Bibliographie
A.Kremer Marietti, L’homme et ses labyrinthes,
10/18, 1972, surtout pp.175-196.
Dionysos
(Dieu grec), l’être le plus débordant de vie,
y incarne, au-delà de l’ivresse orgiaque, la surabondance
existentielle, la vie comme puissance créatrice. Par opposition
au déchaînement dionysiaque, Apollon est le symbole
de la mesure, de la maîtrise rationnelle et de la sérénité.
Ces deux principaux antagonistes trouvent leur réconciliation
dans la tragédie de Sophocle et d’Eschylle. Mais
la tragédie meurt lorsqu’Euripide, sous l’influence
socratique, y introduit un rationalisme responsable de la décadence
des instincts de vie. L’esprit fionysiaque survivra toutefois
dans la musique allemande et plus précisément dans
le drame wagnérien, que Nietzsche considère comme
l’antidote à l’ascétisme socratique
et chrétien et où il voit l’aube d’une
nouvelle culture susceptible de lutter contre la perte du sens
de la vie et des valeurs qui s’y rattachent.
- Circonstances,
contexte et influences
Il
est à l’époque prof de langue et littérature
grecque à Bâle. Il vient de servir comme infirmier
dans l’armée allemande durant la guerre de 1870,
l’impérialisme prussien et le pangermanisme sont
triomphants, et la fin de siècle sent la “décadence”.
Il
s’oppose au philologue Wilamowitz.
De
plus, si on considère que le véritable titre est
“la naissance de la tragédie enfantée par
l’esprit de la musique”, il faut préciser l’influence
non moindre de Wagner, à qui l’ouvrage est dédié.
L’influence de Schopenhauer : cf.sous-titre éd 1886.
Il
cherche à modifier la vision traditionnelle du monde grec
-ici, il s’agit de la tragédie antique, mais il s’agira
plus tard de la philosophie présocratique. C’est
toute sa “philosophie” qui commence par cette réflexion
sur le sens de la tragédie grecque.
On
peut considérer que sa pensée de l’art y prend
sa racine.
- Les
thèses qui ont par la suite été transformées
ou abandonnées sont au nombre de cinq
1)
le Dionysos interprété dans la perspective de la
contradiction et de sa solution sera remplacée par un Dionysos
affirmatif et multiple
2) l’antithèse D-Apollon s’estompera au profit
de la complémentarité D-Ariane
3)
l’opposition D-Socrate sera de moins en moins suffisante
et préparera l’opposition plus profonde D-Crucifié
4)
la conception dramatique de la tragédie fera place à
une conception héroïque
5)
l’existence perdra son caractère encore criminel
pour prendre un caractère radicalement innocent.
- Objet
général : le livre porte sur l’esthétique
(de la musique au théâtre et à l’art
de la fête) ; c’est un texte de théorie (à
propos de la sensibilité artistique).
N.
y lie les deux questions de l’esthétique et de l’existence;
d’ailleurs, le sous-titre de l’éd de 1886 porte
le sous-titre de “héllénité et pessimisme”
(pessimisme : pensée qui estime que l’essence de
la vie est la douleur, et qu’il n’y a pas d’issue
heureuse, hormis celle du renoncement, de la ruse) -dont il ne
se satisfait pas, en tant qu’il mène à l’inaction
et à la fuite. Il préfère l’héroïsme
des premiers grecs, qui regardent l’abîme de l’existence
en face, qui acceptent la nécessité de l’expérience
de l’effroi et de l’erreur, qui vivent dans le courage
suprême, celui de supporter la vie en l’esthétisant,
ie, en la présentant sous la forme sublimée, idéalisée,
de l’oeuvre d’art. L’oeuvre d’art tragique
rend alors la vie digne d’être vécue. Le tragique
est un pessimisme fort (de la force).
- Le
tragique et la signification de l’art
a)
Dans son aspect philosophique, il s’oppose à
Hegel, pour qui l’art n’a pas d’avenir,
ou plutôt, pour qui son avenir, c’est l’esthétique,
donc, la philosophie. Dans son opposition, N. va différer
en méthode : il va préférer au travail classique
du concept philosophique la figure de l’énigme. Il
va donc emprunter sa méthode aux grecs , en se risquant
à invoquer les noms des divinités pour penser certains
phénomènes qui échappent par nature à
la clôture de la raison et du concept, et penser par là
la fécondité irréfutable de l’art.
N. commence donc à soupçonner le discours philosophique
d’impuissance et entrevoit une autre forme de pensée,
intermédiaire entre le travail d’historien d’une
civilisation et l’interprétation littéraire
des signes de cette civilisation.
b)
Dans son aspect ontologique, l’art nous révèle
l’unité ultime du monde à travers les deux
figures d’apollon et de dionysos. L’art,
en tant ou du fait qu’il présente matériellement
leur conflit, (la lumière de la belle forme contre les
ténèbres du chaos) est une voie de déchiffrement
de l’être.
Apollon, dieu de la sculpture, nomme l’unité des
phénomènes de l’apparence plastique du jour
(figure, délimitation, distinction, différence,
individualité, conscience, surface, perfection, clarté,
mesure, harmonie, rêve).
Dionysos,
lui, nomme l’”innommable”, non pas l’abject
au sens moral, mais ce qui évhappe à l’acte
de nomination, parce que inaccessible à la claire intelligence
humaine; dieu de la musique, il représente les forces obscures
et terribles de la nuit : sexualité, ivresse, débordement,
chaos, indistinction,indifférence (au sens logique), inconscience,
profondeur, obscurité, confusion, démesure, violence.
L’histoire de l’art est faite de la lutte opposant
ces deux figures, tantôt selon la juxtaposition, tantôt
selon une intérpénétration, où Dionysos
perce sous Apollon, comme, justement, dans la tragédie.
c) Dans son aspect éthique, il entend répondre
aux esprits sérieux, par une allusion à Wagner et
à Prométhée.
L’idée
majeure par laquelle est dépassée l’idée
d’une esthétique comme recherche de la compréhension
des oeuvres d’art, est celle de l’existence humaine
comme oeuvre d’art. C’est ici que s’exprime
la puissance dionysiaque de la vie, la nature comme grande artiste.
- Le
tragique et la dialectique.
La
vision tragique du monde s’oppose à la vision dialectique
-cf. fait qu’ici, la mort de la tragédie est sa mort
euridipienne, ie, par la dialectique de Socrate.
La
dialectique, en effet, ne comprend pas le tragique : elle le lie
au négatif, à l’opposition, à la contradiction
(qui est celle du tragique et de la vie).
Cette contradiction se présente, dans OT, comme celle de
l’unité primitive et de l’individuation, du
vouloir et de l’apparence, de la vie et de la souffrance.
Cette contradiction “originelle” porte témoignage
contre la vie, elle la met en accusation : la vie a besoin d’être
justifiée, ie, rachetée de la souffrance et de la
contradiction. (On trouve ici les catégories dialectiques
chrétiennes que sont la justification, la rédemption,
la réconciliation).
La
contradiction se reflète dans l’opposition de Dionysos
et d’ Apollon. Apollon divinise le principe d’indivisuation,
il construit l’apparence de l’apparence, la belle
apparence, le rêve ou l’image plastique, et se libère
ainsi de la souffrance (16). Dionysos, au contraire, retourne
à l’unité primitive, il brise l’individu,
et l’absorbe dans l’être originel : il reproduit
la contradiction comme la douleur de l’individuation, mais
les résout dans un plaisir supérieur, en nous faisant
participer à la surabondance de l’être unique
ou du vouloir universel.
D
et A ne s’opposent donc pas comme les termes d’une
contradiction, mais comme deux façons antithétiques
de la résoudre : A., médiatement, dans la contemplation
de l’image plastique ; D., immédiatement, dans la
reproduction, dans le symbole musical de la volonté (OT,
5, 16 et 17).
La tragédie est cette réconciliation, dominée
par D., qui est le fond du tragique, et le seul personnage tragique.
Le
seul spectateur tragique = le choeur, car il est dionysiaque et
voit dans D. son seigneur et maître (OT, 8 et 10).
Mais
c’est A. qui développe le tragique en drame. Le drame
est la représentation de notions et d’actions dionysiaques,
l’objectivation de D sous une forme et dans un monde apolliniens.
Problème : comme le dit N. lui-même dans Ecce Home,
III, 1-4 l’OT “sent l’hégélianisme
d’une façon assez scabreuse” ; en effet, la
contradiction et sa solution y jouent un rôle, encore, de
principes essentiels -on voit bien que l’antithèse
se transforme en unité...
Cf.
plan :
(1)
par.1 à 10 : thèse de la tragédie
(2) par.11 à 15 : antithèse de la tragédie
(3) par 16 à 25 : ranaissance de la tragédie (dans
musique allemande)
Dans
OT, le tragique dans son ensemble est donc défini comme
la contradiction originelle, sa solution dionysiaque et l’expression
dramatique de cette solution.
- L’opposition
à la tragédie-catharsis
Cf.
par. 22, où il signale les deux interprétations
possibles de celle-ci : sublimation morale, purgation médicale.
Pour N, le tragique désigne, non l’exercice de passions
déprimantes, mais la forme esthétique de la joie.
Ce sont les mauvais auditeurs qui donnèrent un sens médiocre
à la tragédie, issu de la mauvaise conscience.
-
La réception du livre à son époque
Il fut très mal accueilli :
1) les philologues attaquèrent Nietzsche sur un plan scientifique
: Willamovitz et Moellendorf dénonçèrent
les erreurs chronologiques, les conjectures aventureuses, les
extrapolations, les partialités. Ils lui reprochèrent
aussi de mêler à la science l’appel politique
ou éthique.
2)
Ritschl, le maître, garda le silence.