le Temps Le temps en nous ou en dehors de nous ?

Plan

I- La réalité du temps : Newton.

1) Le paramètre t.

2) Le temps est pensé comme une réalité existant hors de nous.

3) Contre cette conception du temps, on a des arguments non seulement philosophiques (qui reposent sur l’expérience que nous faisons du temps, donc, sur la conscience), mais également scientifiques.

II-La subjectivité du temps.

A- Le temps historique (cours sur l’histoire)

B-St Augustin (354-430), Les confessions, Livre XI, chapitres xiv-xxxi : le temps n’existe pas, si ce n’est dans notre esprit.

1) le temps n’existe pas:

2) Le temps s’oppose à l’éternité comme l’apparence à la réalité.

III-Kant : le temps est certes subjectif mais cette subjectivité ne signifie pas qu’il n’est pas objectif : ça va être au contraire ce qui fait qu’il est objectif.

1) rappel : la philosophie transcendantale

2) Le temps comme " forme a priori de la sensibilité ".

3) Comment Kant montre-t-il que le temps appartient à notre esprit, et non aux choses extérieures ?

4) Que veut dire, chez Kant, que le temps est " subjectif " ? Est-il une illusion ?

5) temps et changement.

Conclusion


Cours

I- La réalité du temps : Newton.

    1) Le paramètre t.

Dans la physique classique, i.e., chez Galilée et Newton, le temps est le paramètre t (= qui désigne un nombre réel). Il est présent dans toutes les équations de la physique (sous différentes formes : la vitesse, l’accélération instantanée, etc.). Ce paramètre t est au fondement même de la mécanique classique ; en effet, il permet de décrire le mouvement des corps dans l’espace en donnant leur position à des instants successifs.

Voici ses propriétés :

c’est un temps mathématique. Le temps est une grandeur mesurable, susceptible d’ordonner des expériences et de les relier mathématiquement. Exemple : grâce à ce temps mathématique, Galilée a pu établir que la hauteur de chute libre d’un objet est proportionnelle au carré du temps de sa chute (= loi de la chute des corps dans le vide)

il est donc figuré par une ligne géométrique et par conséquent, ordonné (sur une droite, en effet, un point se situe nécessairement avant ou après un autre point)

il est continu (il ne cesse jamais d’y avoir du temps qui passe)

il s’écoule uniformément, du passé vers le futur

mais il est pourtant réversible (alors que la précédente propriété laisserait à penser que le temps est fléché et irréversible, conformément à l’expérience que nous en faisons) : en effet, on explore avec les mêmes méthodes mathématiques le passé et l’avenir ; par exemple, il est aussi facile de déterminer les éclipses passées que les éclipses futures ; ainsi, sur le papier, les planètes pourraient tourner à l’envers. I.e. : tout ce que la nature fait, elle pourrait le défaire selon le même processus. Le temps newtonien n’est donc pas fléché. Il ne crée pas et ne détruit pas non plus. Passé et futur se ramènent au seul instant présent.

 

C’est le temps réel, le " temps du monde ". On lui oppose le temps tel qu’il est perçu par les sens, par le sens commun. C’est le temps sensible, apparent. Le temps réel est perceptible seulement par l’entendement (l’intelligence ou l’esprit).

Newton, Principes Mathematiques de Philosophie Naturelle (), Scholie :

-" on distingue en astronomie le temps absolu du temps relatif par l’équation du temps. Car les jours naturels sont inégaux, quoiqu’on les prenne communément pour une mesure égale du temps ; et les astronomes corrigent cette inégalité, afin de mesurer les mouvements célestes par un temps plus exact. Il est très possible qu’il n’existe pas de mouvement parfaitement égal, qui puisse servir de mesure exacte du temps ; car tous les mouvements peuvent être accélérés et retardés, mais le temps absolu doit toujours couler de la même manière. La durée ou la persévérance des choses est donc la même, soit que les mouvements soient prompts, soit qu’ils soient lents, et elle serait encore la même, quand il n’y aurait aucun mouvement ; ainsi il faut bien distinguer le temps de ses mesures sensibles, et c’est ce qu’on fait par l’équation astronomique. La nécessité de cette équation dans la détermination des phénomènes se prouve assez par l’expérience des horloges à pendule, et par les observations des éclipses des satellites de Jupiter. "

-" Le temps absolu, vrai et mathématique, en lui-même et de sa propre nature, coule uniformément sans relation à rien d’extérieur, et d’un autre nom est appelé Durée "

-" Le temps relatif, apparent et vulgaire, est une mesure quelconque, sensible et externe de la durée par le mouvement (qu’elle soit précise ou imprécise) dont le vulgaire se sert ordinairement à la place du temps vrai : tels, l’heure, le jour, le mois, l’année ".

Dire que le temps est absolu, c’est donc dire qu’il n’appartient, ni au monde extérieur (matériel et sensible), ni à notre esprit. Il existerait, même si le monde ou notre esprit n’existaient pas. Il ne faut pas confondre le temps sensible, que l’on perçoit, et qui est relatif, avec le temps absolu qui le sous-tend.

Il convient d’expliquer pourquoi le temps, ainsi que l’espace, le lieu, le mouvement, sont absolus. (Plus précisément, ils doivent l’être, car sans cette caractéristique, c’est tout l’édifice de la dynamique newtonienne qui s’écroule ; sa loi F =mg, n’est valable que dans un espace absolu).

-quelle est la fonction de cette loi ? Elle explique le changement de vitesse, l’accélération (la force est ce qui contrecarre la tendance du mobile à aller en ligne droite). Cf. " tout corps persévère dans un état de repos et de mouvement uniforme en ligne droite dans lequel il se trouve, à moins que quelque force ne s’exerce sur lui, et ne le contraigne à changer d’état ". (Newton, contrairement à Galilée, ne se contente plus de décrire le mouvement, mais l’explique, i.e., lui assigne une cause –cela n’est possible que si on lui assigne une force).

-Or, pour Newton, on ne peut se référer à des forces que dans un espace (et un temps) absolus (fixes). Il va dire que l’espace absolu agit sur les corps (espace doté de qualités dynamiques), alors que l’espace relatif se comporte à leur égard comme un simple réceptacle passif. Pourquoi ce recours nécessaire à l’espace absolu ? Parce que le mouvement inertiel correspond à l'absence de force imprimée (donc, l'absence d’interaction avec d’autres corps) ; or, il faut bien qu’il soit produit par quelque chose, qu’il ait une cause ! D’où la solution de Newton : ce qui peut seul produire le mouvement inertiel, c’est l’espace absolu, qui est le seul objet en présence duquel se trouve le corps. L’action de l’espace absolu sur les corps qui y sont soumis consiste donc dans une simple conservation de leur mouvement.

-cette action de l’espace absolu elle-même résulte d’une force de nature différente de celle des forces imprimées. Je précise que c’est une force qui a la drôle de propriété de ne pas produire d’accélération… (=force inertielle).

-Pour Newton, les forces créent le mouvement absolu et réel d’un corps (qui a la caractéristique de pouvoir être référé à une force imprimée) ; le mouvement relatif (et apparent) d’un corps, lui, n’est pas nécessairement en rapport avec une force, mais il suffit pour l’expliquer, que le corps en référence auquel il est en mouvement, subisse l’action d’une force.

Je parlerai rapidement de ces derniers, puis, dans les parties II et III, j’évoquerai deux arguments philosophiques. Pour ce faire, je vais partir des problèmes que pose la théorie newtonienne. On peut se demander si la physique parle vraiment du temps ou si au contraire elle ne le rate pas. En effet, a) le temps dont elle nous parle est réversible, et est éternel ou immobile (cf. fait que la physique recherche des rapports soustraits aux changements, des lois et des règles indépendants du temps) ; ce temps ressemble donc (trop) à l’espace et n’est plus du temps (on peut dire que Newton a mis le temps hors du temps! ) ; de plus b) ce temps est un instrument de mesure des phénomènes ; or, rien ne dit que les instruments dont se sert la physique, correspondent à quoi que ce soit de réel. On peut donc objecter à Newton que beaucoup d'événements se déroulent en sens unique, et sont irréversibles. -Cf. événements historiques ; nous-mêmes : nous ne rajeunissons pas ; nous ne pouvons revenir sur ce que nous avons fait, etc. ; et, en physique, les expériences de Sadi Carnot sur des machines à vapeur : la transformation de la chaleur en énergie mécanique est limitée par le sens irréversible dans lequel s’effectuent les transferts de chaleur (du chaud vers le froid uniquement). Cette découverte est à l’origine du deuxième principe de la thermodynamique, qui fut énoncé par R.Clausius en 1865 (loi macroscopique qui a) postule l’existence, pour tout système physique, d’une grandeur appelée l’entropie, qui représente le degré de désordre ou de hasard présent dans le système. Un litre d’eau froide a une certaine entropie, un litre d’eau chaude a une entropie différente (en l’occurrence plus élevée) ; b) indique que la quantité d’entropie contenue dans un système isolé ne peut que croître lors d’un quelconque événement physique ; exemple : c’est selon cette loi que le sucre va se dissoudre dans votre tasse de café ; et qu’il ne pourra jamais revenir à son état initial. Ce qu’on appelle la flèche thermodynamique du temps est donc une flèche qui va du passé au futur et de l’ordre au désordre. Bref, on ne peut par définition remonter le cours du temps, si ce n’est dans les films de science-fiction.

II-La subjectivité du temps.

Le temps semble, de toute façon, être quelque chose de subjectif :

L’histoire est une certaine prise de conscience du temps, une certaine manière de diviser le changement et de le penser. L’écriture de l’histoire ne se conçoit pas sans chronologie, donc, sans perception du temps. Or, le problème est de savoir s’il y a une " chronologie en soi ", un découpage du temps tout fait, ou si au contraire cette chronologie n’est pas toujours fabriquée par l’historien lui-même.

Pour y répondre, on peut reprendre le texte de P.Veyne étudié dans le cours sur l’histoire, et plus précisément, la notion de champ évènementiel, et dire que le temps historique, ou la chronologie, dépend de la perspective même qu’on veut adopter, de l’intrigue qu’on s’est donnée au départ; ainsi que l’Ecole des annales (j’en ai parlé à la fin du cours sur l’inconscient). Je vous rappelle que c’est un courant contemporain qui a abandonné l’étude des grands hommes comme étant l’objet spécifique de l’histoire. Pour ces historiens, le véritable sujet de l’histoire, ce sont les forces économiques, sociales, etc. Ainsi ont-ils écrit une histoire de la Méditerranée, une histoire des mentalités, etc. La conséquence de cette révolution conceptuelle sur la notion de temps historique est la suivante : il y a plusieurs chronologies possibles, et il n’y a pas une chronologie en soi, un découpage " tout fait " du temps. Le temps ou plutôt les divers temps, s’étale(nt) sur des périodes n’ayant rien à voir avec le temps de l’action, qui est celui des délibérations des acteurs humains/individuels. Il y a par exemple le temps court de l’événement, le temps demi-long de la conjoncture, le temps long de l’histoire des mentalités, la très longue durée de l’histoire des civilisations, etc.

P.Veyne, Comment on écrit l'histoire, Seuil, 1971, p.57

 

Structure du champ événementiel

Les historiens racontent des intrigues, qui sont comme autant d'itinéraires qu'ils tracent à leur guise à travers le très objectif champ événementiel (lequel est divisible à l'infini et n'est pas composé d'atomes événementiels) ; aucun historien ne décrit la totalité de ce champ, car un itinéraire doit choisir et ne peut passer partout; aucun de ces itinéraires n'est le vrai, n'est l'Histoire. Enfin, le champ événementiel ne comprend pas des sites qu'on irait visiter et qui s'appelleraient événements un événement n'est pas un être, mais un croisement d'itinéraires possibles. Considérons l'événement appelé guerre de 1914, ou plutôt situons-nous avec plus de précision les opérations militaires et l'activité diplomatique ; c'est un itinéraire qui en vaut bien un autre. Nous pouvons aussi voir plus largement et déborder sur les zones avoisinantes : les nécessités militaires ont entraîné une intervention de l'Etat dans la vie économique, suscité des problèmes politiques et constitutionnels, modifié les mœurs, multiplié le nombre des infirmières et des ouvrières et bouleversé la condition de la femme... Nous voilà sur l'itinéraire du féminisme, que nous pouvons suivre plus ou moins loin. Certains itinéraires tournent court (la guerre a eu peu d'influence sur l'évolution de la peinture, sauf erreur) le même "fait", qui est cause profonde sur un itinéraire donné, sera incident ou détail sur un autre. Toutes ces liaisons dans le champ événementiel sont parfaitement objectives. Alors, quel sera l'événement appelé guerre de 1914? Il sera ce que vous en ferez par l'étendue que vous donnerez librement au concept de guerre : les opérations diplomatiques ou militaires, ou une partie plus ou moins grande des itinéraires qui recoupent celui-ci. Si vous voyez assez grand, votre guerre sera même un "fait social total".

Les événements ne sont pas des choses, des objets consistants, des substances ; ils sont un découpage que nous opérons librement dans la réalité, un agrégat de processus où agissent et pâtissent des substances en interaction, hommes et choses. Les événements n'ont pas d'unité naturelle ; on ne peut, comme le bon cuisinier du Phèdre, les découper selon leurs articulations véritables, car ils n'en ont pas. Toute simple qu'elle soit, cette

Dans ce passage des Confessions, St Augustin s’interroge sur la nature du temps. Il cherche à en donner une définition, et surtout, à savoir s’il est un être ou un non-être (question ontologique, portant sur l’être et le mode d’être de quelque chose).

XI, xiv : "Qu’est-ce donc que le temps ? Si personne ne me le demande, je le sais ; mais si on me le demande et que je veuille l’expliquer, je ne le sais plus. Pourtant, je le déclare hardiment, je sais que si rien ne passait, il n’y aurait pas de temps passé ; que si rien n’arrivait, il n’y aurait pas de temps à venir ; que si rien n’était, il n’y aurait pas de temps présent. Comment donc ces deux temps, le passé et l’avenir, sont-ils, puisque le passé n’est plus et que l’avenir n’est pas encore ? Quant au présent, s’il est toujours présent, s’il n’allait pas rejoindre le passé, il ne serait pas du temps, mais de l’éternité. Donc, si le présent, pour être du temps, doit rejoindre le passé, comment pouvons-nous déclarer qu’il est aussi, lui qui ne peut être qu’en cessant d’être ? Si bien que ce qui nous autorise à affirmer que le temps est, c’est qu’il tend à n’être plus ".

 

Si on parle du temps, en disant que les choses " étaient ", " sont ", et " seront ", le langage nous trompe. A l’analyse, i.e., dès que nous voulons penser ce qu’est le temps, en donner une définition, le temps nous échappe, et on doit avouer que rien de tel que le temps ne peut en fait exister. St Augustin montre en effet que le temps n’est composé que d’inexistences. 

     

  1. Il montre d’abord que le passé n’est plus, et que le futur n’existe pas encore. Il en déduit que passé et futur n’existent pas. Puis, il se pose la question de savoir pourquoi alors on en parle ; notamment, comment se fait-il que nous prédisions l’avenir, comme le fait le scientifique, ou que nous racontions, comme le fait l’historien, les événements passés ? Comment cela est-il possible, alors que dans un cas, l’événement n’est pas encore, et dans l’autre, il n’est plus ? Question formulée de la façon suivante par Augustin (18, 23) : où sont donc les choses passées et futures, si elles " sont " d’une certaine manière ? Voici sa réponse/solution :

     

  2. la narration du passé implique la mémoire, et la prévision du futur implique l’attente

     

  3. or, se souvenir c’est avoir une image du passé, et cette image est une empreinte laissée par les événements, qui, de la sorte, restent fixés dans notre esprit

     

  4. c’est grâce à l’attente que les choses futures sont présentes comme à venir ; nous en avons une " pré-perception ", qui nous permet de les annoncer à l’avance ; de nouveau, nous avons dans l’esprit une image qui précède et annonce l'événement qui n’existe pas encore ; cette image n’est pas à proprement parler une empreinte laissée par un événement passé, mais le signe ou la cause des choses futures (exemple : je vois l’aurore, et j’annonce que le soleil va se lever)

     

  5. Augustin en déduit donc que les modes du temps que sont le futur et le passé n’existent que dans l’âme, ne renvoient pas au monde extérieur, mais à notre esprit, dans lequel seul ils " existent "

     

  6. Il y a donc bien trois temps, mais si on veut parler avec rigueur, il faut donc dire qu’il y a le présent du passé (=mémoire), le présent du futur (=attente), et même, le présent du présent (=vision, attention). Sa solution revient donc à mettre le passé et le futur dans le présent par le biais de la mémoire et de l’attente, qui sont deux modalités de la conscience/âme/esprit.

b)Toutefois, si tout en quelque manière e ramène au moment présent, il s’avère que le présent lui-même n’est rien, n’existe pas. En effet, le présent, plus précisément, l’instant présent, " ne peut être qu’en cessant d’être ". Sa caractéristique majeure, à lui aussi, est de " passer " (sinon, ce ne serait plus du temps !). A peine présent, il est déjà du passé, et j’en parle pratiquement toujours au passé…

 

Il est important de préciser que nous sommes ici dans une pensée religieuse, comme chez Pascal. L’intention sous-jacente à sa théorie de nature du temps est de voir comment le temps s’articule avec l’éternité divine, et quel est le sens de la vie humaine. Cf. fait que la réflexion sur la nature du temps est enchâssée dans une méditation sur les rapports entre l’éternité et le temps, suscitée par le premier verset de la Genèse (il se pose les questions de savoir que faisait Dieu avant la création, s’il y avait un temps, etc.). L’éternité, qui caractérise la divinité, va être l’autre positif du temps. Le temps est ce qui va caractériser notre existence humaine, et ce qui nous éloigne de Dieu. En effet, pour lui, la vie humaine n’a aucun sens, et il apparaît dans sa réflexion sur le temps que ce qui rend la vie humaine insensée, c’est avant tout son caractère temporel. La vie humaine, qui est temporelle, est en effet marquée par la dissipation (cf.mort, maladie, destruction, etc.). L’éternité divine, qui est la vraie réalité, est ce qui va pouvoir donner un sens à cette vie. Cf. opposition célèbre entre la Cité de Dieu (qui existe actuellement dans le cœur des croyants et existera plus tard dans l’éternité, après le jugement dernier, après la fin des temps= éternité existante et positive, du côté du bonheur) () et la Cité terrestre (=temps inexistant et négatif, du côté du manque, de la souffrance).

Le temps est donc subjectif, car il n’existe que dans notre esprit ; et il est humain, " trop humain ", en ce qu’il caractérise la souffrance et le manque constitutif de notre condition humaine.

III-Kant : le temps est certes subjectif mais cette subjectivité ne signifie pas qu’il n’est pas objectif : ça va être au contraire ce qui fait qu’il est objectif.

    1) rappel : la philosophie transcendantale

a) " transcendantal " : désigne les conditions de notre expérience du monde ; ce sont les structures de l’esprit humain ; toute expérience doit nécessairement obéir à ces conditions-là. Ces structures sont des " formes a priori ". Exemple : toutes les choses doivent obéir à la catégorie de la causalité (doivent se succéder selon une relation de succession) doivent obéir à la catégorie de la substance (i.e. : une chose ne peut devenir autre à chaque instant) ; toutes les choses doivent apparaître dans l’espace et dans le temps.

b) Phénomènes et choses en soi. Mais rien ne nous dit que d’autres êtres que nous percevraient le monde de la même façon. Par suite, Kant dit que ce que nous pouvons connaître, ce sont seulement des " phénomènes ", et non des " choses en soi ". Les choses en soi seraient les choses telles qu’elles sont réellement, indépendamment de ces structures de notre esprit ; on pourrait dire, sans qu’elles soient déformées par les structures de notre esprit. Ce que l’homme peut connaître, ce sont des " phénomènes ", i.e., les choses telles qu’elles nous apparaissent ; on pourrait dire, qu’on peut seulement connaître l’effet que font les choses sur nous. Exemple : la couleur n’est pas réellement dans les choses. On dira qu’elle n’est pas une propriété réelle des choses, ou qu’elle n’appartient pas aux choses en soi.

 

Pour lui, " le temps n’est qu’une condition subjective de notre (humaine) intuition (qui est toujours sensible, i.e., qui se produit en tant que nous sommes affectés par les objets), et il n’est rien en soi en dehors du sujet ".

Le temps n’est rien en soi hors de l’homme et de sa perception des choses.

 

Critique de la raison pure, Esthétique transcendantale, §6 : " Le temps n’est pas quelque chose qui existe en soi, ou qui soit inhérent aux choses comme une détermination objective, et qui, par conséquent, subsiste, si l’on fait abstraction de toutes les conditions subjectives de leur intuition ; dans le premier cas, en effet, il faudrait qu’il fût quelque chose qui existât réellement sans objet réel. Mais dans le second cas, en qualité de détermination ou d’ordre inhérent aux choses elles-mêmes, il ne pourrait être donné avant les objets comme leur condition, ni être connu et intuitionné a priori (…) ; ce qui devient facile, au contraire, si le temps n’est que la condition subjective sous laquelle peuvent trouver place en nous toutes les intuitions. Alors en effet cette forme de l’intuition interne peut être représentée avant les objets, et par suite, a priori ".

Deux arguments sont ici soutenus : 1) le temps ne peut être un objet réel, parce que s’il l’était, on pourrait se représenter un temps vide d’objets, le temps pourrait exister indépendamment de tout objet réel (c’est ce qu’on trouvait chez Newton, qui est donc visé par Kant ) ; 2) il ne peut pas non plus être une propriété inhérente aux choses en soi, car alors, il devrait être connu a posteriori (est dite a posteriori, toute connaissance qui dépend de l’expérience) et ne serait par conséquent pas la condition même de toute expérience ; or, le temps est nécessairement la condition même de toute expérience, car on ne peut se rapporter à rien sans nous référer au temps ; donc le temps est a priori ; donc s’il est a priori il ne peut qu’être une structure de notre esprit. C.Q.F.D…

 

A notre définition, Kant ajoute toutefois que si le temps est subjectif, cela n’empêche pas le temps d’être " nécessairement objectif par rapport à tous les phénomènes et, par suite, par rapport à toutes les choses qui peuvent se présenter à nous dans l’expérience ".

Le temps est " réel " en ce qu’il est une forme de notre esprit que nous ne pouvons nier et qui est universelle pour tout être humain. Subjectif ne s’oppose pas à objectif et n’est nullement synonyme d’illusion. Subjectif veut dire " qui appartient à l’esprit humain " ; " objectif ", que tout être humain normalement constitué doit percevoir les phénomènes dans le temps ; et que nous ne pouvons avoir aucune expérience sans le temps. Ainsi, plutôt que " subjectif ", dites plutôt, quand vous parlez de la conception kantienne du temps, " idéalité transcendantale ". Le temps est a) idéal, car il n’est pas un être réel ; b) transcendantal, car il préexiste aux objets de l’expérience et en conditionne la connaissance.

Cf. Texte célèbre issu de la Critique de la raison pure, Analytique transcendantale, 1ère Ed., Seconde analogie de l’expérience : " Si, pour un phénomène qui contient un événement, j’appelle A l’état antérieur de la perception, et B le suivant, B ne peut que suivre A dans l’appréhension, et la perception A ne peut suivre B mais seulement le précéder. Je vois, par exemple, un bateau descendre le cours d’un fleuve. Ma perception de sa position en aval suit la perception de sa position en amont du cours du fleuve, et il est impossible que dans l’appréhension de ce phénomène le bateau puisse être perçu d’abord en aval, puis en amont du fleuve. L’ordre de la succession des perceptions dans l’appréhension est donc ici déterminé, et celle-ci est liée à celui-là. Dans l’exemple précédent d’une maison mes perceptions dans l’appréhension pouvaient commencer par son faîte et finir par le sol, mais aussi commencer le bas et finir par le dessus (…). Dans la série de ces perceptions, il n’y avait aucun ordre déterminé qui imposât par où je devais commencer dans l’appréhension pour lier empiriquement le divers. Mais cette règle est toujours à appliquer pour la perception de ce qui advient, et elle rend nécessaire l’ordre des perceptions qui se succèdent dans l’appréhension de ce phénomène (…). Selon une telle règle, c’est donc dans ce qui en général précède un événement que doit se trouver la condition d’une règle, selon laquelle toujours et nécessairement cet événement suit ; mais inversement, je ne puis revenir en arrière à partir de l’événement et déterminer (par l’appréhension) ce qui précède. Car nul phénomène ne revient du moment au précédent, mais il se rapporte à quelque moment antérieur. "

Ainsi, malgré la subjectivité du temps, on peut dire que les choses durent, qu’elles changent au cours du temps, sans se contredire. En effet, les objets sont des phénomènes, ils sont donc eux aussi constitués à travers les cadres a priori de la sensibilité humaine, et donc, à travers les cadres de l’espace et du temps. Ce sont les phénomènes qui changent au cours du temps, pas les choses en soi..

Conclusion.

Le temps est une " réalité " subjective, qui définit notre condition humaine. Mais il n’est pas subjectif au sens de propre à chaque individu. Il est subjectif au sens de " propre à l’être humain " et au rapport qu’entretient l’homme avec le monde. Il n’est donc ni simple cours objectif des choses, ni simple forme subjective.


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