-
La
question de la perception a à voir avec la matière
La
matière est immédiatement là dans la perception.
L'esprit n'apparaîtra pleinement qu'avec la mémoire.
Qu'est-ce que la matière ? B. nous donne une conception
de cette dernière très large : c'est l'ensemble
des images. Est-elle hors de nous, ou est-elle en nous,
ou bien encore, par rapport à nous ?
On
ne peut pas penser la notion d'image sans faire intervenir une
subjectivité, un esprit, une conscience. Opposition à
l'idéalisme. Affirmation d'une double réalité
(et relation entre les deux). Bergson est réaliste, comme
l'est spontanément le sens commun.
Le
monde d'images donné par la perception est l'univers. En
droit, nous percevons tout (de même qu'en droit, nous nous
souvenons de tout) = philosophie du plein. Ce qui est donné
là c'est l'univers; il est toujours perçu par une
conscience, selon un certain ordre. Le point d'organisation, c'est
l'image particulière qu'est mon corps. Pour chacun de nous,
l'univers est organisé par rapport à son corps :
cf. pp. 24 à 39.
- Percevoir
c'est agir ou pouvoir agir
Bergson
commence par mettre en cause le postulat selon lequel percevoir,
c'est avant tout connaître. Percevoir est un acte de connaissance,
et ce, depuis Kant. Pour Bergson, percevoir ce n'est pas juger.
La perception est directement dépendante du cerveau, et
c'est le cerveau qui est adapté à ce type de relations
qu'est la perception. Le cerveau transmet le mouvement du monde
extérieur. Il en tire cette conséquence que les
centres nerveux ne travaillent pas en vue de la connaissance,
mais, puisqu'ils sont des moteurs, ils sont là pour préparer
une série d'actions possibles.
Le
cerveau est essentiellement un instrument de perception et d'action.
Ce n'est pas nécessairement une action immédiate.
Le
développement du cerveau est l'adéquation de l'homme
à des formes d'action de plus en plus complexes; le cerveau
est un instrument d'action, et il laisse à l'homme une
part d'indétermination de plus en plus grande. Plus le
cerveau est complexe, plus il donne sa part à l'indétermination.
... indétermination laissée au choix de l'être
vivant en fonction de la perplexité de son cerveau. Plus
il pourra percevoir de types d'objets et plus il pourra avoir
des actions complexes.
Mise
à jour du caractère conscient de la perception en
fonction du caractère de plus en plus indéterminé
de l'action. S'il y a détermination nécessaire ou
automatique de l'action, nous sommes dans l'inconscience. A l'opposé,
s'il y a une indétermination croissante de l'action, alors,
le choix et la conscience vont croissant. Le
choix et la conscience sont donc tributaires de l'indétermination
de l'action. Choix : forme d'éveil de la conscience.
Le
monde de la matière n'est pas uniforme : il comporte des
degrés de possibilité de perception et donc de conscience.
L'étendue de la perception et l'intensité de l'action
sont liées. La perception se produirait au moment où
l'on suspend l'action nécessaire.
Si
la perception et l'action sont liées, elles comportent
en même temps quelque chose d'inverse. La
perception est le contraire de l'action, tout en lui étant
nécessairement liée. Face au monde matériel,
il y a une alternative : soit on agit, soit on perçoit.
La perception est un substitut de l'action, elle n'en diffère
pas en nature, et si la perception est bien un acte intellectuel,
cet acte qu'une transposition d'une action concrète possible,
retardée, suspendue. La perception n'est pas pure action
(elle y est même opposée) mais elle a du sens en
rapport à l'action. Elles sont en proportion inverse. Plus
l'action est indéterminée, plus l'amplitude de la
perception s'étend. L'amplitude de la perception est liée
à un retardement de l'action. La perception est une action
non agie, ie, intellectualisée, symbolisée, virtuelle.
Du côté du rapport à la matérialité,
elles sont du même côté mais ce rapport est
en proportion inverse.
Percevoir,
c'est pouvoir agir mais ne pas agir. C'est contempler l'objet
(mais ce n'est qu'une action suspendue).
Loi
de la perception, p. 29 : la perception dispose de l'espace
dans l'exacte proportion où l'action dispose du temps.
Plus
le temps est suspendu par le retard de l'action, plus l'espace
peut alors être exploré par la perception. Pour pouvoir
le plus possible explorer l'espace, il faut le plus possible suspendre
l'action.
Le
cerveau est l'origine d'action, de mouvement; mais il reste à
expliquer pourquoi le rapport de l'organisme à des objets
prend la forme d'une perception consciente. D'où vient-elle
? Elle est apportée surtout par la mémoire.
Pourquoi
les mouvements prennent-ils la forme de perceptions conscientes
? Parler de mémoire, c'est faire intervenir la notion de
sujet. B. fait dans le chapitre 1 abstraction de la mémoire.
Bergson
va faire abstraction de cet élément d'esprit qui
est pourtant toujours là, car il veut voir ce qu'est la
matérialité pure. Généalogie de l'esprit
: comment l'esprit s'engendre à partir de la matière
?
Il
isole la perception pure (p. 31).
Elle
ne peut être donnée que sur le mode hypothétique.
La perception se rapporte uniquement au présent (placé
où je suis, vivant comme je vis) et à la matière.
Puisqu'elle
est rapportée au présent et à la matière,
la perception serait à la limite, présence de la
chose sans la représentation. Une image peut être
présente sans être représentée. Entre
présence et représentation, se situe l'intervalle
entre matière et perception (possible, et non réelle
si la perception réelle suppose un élément
de conscience). Le passage de la présence à la représentation
est une diminution, une perte. L'activité subjective de
représentation apparaît comme un défaut, un
déficit.
Nous
sommes dans la totalité, tout nous est donné; quand
quelque chose nous est donné consciemment, quelque chose
nous est ôté aussi car nous ne pouvons être
conscients de tout. La représentation est une sorte d'occultation
de la présence. La genèse du sujet, est donc formation
du sujet, mais c'est également un éloignement de
l'objet. Le sujet se constitue par différenciation avec
l'objet.
"En
soi", nous percevons le monde, mais pour que nous ayions
une perception effective il faut que nous éliminions beaucoup
de choses. ¨Percevoir un objet, c'est l'isoler. En droit,
nous percevons le tout; mais percevoir un objet c'est l'isoler
du tout des images. C'est la "sélection des images".
La représentation est virtuelle dans la présence,
or, plus les centres d'indétermination (cerveaux) des êtres
vivants qui sont eux-mêmes des images dans un monde d'images
sont importants et différenciés, plus aussi leur
fonction découpe des images en fonction de leurs intérêts,
de leurs actions.
La
représentation perceptive est un acte de différenciation
des images et d'organisation de ces images en fonction des intérêts.
Par
cette sélection, les images deviennent-elles perception,
ou action ? B. tend vers une dérivation de la perception
à partir de l'action. La science est utilitaire. La science,
qui travaille par concepts, est grâce à eux au service
de l'action.
Nos
centres d'intérêt déterminent notre perception.
C'est en fonction de l'arrêt d'une action que naît
la perception (cf. p. 34).
Le
processus de sélection des images suit ce chemin :
1)
images (donné matériel présent)
2) perceptions
3) concepts
= processus de dérivation du concept à partir de
l'action :
1)
présence
2) représentation
3) symbolisation
- Quelle
distinction y a-t-il entre être et être perçu
?
A la limite, aucune. C'est une simple différence
de degré (cf. p. 35). Bergson nous dit se situer à
mi-chemin entre Descartes et Berkeley. Il n'y a pas d'opposition
catégorique entre pensée et étendue. Mais
il n'y a pas d'assimilation de l'étendue à la représentation
(Descartes) ou de l'étendue à la pensée.
La perception est tout à fait déterminée
par l'action. Elle nous met immédiatement dans le monde
des choses, de l'étendue. La perception est un acte sélectif
opéré dans la totalité des images. Elle consiste
dans ce choix qui est discernement, et donc, déjà,
esprit (p. 35).
L'analyse de la perception est une généalogie
de l'esprit (une présence, même pauvre, est toujours
présence). Dans le processus de ségrégation,
il y a présence ou annonce de l'esprit. C'est un dépassement
du dualisme, car matière et esprit ne sont pas complètement
dissociables. Il y a émergence progressive de l'esprit
à partir de la matière (d'un point de vue phénoménologique,
ie, d'une étude sur l'apparaître). B. part du seul
monde des images, de ce qui nous est donné, et il retrouve
de façon quasi nécessaire l'esprit.
Dans l'Evolution Créatrice, où
le problème est envisagé à partir de l'être
(question : qu'en est-il de la nature ultime des choses ?), ce
sera le contraire : la matière est une retombée
de l'esprit, de l'élan vital. C'est de l'esprit figé,
refroidi.
- Le
champ transcendantal sans sujet
Dans son étude phénoménologique,
le philosophe se trouve de prime abord face à un "champ
transcendantal", mais sans sujet. Chaque organisme est lui-même
un élément de ce champ, et c'est de l'intérieur
de ce champ que se constitue la conscience (cf. pp. 31-35) : le
philosophe expose comment la conscience émerge de ce champ.
Et alors, la séparation des images est d'abord la ségrégation
progressive du sujet.
Par le discernement que requiert la perception,
on voit peu à peu se constituer le sujet. Au départ,
il n'y avait que le pur objet. Il s'agit de montrer comment en
émerge le sujet.
Que veut dire l'expression "champ Tal"
sans sujet ?
C'est une expression polémique. Le sujet
n'est pas là, immédiatement constitué, au
contraire, ici, ce qui est donné, c'est une structuration
objective d'un certain champ. C'est un champ déjà
tout prêt pour la connaissance. C'est comme si ce champ
était fait pour être connu. C'est l'inverse de la
révolution copernicienne en philosophie. C'est notre acte
de connaître qui, émergeant de ce champ, va émerger
d'une structure immanente de champ. S'il y a un a priori, on dira
que c'est du côté de l'objet.
En droit, dans l'absolu, c'est l'ensemble des
images que nous percevons. La perception effective est limitée.
Pourquoi, alors, se référer à cette hypothèse
? L'action opère un choix selon l'intérêt
et les conditions objectives. Percevoir, c'est ne retenir de la
totalité du monde que ce qui est nécessaire à
l'action. C'est refuser de voir tout le réel.
De même, la mémoire actuelle, l'acte
de se souvenir présentement, opère une sélection
dans la totalité des images contenues dans la mémoire
virtuelle. Il y a une analogie entre la perception et la mémoire.
Que signifie le postulat selon lequel nous conservons
tout de notre passé ? On est dans une philo du plein :
tout est là. Monde sans failles. Le problème est
alors de savoir comment, dans cette totalité pleine, nous
percevons, et nous nous souvenons...
La mémoire virtuelle conserve la totalité
du temps passé. Nous n'oublions rien, métaphysiquement
parlant. La mémoire actuelle est la sélection, dans
ce passé, en fonction de l'instant présent.
La perception virtuelle saisit tout l'espace
présent. L'actuelle sélectionne dans l'espace présent
en fonction de l'action. Elle procède par des limitations.
D'emblée, chaque individu est placé dans le monde
matériel au milieu des autres corps. Et l'individu limite
son rapport au monde à ce centre de représentations
qu'est son corps. Le monde est un monde d'images ou un monde de
corps. Chacun est par définition le centre à partir
duquel s'organisent ses perceptions. Le noyau, dans le corps de
chacun, est le cerveau. C'est autour du cerveau qu'est organisée
la perception. La perception est une relation du cerveau au monde
extérieur. Si une lésion interrompt le trajet de
l'ébranlement nerveux, la perception est affectée.
Le rôle du cerveau est d'utiliser l'ébranlement qui
vient de l'extérieur.
Rôle supérieur du monde par rapport
au sujet. La raison d'être de la perception est ailleurs.
On peut distinguer entre cause et raison : la cause réfère
aux nerfs (moyens, éléments de relation); la raison,
au principe, à la signification (tendance du corps à
agir et à se mouvoir). Nous percevons en vue, afin, d'agir.
La perception trouve sa signification ultime
dans l'action. B. ne part ni de la spéculation (contemplation
désintéressée) ni de l'affectivité
mais de l'action. La perception exprime et mesure la puissance
d'agir de l'être vivant, et l'indétermination du
mouvement, de l'action. Une action totalement déterminée
n'est plus perçue mais agie. La perception pure est simple
représentation (spéculation qui porte sur le monde).
La mémoire sera spéculation qui portera su l'esprit
lui-même. Perception = vision des choses, contact avec la
matière : elle nous situe dans les choses elles-mêmes.
Il n'est pas besoin d'aller aux choses mêmes, car tout de
suite, nous sommes dans les choses. L'activité de l'esprit
consiste à s'extirper de la chose même. Il faut se
distinguer des choses dans lesquelles nous sommes tout de suite.
B. a exposé une théorie de la perception
pure (sans mémoire) qui donc ne retiendrait rien du passé.
Cette perception pure est ou serait une représentation
instantanée, ou discontinue. A la limite, les perceptions
seraient une succession ininterrompue de visions instantanées,
discontinues. Mais, en tant que ces perceptions seraient reliées
entre elles, cela signifie qu'intervient la mémoire.
Une perception n'existe pas en dehors des autres
perceptions. La mémoire ne peut pas être complètement
éludée de la perception. La perception comporte
du souvenir, mais le souvenir est lié lui aussi à
la perception, qui le rend actuel. Compénétration
en acte de la matière et de l'esprit. Corrélation
absolument essentielle entre perception effective et mémoire
effective.
B. est un philosophe de l'expérience :
expérience de la mémoire, etc. L'expérience
apporte des réponses à des problèmes qui
sont exposés.
La perception n'est pas au sens strict inextensive,
en tant qu'elle se définit en termes d'action et de mouvement.
Le mouvement se déroule dans le temps et dans l'espace.
Point qui permet de comprendre le passage de la perception à
la matière.
Pas de projection à l'extérieur
de sensations intérieures. Ce n'est pas un sortir de soi
vers le monde. Il y a préalablement à toute perception,
un fond impersonnel où l'acte de percevoir coïncide
avec l'objet perçu. Ce fond, c'est l'extériorité
elle-même. L'acte constitutif de la perception nous place
directement dans les choses. C'est contraire à la philo
réflexive (on ne part pas de soi pour essayer de trouver
des vérités premières). C'est en partant
du monde indéterminé, qu'on se donne le monde tel
qu'il nous est donné, sans le réfuter ou le mettre
en doute. Il s'agit d'essayer d'expliquer comment surgit, se constitue,
l'esprit. Nous sommes d'emblée dans les choses.
Cf. p. 71 : "l'actualité... prolonge"
: le mouvement est idéo-moteur (à la fois lié
au mouvement, et à la représentation).
B. a isolé la matière en même
temps que la perception (activité instantanée de
l'esprit, sans durée).
La perception est une succession de vues discontinues.
Si percevoir purement c'est percevoir immédiatement la
matière, la matière elle-même est sans durée.
De sorte que la matière se définit comme un présent
perpétuel, comme une réalité qui recommence
à chaque instant de la durée (en tant qu'étendue
dans l'espace). Présent qui recommence sans cesse (pas
de rapport avec la durée). Identité matière
et présent. Le présent est la matérialité
de notre existence. Cf. p. 154 : la matière est ce qui
est donné là, sans rapport à une durée.
Définition qu'on trouve chez Leibniz ("tout corps
est esprit instantané, ou manquant de mémoire").
Le présent est l'esprit devenu momentané; c'est
l'esprit réduit à une pointe. Quelque chose d'instantané,
qui n'a pas de durée. Dès que l'on nie la durée,
on pose la matière. De ce fait, la matière n'est
à son état pur qu'une limite. On élimine
de la réalité, tout ce qui comporte de la durée.
Ce n'est qu'idéalement, qu'il y a de la matière
pure, sans durée. Et de l'esprit (sans matérialité),
alors ?
-
Sens
de ce premier chapitre
Faire voir à l'état pur la signification
de la matière telle que l'esprit humain peut la saisir
(par la perception). Bergson étudie le rôle du corps
en prenant matière et perception à l'état
pur (mais ce sont des fictions, cf. p. 31). Il porte l'un des
deux pôles de la réalité à sa tension
maximale. Il s'agit de saisir la matière en tant que donnée
immédiate (sans durée) mais c'est une donnée
immédiate en contradiction avec la conscience... Il n'y
a de matière comme donnée immédiate qu'en
tant que la conscience en est absente (car il faut une conscience).
Cette matière est un simple champ Tal. Nous ne sommes pas
devant les choses. Tout est coordonné. Structuration antérieure
à la présence de l'esprit. Le sujet ne structure
pas le monde. Le sujet aperçoit une structure qui lui est
préalable. Il y a une réalité de la matière
et aussi bien de l'esprit. La durée permettra d'unifier
l'esprit et la matière.
Chapitres
2 et 3 : la mémoire
- Le
propos de Bergson
1)
La thèse : Il y a émergence progressive de l'esprit
à partir de la matière grâce au discernement
que requiert la perception
2)
La méthode de saisie du pur
3) Il
remet en cause la définition traditionnelle de la perception
: percevoir, ce n'est pas juger ou connaître mais agir
(ou pouvoir agir)
4)
La perception consciente
5)
Le point commun entre l'esprit et la matière : la durée
- Concepts
fondamentaux
- L'image
- L'intuition
- La
durée
I-
Chapitre 1 : la perception
II-
Chapitres II et III : la mémoire
- le
souvenir de la lecture
III-
Chapitre IV : solution au problème du dualisme
I- Il y a deux sortes de mémoire
Mémoire
souvenir |
Mémoire
habitude |
-
elle regarde vers le passé, et conserve les images
anciennes (“images-souvenirs”, datées
et singulières ; “mémoire qui revoit”).
-
elle a pour fonction la reconnaissance intellectuelle d’une
perception déjà éprouvée.
-
mémoire qui enregistre le passé par le seul
effet d’une nécessité naturelle; mémoire
spontanée ; elle date les événements
et ne les enregistre qu’une fois. |
-
elle est tendue vers l’action ; elle ne regarde que
vers l’avenir.
-
C’est donc une reconnaissance vécue, non pensée.
-
Elle répète, joue le passé ; par là,
elle en prolonge l’effet utile jusqu’au présent. C’est
une habitude éclairée par la mémoire
(p.89).
En
tant qu’active ou motrice, elle inhibe la première
mémoire. Conquise par l’effort, elle reste
sous la dépendance de notre volonté. Sa base
est le mécanisme cérébral. Si bien
que, comme 1) n’est pas 2), il est faux d’en
déduire que le cerveau soit un organe de représentation. |
- Pour
bien comprendre cette distinction, reprenons la célèbre
analyse bergsonienne de l'apprentissage d'une
leçon.
Si
je récite un poème écrit par cœur, j’ai
acquis une habitude. Dans l’habitude, le passé est
ressuscité, mais il est utilisé, joué, et
non pensé comme passé.
La
mémoire vraie est toute différente. Je récite
un poème par cœur, c’est une habitude. Mais
supposons que je me revoie lisant ce poème pour la première
fois, au fond d’un parc. Cette image que j’évoque
est un vrai souvenir. Elle n’est pas fixée en moi
par l’exercice.
Tandis
que les habitudes sont un mécanisme, les souvenirs purs
sont des images singulières.
- Commentaire
plus détaillé
- Les
conséquences concernant la nature de la matière
et de l'esprit
La
mémoire pure ne relève pas de la matière,
elle est indépendante de la mécanique nerveuse.
Le souvenir, d'essence purement spirituelle, ne se conserve pas
dans le cerveau. La mémoire, par opposition à la
matière, est l'esprit lui-même en tant qu'il vit
et qu'il dure. Puisque l’esprit est durée, rien de
ce que l’esprit a fait ou éprouvé n’est
perdu.
Conséquence
: ce qui fait problème, ce n’est pas la conservation
du souvenir, c’est l’oubli.
Réponse
: la conscience n’éclaire que les souvenirs qui me
sont immédiatement utiles pour agir. Pour agir dans le
présent, il ne servirait à rien d’avoir conscience
de la totalité de son passé ! C’est ici que
B. place le rôle de l’organisme et particulièrement
du cerveau. Le cerveau ne sert pas à conserver les souvenirs,
mais à les actualiser, à filtrer ceux qui sont utiles
pour l’action présente. Il est l’instrument
de l’évocation consciente des souvenirs. Dans le
rêve nocturne, les souvenirs ne sont plus sélectionnés
puisque les exigences de l’action s’effacent. «
Rêver, c’est se désinteresser ». L’attention
à la vie s’est relâchée, les images
du passé reviennent alors en foule et en désordre.
II-
Chapitre III : entre le passé et le présent, il
y a plus qu’une simple différence de degré
Cf.
Sujet de dissertation : "Le
passé peut-il revivre ?", partie III
le
présent |
le passé |
il
est sensori-moteur : c’est la conscience que j’ai
de mon corps. C’est la “matérialité
même de mon existence”.Ie : rien d’autre
qu’un ensemble de sensations et de mouvements. (Les
sensations sont extensives et localisées ; source de
mouvements. |
souvenir pur : impuissant et inextensif (car sans attache
avec le présent). |
- Le
souvenir se transforme à mesure qu’il s’actualise
(p.151)
a)
souvenir pur
b) souvenir-image
c) souvenir perception
a)
est révélé par b) et s’y manifeste
; b) participe de a) qu’il commence à matérialiser
et de c) où il tend à s’insérer ; enfin
c) est imprégné de b) - qui la complète en
l‘intérprétant.
III-
Cette conception de la mémoire permet à Bergson
de renouveller la conception de la perception en vigueur à
son époque, ainsi que la thèse scientifique/ matérialiste
concernant le stockage des souvenirs
A-
Bergson peut critiquer les physiologistes, qui veulent faire
sortir toute la reconnaissance d’un rapprochement entre
perception et souvenir (p.98)
La
conservation, dit-il, même consciente, d’un souvenir
visuel, ne suffit pas à la reconnaissance d’une perception
semblable.
A
la base de la reconnaissance, il y a (p.101) un phénomène
d’ordre moteur : reconnaître un objet usuel, consiste
surtout à savoir s’en servir ; mais (p.103) il s’y
joint souvent autre chose.
Il
y a donc en fait deux sortes de reconnaissance :
1)
automatique (par mouvements, et par distraction)
2) celle qui exige l’intervention régulière
des souvenirs-images (attentive : les souvenirs rejoignent ici
la perception consciente -cf.p.107)
Exemple
: l’audition du langage articulé : qu’est-ce
qu’entendre la parole?
|
a)
en reconnaître le son |
b)
en retrouver le sens |
c)
en pousser plus ou moins loin l’interprétation |
Cela
signifie que nous n’allons pas de la perception à
l’idée mais de l’idée à la perception
(p.145)
B-
Pour Bergson, les troubles de la mémoire ne sont pas
dus à une destruction de souvenirs, mais soit à
une lésion des mouvemenst actuels, soit au fait que des
mouvements à venir cesseront d’être préparés
(p.118)
Le
souvenir ne peut pas être conservé par le cerveau
car l’expérience montre que la destruction d’un
territoire cérébral supprime, non les souvenirs
correspondants, mais seulement la possibilité de leur évocation
dans certaines conditions.
Bergson,
Matière et mémoire, pp. 84-85 :
Le
souvenir de la lecture
Résumé: selon Bergson, il y a deux sortes
de mémoires : la mémoire-habitude et la mémoire-souvenir.
La première tient du corps, la seconde, de l'esprit.
- Le
propos de Bergson
1)
La thèse : Il y a émergence progressive de l'esprit
à partir de la matière grâce au discernement
que requiert la perception
2)
La méthode de saisie du pur
3) Il
remet en cause la définition traditionnelle de la perception
: percevoir, ce n'est pas juger ou connaître mais agir
(ou pouvoir agir)
4)
La perception consciente
5)
Le point commun entre l'esprit et la matière : la durée
- Concepts
fondamentaux
- L'image
- L'intuition
- La
durée
I-
Chapitre 1 : la perception
II-
Chapitres II et III : la mémoire
- le
souvenir de la lecture
III-
Chapitre IV : solution au problème du dualisme
Dira-t-on que ces deux souvenirs, celui de la lecture
et celui de la leçon, diffèrent seulement
du plus au moins, que les images successivement développées
par chaque lecture se recouvrent entre elles, et que la
leçon une fois apprise n’est que l’image
composite résultant de la superposition de toutes
les autres ? Il est incontestable que chacune des lectures
successives diffère surtout de la précédente
en ce que la leçon y est mieux sue. Mais il est
certain aussi que chacune d’elle, envisagée
comme une lecture toujours renouvelée et non comme
une leçon de mieux en mieux apprise, se suffit
absolument à elle-même, subsiste telle qu’elle
s’est produite, et constitue avec toutes les perceptions
concomitantes un moment irréductible de mon histoire.
On peut même aller plus loi, et dire que la conscience
nous révèle entre ces deux genres de souvenir
une différence profonde, une différence
de nature. Le souvenir de telle lecture déterminée
est une représentation, et une représentation
seulement ; il tient dans une intuition de l’esprit
que je puis, à mon gré, allonger ou raccourcir
; je lui assigne une durée arbitraire : rien ne
m’empêche de l’embrasser tout d’un
coup, comme dans un tableau. Au contraire, le souvenir
de la leçon apprise, même quand je me borne
à répéter cette leçon intérieurement,
exige un temps bien déterminé, le même
qu’il faut pour développer un à un,
ne fût-ce qu’en imagination, tous les mouvements
d’articulation nécessaires : ce n’est
donc plus une représentation, c’est une action.
Et, de fait, la leçon une fois apprise ne porte
aucune marque sur elle qui trahisse ses origines et la
classe dans le passé ; elle fait partie de mon
présent au même titre que mon habitude de
marcher ou d’écrire ; elle est vécue,
elle est « agie », plutôt qu’elle
n’est représentée ; -je pourrais la
croire innée, s’il ne me plaisait d’évoquer
en même temps, comme autant de représentations,
les lectures successives qui m’ont servi à
l’apprendre. Ces représentations en sont
donc indépendantes, et comme elles ont précédé
la leçon sue et récitée, la leçon
une fois sue peut aussi se passer d’elles.
|
INTRODUCTION
Question
générale du texte : celle de la nature
de la mémoire ; elle se modalise en une autre : son activité
s’exerce-t-elle de manière homogène ?
Question
particulière : quel type de différence
y a-t-il entre ce que Bergson appelle la « lecture »
et la « leçon » -la lecture étant une
lecture unique à un moment déterminé et la
leçon, la capacité de répéter un texte
que l’on a appris. Dans les deux cas, la mémoire
est à l’œuvre, mais est-ce sous la même
forme ? Est-ce une différence de degré, i.e., quantitative
? Ou bien une différence de nature, i.e., qualitative ?
La réponse de Bergson sera qu’il est
impossible de s’en tenir à la différence de
degré : seule une différence de nature permet de
penser les caractères spécifiques des deux mémoires.
Problème
sous-jacent : celui des rapports entre la matière
et l’esprit.
Plan : la démarche du texte va de l’hypothèse quantitative
à l’hypothèse qualitative. On part d’une
hypothèse afin de montrer qu’elle est incapable de
traiter le problème, puis, en conséquence, on établit
la validité de l’autre.
I-
Du début à « différence de nature
» : démarche par laquelle est établie la
thèse ; Bergson explique comment la différence
de degré est incapable de rendre compte de la différence,
et qu’il faut par conséquent reconnaître
une différence de nature
II-
II- Explicitation de cette thèse : la différence
des deux mémoires est celle entre le souvenir pur (représentation
d’un état passé) et la mémoire-habitude
qui quant à elle est une action présente, et une
répétition dans le présent de quelque chose
qui a été acquis. Le souvenir pur est le rapport
spécifique à un événement unique
du passé
I-
LA DIFFERENCE DE DEGRE EST INCAPABLE DE RENDRE COMPTE DE LA DIFFERENCE
ENTRE LA LEÇON ET LA LECTURE
Bergson
formule une hypothèse, sous forme de question ; cela incite
à penser qu’elle sera récusée (incitation
rhétorique à une réponse négative).
C’est la seule hypothèse qui est formulée.
Dans celle-ci, la force est tout entière du côté
de la leçon apprise ; l’analyse de la mémoire
est faite de ce point de vue.
Le
sens de la lecture est supposé se trouver dans la leçon
: on ne s’interroge pas sur la leçon même mais
sur chaque lecture par rapport à la leçon. Quel
est le rapport entre l’image d’une certaine lecture
et l’image de la leçon ? (images = ensemble des objets
en tant qu’ils sont présents à la pensée,
sous quelque forme que ce soit)
Puisque
la leçon apprise est par définition le résultat
obtenu par une suite de lectures, ce résultat absorbe-t-il
les étapes de sa constitution ? Les étapes de la
mémorisation se résorbent-elles, s’annulent-elles,
dans le résultat ?
Dans
cette hypothèse, chaque lecture étant supposée
identique aux autres par son contenu, s’inscrirait dans
un mouvement progressif, qui irait du plus au moins, jusqu’à
ce que le texte soit complètement mémorisé.
De sorte que, entre la dernière lecture du texte et la
leçon apprise, il ne subsisterait aucune différence.
2)
Mise en question de cette hypothèse, en trois points
:
a)
ce qu’on doit lui accorder : brièveté de l’indication
de ce qui est incontestable ; le progrès du savoir, ou
la mémorisation, est qualitatif (cf. « mieux sue
»)
b)
lui refuser : mais ce qu’on doit refuser, c’est la
réduction des lectures à leur résultat de
la leçon mémorisée. Bergson affirme donc
la dissociation entre lecture et leçon. Il ne met pas en
cause le caractère spécifique de la leçon
apprise, mais il affirme une certaine irréductibilité,
celle de chaque lecture. Chaque lecture est en soi un absolu :
i.e., chacune se suffit à elle-même. Ici, au lieu
de rapporter chaque élément au tout, on accentue
l’élément en lui-même, en le considérant
à part, comme unique. C’est une recherche du pur
(de la lecture pure).
c)
ce qui en résulte : « on peut même aller plus
loin » (que cette dissociation) : i.e., on peut la qualifier
(elle est « profonde », de nature : il y a indépendance)
II-
CONTENU DE SA THESE. METHODE DE SAISIE DU PUR (DICHOTOMIQUE)
1)
le souvenir se caractérise par deux points :
-
il est représentation, contemplation, ou vision (cf. intuition
de l’esprit)
-
la subjectivité est maîtresse de cette relation :
c’est sa propre durée qui s’y réalise
; l’esprit peut à sa guise détendre ou concentrer
sa représentation. Le souvenir est sous la dépendance
de l’activité de l’esprit.
2)
la mémoire habitude est mémorisation de la leçon
:
a)
à l’inverse de 1) elle est sous la domination de
l’objet. En effet, un texte a une certaine longueur, et
sa récitation, même en imagination, demande un temps
déterminé (ce temps est élastique mais il
a ses limites)
b)
c’est une action, et elle est donc soumise à une
nécessité comparable à celle de la nature.
Une action demande du temps. Cette mémoire, tributaire
de l’objet, est une habitude parmi d’autres habitudes.
Bergson va ici plus loin : il la rapproche de l’inné
(en tant qu’elle est soustraite au temps de son acquisition).
1)
et 2) sont donc complètement différents, de par
leur nature même.
Bergson,
Matière et mémoire
Concepts
fondamentaux : l'image, la durée, l'intuition
I-
L'image
Cf.
deuxième Avant propos et surtout chapitre I.
Désigne
à la fois la donnée première de notre vie
psychologique, et le monde extérieur, la matière.
Pas d'identité avec la représentation (ie, la connaissance
que nous en avons). Ainsi, par le terme d'image, Bergson refuse
le dédoublement du réel impliqué par ceux
qui distinguent monde et représentation. Le mot désigne
donc à la fois les choses, et leurs supposées représentations.
a)
Etant posée d'emblée, il n'est donc pas besoin
de la reproduire; de toute façon, une image particulière
ne peut la reproduire sans outrepasser son contenu propre.
b)
Une image ne peut non plus produire le tout des images.
c)
a) supposerait un contenu caché, et b) un pouvoir caché.
Si on regarde la définition p. 17, on voit que si le
réel n'était pas dédoublé, sa signification
l'est, car les images prennent d'un côté un sens
réel, comme matière, et un sens imaginaire, comme
perception. Il y a, entre eux, écart, mais pas d'accord
à produire.
But,
au chapitre I, négatif : il fallait se donner le monde,
pour y voir surgir le corps. Le chapitre I demande comment les
images se découpent d'elles-mêmes sur fond de matière,
dès qu'un corps y agit. Toute image se donne à nous
avec un contenu objectivement déterminé, sur le
fond de la totalité de l'univers.
L'image
désigne l'objet extérieur, ou plutôt, cette
partie de la matière extérieure qui a été
découpée comme un objet pour les besoins de notre
action. Sa forme est donc imaginaire et relative à nous.
Grâce à cette notion, la connaissance n'a pas à
s'accorder avec son objet.
Contrairement
aux empiristes, ce n'est donc pas une donnée mentale mais
l'extériorité de l'esprit.
II-
La durée
Cf.
ci-dessous (on ne peut vraiment comprendre ce qu'est la durée
sans comprendre ce qu'est l'intuition chez Bergson !) L'intuition
et la durée se rapportent l'une à l'autre, comme
la méthode et la doctrine (corrélation).
Cf.
également les deux commentaires de texte de Bergson, sur
le site :
III-
L'intuition
A-
Bergson, philosophe de l'intuition
Pour
comprendre ce qu'est l'intuition chez Bergson, nous nous reportons
aux chapitres 2 et 4 de La pensée et le mouvant.
1)
B. explique comment il en est venu à découvrir la
durée comme point central de la philosophie, comme fond
de la réalité (au moyen des Premiers principes de Spencer, et en rompant avec lui)
2)
B. présente sa démarche comme méthode d'intuition
dans l'acte même où elle découvre la durée
dans sa vérité première (cf. cogito cartésien)
C'est
donc une intro à LA philosophie, et à SA philosophie.
1)
L'intuition comme méthode philosophique (chapitres
2 et 4)
- sa
méthode de philosopher est l'intuition
Celle-ci
peut s'opposer à l'entendement en ce qu'elle va au-delà
des limitations (phénoménales) de cet entendement.
Il n'y a aucune limitation au pouvoir de la connaissance qui viendrait
de la constitution de l'esprit humain (autrement dit, l'opposition
entre noumènes et phénomènes n'est pas pertinente).
- l'intuition
n'est pas un sentiment (qui serait donc vague, fuyant, romantique)
La
philosophie, grâce à l'intuition, est une discipline
précise; l'intuition est attention, réflexion. L'intuition
est l'appel à la conscience comme capacité de saisir
le concret dans ce qu'il a d'individuel. Or, la science prise
toute seule est abstraite, elle généralise, mais
par là elle perd ce qui fait le caractère spécifique
de la réalité : l'unicité de chaque chose.
Il n'y a pas de science de l'individuel (Aristote); or, la réalité
est unique, individuelle : c'est donc l'intuition qui lui est
adaptée : elle est saisie de l'individuel. Ce rapport à
l'individuel est connaissance, et non pas sentiment. L'individuel
est l'absolu.
La
métaphysique est la science qui tend à se passer
de symboles : on va vers l'indicible. Le langage ne peut exprimer
que des idées abstraites, générales.
Bergson
est un philosophe nominaliste d'une certaine
façon. Les termes généraux, les noms communs
ne sont que des mots, ie, n'ont pas de corrélat dans la
réalité (les noms, au moyen-âge, ne sont que
des "souffles de voix"). La science qui procède
par concepts ne renvoie pas à ce que la réalité
a d'exact (puisque toute réalité est ce qu'il y
a d'individuel et d'unique, il faut la saisir par intuition).
Le réel, chaque réalité en tant qu'elle est
unique ne peut être dite adéquatement par des termes
généraux; pourtant, le philosophe est bien quelqu'un
qui parle, qui écrit. Comment, par le langage, saisir si
cela est possible, quelque chose qui, en fin de compte, est rebelle
au langage ? Il y a là une limite.
D'où
: il y a des niveaux dans la réalité :
1)
le plus général (les concepts)
2) les images, médiatrices (plus concrètes mais
forme de généralité)
3) l'intuition
On
ne peut faire autrement qu'user du langage, le philosophe doit
donc en fin de compte saisir l'unicité. Cf. pp. 119-24.
Le philosophe n'a fait que tenter de dire, mais sans connaître
de succès définitifs, ce qui échappe au langage.
Sorte
de métaphysique négative (pas négation de
la métaphysique !).
Il
n'est pas possible de dire ce que la durée est. Bergson
ne rejette pas la métaphysique comme une simple fiction,
c'est ce que doit viser le philosophe, mais jamais il ne la fait,
au sens où il ne l'achève pas. B. nous parle de
la durée, mais il n'y a pas de définitions qui la
caractérise typiquement.
La
méthode est l'intuition, qui est rigueur, précision.
B.
tente de nous faire intuitionner ce qu'est l'intuition. Ce terme
ne se rencontre pas avec un sens technique dans l'Essai, ni même
dans Matière et Mémoire. Ce n'est qu'en
tâtonnant que B. en est venu à admettre cette méthode.
Il l'a pratiquée avant de l'élaborer. L'équivalent,
ici, c'est "rigoureux effort".
Si
l'intuition vise l'immédiat, ce dernier n'a rien d'initial,
ou, ce n'est pas un immédiat chronologique. "C'est
avant tout le pur" (Jankélévitch). C'est une
détermination métaphysique. Désigne le non-mêlé,
le non-mélangé.
Cette
pureté est saisie dans l'effort lui-même. D'où
: philo de l'effort. Cf. Essai : l'effort intellectuel est une
intuition qui travaille ou est active à trois niveaux :
1)
re-collection (mémoire);
2)
intellection (mise en rapport);
3)
invention (création de quelque chose de neuf). Cet
effort consiste à réorganiser les images médiatrices
qui sont à un même niveau à l'intérieur
d'un schéma où les divers plans sont articulés
dans une unité. Tension, effort violent.
Cf.
PM, p. 22 : extrême complication d'une méthode en
apparence si simple. Cette méthode qui connote la simplicité,
n'y tend que par une série indéfinie et très
complexe.
- 1903
: terme d'intuition (Intro à la métaphysique, in
PM) : sa philo est une philo de l'intuition.
-
1911
: il consacre une conférence à l'intuition philosophique
(il montre comment l'intuition est à l'oeuvre dans certaines
philo, cf. Spinoza et Berkeley). Il y a une parenté entre
B. et Spinoza : saisie de l'unité. B. se dit spinoziste;
mais pour Spinoza il faut considérer les choses sous
l'aspect de l'éternité, alors que pour B., c'est
sous l'aspect de la durée.
Dans
son sens le plus global, l'intuition signifie un mode de connaissance,
et c'est même le véritable mode de connaissance de
la réalité, de l'absolu.
P.
33 : méthode spéciale. B. parle de l'objet de la
métaphysique et de la méthode. Cf. révolution
copernicienne : au lieu de poser le problème en fonction
de l"'objet, on passe à une problématique du
sujet d'abord (en rapport avec ces objets). B. procède,
lui, de manière inverse : la méthode est seconde
par rapport à l'objet. Opposition à la philo de
la subjectivité. Méthode : vision directe de la
réalité, de soi-même, du cosmos, qui sont
des choses homogènes entre elles (pas d'opposition entre
un sujet et un objet). L'intuition est un mode de connaissance
multiple.
PP.
25-26. Signification de l'intuition. Mode de connaissance. Ce
n'est pas une approche affective ou sentimentale. B. aurait aimé
créer un mot nouveau. Il relève deux confusions
possibles : deux post-kantiens. De plus, la philo de Schelling
est bien une philo du devenir (devenir = à la fois sujet
et objet de la philo). Schopenhauer a élaboré une
philo du vouloir; celle de B. l'est aussi (vouloir, effort, élan
vital, liberté). Si ces deux philosophes allemands, post-kantiens,
sont ou paraissent proches de B., il faut se différencier
d'eux car ils sont post-kantiens. Kant et ses post-kantiens posent
les problèmes d'une même manière : il y a
bien deux mondes, le phénomène et la chose en soi,
et la différence n'est que dans la solution. Pour Kant,
il y a un mode de connaissance effective (entendement); l'intuition
rationnelle qui serait indispensable pour connaître la chose
en soi nous fait défaut. Pour Schelling il y a à
la fois une connaissance d'entendement et une connaissance par
intuition intellectuelle : l'absolu est connaissable. Aux yeux
de Bergson, le défaut de cette problématique tient
à la conception de l'absolu. Pour Kant comme pour Schelling,
l'absolu est pensé comme immuable, éternel, comme
réalisé effectivement, une fois pour toutes. La
question pour B. n'est pas de savoir si une intuition de la réalité
telle qu'elle est en soi est possible ou non, mais c'est de savoir
quelle est la nature de cette réalité.
2)
ce qu'appréhende l'intuition : la durée, qui
est le fond de la réalité
- Retour
à une problématique de type antique :
Ce
qui importe d'abord ce n'est pas la capacité du sujet mais
la nature de la réalité. Primauté de l'objet
de la connaissance sur le rapport de l'esprit humain à cet
objet. La question est celle de la nature de la réalité;
or, ce qui est certain, c'est que la réalité n'est
pas quelque chose d'éternitaire. C'est une réalité
qui dure. Son essence est de durer.
- Deux
connotations majeures de la durée:
1)
durée : ce qui est assez dur, résistant, donc,
solidité
2) ce qui dure est mouvant, muable, changeant
L'idée
de solidité nous renvoie au concept antique de substance
(stabilité) et aussi à l'idée qu'il y a de
la mobilité (reprise de la thèse de type parménidien
et en même temps, héraclitéen).
Caractère
de solidité, de résistance et de fluidité.
Cette mobilité étant ce qui signifie le caractère
créateur de la durée, ce par quoi la durée
échappe à une éternité toute faite.
Pour
Bergson, tous les philosophes du passé, même quand
ils ont parlé du temps, en ont parlé comme quelque
chose d'irréductible. Le temps, ou la durée, est
ce qui est irréductible à quoi que ce soit d'autre.
Ce n'est pas une image de l'éternité. L'erreur de
tous les philosophes est leur conception du temps. Ils conçoivent
le temps comme l'espace ou comme l'image d'une temporalité
toute faite. Il y a le temps vécu, la durée. Aspect
psychologique.
Spinoza considérait les choses sous l'aspect
de l'éternité. B., du point de vue de la durée
qui est indéfiniment ouverte, qui se crée indéfiniment.
Kant ne pense pas la durée comme quelque chose d'irréductible
à l'espace. La résistance est le caractère
indéfiniment novateur, créateur.
Pour
B., la psychologie ne s'oppose pas à la métaphysique
(cf. p. 99). Expression de la durée, qui n'est pas un concept
construit : c'est ce que chacun peut expérimenter à
chaque instant. Ce qu'il appelle imprévisible nouveauté,
c'est le fait que chacun peut expérimenter
1)
la pensée conceptuelle comme connaissance d'entendement
est limitée; elle est soumise à des cadres qu'elle
ne peut transgresser sans échouer
2) l'absolu n'est assujetti à aucun cadre; absolu =
"non relié à"; il est au-delà
de toute limite concevable
3) donc, pour qu'il soit possible de saisir l'absolu, il faut
pouvoir dépasser la connaissance par entendement; il
faut une faculté supra-intellectuelle
Les
réponses de Kant et de Schelling s'opposent sur ce point
(pour S., il est possible de connaître l'absolu). Mais,
c'est la même problématique. Ceci n'est qu'une position
du problème qui consiste à considérer le
temps comme dénaturé. Il est spatialisé,
par commodité. On a pensé le temps sur le modèle
de l'espace. Toute position vraie du problème requiert
que l'on pense le temps comme irréductible à l'espace.
Le temps pour la science peut bien être considéré
par rapport à l'espace; c'est un temps prévisible,
mesurable.
3)
Le statut philosophique de l'intuition
a)
sa négativité
Il
n'y a pas de définition géométrique. Cf.
PM p. 29. Cette notion qui vise le simple, est quant à
sa nature complexe. Il y a un élément polémique
dans l'intuition.
Elle
s'oppose à la démarche habituelle du langage et
de la pensée (première occurence). Elle est l'antagoniste
du concept, qui lui, est abstrait et général.
Elle
se déroule dans le même registre : celui de la connaissance.
Mais
elle est concrète et singulière.
Son
premier mouvement est de dire "non". Elle se manifeste
à la manière du démon socratique. Cf. p.
120 : l'intuition ne livre directement rien à la connaissance,
de même que le démon de Socrate. Elle indique ce
qui n'est pas (il est impossible de dire ce qui est). C'est le
paradoxe de l'intuition.
Elle
est présentée comme une vision directe. Elle est
d'abord vision directe de soi-même, et même, comme
une fusion de l'objet et du sujet, qui au point limite, deviennent
indistincts. Elle est donc d'abord ce qui s'oppose à toute
connaissance médiate. Vision directe de l'objet, de soi-même,
et fusion. Si objet et sujet deviennent indistincts, nous sommes
dans un au-delà de la vision. La vision suppose que demeure
la distinction entre sujet qui voit, et objet vu. C'est un au-delà
de la vision. L'intuition est contact et même coïncidence.
Ce n'est donc pas une vision au sens courant du terme, où
jamais n'est abolie la distance entre sujet et objet.
C'est
pourquoi le terme qui correspond à cet acte est difficile
à nommer. Il ne peut pas y avoir de terme adéquat
pour dire cette saisie immédiate de la réalité.
Cf. p. 25. C'est donc faute de mieux, comme philosophe, qu'on
prendra ce terme d'intuition. Il s'agit bien d'un mode de connaissance,
et non d'affectivité, de sensibilité. Ce terme est
le moins inapproprié (double négation).
Difficulté
de l'intuition : le rapport de l'immédiat et du médiat.
L'intuition doit se rapporter à un être de manière
immédiate. La première intuition, la plus originaire,
est celle de soi-même. Vision qui se distingue à
peine de l'objet vu. Ce qui est originaire est en même temps
terminal. En effet, on tend vers l'origine par une sorte de mouvement
de reprise de ce qui était déjà là
: on ressaisit l'unité originaire par un retour sur soi
qui contrevient au mouvement de la vie, qui est extériorisation.
Il y a des données immédiates de la sensibilité
et du langage mais cet immédiat est en vérité
tout à fait médiat. Il s'agit de la médiateté
du langage, d'essence (immédiat chronologique qui est médiat).
Il faut chercher ce qui est par derrière. L'intuition est
rupture avec ces médiations. Elle vise la simplicité
et la pureté derrière la complexité et le
mélange. L'immédiat est avant tout le pur (le non-mêlé,
le non-mélangé, le non-divisible). La complication
est tout de suite là (c'est celle de notre société,
de notre affectivité). Cet acte dont toute la finalité
va au simple est un processus extrêmement complexe. Cette
manière est elle-même extrêmement complexe.
Il y a une homogénéité entre le dire et le
dit.
b)
Pour dire l'intuition, B. fait des métaphores
Cf.
vision, contact, coïncidence, sympathie. p. 181 PM : B. présentait
officiellement l'intuition comme terme retenu.
La
métaphysique est la science qui tend à se passer
de symboles; autrement dit, elle vise à l'indicible. Disqualification
du symbolique. Le langage est incapable de dire la réalité,
parce qu'il est général. L'intuition est un mode
de connaissance. Ce dont elle se sert ce sont des éléments
du langage qui n'ont pas en eux-mêmes une connotation de
connaissance. Cette multiplicité de termes traduit la difficulté
de l'approche de l'intuition qui, si elle était adéquate,
devrait être simple et unique.
Mais
l'intuition ne peut être dite par le langage, parce qu'elle
est inexprimable. Elle tend au simple, est présentée
comme un acte simple, mais est toujours dite de manière
multiple et complexe. Peut-on dire, et comment dire, ce qui est
le plus simple ? C'est le grand problème de B. Il y a une
tension, un renversement, à l'intérieur de l'intuition.
Tension qui est relativement simple à évoquer :
c'est celle entre le concept, qui connote des généralités,
et de l'intuition qui connote des singularités.
Le
langage, les mots, n'ont pas de corrélat. Les mots sont
un souffle de la voix. Ce qui est dit n'est pas un corrélat
objectif. Ils permettent d'opérer en fonction de catégories
générales (ils classent, rangent sous des concepts...
Si l'on veut dire la réalité, ie, l'individuel,
le singulier, on ne peut avoir recours qu'à l'intuition.
Entre le concept et l'intuition, il y aura l'image qui permettra
le passage. La dualité entre concept et intuition est impossible
à résorber et se retrouve à l'intérieur
de l'intuition. C'est dans l'intuition se faisant que demeure
la tension. C'est là où elle est la plus vive. Elle
est sur le point de passer d'une saisie analytique, partielle,
à une saisie une et totale de l'objet. Pour nous dire l'intuition,
B. use d'images (conférence sur l'intuition philosophique).
Basculement
de l'analyse à la synthèse.
Métaphore
importante : celle de la pièce d'or (p. 180).
Elle
revient souvent; avec des significations différentes.
Comme quoi, il y a une vie de la métaphore, une créativité.
Tout ce qui est dure, évolue, crée, et apporte
du nouveau. Il faut chercher une création d'un sens
à l'autre (dans l'EC, dans l'ES, et dans PM).
- Première occurence : Effort intellectuel, 1902, in
ES (1919.
Il
s'agit de présenter l'effort de concentration pour
retenir un texte, en vue de le mémoriser. Puf, p.
161. B. réfléchit sur un exemple donné
par W. James à propos d'un prédicateur qui
a à apprendre un serment qu'il va avoir à
donner. La mémoire est un exercice spirituel. Il
s'agit d'obtenir la pièce unique dont le reste n'est
que la monnaie.
Quelle
est cette pièce unique ? -Relation entre le côté
des images, ie, des représentations multiples et
complexes, et d'autre part, l'unité du texte lui-même.
Comment B. rend-il compte de cette relation ? Peut-être
seulement par un mot... Il y a là un schème
dynamique, une certaine structure. Cette relation relève
d'un schème, d'une structure de connaissance.
Distinction
pièce unique et monnaie. Déperdition du côté
de la monnaie ("ne que" : incommensurabilité).
La simplicité reçoit un nom technique : le
schéma dynamique distingue des images qui ne sont
que la monnaie de cette pièce unique.
Réponse
qui est extrêmement insuffisante, mais, progrès
: elle est présentée comme quelque chose qui
unifie. Les images se meuvent sur un même plan, tandis
que le schème est une structure de relation entre
les divers plans. Parler ainsi, c'est bien la différencier
de tout sentiment. L'intuition procède avec rigueur,
avec méthode. Le schème permet de mettre en
ordre les représentations qui en elles-mêmes
demeurent disparates. = Image d'un acte intuitif (sa réalisation).
Totalité de l'ordre, et représentations disparates.
- Deuxième occurence : Evolution Créatrice,
p. 43.
L'image
de la pièce d'or est prise en mauvaise part, par
la connotation qu'elle a : elle connote le platonisme (à
propos du temps : il n'a pas conçu le temps comme
positif, mais comme l'image mobile de l'éternité).
Elle sert à qualifier la thèse platonicienne,
ie, à la disqualifier.
Pour
les anciens, le temps manifeste la dégradation de
l'essence. Changement = "menue monnaie". En un
sens, la pièce d'or est valorisée car elle
est la métaphore du monde intelligible ; mais aussi,
c'est au platonisme qu'elle est appliquée : il est
disqualifié car il n'a pas pris la durée au
sérieux. L'antiquité en pensant la réalité
comme éternitaire, se donne à elle-même
la pièce d'or (éidos). Nous n'atteignons jamais
cette forme parfaite, mais nous pouvons la frôler.
Cette disqualification n'est que partielle. La pièce
d'or fournit un modèle, tout de même, d'une
science parfaite. Cf. EC p. 317 et 324 : Problème
de la relation causale entre le monde et Dieu chez Platon.
Cette métaphore de la pièce d'or suppose que
nous nous mettons dans une éternité déjà
construite, et non créatrice (il n'y a aucune forme
d'origine, le monde est toujours le même, le mouvement
est éternel). Il y aurait équivalence (toujours
en attente, indéfiniment recherchée) entre
pièce d'or et monnaie. Ecart, toujours, entre l'intuition
et le système formulé. Pour que l'équivalence
prenne sens, il faut postuler une mobilité perpétuelle.
Dans
ce texte il n'y a pas d'opposition ultime entre pièce
d'or et monnaie : il y a identité en droit. Cette
métaphore de la pièce d'or n'est donc ici,
ni complètement positive, ni complètement
négative. La pièce d'or signifie aussi l'unique
et le simple, mais aussi en référence à
la philo platonicienne. Cf. PM p. 180 : la métaphysique
est positive sans restriction. Métaphore adéquate
à dire l'absolu, l'infini. Incommensurabilité
entre absolu et relatif qui, lui, est indéfiniment
divisible, monnayable. Il y a dans la pièce d'or,
l'unité, et dans la monnaie, la multiplicité.
Si
la pièce d'or peut qualifier à la fois le
bergsonisme et le platonisme, c'est peut-être que
derrière les oppositions, il y a aussi une parenté.
B. s'oppose à Platon et il peut pourtant y avoir
une parenté entre eux.
Cf.
pp. 224-225 : quel est le rapport de chaque philosophe à
l'intuition ? Quelle est la fonction de l'intuition dans
les philosophies ? Pour B., chaque philo est intuitive,
ou a un fond intuitif. Kant lui-même échappe
à la critique kantienne. La métaphysique est
le mouvement même de leur constitution. Les divergences
sont frappantes entre les écoles. Ce que dit B.,
c'est que, en-deça de toutes les oppositions analytiques
et conceptuelles de tous les philosophes, les philosophes
auraient part à la même intuition de la réalité.
Elle a quelque chose d'extraordinaire : il y a une intuition
de toutes les intuitions. Le philosophe a eu une intuition,
il a vu quelque chose que les autres n'ont pas vu; il a
eu un contact avec la réalité.
Quelle
est la condition de possibilité (ou de pensabilité)
d'une telle thèse ? Elle ne paraît possible
que si on accorde la notion de cosmos. Il y a une métaphore
qui signifie le cosmos : celle de l'océan ("le
même océan").
Le
philosophe a un contact neuf, original, avec ce qui est
(c'est la pièce d'or qu'il monnaie). Les oeuvres
de B. ne sont que la menue monnaie de ce que B. appelle
la durée. B. oscille entre deux pôles :
1)
identité entre pièce d'or et ses équivalents
(réalité = éternitaire)
2) le pôle de la durée : impossibilité
de passer à l'absolu et à l'achevé
par une série infinie d'approximations |
La
durée n'est pas quelque chose de continu, mais de créateur.
B. demeure fasciné par le premier accent, celui de l'équivalence
:
1)
on peut l'obtenir
2) il soutient surtout qu'il y aura toujours décalage
Une
philo qui est par définition créatrice d'elle-même,
se donne comme un absolu qui aurait été le même
à d'autres époques et avec d'autres matériaux.
Cf. les exemples de Spinoza et de Berkeley. Au fond, il y a une
intemporalité de chaque philo. Le philosophe aurait pu
venir à une autre époque, de toute façon,
il aurait dit la même chose. Fascination par la philo des
essences. Inéluctable concrétude et singularité
de chaque philo, mais transcendance de chaque philo par rapport
à son temps.
Quel
est le statut de la durée comme création ? La création
est reprise dans le cosmos puisque tous les philosophes expriment
le même monde, le même océan. Chaque philosophe
était prédestiné à dire ce qu'il a
dit...
La
création, c'est la production constante chez le vivant
d'imprévisible nouveauté : thème du discontinu
(puisqu'irruption). Il y a par derrière ces multiples activités
de création individuelle une même totalité
qui est au fond l'essence de chaque philo.
EC
: vaste mouvement de constitution du monde, vaste cosmogonie (et
non seulement cosmologie), une production du monde : la vie, l'élan
vital est quelque chose qui est comme une reprise de l'idée
antique de cosmos.
B. est le philosophe de l'individuel. Alors, philosophe de la
subjectivité ? Chez B.,, nous n'avons jamais une philo
de la subjectivité, mais du tout. Dans MM, la question
posée est celle d'un monde d'images, d'un donné
déjà là. Et non seulement la question du
monde.
c)
La rhétorique du simple et du complexe
réflexion
sur le langage par lequel B. parle de l'intuition. Cf. PM p. 22
: "montrer l'extrême complication d'une méthode
en apparence si simple". Montrer renvoie à l'intuition,
car ce n'est pas démontrer ni prouver.
Cf.
PM p. 119 : texte caractéristique du travail du philosophe.
On
ne fait autre chose, lorsqu'on écrit, que de corriger à
l'infini. On n'a en vérité jamais dit cette chose
que l'on tend à dire. On va vers le simple. Le mode de
son dire entre en tension avec ce qu'il dit. La forme du dire,
l'énonciation, est en opposition avec sa thèse.
Le simple est l'indivisible, le pur, ou l'immédiat. Au
lieu de le dire d'un mot, le philosophe le dit par toute la prolixité
de son discours.
Pour
exprimer cet accord, cette tension entre la simplicité
de l'intuition et la complication de cette présentation,
B. insiste sur deux formules qui elles-mêmes en contiennent
potentiellement d'autres : "infiniment simple", "si
extraordinairement simple". La tension n'est-elle pas elle-même
dans chacune de ces formules ? Elles sont en effet, en partie
redondantes. Ce qui est simple, est simple, tout simplement !
Si
B. dit que ... et..., ça doit avoir une signification.
Cette double qualification est elle-même une infinie qualification.
C'est peut-être la plus grande complexité qui soit.
Le simple est par nature indicible, inexprimable. Or, tout philosophe
n'en finit pas de s'exprimer. Le langage est connaturel à
la philo. Il est engagé, donc, dans une entreprise qui
est contradictoire.
La
complexité est le thème de ce texte sur le simple.
Chacun des deux mots qui qualifient le simple, renferment la complexité
et mettent en cause la simplicité. Ils ne sont pas des
termes simples. Le simple devient problématique, frappé
de précarité dans l'acte même où il
est qualifié.
En
effet, "infiniment" a deux sens presque opposés.
Sens positif : totalité achevée. Sens négatif
: inachèvement, indéfini. La tension est portée
à l'extrême dans ce seul mot.
"Extraordinairement"
: sens positif : ce qui dépasse tout ordre, perfection
supérieure; sens négatif : en dehors de l'ordre,
ce qui s'en va en des directions diverses.
Il
faut tenir ensemble ces deux sens, l'un renvoyant à l'absolu
(pièce d'or) et l'autre à la monnaie.
"Incommensurabilité
": absence de commune mesure, d'élément qui
permettrait d'établir cette équation, cette équivalence.
Rhétoriquement, cette notion était déjà
présente au début de l'alinéa.
La
thèse de B. est que l'unité et la totalité
est à l'origine. La création est donnée d'un
seul coup; ensuite, se produit ce que l'on appelle une émanation.
La création originaire se déploie, se monnaie, se
décline, dans la vie des espèces. L'élan
vital retombe en une multiplicité de germes.
Résumé
1)
L'intuition sera l'autre du concept, l'antagoniste de l'analyse.
L'intuition n'est en rien quelque chose de l'ordre affectif,
mais c'est un mode de connaissance, ce par quoi la connaissance
de l'absolu est possible. Toute réalité, non
pas seulement chaque être humain, est quelque chose
d'unique, de simple, d'indivisible : c'est un absolu.
Thèse
qui s'inscrit sur un fond nominaliste. Critique du langage
en tant qu'il est constitué de termes généraux.
Ainsi, les mots ne connotent aucune réalité
(puisque le corrélat du langage est une généralité).
B. est, du fait de sa critique des idées générales,
un nominaliste.
2)
L'intuition se dit par des métaphores, aucune n'étant
par définition adéquate (vision, contact,
coïncidence, sympathie, pièce d'or : particulièrement
topique : complexe, car elle peut s'appliquer à sa
propre philo, mais aussi, à celles qu'il critique).
Il y a, en deça des oppositions très vives,
une parenté entre B. et Platon. Pour Platon, le temps
est une image de l'éternité (modèle),
alors que pour B., c'est le temps vécu, qui est à
la fois solide, durable, mais aussi mobile, mouvant (en
tout cas, rien de statique).
3)
Le texte de B. est homogène à la réalité
que dit ce texte. Dans un texte, il y a à propos
de l'intuition de la complexité, de l'incommensurable.
4)
Il y aurait une intemporalité des intuitions des
philosophes. Cf. PM p. 123. Il y a un essentialisme de B.,
ou du moins il soutient à propos de la philo une
thèse essentialiste (il y a des essence transcendantes).
Forme de parenté avec le platonisme. Cf. Intro Méta.,
p. 219 : "un invisible courant porte la philo moderne
à hausser l'âme au-dessus de l'Idée".
Pour la modernité, la subjectivité est mise
au-dessus de l'Idée. On passe d'une problématique
de l'essence cosmique à une problématique
anthropologique (cela peut se dire de Descartes, comme des
existentialistes). Paradoxe : il y a une transcendance de
la philo, pourtant sa philo prend acte de la modernité.
Toute réalité est devenir. La philo de B.
est elle-même en devenir. Une philo est toujours en
quête d'elle-même, ou n'est jamais dans son
état achevé. Cf. PM p. 224. |
Ce
qui importe c'est de considérer la métaphysique
comme vivante chez des philosophes, et non pas comme des thèses
figées. Il faut se replacer dans le mouvement par lequel
un philosophe fait sa philo. Toute philo, et donc sa philo, est
comme toute réalité, mouvante, durée, création.
Pourtant,
B. semble soutenir l'intemporalité de chaque philo. Gouhier
a vu là une difficulté profonde du bergsonisme :
retour à une philo des essences intemporelles. La philo
de la durée n'est peut-être pas antagoniste d'une
philo des essences.
B.
n'était pas tout à fait satisfait du mot d'intuition.
Or, l'intuition est bien une vision, et un rapport à une
essence, à un eidos. L'intuition est moins une vision qu'un
contact, une coïncidence, pour B.
- B.
est-il vraiment un contempteur des essences ?
La
thèse de la transcendance des philo par rapport au temps
a été contestée comme non bergsonienne par
des disciples de B. Cf. Thibaudet, et Gouhier.
Selon
T., B. ne peut l'être car cela reviendrait à nier
la durée, sa capacité de changer, d'innover. On
retrouverait ici de plus, quelque chose d'intellectualiste.
En
fait, la thèse de l'auteur est en accord avec son nominalisme.
Ce que dit B. c'est que les auteurs ont dit des choses différentes
sur la même réalité. Mais il y a unicité
et totalité de chaque philo.
Selon
Gouhier (Histoire et sa philo, p. 84), l'intention du philosophe
aurait dépassé sa philo. Cette thèse serait
non bergsonienne. Dire cela suppose de concevoir une certaine
conception du bergsonisme qui récuserait toute essence
au profit de l’histoire. La durée exclut-elle toute
essence ? La question présuppose que la philosophie de
B. excluerait toute essence. Le choix du terme d’intuition
est un signe que B. n’a pas ignoré la philosophie
des essences (car la vision est quelque chose qui transcende les
modifications temporelles). Problème du rapport au temps
: qu’est-ce qu’une durée créatrice ?
Parler de nouveauté à chaque instant, donc de discontinuité,
cela exclut-il l’idée d’une vision de quelque
chose de transcendant au changement ?
d)
Intuition et réflexion
Cf.
PM p. 95 : « notre intuition est réflexion ».
Quelle est la signification de « est » ?
a)
affirmation d’existece
b) copule : identité
c) attribution
Le
philosophe est dans la position du savant qui voit, qui intuitionne
ce qui est, qui intuitionne l’intuition. B. ne prône
pas l’instabilité. La réalité n’est
pas statique, mais elle n’est pas pour cela instable.
Le
rapport à la durée n’est pas le relâchement.
Cf. p. 97 : tension, concentration. p. 85 : l’attention
que l’esprit se prête à lui-même. La
question est de savoir, si l’intuition est réflexion,
en quel sens elle peut l’être.
Intuition
et réflexion s’inscrivent dans le champ de la philosophie
de l’esprit où la philosophie se caractérise
comme méditation (terme cartésien). Chez Descartes,
« intuieri » c’est « voir ». C’est
par une inspectio mentis que le philosophe découvre les
natures simples (les voit) et en premier lieu, découvre
l’esprit par l’acte du « je pense ». Une
vision de l’essence s’accompagne d’une affirmation
de l’existence de cet esprit. Le sum atteint par le regard
de l’esprit signifie à la fois la définition
d’une nature et l’affirmation d’un être.
On a là une essence et une existence. Je sais que je suis
une existence dans l’acte même où j’intuitionne
qui je suis (une chose qui pense). Cette vision, peut être
dite réflexion ou méditation. C’est par un
acte de reprise de soi, que l’esprit se connaît comme
tel et s’affirme comme existant. Une philosophie de l’esprit
peut être philosophie de l’intuition et de la réflexion
sans qu’il y ait d’opposition entre les deux. Métaphysiquement,
intuition , méditation, réflexion, s’identifient
chez Descartes.
Chez
Rousseau, il y a identité entre réflexion et intuition.
La méditation est un acte d’aperception, de vision.
L’acte de reprise de soi se comprend comme un acte de vision.
L’acte de reprise de soi se comprend comme un acte de vision.
Il n’y a pas de différence d’essence entre
les deux termes. Les philosophes avec lesquels B. se reconnaît
une parenté sont Plotin, Spinoza, et Berkeley.
- Chez
B., l’intuition est-elle réflexion ?
La
découverte de la durée relève bien d’une
vision, donc de l’intuition. La conscience aperçoit
ou perçoit la durée. C’est dans PM que l’intuition
est exactement définie par la vision. Perception intérieure,
parallèle à la perception extérieure. Il
y a, avec le « je dure » bergsonien, quelque chose
de comparable (statut métaphysique) au « je pense
» cartésien. Intuitionner et réfléchir
ne sont pas deux actes identiques. La réflexion est un
attribut de l’intuition, elle n’en est pas la marque
unique, peut-être pas première. L’acte de vision
porte en lui-même la dualité (acte de voir, et corrélat
de la vision). Dans la réflexion le sujet se saisit lui-même
dans un acte où disparaît toute dualité entre
le sujet et l’objet. L’acte réflexif de méditation
est un acte où le sujet se saisit comme pur sujet dans
un acte d’affirmation et d’intellection. Comment est-il
possible de passer du dédoublement habituel de l’acte
de percevoir à l’unité par laquelle l’acte
de saisir ne fait plus qu’un avec ce qui est saisi ? A la
limite de la réflexion, ce qui advient, c’est la
pure présence de l’esprit à soi-même.
Les médiations s’annulent dans l’immédiateté
de la présence de l’esprit. La formule de Descartes
n’est pas un syllogisme, mais l’explicitation d’une
intuition.
Difficulté
d’identification d’intuition et de la réflexion.
Cf. PM p. 27 : intuition signifie d’abord conscience, mais
conscience immédiate. Indication d’un problème.
Il y a ici de l’ambiguïté (l’intuition
est coïncidence : elle va à la coïncidence).
« Et même » : comme si la coïncidence n’était
qu’un complément, l’accomplissement d’un
contact. « A peine » : on est dans un processus de
réduction jusqu’à l’annulation. La coïncidence
annule la distinction entre sujet et objet. La vision, et aussi
bien le contact, supposent quant à eux la dualité.
Mais une dualité, aussi minime soit-elle, est tout l’inverse
de l’unité et de la coïncidence.
PM
p. 181 : la coïncidence semble n’être que le
prolongement du contact. Il y a passage à la limite, et
cela signifie discontinuité.
PM
p. 179-80 : B. parlant de l’absolu et de l’infini,
sait très bien qu’un passage à la limite modifie
tout (c’est l’imprévisible rien qui change
tout, cf. EC, p. 340). B., en masquant le problème, par
cette formule « et même » (comme s’il
était la continuité), attire notre attention : il
faudrait que l’intuition devienne coïncidence mais
alors elle ne seraitplus intuition au sens le plus direct, puisque
cette intuition porterait en elle-même la dualité.
L’intuition, en tant qu’elle va à la coïncidence,
est réflexion. La coïncidence est au-delà de
l’intuition, on peut la dire réflexion (le sujet
saisit sa subjectivité comme durée). Position d’un
« je dure » mais sans réflexion, sans dualité.
La réflexion est un acte d’ascèse, d’effort.
Tension, concentration, effort, sont des caractéristiques
de l’intuition. C’est par un acte de purification
que le sujet s’atteint lui-même dans sa pureté,
en éliminant toutes les représentations qui sont
les fausses immédiatetés (sentiments, langage, etc.).
PM
p. 97 : l’intuition est tension, concentration. Ces deux
termes sont juxtaposés, et non pas coordonnés. La
dualité est très marquée. Ces deux termes
sont en tension l’un par rapport à l’autre.
L’intuition qui se rapporte à l’unique, est
dite par deux mots, qui ne sont nullement redondants. A chaque
fois que l’on se donne comme finalité de penser l’intuition,
il faudra faire un nouvel effort ; cet effort est tension, activité
de l’esprit en vue de réduire l’écart
entre tension et concentration. La concentration va vers l’acte
réflexif de saisie pure de soi dans la durée (le
sujet est entièrement centré sur soi). Il y a tension
s’il y a écart, différence. La tension signifie
le rapport de différence entre la dualité et l’unité
effective de soi. L’intuition est réflexion au sens
où sa finalité est de se supprimer comme dualité
et de se saisir comme unique.
Intuition
= méthode et durée = doctrine
Cf.
PM p. 30 : il y a un sens fondamental : penser intuitivement est
penser en durée. Il n’y a pas de définition
géométrique de la durée, pas plus que de
l’intuition. De même qu’il y a une variété
et une créativité des significations des termes
chez Aristote, de même il y en a dans les significations
des termes d’intuition et de durée chz B.
La
référence à Aristote et à Spinoza
est significative. Parenté : l’un comme l’autre
sont extrêmement attentifs à l’expérience
en ce qu’elle a de concret, de divers, de mouvant. B. se
dit de plus spinoziste. Il y a chez S. quelque chose qui a fasciné
B. : c’est une vision en fin de compte moniste de la réalité
(toutefois, c’est un monisme éternitaire).
Cf.
PM p. 208 : insistance sur l’unicité de chaque durée,
donc, le caractère inanalysable de la durée. La
durée est saisie d’abord dans l’acte de vivre
de chacun. La durée est multiple, i.e., elle est hétérogène
aux autres durées. Chaque mode de la durée est spécifique.
Nous sommes devant une infinité d’éléments
qui, chacun, est insaisissable par une relation aux autres. Ce
qui existe, ce sont des éléments, quelque chose
d’individuel. En fin de compte, tous ces éléments
rentrent dans une totalité, dans un cosmos (EC).
La
tension, ici, est cet écart et cette difficile compatibilité
entre deux thèses. Tension éléments individuels
et tout. Cosmos qui se constitue selon le principe d’évolution
(il n’est pas éternitaire).
Cf.
PM p. 225 : B. insiste sur la singularité des philosophes,
et en même temps sur cet « océan unique »
: nous sommes du côté d’une vision cosmique
de la durée, qui est celle de l’EC.
La
tension du bergsonisme est de mettre en relation, à la
fois les individualités, et la totalité. Il y a
des éléments, un monde de la dispersion, mais aussi,
totalité. La tension, cf. p. 207-8, c'es’ le rapport
à l’hétérogène.
P.
206 : une telle méthode ne tourne-t-elle pas à la
facilité ? L’intuition est-elle la simple réception
passive de la réalité, ou est-elle un acte du sujet
? B. avait parlé d’une durée où le
moi se laisse vivre dans l’EC.
L’intuition
est toujours tension ou effort (réponse à l’objection).
Parler de durée vécue ne dit encore rien de l’essence
de cette durée. La durée est à connaître
et non à sentir. Intuitionner la durée, c’est
faire de la philosophie. La durée dont traitent les livres
de B. est une durée qui marque son œuvre. La durée
est celle de l’écriture bergsonienne.
Comment
la durée est-elle vivante dans les livres de B. ?
Il
y a bien une insistance sur la participation de toutes les réalités
à un même monde. Insistance sur la totalité.
Dans
DI et MM, comment la durée nous apparaît-elle en
acte ?
Point
de départ : faits de conscience (liberté, perception),
toujours saisis dans un temps psychologique. Il y a un donné
immédiat de ce temps : l’expérience commune
(sera reconnu comme un faux immédiat).
Quel
rapport de ce temps à la durée ?
Cf.
DI, chapitre 1 : intensité… qui est un mixte de qualité
et de quantité. Compénétration. Nous n’avons
pas d’accès direct à des qualités (cf.
sensation qui est aussi perception). Nous sommes dans un monde
mixte. C’est ce cadre qui nous donne ce que nous éprouvons.
Il faut épurer ces représentations.
Il
faut un effort d’abstraction. P. 54 : faisons la fiction
d’une sensation qui ne serait que sensation. Nous faisons
toujours intervenir la cause… L’intuition requiert
l’abstraction, l’effort intellectuel ; alors, nous
saisirions quelque chose de purement qualitatif. L’intuition
tend à évacuer tous ces éléments chariés
par le temps, l’espace, la société. Idée
de la saisie du pur. Cette philosophie ne nous présente
jamais le pur que par opposition à quelque chose…
B-
L'intuition dans Matière et Mémoire
1)
Il y a deux genres d'intuition. Matière et esprit sont
deux modes extrêmes de la durée ; matière
et mémoire sont deux modes extrêmes de l'intuition
:
-
direction de l'objet pur : le sujet s'annulerait dans l'objet
- direction ou vision de soi comme esprit : c'est l'objet qui
serait annulé comme objet
Nous
sommes à chaque fois pris entre cette tension entre dualité
et unité. Lorsqu'il effectue des recherches, il s'agit
toujours de travailler par dualités. L'intuition est active
en tout acte de l'esprit, mais aussi elle se trouve réservée
à la coïncidence de l'esprit avec lui-même.
Pourtant, il n'y a pas de dilemme.
L'intuition
en un sens large, métaphoriquement "dilaté",
c'est l'esprit; elle est à comprendre comme effort, comme activité.
Au
sens rigoureux, "concentré", l'intuition est
le terme au-delà de l'effort, où tout est réuni.
L'intuition est réceptivité.
Dans
le premier cas, quand on dit que l'intuition est effort, tension,
cette intuition est bien acte, activité.. Mais quand on
dit qu'elle est coïncidence, elle n'est plus effort à
faire, mais donation, passivité, ou réceptivité
(il n'y a plus de tension). L'intuition, rappelons-le, qualifie
les deux... (Dualité et unité/ tension, effort,
activité et réceptivité = méthode
bergsonienne).
Reste-t-il
alors une différence entre perception et mémoire,
puisque la coïncidence peut se faire à partir de la
perception ou à partir de la mémoire ?
2)
La différence est-elle irréductible entre :
-
la perception d'un objet matériel
- la contemplation esthétique d'une oeuvre d'art
- la participation au mouvement de constitution d'une oeuvre philosophique
- l'union mystique du créateur avec la créature
- et même, l'activité du savant (à savoir
découvrir une nouvelle loi de la nature)?
Non.
Cf. PM p. 225. B. nous dit que l'intuition est au coeur de chaque
philosophie (réunion et identité, coïncidence
de toutes les philosophies, du côté de l'objet),.
Mais aussi, au coeur de chaque type d'activité humaine.
L'intuition
est à la fois effort vers le réel, saisie du réel,
et vision, saisie de plus en plus profonde, du réel. Il
y a une intuition de toutes les intuitions. Aperception de la
commune référence de toutes les philosophies. Chez
B., il y a connaturalité entre les deux intuitions, à
savoir, la sienne propre : toute réalité est durée
et l'autre : les philosophes sont philosophes en tant qu'ils ont
donné un coup de sonde dans le réel.
Mouvement
proprement bergsonien au sens où pour B., il y a une vérité
première (tout dure). Ce mouvement est appliqué
par l'auteur à toute philosophie. Toute philo est philo
en tant qu'elle participe à cette durée commune
et totale. Intuition, durée, se correspondent comme méthode
et thèse ontologique.
3)
Le rapport à Merleau-Ponty
L'intuition
est présentée, donc, sous deux aspects, qui, puisqu'ils
sont deux, peuvent être opposés, mais ne le sont
pas :
-
effort sans terme, donc indéfiniment ouvert (intuition
comme activité)
- réceptivité (coïncidence parfaite d'un sujet
et de l'objet)
Il
s'agit d'atténuer une opposition de Merleau Ponty dans ces deux acceptions. B. n'est pas fondamentalement
un philosophe de la conscience (ce n'est pas le point ultime de
référence, ou le critère).
Opposition
entre intuition comme coïncidence et intuition comme compréhension.
Cf. Merleau Ponty, Essai sur l'âme et le corps chez Malebranche,
Biran, Bergson, 16e leçon, pp. 109 sq. : suivant les textes,
l'intuition est une coïncidence avec l'objet, ou au contraire
un cas-limite. Mais il n'y a pas là de véritable
dilemme.
a)
L'intuition-coïncidence (passivité/ unité)
Concepiton
de PM, Introduction à la métaphysique (cf. p.
181). Reprise dans la seconde intro à PM. L'intuition
est d'abord la saisie de soi-même, elle porte sur la durée
intérieure. C'est cette même intuition qui est
à l'oeuvre dans les découvertes scientifiques
(PM, pp. 217-8; 225). Ce coup de sonde s'applique à l'activité
des philosophes et des savants. L'objet de l'intuition est-il
donné de manière unique ? Chaque intuition est
unique et singulière. On surmonte la multiplicité
par ce mouvement englobant; la durée peut englober toutes
les autres intuitions.
La
philo de B. est une philo parmi d'autres, mais peut saisir dans
l'unité de la durée, les diverses intuitions des
autres philosophes.
Cf.
argument du troisième homme de Platon. Ne va-t-on pas
dans une régression à l'infini ?
Mais
comment peut-on être certain que la philo de B. est une
philo parmi d'autres, mais qui les transcende ? Il faudrait
une autre philo pour en juger, etc.
b)
intuition comme compréhension (activité)
L'accent
est mis sur le contact et l'affirmation de la dualité.
Cf. PM p. 44 : distinction, dualité, entre science et
métaphysique; mais il y a contact, et, puisqu'il y a
contact, il y aura une inter-pénétration, fécondation
(cf. osmose, endosmose entre certains éléments,
cf. début des Deux sources). Si la finalité est
bien la complémentarité, le premier accent porte
sur la dualité. Insistance sur l'effort, l'ascèse,
de l'intuition. PM p. 224. Il faut porter sur le même
terrain la thèse et l'anti-thèse. L'effort d'intuition
est d'accepter en même temps et sur le même terrain
les antinomies.
De
ce point de vue, l'intuition n'est pas la saisie d'une unité
immédiatement donnée (caractère essentiellement
actif). Elle n'est pas réception d'un donné (il
ne s'agit pas de se regarder simplement vivre) mais elle est
un dépassement des antagonismes.
L'intuition
est activité, et non coïncidence. L'accent n'est
pas porté sur l'unité mais sur la multiplicité
des actes en subordination à tous les degrés de
l'être. L'intuition se diversifie, se multiplie en plusieurs
sens. Le problème va être de tenter de penser à
une unification de ce divers. La nature de l'intuition est d'être
un acte simple. Ici, elle est donnée non seulement comme
multiple, complexe, mais comme tendue et tiraillée (extériorité/
intériorité). L'intuition est simple mais elle
n'est pas un acte unique : tension entre la communauté
de genres et la diversité d'espèces. B. ne parle
pas de coïncider mais de faire co-exister ensemble des
objets différents. Il s'agit de mettre en contact des
objets différents. Tension de la durée et en conséquence,
de l'intuition. L'intuition nous met en contact avec des choses
extérieures, mais qui sont en même temps intérieures.
Le problème est le contact des deux.
Il
ne semble pas qu'il y ait identité entre la coïncidence
et cet acte dont il s'agit ici.
S'il
y a effort, il y a distance (même si l'effort est effort
d'annulation de cette distance). Si l'intuition est coïncidence,
et que d'autre part elle est construction, il y a problème.
Il est tout à fait indubitable que chez B., on trouve
cette opposition, mais elle est assumée. Cf. PM p. 210.
L'ambiguïté
de B. est dans ce texte, en ceci que l'on rencontre deux types
de connotations :
-
celle de la sympathie (se défaire de sa particularité
pour se fondre dans l'écoulement concret de la durée,
le rythme de la vie); elle n'est pas conscience au sens habituel
de la philo (car pas distincte). Elle est réception
-
celle de l'effort : consiste à tendre vers l'immédiat;
la conscience est ici active et même constituante. Elle
est transcendance. Elle reprend l'objet afin de le connaître
(au lieu de s'y éclipser). Nous avons donc les moyens
en vue de cette reprise (nous pouvons imprimer un sens à
la vie).
La
sympathie n'est plus une réception, mais elle est compréhension.
Elle est donc active. La direction accentuée par M. Ponty
est celle de la constitution du sens par une conscience. C'est
la direction 2) qu'il estime la plus féconde car la 1)
conduit à une clôture sur soi de chaque intuition.
La
fusion de deux éléments en un entraîne l'unicité
qui est indicible, inexprimable (quelque chose qui ne se distingue
plus de la mort). M. Ponty fait bien voir une dualité
qu'on peut mettre au jour en lisant B. : chaque philo est unique,
il y a ainsi quelque chose d'incommunicable, d'inexprimable.
Il y a aussi toute une logique, tout un travail d'articulation
des éléments les uns avec les autres, le plus
rigoureux possible -discours qui lui-même apparaît
comme effort. Pour Ponty, il faut dire, soit que l'intuition
est coïncidence, suppression de la dualité, soit
qu'il y a une argumentation... Le fait de distinguer ces deux
acceptions de l'intuition conduit-il à un dilemme ? Faut-il
choisir ? Entre ces deux acceptions, il y a une tension, mais
elle est consciente et pleinement assumée par B. Ainsi,
Ponty a-t-il bien compris B. ?
Cf.
PM p.181 : l'accent est mis ici sur l'intuition comme sympathie.
Nous avons aussi la connotation d'effort ("par laquelle
on se transporte"). L'immédiat recherché
ne peut pas être séparé du mouvement ou
de l'effort pour l'atteindre.
Dans
la même proposition sont présentes les notions
de sympathie et d'effort. Cf. PM p. 27 : intrication avec une
autre série de termes qui eux, renvoient à la
compréhension ou à la constitution du sens. La
dualité est présupposée. Eléments
qui sont en accord avec une philo de l'intentionalité.
Il
y a conscience d'objets et conscience de soi (la conscience
immédiate est de l'ordre de la coïncidence : métaphysiquement,
à la limite, sujet et objet ne se distingueraient plus).
Tout
B. est, en fin de compte, dans cette tension, qu'il cherche
à transcender mais qu'il sait indépassable dans
la philo. L'acte de philosopher est peut-être lui-même
cette tension.
Cf.
p. 224 : l'effort d'intuition; p. 225 : l'acte simple qu'est
toute intuition : l'accent n'est plus sur l'effort mais sur
la coïncidence.
On
peut dire que Ponty a figé les thèses de B., n'a
pas pris sa philo comme "vivante". Chez B., la première
intuition, c'est l'effort; Ponty en disant le contraire, substitue
un schème phénoménologique à une
lecture bergsonienne de B. Mais B. a fait la même chose
à l'égard de ses prédécesseurs,
tout en défendant de le faire (cf. EC chapitre IV : histoire
bergsonienne de la philo : il y a de nombreux "coups de
force").