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PUIS-JE ETRE LIBRE MALGRE LE DETERMINISME ? |
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III- LE LIBRE-ARBITRE NEST PAS UNE VERITABLE LIBERTE - DESCARTES, LETTRE A MESLAND
Pour ce faire, ne peut-on pas montrer que le libre arbitre, tel quil est défini
intuitivement, tel quon la trouvé chez Gide, ne correspond pas à
la véritable liberté, quau contraire, il est un assujettissement
?
Thèse : le libre arbitre, sil est compris comme une liberté dindifférence9 est le plus bas degré de la liberté ; cest une « caricature de la liberté ».
Pourquoi cette thèse cartésienne sapplique-t-elle aussi à lexistence de lacte gratuit ? Parce que lacte gratuit serait un acte sans raison, sans motif déterminant ; il présuppose que moins on a de raisons pour faire ce quon fait, plus on est libre. Or, cest bien ce à quoi revient aussi au bout du compte laffirmation de la liberté dindifférence : rien ne nous pousse à faire ce quon fait (ni cause ni raison, ni mobile ni motif10 ).
Descartes, Lettre au Père Mesland, 9 février 1945 Pour ce qui est du libre-arbitre, je suis complètement daccord
avec ce quen a écrit le Révérend Père. Et,
pour exposer complètement mon opinion, je voudrais noter à
ce sujet que lindifférence me semble signifier proprement létat
dans lequel est la volonté lorsquelle nest pas poussée
dun côté plutôt que de lautre par la perception du
vrai ou du bien ; et cest en ce sens que je lai prise lorsque jai écrit
que le plus bas degré de la liberté est celui où
nous nous déterminons aux choses pour lesquelles nous sommes indifférents.
Mais peut-être que dautres entendent par indifférence une
faculté positive de se déterminer pour lun ou lautre des
deux contraires, cest-à-dire pour poursuivre ou pour fuir, pour
affirmer ou pour nier. Cette faculté positive, je nai pas nié
quelle fût dans la volonté. Bien plus, jestime quelle
y est, non seulement dans ces actes où elle nest pas poussée
par des riasons évidentes dun côté plutôt que
de lautre, mais aussi dans tous les autres ; à ce point que,
lorsquune raison très évidente nous porte dun côté,
bien que, moralement parlant, nous ne puissions guère aller à
lopposé, absolument parlant, néanmoins, nous le pourrions.
En effet, il nous est toujours possible de nous retenir de poursuivre
un bien clairement connu ou dadmettre une vérité évidente,
pourvu que nous pensions que cest un bien daffirmer par là notre
libre-arbitre. |
Le libre-arbitre (entendu comme liberté dindifférence ou comme acte gratuit) nest par conséquent pas toute la liberté, mais un de ses aspects, peut-être même une de ses définitions, erronée qui plus est.
La seule liberté dindifférence existe par rapport à ce que je ne connais pas ou à ce que je connais mal.
Toutefois, Descartes ne semble pas abandonner tout à fait la définition de la liberté comme libre-arbitre ou libre choix. Disons plutôt quil y aurait deux définitions du libre arbitre, une négative, et une positive :
1) il y a l « arbitrium brutum » (non réfléchi) : les termes de lalternative sont identiques ; il y absence de motifs. Cest une liberté hésitante parce quaucun des deux termes de laternative napparaît comme évident. Cf. Rousseau qui montre bien que la liberté dans laquelle nentre nulle réflexion, nul motif, est en fait une liberté desclave, puisquon obéit à rien dautre quà ses penchants, aux lois de linstinct. Cette liberté là ne nous distingurait pas de lanimal 12
2) le véritable libre arbitre est pour Descartes une liberté qui
voit le bien et le mal avec évidence. On sait ici ce que lon fait. Que
lon réponde oui ou non, que lon choisisse le contraire de ce que lon
voit avec clarté, cela est la plus haute liberté. Pourquoi ce
dernier aspect ? Parce que Descartes se rend compte que si lon est contraint
de suivre ce que lon voit avec évidence, alors, on ne peut être
dit libre
La véritable liberté, au contraire, sapplique à une action qui a des motifs et des buts. Elle doit être intentionnelle, projetée, décidée, on doit pouvoir en rendre compte de manière intelligible, à soi-même comme à autrui. Il y a donc bien quelque chose qui détermine en quelque sorte mon action, mais ce quelque chose ce nest pas une cause, une pulsion, un désir, une force, mon milieu social, etc. (bref, les circonstances extérieures) ; cest une raison, un motif.
Liberté = capacité de choix réfléchi, non nécessité par des penchants13 .
Descartes saccorde donc avec la philosophie antique. Pour être libre,
il faut voir clair : mieux je connais ce dont je juge, plus je suis libre. Etre
libre, choisir librement, cest choisir à la fois son action et les résultats
prévisibles de celle-ci, en connaissance de cause.
Lenjeu est fort : en effet, si on enlève de la liberté le caractère
de rationalité, de délibération, alors, on peut dire que
nimporte quel être est libre. Un animal, un bébé, et même
pourquoi pas une pierre qui tombe, de leau qui coule dun vase, sont libres,
car doués de spontanéité
Exercice : que devient lacte gratuit de Lafcadio ? Est-ce un acte libre ? Et en quoi finalement ne peut-il dit être gratuit ?
- il nest pas gratuit : en effet, il se donne un but et réfléchit sur les moyens datteindre ce but ; il émane dune décision
- il nest pas libre car il émane plus dune impulsion que de la volonté : il agit sans se demander si son action est bonne ou mauvaise ; son action est déterminée par un caprice (il est donc plus agi quil nagit)
IV- LE DETERMINISME GOUVERNE-T-IL LE MONDE
?
Nous venons de définir la liberté comme un choix rationnel. Un choix rationnel, cest un acte accompagné de délibération (réflexion sur les moyens et les motifs nous permettant datteindre une certaine fin posée préalablement).
A- LES CONDITIONS ONTO/COSMOLOGIQUES DE LA LIBERTE -ARISTOTE
Que doit être le monde afin quon puisse être libre en ce sens ? Quelles sont les propriétés du monde que lon présuppose toujours quand on exerce le « choix réfléchi » ? Cest cette dernière question qui va nous occuper dans la partie IV, et qui va donc nous permettre davancer un peut dans le traitement de notre question intiale.
Pour y répondre, il va falloir nous demander sur quoi on délibère
; Aristote y répond dans Ethique à Nicomaque, III, 5.
1) Elle exclut de son domaine les faits sur lesquels nous navons pas de prise
Aristote, Ethique à Nicomaque, III, 5 Sur les entités éternelles, il ny a jamais objet de délibération : par exemple, lordre du monde ou lincommensurabilité de la diagonale avec le côté du carré. Il ny a pas davantage de délibération sur les choses qui sont en mouvement mais se produisent toujours de la même façon, soit par nécessité, soit par nature, soit par quelque autre cause : tels sont par exemple, les solstices et le lever des astres. Il nexiste pas non plus de délibération sur les choses qui arrivent tantôt dune façon tantôt dune autre, par exemple, les sécheresses et les pluies, ni sur les choses qui arrivent par fortune, par exemple la découverte dun trésor. Bien plus, la délibération ne porte pas sur toutes les affaires humaines sans exception : ainsi un Lacédémonien ne délibère pas sur la meilleure forme de gouvernement pour les Scythes. Cest quen effet, rien de tout ce que nus venons dénumérer ne pourrait être produit par nous. Mais nous délibérons sur les choses qui dépendent de nous et que nous pouvons réaliser. |
Nous ne délibérons pas sur le nécessaire, i.e. :
- la nature, lordre du monde (nécessité métaphysique)
- lincommensurabilité de la diagonale avec le côté du carré (mathématiques = science du nécessaire)
- les choses en mouvement, domaine de la physique (la physique est la science des phénomènes se répétant de manière régulière)
Nous ne délibérons pas non plus sur le hasard, la chance, car
nous navons aucune prise sur cela.
2) Domaine : les « affaires humaines »
(suite) Par contre, tout ce qui arrive par nous et dont le résultat nest pas toujours le même, voilà ce qui est lobjet de nos délibérations : par exemple, les questions de médecine ou daffaires dargent La délibération a lieu dans les choses qui, tout en se produisant avec fréquence, demeurent incertaines dans leur aboutissement ainsi que là où lissue est indéterminée |
Son objet est donc constitué par ce qui est en notre pouvoir et sur quoi
nous pouvons agir. I.e. : « tout ce qui arrive par nous et dont le résultat
nest pas toujours le même ». Ce sont les choses qui, tout en se
produisant avec fréquence, sont incertaines quant à leur aboutissement.
Il y a une certaine régularité, ce qui soppose au hasard : sinon,
on serait dans le domaine de ce sans quoi nous navons aucune prise.
Aristote nomme ce domaine le domaine de la contingence ou encore le domaine des affaires humaines (aujourdhui : le probable). Cette dernière appellation vient du fait que cest grâce à la contingence et dans la contingence seule que peuvent sexercer toutes les actions/ délibérations humaines ; et également du fait que contrairement au raisonnement mathématique, les décisions ne vont pas être aussi rigoureuses, si infaillibles. On retrouvera ici lhistoire, léthique, lesthétique
Afin que la délibération rationnelle, la vraie liberté, ne soit pas illusoire, il faut donc quil existe des choses qui narrivent pas nécessairement, qui ne soient pas strictement soumises au déterminisme. Que le déterminisme ne soit pas universel. Il doit y avoir dans le monde des choses qui réellement sont indéterminées. On affirmerait ici la possibilité de lexistence dune indétermination réelle, ce qui diffère dune indétermination qui serait le fruit dune ignorance de notre part, dun défaut de connaissance. La délibération et le choix viennent de la nature du monde, non de notre ignorance.
Lavenir doit donc être non déterminé, pour que nous puissions choisir (librement). Il y a dans tout choix de multiples possibilités qui sont envisagées, et sans doute toutes ces possibilités pourraient être à lavenir. Mais seule adviendra lune delles (celle que jaurai choisie). Cela implique que dans le monde il y a des choses qui peuvent être ou ne pas être, qui peuvent être ainsi ou être autrement quelles ne le sont.
Il nous faut donc prouver que le monde nobéit pas strictement à la nécessité14 , afin de sauver l'existence de la liberté.
B- LA CONFUSION FATALISME ET DETERMINISME : LA NECESSITE EXLCUT-ELLE TOUT DETERMINISME?
Nous allons pour ce faire lire un grand texte de Leibniz, issu de la Théodicée; je conseille aussi, parallèlement, la lecture du texte d'Aristote issu du De Interpretatione, Chapitre IX, sur les futurs contingents. Ces deux textes montrent non seulement que la contingence existe, que tout n'est pas strictement déterminé, et que le déterminisme, si on comprend bien sa signification, ne s'y oppose nullement (donc : il ne s'oppose sans doute pas à l'existence de la liberté)
1) Leibniz, Théodicée, §85 : le sophisme
du paresseux15
Les hommes presque de tout temps ont été troublés
par un sophisme que les anciens appelaient la raison paresseuse, parce
quil allait à ne rien faire ou du moins à navoir soin
de rien, et à ne suivre que les plaisirs présents. Car,
disait-on, si lavenir est nécessaire, ce qui doit arriver arrivera
quoi que je puisse faire. Or lavenir, disait-on, est nécessaire,
soit parce que la divinité prévoit tout, et le préétablit
même, en gouvernant toutes les choses de lunivers ; soit parce
que cela arrive nécessairement par lenchaînement des causes
; soit efin par la nature même de la vérité qui est
déterminée dans les énonciations quon peut former
sur les événements futurs, comme elle lest dans toutes
les autres énonciations, puisque lénonciation doit toujours
vraie ou fausse en elle-même, quoique nous ne connaissions pas toujours
ce qui en est. Et toutes ces raisons de détermination qui
paraissent différentes, concourent enfin comme des lignes à
un même centre : car il y a une vérité de lévénement
futur, qui est prédéterminé par les causes, et Dieu
la préétabli en établissant ces causes. |
Questions :
1- Quelles sont les différentes sortes de fatalisme? En quoi se distinguent-ils entre eux?
2- Définition de l'argument du paresseux
3- Pourquoi est-ce un sophisme? Quelle est la plus confusion logique opérée par le fatalisme?
4- En quoi, en plus d'être erroné logiquement, est-il néfaste moralement?
5- Pourquoi le fait que ce soit un sophisme montre bien qu'il doit y avoir de l'indétermination, de la contingence?
1-
Fatum mahometanum |
fatum stoïcum |
fatum christianum |
Conséquence : on imagine les événements détachés de leurs causes |
conséquence : produit une patience forcée, sans espérance |
conséquence : produit un contentement, une quiétude de lâme, qui sait que tout ce qui lui arrivera est inscrit dans le meilleur des mondes17 |
2- Puisque tout est déterminé par avance, alors, rien ne sert
d'agir : quoique je fasse, cela arrivera de toute façon.
3- Le sophisme du paresseux est un faux raisonnement partant dune thèse vraie. Le résultat prévu, pré-déterminé, incite à ne rien faire en disant que ce qui doit arriver, arrivera quand bien même je ne fais rien.
Le fatalisme ou le nécessitarisme ne comprend pas la nature véritable du déterminisme. Il croit que lavenir est entièrement déterminé quoiquil se produise, quoi que nous fassions. Alors que le déterminisme, au contraire, conclut seulement, après de multiples expériences, que tel effet sensuivra si on a telle cause. Le fatalisme revient donc en fait à nier le déterminisme puisquil suppose que lon peut avoir leffet sans avoir la cause ! Le déterminisme ne soppose nullement, dès lors, à la liberté, du moins sa connaissance peut-elle mener à une libération de l'homme, à sa maîtrise sur les événements naturels : en effet, si je sais que telle cause mène à tel effet, alors, à moi de tout faire pour produire cette cause
4- Cf. dernier §
5- Si pas dindétermination, alors, pas de place pour la liberté et pour leffort : le nécessitarisme justifie largument ou le sophisme du paresseux.
Enjeu : intéressante solution, car elle permet daffirmer que lhomme est libre, tout en nopérant pas une coupure entre lhomme et lunivers. La nature de lunivers elle-même, permet à lhomme dêtre libre.
2) Et si le "problème" de l'existence de la contingence était un faux problème ?
Dans ce cas, elle n'est même pas à prouver
Cf. fait que ce qui est nécessaire, ce sont les lois de la nature. Mais dans la nature, ce qui existe nest pas général mais particulier. Le particulier est bien, il me semble, contingent !
Exemple : sil est nécessaire que la pierre tombe selon la chute des corps, il ne lest pas quelle tombe (le déterminisme vaut des lois de la nature, il s'affirme du général, pas du particulier, qui, lui, est contingent)
Cf. aussi le célèbre exemple d'Aristote (op. cit.) : "il est nécessaire que demain, il y aura une bataille navale ou il n'y en aura pas" : ce qui est nécessaire, dit Aristote, c'est l'alternative ("ou"). L'une des solutions arrivera nécessairement. Mais, jusqu'à demain, l'une ou l'autre des solutions peut très bien advenir : cela n'est pas déterminé ou nécessaire.
Le déterminisme n'a donc aucune raison de s'opposer à la liberté, bien au contraire. Cf. fait que loin d'être lantithèse de la liberté, il peut tout à fait permettre une libération (il nempêche pas que lhomme puisse agir sur lui !).
N'est-ce pas après tout le présupposé même de la psychanalyse? Cf. fait que connaître les causes qui nous déterminent à faire ce qu'on fait, est libérateur.
De même, la sociologie : quand Durkheim cherche quelles sont les causes sociales et réelles du suicide, il cherche surtout par là un moyen de lutter contre ce phénomène social.
C- PENSER LE DETERMINISME, NON EN TERMES DE NECESSITE STRICTE MAIS EN TERMES DINFLUENCE
On pourra ici réfléchir sur la différence entre "influence" et "déterminisme". La notion d'influence est plus large que celle de déterminisme, au sens où, pour reprendre l'expression célèbre de Leibniz, il peut y avoir influence sans nécessité. Par exemple, plutôt que de dire que nous sommes déterminés par notre passé, par notre éducation, notre milieu social, etc., pourquoi ne pas dire que nous sommes "influencés"? Ie, que ces causes ne sont pas nécessitantes, mais qu'elles influent seulement sur nous?
Je peux toujours trouver une personne qui a été violée dans son enfance, ou battue par ses parents, ou des parents alcooliques, qui pour autant n'ont pas de traumatismes, qui pour autant ne sont pas eux-mêmes alcooliques, etc. De même, certaines personnes issues de milieux sociaux très modestes accèdent aujourd'hui à des métiers que l'on place haut dans l'échelle sociale, etc.
Il faut donc dire que nous sommes "en gros" déterminés, ie, influencés seulement mais pas nécessités. Nous ne sommes donc pas déterminés à faire ce que nous faisons.
Cf. Durkheim : de quelles causes nous parle-t-il, quand il nous parle de causes sociales déterminentes? Influent-elles ou nécessitent-elles? Il semblent qu'elles influent seulement :
- d'abord, il y a concomitance (ce qu'on sait c'est que tel effet va avec telle cause)
- ensuite, il y a généralité, statistique : si tous les
cas ne tombent pas sous la règle, alors, il n'y a pas nécessité
Aristote, Ethique à Nicomaque, surtout le Livre III
Bossuet, Traité du libre arbitre
A. Camus et A. Koestler, Réflexions sur la peine capitale, Presses Pocket, Agora, 1979
Camus, Caligula (où lon voit que le passage à lacte du criminel est lexpérimentation dune liberté suprême et la preuve de son pouvoir sur la vie)
C. Carr, Laliéniste, Presses Pocket (roman) ; Lange des ténèbres, ib. (le criminel est-il responsable de ses actes ? Est-il un monstre, un fou ? etc.)
K. Levin, Crime, (roman)
St. Mc Call, Incline without necessitating, Dialogue, 24, 1985, pp. 589-96
T. Nagel, Quest-ce que tout cel veut dire ?, une très brève introduction à la philosophie, LEclat, 1995
Popper, Plaidoyer pour l'indéterminisme,
T. Rhinehart, Lhomme-dé, Lolivier (roman)
Spinoza, Lettre 58
1 A placer après le cours inconscient 1998
2 Ne pas confondre avec lobligation : quand vous êtes obligés
de faire quelque chose, vous êtes libres ; quand on fait violence contre
vous pour obtenir quelque chose, on vous contraint, vous nêtes pas libre
; quand le vent vous fait tomber, vous nêtes pas libre. Un devoir qui
est une contrainte, nest pas un véritable devoir ; cf. cours «
justice » et ci-dessous, le chapitre sur Kant
3 Cf. Nagel, Quest-ce que tout cela veut dire ?, Ed. de lEclat,
p. 49 ;Camus, Réflexions sur la peine capitale, Ed. Presses Pocket,
p. 94 (et tout le chapitre intitulé « volonté libre
et déterminisme »)
4 On verra toutefois dans la suite quil peut y avoir au sein de
ce système une contingence logique et une relative indétermination
des événements singuliers
5 Nier la notion de libre-arbitre, nest-ce pas nier quil y ait
une liberté absolue ? Sartre dirait non, en disant que le libre-arbitre
reste lié à la notion de choix et donc à celle de volonté,
et que la véritable liberté réside dans la spontanéité.
Mais cette liberté ne me paraît pas digne dun homme, car il lui
manque la rationalité, lexercice de lintelligence
6 Ib.
7 Nous ne faisons pas le mal volontairement, si le libre arbitre
est une illusion. On peut rendre compte du mal, des crimes, accomplis par les
hommes de multiples manières ; en général, on préfère
adopter des réponses qui toutes reposent sur lorigine non volontaire,
non libre, de laction mauvaise. Cest en effet bien confortable, car si on
pense et accepte lorigine volontaire, libre, de laction mauvaise, alors, il
faut adopter lhypothèse selon laquelle lhomme est un être diabolique.
On trouve deux sortes de solutions « non volontaristes » : (1) Celui
qui tue, qui viole, etc., ne savait pas ce quil faisait, et sest trompé
: il voulait faire le bien, mais il a pris le mal pour le bien. Cest la thèse
socrato/ platonicienne. Cette thèse apparaît très nettement
dans deux textes de Platon : PT, 352b-357a; Ménon, 77b-78a. Pour Platon,
celui qui connaît le bien le fera nécessairement, et évitera
le mal. On ne fait donc jamais le mal volontairement. Mais que signifie involontairement?
On distinguera trois cas : 1) je mets du cyanure dans le café de mon
mari en croyant que cest du sucre : involontairement signifie ici non intentionnellement,
du fait dune ignorance. 2) on me pousse et je casse un vase en tombant
: involontairement signifie ici aussi non intentionnellement, même sil
ny a pas dignorance. 3) je mets du cyanure dans le café de mon mari
sous la menace dune arme : ici, involontairement signifie sans ignorance, intentionnellement,
mais, sans libre-arbitre. Ce que dit Platon, cest quon ne peut faire le mal
involontairement au sens de 1) et de 2). Cf. Argument du Ménon, 78 a
: « Il est donc évident que ceux-là ne désirent pas
le mal, qui lignorent, mais quils désirent des choses quils croyaient
bonnes et qui sont mauvaises, de sorte que ceux qui ignorent quune chose est
mauvaise et qui la croient bonne désirent manifestement le bien, nest-ce
pas ? ». (1) si quelquun désire quelque chose de mauvais, soit
il sait que cest mauvais, soit il sait que cest bon ; (2) sil croit que cest
bon, il ne désire pas quelque chose de mauvais ; (3) sil croit que cest
quelque chose de mauvais, son désir est un désir dobtenir quelque
chose de mauvais ; (4) les mauvaises choses font du tort à ceux qui les
obtiennent et les rendent misérables ; (5) si quelquun pense quune
chose est mauvaise, il pense que lobtenir le rendra misérable ; (6)
personne ne veut être misérable (tout le monde veut le bonheur)
; (7) donc, personne ne désire ce quil pense être mauvais. On
retrouve cet argument dans le Protagoras, sous une forme plus développée
(352b-357a) : Platon part ici du principe selon lequel le plaisir est un bien.
En soi, cette thèse nest pas platonicienne, puisquelle ne fait pas
intervenir dans la problématique morale la théorie des Idées.
Ce qui intéresse ici Platon, cest de réfuter la foule. Lintellectualisme
socratique est évidemment directement lié à une forme délitisme.
Largument repose sur deux points essentiels : 1- lassimilation du bien à
lagréable et du mal au désagréable, qui permet à
Platon de montrer quil est absurde de dire quon fait le mal en recherchant
le bien (sauf si cest involontaire) ; 2- lidée dun calcul des plaisirs
et des peines : il ne faut pas considérer lagréable ou le désagréable
uniquement à un moment donné, mais dans le temps. Celui qui est
vaincu par les plaisirs ne fait pas le mal en sachant quil le fait, parce
quil a été incapable de calculer le rapport entre plaisir et
peine, i.e., entre bien et mal. (2) Ou bien, le criminel était biologiquement/
génétiquement programmé pour le faire le mal Cest
la thèse « scientifique » de lanthropologie criminelle du
XIXe (Lombroso, Le Gall), qui affirme que. le criminel a un cerveau défectueux.
Cest par une « inclination de sa nature » quil tue. Il existe
un tempérament criminel (donc : on naît criminel). Conséquence
: on va substituer au juge le scientifique. Lidée de justice disparaît
donc bien si lhomme nest pas libre de faire le mal.
8 On peut dire aussi tout simplement que lexpérience de
la responsabilité, de la morale, et même le constat de ce qui devrait
arriver si le déterminisme universel était « sans failles
», cf. largument du paresseux, prouvent (contrairement à ce que
dit le 1) du II) que nous sommes libres
9 Liberté dindifférence : quand toutes les possibilités
sont égales, ont le même poids (cf. lâne de Buridan : «
âne imaginaire qui, selon le philosophe Buridan (XVIe), ayant également
faim et soif, hésite entre une botte de foin et un seau deau, et, incapable
de choisir, se laisse mourir. Il est lillustration de la liberté dindifférence,
i.e., de la situation dune personne incapable de choisir entre deux actes,
les mobiles ou motifs en faveur de lune ou lautre étant équivalents
» - in Philosophie de A à Z )
10 Quand on explique une action, on a deux moyens de lexpliquer
; ces deux moyens rejoignent les deux « niveaux » possibles dune
action : 1) niveau naturel : il y a une cause de notre action et un mobile ;
cest quelque chose dextérieur à nous ; 2) au niveau mental :
il y a une raison et un motif ; cest quelque chose dintérieur à
nous, une pensée, une croyance, etc. Vous remarquerez que le défenseur
de lacte gratuit comme prototype de la plus haute liberté confond les
deux niveaux : pour lui, que votre acte ait une cause ou une raison, un mobile
ou un motif, cest la même chose, vous êtes contraint ou déterminé
à faire ce que vous faites. Descartes va montrer ici que plus vous avez
au contraire de raisons ou de motifs pour faire ce que vous faites, plus êtes
libres, car vous agissez en connaissance de cause. On peut aussi penser à
Kant et Rousseau (la différence entre être contraint et être
obligé)
11 La liberté passe ici par la volonté (choix des
motifs)
12 Cf. cours « le bonheur consiste-t-il à faire tout
ce qui nous fait plaisir ? », surtout le texte de Gorgias
13 Cf. Kant, CRPratique, Problème no II
14 Cf. aussi lhypothèse du clinamen des philosophes matérialistes
de lAntiquité : pour eux, le déterminisme nest pas absolu, et
il existe une certaine contingence naturelle qui saccrôit quand on passe
du monde physique au monde humain
15 On comparera avec la réfutation aristotélicienne
des mégariques, qui affirmaient que tout ce qui arrive est nécessaire
(op. cit.) : Aristote, après avoir montré les absurdités
logiques du nécessitarisme (s'ils ont raison, alors, rien n'est ni ne
devient), s'appuie sur l'expérience même de la délibération
: celle-ci nous montre bien que l'avenir dépend de nos décisions
(mais bien sûr, un Spinoza rétorquerait ici que l'expérience
que nous faisons de la liberté ne prouve rien). Cf. 18 b 32 : "En
vertu de ce raisonnement, il ny aurait plus ni à délibérer,
ni à se donner de la peine, dans la croyance que si nous accomplissons
telle action, tel résultat suivra, et que si nous ne laccomplissons
pas, ce résultat ne suivra pas".
16 Si vous voulez creuser la thèse leibnizienne, je vous
renvoie aux § suivants de la Théodicée : § 36, 37, 38,
42, 43, 44, 45, 46, 47, 55
17 Cf.La Théodicée de Leibniz, pour bien comprendre
ce point. Ce qui nous importe surtout pour le cours sur la liberté, c'est
la première sorte de fatalisme, qui correspond à l'idée
courante. S'apesantir ici sur la doctrine leibnizienne, qui permettrait de comprendre
la troisième sorte de fatalisme, serait trop long. Je m'en excuse.