La Perception et la Sensation La théorie intellectualiste de la perception dans la Seconde Méditation de Descartes (§§ 10 à 18) : l'expérience du morceau de cire

Plan


Cours

Introduction (§§ 11 à 13)

Thème : comment peut-on connaître les choses extérieures? Quelle faculté de connaissance est requise pour cela?

NB : connaître : c'est voir les choses clairement et distinctement, savoir la vérité.

Comment Descartes y répond-il? En présentant trois options, trois réponses possibles, qui vont être successivement examinées (l'élimination de la première menant à la deuxième, etc.)

1- par les sens (organes corporels)?

2- par l'imagination (reproductrice, pas créatrice)?

3- par l'entendement (intelligence conceptuelle, entendement pur)? 

    1) §11

- "Commençons ... nous voyons" :

Thèse du sens commun. Ce que nous connaissons le plus distinctement c'est ce que nous donnent les sens (organes corporels), ie, les corps avec leurs qualités sensibles. Pour le sens commun, l'esprit enregistre passivement les données sensibles : la connaissance dérive des sens (préjugé empiriste).

- "Je n'entends ... celui-ci" :

Méthode pédagogique : il adopte point de vue du sens commun et part de la connaissance d'un objet concret (ce morceau de cire), non d'un objet abstrait (le morceau de cire en général). Nous croyons connaître une chose quand nous réussissons à en énumérer les qualités sensibles.

    2) §12 : comment procède-t-il pour réfuter le préjugé empirique?

- Le recours au morceau de cire : l’expérience de pensée (de "Mais voici " à " son ")

Il fait une expérimentation (qui est une expérience de pensée) avec un morceau de cire (plutôt que de parler de la cire en général, il prend un morceau de cire " concret "). Je l'approche du feu et ses qualités changent ou disparaissent; pourtant tout le monde continue à dire que c'est la même cire.

- Est-ce que je saisis la cire par les sens ? (" la même ... demeure ")

Est-ce que ce sont les sens qui nous donnent cette connaissance, et qui fondent le jugement de perception : " c’est la même cire que je vois malgré les changements et la diversité de ses qualités sensibles " ? Descartes va plutôt nous montrer qu’il est impossible d’affirmer l'identité de l'objet , si je ne dispose que des sens. En effet, que me livrent mes sens concernant l'objet? Des informations :- multiples (odeur, saveur, etc.) = pas d’unité, pas de lien (je ne le sens pas)- variables (elles sont changeantes, et disparaissent)Nulle part mes sens ne me livrent donc quelque chose d'identique, d'un, d'invariable. Les sens ne me donnent pas la chose comme "substance", comme chose. Il faudrait pour cela qu'il y eut un organe corporel qui me fasse sentir cette unité.

NB : Les qualités sensibles sont-elles nécessaires à la connaissance d'une chose?

On répondra que c'est la condition sans quoi (nécessaire) la chose ne m'est pas donnée, mais non par quoi elle m'est donnée, révélée en son être essentiel. En effet, autre nom des qualités sensibles : apparences, vêtements : idée de déguisement (la chose est cachée sous ses apparences, qui ne lui sont pas essentielles; ce qui le montre, c'est qu'elle ne disparaît pas si l'on les lui enlève; au contraire l'idéal est de la voir toute nue, sans ses habits) : ainsi, quand vous changez de vêtement, vous ne changez pas d'identité, vous restez vous-même.Donc : la connaissance sensible connaît seulement les apparences sensibles des objets; cette connaissance est donc accessoire, inessentielle. On ne peut en rester là, car si le monde était disparate, n'était qu'un amas de qualités sensibles, il changerait sans cesse, il n'y aurait aucune stabilité. Il n'y aurait plus de monde, mais un chaos, un tourbillon permanent (comme une valse). C'est sans doute ce "non-monde" que "connaît le petit enfant; c'est aussi le monde humien. Sous-entendu : ce n'est donc pas la philo qui dit qu'il faut se méfier de ses sens car le fait qu'on se rapporte à un monde ordonné, qu'on dise que c'est la même cire, qu'on se rapporte donc à quelque chose de permanent, signifie que nous nous méfions inconsciemment des sens. Nous allons toujours au-delà, si nous disons avoir affaire à des choses, à un monde (un et permanent). Nous affirmons une permanence, mais nous ne la voyons pas.Raisonnement : (1) les sensations nous donnent accès à de la variation(2) or nous percevons, non un monde indifférencié, instantané, ponctuel, changeant, mais un monde ordonné, stable, permanent malgré les changements(3) donc nous allons toujours au-delà de la sensation, c'est par une autre faculté que nous percevons le monde

- Est-ce que c’est alors par l’imagination que je saisis la cire ?

Que reste-t-il de la cire, si on lui enlève ses vêtements? Quelle est la substance de la cire, ie, ce qui reste derrière ou malgré les changements? Peut-on imaginer ou concevoir (penser à) la cire sans figure? Sans grandeur? Non : ce sont donc les propriétés réelles de l'objet. Figure : flexible et muable = capable de changer, de recevoir des changements; Grandeur : étendue (occuper une portion d'espace) mathématiqueNB : la matière est définie de manière mécaniste, comme étendue et mouvementOr, l’imagination est-elle capable de me donner une idée claire et distincte de la figure, de la faculté de recevoir un nombre infini de changements ? Non : en effet, ces changements que l'on peut imaginer résultent des données de la perception, de ce qu'on a déjà vu. C'est donc par définition limité. On dira indéfini et non infini.On peut concevoir que l'objet peut recevoir un nombre infini de changements alors que l'imagination ne peut en anticiper qu'un nombre fini. L'idée de flexible et muable est donc inaccessible à l'imagination. Mais c'est normal : c'est une idée, un concept!

§13 (suite)

Il passe à la question de savoir si c’est par l’imagination qu’on accède à l’idée d’étendue. L'étendue : essence des corps (corps en général) (le mouvement est la propriété qui en découle). Descartes va dire que je perçois un corps en particulier, pas un corps en général. Je ne peux que le concevoir. La connaissance du monde n'est pas sensible, mais mathématique. Connaître le réel, c'est le mettre en équations.

Conclusion : c'est par l'entendement que je connais clairement et distinctement la cire. Connaître ce n'est ni sentir ni imaginer mais concevoir.  

    §§ 13 à 15 : la théorie intellectualiste de la perception

Percevoir = percevoir des choses = pas passivité mais interprétation, jugement. Je ne sens pas, je n'imagine pas, que c'est la même cire, donc, une chose, mais je le conçois. Il y a une interprétation, une activité, de l'entendement, dans la connaissance des choses sensibles.La connaissance n'est pas particulière et sensible, mais générale. C'est grâce au concept que je peux identifier un objet, le reconnaître.Exemple : " ceci est un dé " : comment savez-vous que c'est un dé? Par vos sens? Mais vous ne voyez pas toutes ses faces en même temps! Ce n’est donc pas l’observation immédiate qui vous le dit mais vous avez d’abord l’idée de dé, qui vous permet de reconnaître que c'est un dé. Il faut donc partir de l'essence des choses pour aller ensuite à leur existence.

Enjeu : ne pas attribuer une âme aux choses. En effet, on va pas se mettre à attribuer aux choses ce qui est incompatible avec leur nature, par exemple avoir une âme! Cf. fait que deuxième méditation correspond à la construction d’une nouvelle vision du monde, opposée à conception cartésienne : le dualisme.

§ 14 : quelle est la cause qui me fait croire que ce sont les sens qui me font percevoir? C'est le langage, tout simplement.

Critique : Descartes ne prend-il pas pour acquis le point de départ des empiristes, ie, que nous n'avons pas originairement affaire à des objets, mais à des qualités sensibles? Une critique plus radicale, moins compliquée, aurait été de dire que nous avons toujours affaire à des objets. Cf. Merleau-Ponty.

    Conclusion : §§ 16-18

Descartes revient à l’esprit, et à l’affirmation de son existence et de la facilité de sa connaissance, qui était l’enjeu de toute cette parenthèse sur le morceau de cire. C’est l’esprit qui est à la base/fondement de toute notre connaissance du réel. La naissance du dualisme cartésien est donc en même temps la naissance de ce qu’on appelle la philosophie du sujet, qui mènera au subjectivisme transcendantal de Kant. C’est le sujet qui fonde la connaissance ; quand on connaît, l’esprit n’est pas assujetti au monde, il ne se contente pas de le refléter. C’est l’esprit qui commande et informe le monde, et qui est au fondement de toute connaissance véritable du monde. Cf. fait que l’esprit agit même là où on ne s’y attendait pas : dans la perception.   


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