Plan

I- PEUT-ON PENSER CLAIREMENT LA MORT ?

A- La mort, un fait naturel ?
1) la mort, entre nécessité et contingence
2) la mort, une loi naturelle pas comme les autres : la mort, ta mort, ma mort

B- La mort, une réalité irreprésentable
1) pouvons-nous penser notre mort ?
2) pouvons-nous penser la mort ?
3) nous ne pouvons qu’imaginer la mort

II- LA PHILOSOPHIE COMME QUETE DU SENS DE LA VIE OU : COMMENT VIVRE TOUT EN SACHANT QU’ON DOIT MOURIR ?

A- La philosophie, un art de vivre
B- Epicure : habitue-toi à penser que la mort n’est rien…


Cours

I- LA MORT, UN FAIT NATUREL ? –ESSAI DE DEFINITION


Nous voulons savoir si la mort est quelque chose que nous pouvons penser de façon claire. Il nous faut donc essayer de dégager un concept de la mort, ie, l’ensemble des caractéristiques de cette notion. Qu’est-ce que la mort ?

A- La mort, une loi naturelle ?

1) La mort un événement nécessaire… mais contingent !

La mort est d’abord un événement nécessaire. Nécessaire : qui ne peut pas être autrement. C’est une loi du vivant/ de la nature. Nul ne vit éternellement.

Qui dit nécessaire, ne dit pas non contingent : la contingence désigne ce qui peut arriver par hasard, ce qu’on ne saurait prévoir (ou bien, mais ici ce n’est pas en ce sens là : ce qui peut être autrement qu’il n’est). Ce que l’on ne saurait déduire d’aucune loi.

Tout comme il est nécessaire que tout corps obéit à la loi de la chute des corps, on ne peut déduire de cette loi le moment où la pierre va quitter son lieu, va être déplacée, ou bouger, et donc, obéir effectivement à la chute des corps. De même, on ne peut déduire de la nécessité de la mort le moment où Pierre va mourir. Pierre mourra un jour ou l’autre, mais ce moment est indéterminé. C’est un événement.

La mort est donc quelque chose qui arrivera certainement, mais on ne sait pas d’avance quand ce moment arrivera.

2) La mort, une loi naturelle pas comme les autres : « la » mort, « ta » mort, et « ma » mort

Mais la mort n’est pas un fait ou une loi naturelle(s) comme les autres. Ma mort n’est pas le même « événement » que la mort de quelqu’un en général. La mort, si elle est fin de l’espèce, est aussi fin de l’individu. Or, l’individu est un être irremplaçable, à nul autre pareil. La mort d’un individu n’a rien à voir avec la mort de l’espèce humaine, d’un « homme en tant qu’homme ».

Pour reprendre les termes de V. Jankélévitch , la mort-en-général n’est pas la mort-proche. Faisons un tableau :

La mort-en-général ou en troisième personne La mort-propre ou la mort en première personne La mort de la deuxième personne

C’est la mort abstraite ou anonyme, ou bien la mort propre, telle que celle-ci est impersonnellement ou conceptuellement envisagée. Ici, on juge la mort comme si elle ne nous regardait pas. C’est un objet comme un autre, qu’on décrit ou qu’on analyse médicalement, biologiquement, socialement, démographiquement.

Cf. troisième personne : point de vue de moi sur l’autre (toi, lui) ou bien de l’autre sur moi-même, ou bien encore de moi sur moi-même mais de moi-même comme autre

C’est l’expérience vécue de la mort-propre. Coïncidence entre l’objet de la conscience et le sujet du « mourir ». La mort c’est ma mort.

Cf. première personne : point de vue de moi sur moi, ou de toi sur toi ; en général, point de vue réfléchi de chacun sur soi-même.

Proximité de la mort du proche ; presque notre mort, aussi déchirante..

a) ma mort

La mort c’est pour moi ma mort. Or, ma mort, pour les autres, pour l’espèce humaine, est un fait divers appartenant au cours des choses ; la mort des membres de l’espèce humaine est, de même, à mes yeux, un fait ordinaire, un fait divers. Mais à mes yeux, ma mort se présente comme la tragédie métaphysique par excellence. Ma mort, pour moi, est la fin de tout, la fin totale et définitive de mon existence personnelle et la fin de tout l’univers. Ma mort à moi n’est pas la mort de « quelqu’un », mais elle est une mort qui bouleverse le monde, une mort unique en son genre.

b) la mort de nos proches

La mort, pour nous, c’est la mort de nos proches, d’individus, de personnes qui sont nous sont chères. C’est donc la douleur de la séparation.

Elle se présente donc comme un « fait » insupportable et effrayant, comme un scandale .


B- LA MORT : UNE REALITE IRREPRESENTABLE


Pouvons-nous jamais penser la mort en tant que telle, si la mort est avant tout, quand j’y pense, ma mort ? Avançons un peu dans la caractérisation de cette mort.

1) Pouvons-nous penser notre mort ?

La mort est l’horizon de ma vie, mais je ne peux rien en savoir. Je ne peux ni la sentir, ni la penser.

Ici : dire que nous ne savons pas ce qu’elle est, car quand elle est là, je ne suis plus là ; je ne peux vivre ma mort, savoir ce que c’est de mourir et d’être mort. Cf. fait que prendre conscience de quelque chose suppose une mise à distance, un recul, face à cette chose : ainsi si pendant 1 millième de seconde, je me « vois »/ « sens » mourir, je ne peux vraiment savoir que je meurs …. (Cf. le film « Expérience interdite »)

Je ne meurs jamais pour moi ; pour moi, la mort n’existe jamais, ou : ce n’est jamais moi qui meurs, toujours l’autre. Je ne meurs que pour les autres. Je peux donc concevoir la mort, mais alors, ce concept reste quand même vague. Je ne puis la vivre effectivement.

2) Pouvons-nous penser la mort ?

Nous avons vu que penser la mort en troisième personne, cela paraît être possible, mais on n’atteint ici que le « dehors » de la mort. Je ne peux penser la mort en tant que telle, ie, le caractère tragique, irremplaçable, de « cette » mort pour les proches (car c’est toujours un individu qui meurt).

Mais plus encore, ne peut-on pas dire que l’on ne peut par définition se représenter ce qu’est ou ce qu’a été la mort pour telle et telle personne ? Cela, je ne le sais pas. Il faudrait pour cela que les morts reviennent et témoignent de ce qu’ils ont vu et vécu. Ce qu’est la mort, nous ne le savons donc pas, nous l’imaginons.

3) Bref : on ne peut donc qu’imaginer la mort ! La mort n’est pas représentable de façon claire mais peut seulement être imaginée (pensée confuse)

  • Cf. romans policiers (où on peut vivre de l’intérieur de la conscience du « héros » en train de mourir..) = on vit par procuration ce que ça fait pour l’autre de mourir, et cet autre n’est pas un autre objectivé mais c’est bien une subjectivité
    • Mythes, religions
    • Récits des rescapés de la mort…


Conclusion I

Notre imagination ne brode-t-elle pas trop ? Les représentations imagées ou les imaginations de la mort véhiculées depuis les débuts de l’humanité ne remplissent-elles pas trop notre propre représentation de la mort ? Ne peuvent-elles véhiculer de fausses craintes ?


II- LA PHILOSOPHIE COMME QUETE DU SENS DE LA VIE OU : COMMENT VIVRE TOUT EN SACHANT QU’ON DOIT MOURIR ?


A- La philosophie comme art de vivre

On pourrait donc être tenté, en cette fin de première partie, de conclure que la philosophie ne peut en rien nous permettre de trouver le bonheur. En effet, il va de soi que le bonheur ne peut se trouver que si l’on est serein (tranquille, cf. ataraxie) et en harmonie avec nous-mêmes et le monde qui nous entoure. Or, dire oui à nous-mêmes et au monde, c’est-à-dire à la vie, est-ce possible si l’on est angoissé par des représentations inquiétantes quant à la mort ?

Et surtout, comment pouvoir se délivrer des pensées confuses que nous avons sur la mort, si la mort ne peut par définition qu’être pensée confuse ? Il semblerait donc que la mort ne puisse être l’objet de la réflexion philosophique : il n’y a rien à en dire, du moins, on ne peut rien en dire. Elle ne peut jamais faire l’objet d’une pensée claire. Alors, faut-il laisser la mort aux poètes, aux artistes, à la religion ?

On dira justement qu’il y a là une tâche que le philosophe peut tout à fait prendre en charge. La philosophie, rappelons-le, est recherche de la vérité en vue du bien-vivre, du bonheur. Cette recherche est certes d’abord conceptuelle, mais elle suppose aussi et est même avant tout, une tâche de remise en question des préjugés ambiants. Ne peut-elle par conséquent défaire les fausses représentations que nous nous faisons de la mort ? Ne peut-elle au moins nous aider à travailler sur ces représentations, sur cet imaginaire de la mort, qui nous nourrit de craintes infondées ?


B- Comment être heureux, tout en sachant qu’on va mourir ? (Epicure, Lettre à Ménécée)

On voit dans ce texte comment la philosophie peut nous aider à vivre sereinement, heureux, malgré la certitude de la mort. Enjeu ultime de ce texte : montrer que c’est à nous de donner un sens à notre existence. (Cf. Sartre et l’existentialisme, cous conscience).

La question que se pose Epicure est la suivante : doit-on avoir peur de la mort ? Doit-on souffrir à son approche ?

Trois thèses :

1- la mort n’est rien
2- donc, elle n’est pas effrayante
3- par conséquent : il faut jouir de la vie

Développement 1 et 2 :

On peut craindre à juste raison la souffrance occasionnée par la mort. Mais la mort nous prive de toute sensibilité : n’est-ce pas perdre son temps et être assez ridicule que d’avoir peur de ce dont on n’aura pas conscience ?

• Premier argument : syllogisme
a) tout bien et tout mal résident dans la sensation
b) or la mort éradique nos sensations
c) donc la mort n’est ni un bien ni un mal

• Second argument : raisonnement
a) quand nous sommes vivants la mort n’est pas là, donc, ne nous concerne pas
b) et quand elle est là nous ne sommes plus donc elle ne nous concerne plus

• Au fondement de ces arguments : une distinction vie et mort, et donc, le matérialisme :
o Cf. pas d’immortalité : la vie s’arrête, point : la mort n’est pas une sorte de continuation de la vie, de « sur-vie » !
o La vie est donc quelque chose qui se suffit à elle-même
o Pas besoin de quelque chose d’extérieur, de transcendant, pour fonder la vie (genre = Dieu ? âme ? esprit ?) –Ici, définir le matérialisme
o NB : il faut donc impérativement se débarrasser de la crainte des dieux, et de la croyance en l’immortalité de l’âme, pour profiter de la vie

Précisions sur 3 :

• Ethique sensualiste (pas tout à fait eudémoniste malgré le fait que le bien ait à voir avec le bonheur ; ici, émergence de l’individualisme ? ) : bien = plaisir


• Mais c’est bien une éthique et une philosophie car jouir de l’existence ne veut pas dire faire n’importe quoi de cette existence, car pour jouir le plus longtemps possible de l’existence il ne faut pas satisfaire tous ses désirs de manière chaotique mais en utilisant sa raison (vie heureuse = vie modérée, mesurée, ordonnée).

• Cf. tripartition désirs.

• Peut-être rapprochement avec Sartre : l’existence n’a pas de sens ! mais c’est qu’il ne tient qu’à l’homme de lui en donner un !

Deux questions restent en suspens :

(1) ne peut-on à bon droit, ou, tout à fait rationnellement, avoir peur de perdre ce bien précieux qu’est la vie ?

(2) et si le matérialisme n’est pas fondé, peut-on alors encore espérer trouver le bonheur ? et ne peut-on être non matérialiste sans pour autant croire en l’immortalité de l’âme, et donc, croire que l’on aura un avenir malgré la mort ? –Réponse dans cours vivant, esprit et matière


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