le relativisme
Kant nest donc pas sceptique ou idéaliste (sceptique) : sil limite la connaissance à la seule expérience et plus précisément aux seuls phénomènes, cest pour la rendre plus certaine. Pour bien comprendre cela, il nous faut ainsi étudier les grandes objections que lon peut faire à Kant ; ces objections se résument à dire que lidéalisme transcendantal revient à soutenir que :
Réponses à ces objections :
Esthétique Transcendantale I, § 3, b, pp. 59-60 : (à propos de la forme pure a priori quest lespace) Cette condition subjective de tous les phénomènes extérieurs ne peut être comparée à aucune autre. Le goût agréable dun vin nappartient pas aux propriétés objectives du vin, ie, dun objet considéré même comme phénomène, mais à la nature spéciale du sens dans le sujet qui en jouit. Les couleurs ne sont pas des qualités des corps à lintuition desquels elles se rapportent, mais seulement des modifications du sens de la vue qui est affecté par la lumière dune certaine façon. Au contraire, lespace, comme condition des objets extérieurs, appartient, dune manière nécessaire, au phénomène ou à lintuition du phénomène. La saveur et les couleurs ne sont pas du tout des conditions nécessaires sous lesquelles seules les choses puissent devenir pour nous des objets des sens. Elles ne sont liées au phénomène quen qualité deffets de notre organisation particulière qui sy ajoutent accidentellement. |
Autres références utiles :
Conclusion II : Kant a donc ici expliqué que les jugements synthétiques a priori sont bien possibles ; et il a expliqué comment ils étaient possibles (à quelles conditions, et dans quelles limites)
Conclusion : le sauvetage kantien de la métaphysique
Cette nouvelle théorie de la connaissance permet de donner un nouvel usage à la raison métaphysique. Cest en limitant lapplication de la raison et donc le domaine de notre savoir que lon sauve la métaphysique.
Mais dabord, comment Kant peut-il maintenant, à laide de lidéalisme transcendantal, expliquer précisément lerreur fondamentale, et donc la source de léchec, de la métaphysique ?
Nous avons vu ci-dessus que cet échec était dû à un usage non critique de la raison. Mais encore ? Quel est précisément le principe de son erreur ?
Elle étend tout simplement les concepts purs de lentendement, hors de toute expérience possible. Plus précisément, elle attribue aux choses en elles-mêmes, ce qui ne vaut que des phénomènes. Kant appelle cet usage, un usage " transcendant " (qui va au-delà de toute expérience possible).
La raison dans son usage métaphysique croit avoir affaire, à travers les concepts purs de lentendement, à des objets réels, et même plus réels que ceux de lexpérience sensible, en tant quils sont dépourvus de toute détermination sensible. Ce sont des êtres " intelligibles ", des êtres " dentendement ", de pensée pure. Kant les nomme des " noumènes " (cf. (C) § 45)
NB : si la métaphysique est ici illégitime, elle est pourtant bien naturelle, et nul homme ne peut y échapper, pas même le scientifique. En effet, la science ne pouvant connaître que dans les limites de lexpérience, et que dans les limites de notre sensibilité, on ne peut quêtre insatisfait par ses explications. Lexpérience ne peut jamais satisfaire la raison. On veut en savoir toujours plus, et remonter encore plus loin, jusquà lorigine de ce qui est, et de ce quexplique la science. Pourquoi y a-t-il quelque chose plutôt que rien ? Y avait-il un temps avant la création ou la naissance du monde ?, etc. : voilà des questions qui appartiennent à la dialectique naturelle de la raison humaine, comme le dit Kant. Ce qui revient à dire que la raison est naturellement métaphysique, tout comme lhomme. Si la raison humaine est malade, cette maladie est pourtant au bout du compte bénéfique : en effet, elle devient pour lentendement scientifique un véritable guide vers un usage toujours plus étendu de ses concepts. Elle empêche lentendement den rester à ce quil connaît, et elle le pousse à de nouvelles connaissances. Kant nomme cet usage positif de la raison " usage régulateur " ; cest cette raison que lon retrouve dans la Critique de la faculté de juger, qui sintéresse à nos jugements esthétiques
La métaphysique a donc un usage positif ; quel est-il exactement ? Il nest autre que " linventaire de tout ce que nous possédons (a priori) par la raison pure, ordonné de façon systématique " (Critique de la raison pure, Préface 1ère éd. A), cest-à-dire, que la critique de la raison pure elle-même :
Kant, (C ), Solution de la question générale Afin que (la métaphysique) puisse, comme science, prétendre non pas à une simple persuasion trompeuse, mais à la pénétration et à la conviction, il faut quune critique de la raison elle-même expose toute létendue des concepts a priori, leur division suivant leurs diverses sources (sensibilité, entendement, raison), plus un tableau complet de ces concepts avec leur analyse et la totalité des conséquences quon peut en tirer, et ensuite et surtout la possibilité de la connaissance synthétique a priori par le moyen de la déduction de ces concepts, les principes de son utilisation, et enfin les limites de leur usage, le tout dans un système complet. |
Elle sert, non pas à prolonger nos savoirs, mais à définir le statut exact de nos connaissances
Selon Kant, la métaphysique est dès lors possible comme science et devient même la plus simple des sciences, puisque la raison ne sy applique quà elle-même, et ne prétend rien " connaître " de plus que son propre contenu.
Une telle thèse a pourtant des limites. En effet, Kant estime que le système de la raison pure est exhaustif. Or, il a obtenu ses catégories en saidant de la logique aristotélicienne, qui était empirique : comment dès lors Kant pouvait-il prétendre en tirer quelque nécessité et universalité ? Cest bien une telle critique que fait Einstein dans le texte ci-dessous :
Einstein, extrait dun compte-rendu de louvrage dAlfred Elsbach, professeur à Ultrecht, Kant und Einstein, paru dans Deutsche Litteraturzeitung, 1924, p. 1688 Selon moi, le but de Kant et de tous les kantiens a été de découvrir les concepts et relations a priori (i.e. non déductibles de lexpérience) qui fondent nécessairement toute science de la nature, parce quune science de la nature nest pas pensable sans eux. A supposer que ce but fût accessible et atteint, ces éléments a priori ne pourraient pas entrer en contradiction avec une théorie physique rationnelle future. Kant considérait ce but comme accessible et croyait lavoir atteint. Mais si lon ne considère pas ce but comme accessible, on doit évidemment renoncer à se dire " kantien ". Il y a encore peu de temps, on croyait que le système kantien de concepts et de normes a priori pourrait résister éternellement. Cette position fut tenable aussi longtemps que la science de la nature postérieure (à Kant), telle quelle était tenue pour démontrée, nenfreignit pas les normes en question. Ce qui ne se présenta de manière incontestable quavec la théorie de la relativité. A moins de vouloir prétendre que la théorie de la relativité est contradictoire avec la raison, on ne peut pas conserver le système kantien des concepts et normes a priori. Dans un premier temps, cela nexclut pas quon maintienne au moins une problématique kantienne, comme le fait par exemple Cassirer. Je pense même que cest un point de vue quaucune évolution de la science de la nature ne pourra réfuter strictement. Car on pourra toujours dire que les philosophes criticistes se sont trompés jusquà présent en établissant la liste des éléments a priori, et on pourra toujours établir un système déléments a priori qui ne soit pas contradictoire avec un système physique donné. Je tiens à dire brièvement pourquoi je ne trouve pas ce point de vue naturel. Soit une théorie physique se composant de parties (éléments) A, B, C, D qui forment ensemble un tout logique reliant correctement les expériences qui font partie de son matériau (expériences sensorielles). Dans ce cas, il arrive que le contenu conceptuel dun nombre déléments inférieur à quatre, par exemple, de A, B, et D, sans C, ne veuille encore rien dire, de la même façon que A, B, C sans D. On est libre alors de déclarer que le concept de trois des quatre éléments, par exemple A, B, et C est a priori, tandis que celui de D est déterminé empiriquement. Ce qui nest pas satisfaisant dans ce procédé, cest larbitraire du choix des éléments désignés comme a priori, qui ne tient pas compte du fait que la théorie elle-même pourrait un jour être remplacée par une autre qui, à son tour, remplacerait certains éléments, ou même les quatre par dautres. Il est vrai quon pourrait penser que nous sommes en mesure de découvrir des éléments qui ne peuvent pas ne pas être dans toute théorie, en analysant directement lentendement humain ou même la pensée. Mais la plupart des chercheurs saccorderont sans doute à dire que nous ne disposons daucune méthode pour découvrir ces éléments, même si lon est enclin à croire en leur existence. Ou bien faut-il imaginer que la découverte des éléments a priori est une sorte de processus asymptotique, qui progresse avec lévolution des sciences de la nature ? |
Dans ce texte, Einstein remet en question le point de vue kantien sur la connaissance : on ne peut déterminer tous les éléments dune théorie physique.
Kant avait, dit-il, la volonté de retrouver les normes a priori de la connaissance , qui vaudraient pour toute théorie possible. Or, cette conception na été valable quaussi longtemps que la science de son temps la été. Par conséquent, Kant a seulement dit ce qui fondait la science de son temps, et non ce qui fondait toute science. On ne peut donc, puisquil y a eu la théorie de la relativité, garder un point de vue kantien sur la connaissance, qui stipule quon pourrait découvrir les éléments constitutifs de toute théorie. On peut considérer que ces éléments a priori évoluent avec la science elle-même.
Ceci est très grave pour la validité de la critique de la raison pure et donc de lidéalisme transcendantal ; Kant lui-même navait-il pas dit, dans la Préface de (C), qu " une telle critique nest jamais sûre si elle nest pas achevée entièrement dans les moindres éléments de la raison pure et dans cette sphère, cest tout ou rien quil faut déterminer ou décider " ?
Mais, heureusement, Kant a donné à la métaphysique un sens encore plus positif, à travers la morale.
Que la métaphysique ait à voir avec la morale, cela se comprend facilement, et explique même que Kant juge très important de donner un certain sens à la métaphysique.
En effet, la métaphysique a à voir avec les questions du sens de la vie. La raison métaphysique se pose des questions ultimes sur la réalité. Pourquoi y a-t-il quelque chose plutôt que rien ? Lâme est-elle éternelle ? Y a-t-il une vie après la mort ? Dieu existe-t-il ? Sommes-nous libres ? Voilà de grandes questions métaphysiques, auxquelles il paraît impossible de répondre, parce que, dit Kant, tout ce que nous pouvons connaître est limité à ce dont nous pouvons avoir lexpérience, et donc, une intuition. Le problème est que ces questions sont liées à la morale, et léchec de la raison métaphysique à y répondre est donc une menace pour la morale. A quoi bon en effet agir moralement si notre âme est mortelle, sil ny a pas de vie au-delà de la mort, etc.
Il va donc, dans les Fondements de la métaphysique des murs et dans la Critique de la raison pratique, sauver la métaphysique dune manière très originale. La métaphysique deviendra en quelque sorte une entreprise morale, et permettra de donner un sens à limmortalité de lâme, lexistence de Dieu
A suivre (prochain cours : la philosophie pratique de Kant).
Vous trouverez ici les termes essentiels de la philosophie kantienne de la connaissance, déjà définis dans le cours.
A priori : 1) ce qui est indépendant de toute expérience sensible ; soppose à ce qui est donné empiriquement ; 2) ce qui est condition de possibilité de la connaissance (condition de possibilité de la posteriori)
Chose en soi : réalité inconnaissable que nous devons penser pour comprendre ce quest un phénomène : elle se manifeste ou apparaît dans le phénomène, elle en est donc lorigine
Concept/ catégorie : appartient à lentendement ; pure forme qui ne peut recevoir de contenu que de lintuition sensible ; acte synthétique ou jugement qui subsume un divers sous une réalité une
Connaissance transcendantale : cest Kant qui le premier utilise ce terme avec une signification bien précise : il sagit dune connaissance qui soccupe moins des objets que de nos concepts a priori des objets ; elle est synonyme de " philosophie critique ". Elle consiste à partir de ce que lon cherche comme dune donnée, pour remonter aux conditions sous lesquelles seules il est possible.
Dialectique naturelle de la raison : chez Platon, la dialectique est la méthode par laquelle on atteint la réalité : elle est donc une connaissance vraie ; mais chez Aristote, duquel Kant sinspire ici, elle désigne lart du dialogue, de la confrontation, et, en son sens sophistique, arguties inutiles ; chez Kant, elle va désigner la prétention de la raison pure à dépasser le champ de la phénoménalité, à franchir les limites assignées à notre pouvoir de connaître, à confondre le concept et lexistence, à croire que la logique pure a une portée ontologique ; la raison est ici en perpétuel conflit avec elle-même ; cette dialectique est naturelle à la raison humaine, et donc, à lhumanité
Dialectique transcendantale : étude des mécanismes qui produisent les erreurs et illusions caractéristiques de la métaphysique
Esthétique : théorie des formes spatio-temporelles de la sensibilité qui sont la condition de toute expérience sensible
Idée (rationnelle) : fonction de la raison qui na pas dusage pour la connaissance ; Kant fait une distinction entre lIdée transcendantale, qui a pour fonction dunifier les connaissances obtenues par lentendement, en les systématisant, et lIdée transcendante qui réifie cette unité, en croyant avoir affaire à un objet réel
Noumène : réalité intelligible que lon peut penser, mais pas connaître ; il soppose en effet au phénomène sensible
Phénomène : chose telle quelle apparaît à lhomme, telle que seule lhomme peut la connaître, à travers la structure de son esprit (intuitions pures a priori, catégories)
Transcendantal : condition qui rend une connaissance, une expérience, possibles
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