Plan
Introduction
I-la fidélité, condition de toute morale (devoir moral) et de toute société (necessite sociale)
II- les conditions de possibilite ontologiques de la fidélite :la permanence a soi dans le temps (probleme de l’identite personnelle)
III- La vertu et la fidelite comme integration du changement
Conclusion
Bibliographie
Corrigé
La fidélité est communément tenue pour être une grande vertu. En effet, il y a fidélité chaque fois que je conforme ma conduite à un engagement. Lhomme fidèle reste constamment dans la ligne quil sétait dabord fixée. Pourtant, la question qui nous est posée semble bien présupposer que " rester fidèle " est une attitude qui fait problème, puisquelle est à interroger. Se demander sil faut rester fidèle, cest demander si être fidèle est un véritable devoir moral, et, plus précisément, si cela lest toujours. On se demandera donc sil est toujours moral de se conformer à ses engagements ou à ses promesses. Mais aussi, sil est possible de rester fidèle, sans par là-même porter atteinte à la moralité. La fidélité est-elle fondée, à la fois moralement et dans lêtre de lhomme ?
I-la fidélité, condition de toute morale (devoir moral) et de toute société (necessite sociale)
La question qui nous est posée comporte une certaine ambiguïté : en effet, elle demande si on doit rester fidèle. Tout se passe donc comme si devoir dêtre fidèle ne faisait pas problème : la difficulté porterait seulement sur le fait de le rester. Ainsi peut-être que " être fidèle " est une vertu, mais pas " le rester " ? La difficulté de cette distinction est que, toutefois, la notion dattachement, de persévérance, semble bien être contenue dans la notion de fidélité. Par exemple, si je dis que je suis fidèle à ma femme, je veux dire que je respecte et que je me tiens à lengagement dêtre toujours, quoiquil arrive, auprès delle, et, plus précisément, de laimer toujours. Etre fidèle, cest donc la même chose que rester fidèle. Notre distinction de départ ne semble donc pas être tenable. Si être fidèle est de lordre de la vertu, ou du devoir, alors, évidemment, rester fidèle sera aussi une attitude, ou un acte, qui relève de la vertu ou du devoir.
On peut ici faire appel à Aristote, qui définit la vertu, dans son Ethique à Nicomaque, comme une habitus, i.e., une " disposition acquise " : la vertu est une habitude à se comporter de telle façon, et plus précisément, à accomplir telle sorte de bien. Elle ne peut sacquérir quà force de pratiquer telle sorte daction, les actions bonnes. Cest en accomplissant des actes vertueux, quon devient vertueux.
Si donc la vertu est définie comme étant la constance à faire tel bien, la constance dans ses actes, plus exactement encore, comme une " disposition constante à agir selon la droite règle, qui détermine le juste milieu (entre un vice par défaut et un vice par excès) ", alors, on voit que la notion de fidélité, si elle est la constance dans nos actes/ paroles, rencontre la notion même de vertu aristotélicienne. Elle a la même définition, à savoir, la constance dans ses principes.
On dira donc quon doit rester fidèle puisque cest là être vertueux au sens aristotélicien, et donc, que cest agir conformément au devoir. La vertu suppose lac onstance, or, la fidélité est la constance même. Non seulement ces deux notions de vertu et de fidélité semblent donc se recouvrir, mais encore, peut-être la fidélité est-elle la condition même de la vertu ?
La question de savoir sil faut rester fidèle semble donc être un faux problème et même semble mener à terme à détruire toute moralité. La fidélité semble bien être à la base même de la moralité et de tout vivre-ensemble. Demandons-nous, par exemple, si nous pouvons, quand nous sommes dans lembarras, faire une promesse avec lintention de ne pas la tenir. Peut-on faire une fausse promesse ? Autrement dit, si nous généralisons la fausse promesse et la rendons synonyme de fidélité : être fidèle est-il toujours un devoir ? Etre infidèle peut-il parfois être un devoir ? Pour le savoir, il suffit de se demander, comme le dit Kant dans la partie I des Fondements de la métaphysique des murs, si " jaccepterais avec satisfaction que ma maxime (de me tirer dembarras par une fausse promesse) doit valoir comme loi universelle, aussi bien pour moi que pour les autres ". Si, selon Kant, il ne faut pas tenir de fausse promesse, ce nest pas à cause des conséquences à craindre pour moi, mais ce sera dû au fait que si on le fait, alors, aucun contrat ne sera plus possible. En effet, si la fausse promesse pouvait devenir une obligation morale, alors, on ne pourrait plus avoir confiance en qui que ce soit. Cela reviendrait à dire que les promesses, engagements, contrats, etc., nengagent pas du tout la personne qui les tient, puisque lon voudrait ériger en loi universelle de la nature le fait de tenir une promesse en nayant pas lintention de la tenir. Comme le montre encore Kant dans son opuscule Dun prétendu droit de mentire par humanité, la fidélité est la condition même de " tous les droits fondés sur des contrats, ce qui constitue une injustice à lencontre de lhumanité en général ". La fidélité est donc un commandement sacré de la raison, et ne pas être fidèle, est un crime contre lhumanité.
Bref, on voit avec Kant que si on doit de toute évidence être ou rester fidèle, cest pace que sans cela, aucune société ne serait viable. En effet, les contrats sont alors impossibles, car il ny a plus aucune confiance entre les hommes. Ce devoir ou cette vertu, semble donc être la condition même de la société, qui a toujours eu tendance à valoriser les conduites de fidélité, afin de garantir contrats et signatures. La fidélité est donc non seulement un devoir moral mais également une nécessité sociale, qui a pour fonction la cohésion sociale, la paix.
Mais surtout, ce que montre encore lanalyse kantienne, cest que rester fidèle est un devoir envers lhumanité toute entière. Sen tenir à ses engagements, à ses promesses, etc., bref, rester fidèle, cest respecter lautre, cest respecter lhumanité entière (même si cette fidélité nest quenvers moi-même). Rester fidèle, cest donc à la fois respecter lautre et se respecter soi-même.
Avec cette notion de respect, non plus de lautre seulement, mais de soi-même, on en arrive à un autre aspect de la question. En effet, " rester " fidèle est une attitude qui connote la persévérance, la permanence, lidentité. On touche ici à un aspect très important de la notion de fidélité, ou, de sa signification pour tout homme : en effet, rester fidèle, cela revient à " rester le même ". Sil est nécessaire, alors, de rester fidèle, ce nest plus tant en un sens moral ou social, mais métaphysique : cest sans doute parce que la fidélité a une fonction dintégrité, en ce quelle me permet de maccepter moi-même, en ce quelle donne à ma personne une unité, une permanence
II- les conditions de possibilite ontologiques de la fidélite :la permanence a soi dans le temps (probleme de lidentite personnelle)
Ny a-t-il pas lieu de sinterroger sur la possibilité même de cette vertu ? Est-il vraiment possible de rester fidèle, sans porter atteinte à ma personnalité ou à celle des autres ? I.e., en définitive, doit-on toujours rester fidèle ? Rester fidèle, est-ce toujours un devoir moral ?
Il semble en fait que rester fidèle soit impossible, que ce soit une attitude qui relève seulement de l'idéal, qui ne prendrait pas en compte la nature humaine. Spinoza dirait ici, comme il le dit dans le Traité politique, I, 1, que cest une de ces notions de moralistes qui ne considèrent pas lhomme tel quil est vraiment, mais comme ils voudraient quil soit.
Et en effet, que cette notion ne soit pas conforme à la nature humaine, nous pouvons le montrer facilement, en mettant en évidence que la constance dans ses actes est une attitude qui ne prend pas en compte la fonction du temps. Elle présuppose en effet que :
(1) on reste toujours le même : on névolue pas, on ne change pas ;
(2) quil faut rester le même : il ne faut pas changer, évoluer ;
(3) les circonstances ne changent pas : le monde reste le même, toutes les situations se ressemblent ;
(4) il ny a donc pas de circonstances exceptionnelles (cf. fait que la morale vaut pour tous les êtres raisonnables).
Il nous faut voir si tous ces présupposés sont valides ou non.
Nous lavons dit avec Spinoza : lhomme nest pas un dieu. Il vit dans le temps et dans un monde gouverné par la contingence. I.e. : les circonstances dans lesquelles nous agissons sont toujours variées, originales. Or, si lhomme, comme les circonstances, nest jamais tout à fait le même, le problème de savoir si la constance, par laquelle on définit la vertu, ne rend pas par là-même cette notion caduque, ou absurde. Mon être, pris dans le devenir, est fluctuant : que doit-on faire alors des changements introduits dans ma pensée et mes sentiments par le temps ?
La question se pose donc de savoir que faire, quand on a changé ? Faut-il rester fidèle ? Par exemple : jai tenu, dans le passé, la promesse de toujours rester adhérent au parti communiste. Or, jétais très jeune et très idéaliste ; on pouvait encore croire quil y aurait une grande révoution, et que le monde allait devenir meilleur. Aujourdhui : jai changé : je suis vieux et je suis moins idéaliste, jai plus les pieds sur terre ; de plus, le monde lui-même a changé, et lon sait maintenant que le communisme na pas mené à un monde meilleur, loin de là. Je trouve donc que je me suis trompé, et je ne crois plus au communisme. Il y a une divergence nette entre cet idéal et ce que je suis dans mon être (= ce que je suis devenu). Que faire ? Si je romps ma promesse, je ne suis plus fidèle, je trahis les autres, je commets, comme le dirait Kant, un crime contre lhumanité toute entière. Je ne fais donc pas mon devoir, on dira que ce que je fais nest pas bien. Car il faut rester fidèle : cest, nous lavons vu, un devoir moral absolu, qui ne peut accepter aucune circonstance atténuante, au risque de ne plus rien vouloir dire. Pourtant, comment négliger le fait que lengagement tenu ne correspond plus à mes sentiments les plus profonds ? Cela ne revient-il pas à ne plus me respecter soi-même ? Et nest-ce pas ici quil y a crime contre lhumanité, puisque finalement, cela revient à me mentir à moi-même, ainsi quaux autres (puisque mon engagement ne reflèteplus mon être) ?
Lanalyse des rapports entre la notion de fidélité et la notion de temps nous permet donc de la mettre en rapport avec la sincérité. On touche ici à laspect intérieur de la morale : nos actes extérieurs doivent être en conformité avec notre intériorité, afin quils puissent mériter ladjectif de " moral " et de " bon moralement ". Finalement, on ne doit pas à tout prix " rester fidèle ", au sens de rester constant dans ses engagements initiaux,car cest de cette manière quon détruit en effet la fidélité. La fidélité nest plus que conformité extérieure, et donc, nest autre quhypocrisie. Etre infidèle nest donc pas toujours nécessairement contrevenir à la moralité, bien au contraire. On est ici en présence dune attitude paradoxale : en effet, linfidélité pourrait parfois être une trahison qui nest finalement pas trahison, mais véritable fidélité !
Mais alors, nest-on pas mené à critiquer la notion de fidélité ? En effet, il semble quelle appartienne en définitive à une morale figée, close, comme le dirait Bergson : elle est imposée par la société afin dassurer la cohésion sociale, avons-nous déjà dit. Elle est de lordre de limmobilité, elle hait le changement. Pure fonction de conservation, elle est de lordre de la nature, plutôt que de la vraie morale qui innove, et invente. On pourrait dire également que la fidélité est bien de lordre de la morale, mais que la morale a son origine, comme le dit Nietzsche, dans le refus du changement, dans la peur de la vie, bref, elle est une invention des faibles pour se prémunir contre les forts. Et les faibles persistent à nous faire croire à un devoir de fidélité, à la supériorité de la morale, alors quelle ne serait finalement quinstinct de mort.
Bref, cest finalement pour la société quon se doit de rester fidèle. Mais par là il semble que naisse un conflit individu/ société. Cette dernière semblerait en effet menacer notre personnalité. Cest pour elle que je dois conformer mes actes à tout engagement passé, même si je sais que parfois, par cette attitude, je serai amené à trahir ma personnalité ou à ne pas avoir une conduite authentique, sincère, conforme à ce que je suis réellement.
Rester fidèle à soi-même semble donc aller contre lautonomie. En effet, rester fidèle, nest-ce pas finalement être assujetti, esclave, du passé ? Bref, cela ne revient-il pas à sacrifier notre liberté ?
III- La vertu et la fidelite comme integration du changement
Finalement, cette critique nous semble un peu radicale. Peut-être faudrait-il, plutôt que de nier catégoriquement quon ne doit pas, du moins pas toujours ou pas nécessairement, rester fidèle, ou que ce soit là une vertu, chercher une définition plus souple de la fidélité, et donc, de la vertu morale.
Ainsi, plutôt que de nier que rester fidèle soit une devoir, une vertu, sous prétexte que cela ne prend pas en compte le changement, il vaut mieux en revenir à Aristote, qui définit la vertu avant tout comme effort, comme la maîtrise de soi et des circonstances. Cela va nous permettre déviter, (1) dabord, de confondre vrai changement et caprice du moment; (2) et, ensuite, de ne pas sengager sans réfléchir (avant de sengager, il faut se connaître soi-même, et avant de " trahir " il faut bien réfléchir).
Pour Aristote, être vertueux, cest faire ce quil faut, quand il faut, comme on doit le faire. Bref, je dois trouver en toutes circonstances le juste milieu. Cela signifie que je dois adapter ma conduite/ vertu aux circonstances toujours changeantes, et ne pas savoir le faire, cest justement ne pas avoir cette vertu. Ainsi, même si la vertu implique la constance (à toujours faire le bien) , cela nempêche pas de la modeler : la règle nest pas rigide mais flexible. Cest que la vertu nest pas quelque chose dabstrait mais de concret.
On doit donc faire au mieux, chercher à rester fidèle tout en ne niant pas tout changement, en ne niant ni son propre progrès, ni la personne de lautre Cf. Machiavel, Le prince, chapitre 18 . Nous dirons avec Kant que si on ne devait pas rester fidèle, cela reviendrait à nier tout contrat et même lhumanité. Mais aussi, quil ne faut pas, en son nom, tomber dans la contradiction et nier toute liberté ou autonomie. Bref, on doit rester fidèle. Mais cela ne doit pas devenir synonyme de rigidité : il faut admettre au contraire que rester fidèle cest parfois reconnaître que certains " revirements " ne sont pas de réelles trahisons mais au contraire des preuves de notre bonne foi/ moralité : cest donc parois la vraie moralité.
NB : jai envisagé le problème dun point de vue strictement moral, et individuel, même si dans la première partie jai abordé le côté social du problème (qui va avec le côté moral). Jaurais tout aussi bien pu envisager le problème sous un angle politique, comme le fait Machiavel (Le prince, chapitre 18 : le prince doit-il tenir ses promesses ?). De plus, je me suis permis dignorer la différence entre " vertu " et " devoir " proprement dit, i.e., entre la morale aristotélicienne et la morale kantienne.
Aristote, Ethique à Nicomaque
Bergson, Les deux sources de la morale et de la religion
Kant, Fondements de la métaphysique des murs ; Dun prétendu droit de mentir par humanité
Machiavel, Le Prince, Chapitre XVIII
Nietzsche, La généalogie de la morale
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