Le Désir et le Bonheur Le bonheur, un idéal inaccessible ?

Plan

I Le divertissement pascalien : le bonheur est impossible à l'homme

II L'ataraxie épicurienne : le bonheur est possible à l'homme


Cours

INTRODUCTION

Partons des " résultats " du cours sur les rapports entre le plaisir et le bonheur. Nous devons faire le double constat suivant :

(1) Le plaisir, qui n'est pas le bonheur, qui est de l'ordre de la satisfaction accidentelle et peut même nuire au bonheur, est simple à atteindre et pratiquement toujours présent dans nos vies.

(2) Le bonheur, qui lui est plus essentiel pour nous, en tant qu'il est constitutif de notre être, semble difficile à se procurer, se rencontre rarement, et même peut-être jamais.

Dès lors, le bonheur n'est-il pas qu'un (vain) mot ? N'est-il pas réservé aux dieux ? Cf. Aristote, EN, X, 1, 1177b : " ce n'est pas en tant qu'homme qu'on vivra de cette façon, mais en tant que quelqu'élément divin est présent en nous ".

I LE DIVERTISSEMENT PASCALIEN : LE BONHEUR EST IMPOSSIBLE A L'HOMME

Bonheur = état qui dure toujours, état de repos. Or : ne sommes-nous pas incapables de rester sans rien faire, dans un état de repos total?

 

 

Pascal, Les pensées

1. (…) "quand je me suis mis quelquefois à considérer les diverses agitations des hommes, et les périls et les peines où ils s'exposent, dans la cour, dans la guerre, d'où naissent tant de querelles, de passions, d'entreprises hardies et souvent mauvaises, etc., j'ai dit souvent que tout le malheur des hommes vient d'une seule chose, qui est de ne savoir pas demeurer en repos dans une chambre. Un homme qui a assez de bien pour vivre, s'il savait demeurer chez lui avec plaisir, n'en sortirait pas pour aller sur la mer (…) et on ne recherche les conversations et les divertissements des jeux que parce qu'on ne peut demeurer chez soi avec plaisir. Mais quand j'ai pensé de plus près, et qu'après avoir trouvé la cause de tous nos malheurs, j'ai voulu en découvrir les raisons, j'ai trouvé qu'il y en a une bien effective, qui consiste dans le misère naturelle de notre condition faible et mortelle, et si misérable que rien ne peut nous consoler lorsque nous y pensons de plus près".

2. Ennui. "Rien n'est si insupportable à l'homme que d'être dans un plein repos, sans passions, sans affaires, sans divertissement, sans application. Il sent alors son néant, son abandon, son insuffisance, sa dépendance, son impuissance, son vide. Incontinent il sortira du fond de son âme, l'ennui, la noirceur, la tristesse, le chagrin, le dépit, le desespoir".

 

Présupposé : les hommes seraient heureux s'ils savaient rester tranquilles chez eux, d'autant plus quand ils ont " tout pour être heureux ", qu'ils n'ont plus besoin de rien.

Or, constat : les hommes ne restent jamais tranquilles chez eux même s'ils ont tout ce qu'il leur faut et qu'ils ne devraient dès lors plus rien rechercher. Ils sont sans cesse occupés, agités, et leur agitation est cause de tracas, et même souvent de malheurs.

Cause du malheur des hommes = vient donc du fait que les hommes ne restent jamais tranquilles chez eux.

Raison ultime de cette cause : c'est la condition humaine qui explique cette cause. L'homme est mortel et misérable (pensée religieuse = cf. péché originel). Et nous ne supportons pas de ne rien faire parce que nous sommes alors renvoyés à notre misère. L'homme face à face avec lui-même prend conscience de son malheur essentiel, dans l'expérience de l'ennui (Texte 2). C'est pour y échapper qu'il se jette dans l'agitation. Ainsi, si nous travaillons, si nous faisons la guerre, etc., ce n'est pas pour y rechercher la peine du labeur, ni les dangers de la guerre, mais ce que nous recherchons, c'est l'oubli de notre malheureuse condition.

Définition du divertissement = Pascal englobe sous ce terme toutes nos activités, du jeu au métier, en passant par la guerre, en tant qu'elles nous permettent d'oublier notre misérable condition ; comportement qui consiste à se détourner de soi-même, non pour être heureux mais pour ne pas avoir à penser à sa condition malheureuse.

Conclusion : l'homme est ainsi fait qu'il aspire au repos mais ne peut s'en satisfaire. Bonheur = désir vain qui me constitue et me tourmente à la fois. Ainsi, ce à quoi on peut aspirer, ce n'est pas au bonheur, mais à l'oubli du malheur. Autrement dit, tout se passe comme si l'homme n'était pas fait pour être heureux, comme si sa tendance universelle au bonheur n'avait pas d'objet.


II EPICURE, LETTRE A MENECEE : L'ATARAXIE - LE BONHEUR EST POSSIBLE A L'HOMME

Il s'agit dans cette lettre de conseils pour parvenir au bonheur. Plus précisément, de chercher un bonheur qui soit à la portée de l'homme.

Pour cela, redéfinition (négative et plus modeste) du bonheur : le bonheur consiste non pas à être entièrement satisfait mais à ne pas être en situation de manque, à ne pas souffrir, à ne pas être troublé.

(Ataraxie = tranquillité, au sens d'absence de troubles, de l'âme et du corps).

Si on ne veut pas souffrir, ne pas être en situation de manque, alors, il faut éviter toutes les situations qui pourraient nous faire souffrir et nous faire ressentir un manque. Ie, faire tout ce qu'on peut pour ne pas avoir d'occasions d'être insatisfait.

Pour Epicure, cela est possible : il vous suffit de ne pas avoir trop de désirs, et surtout, de ne pas avoir de désirs impossibles ou difficiles à satisfaire-cf. trois sortes de désirs :

1) désirs naturels et nécessaires : boire quand on a soif (apporteraient une douleur réelle s'ils n'étaient pas satisfaits, car si vous avez soif, c'est que votre corps a besoin d'eau pour vivre = présupposé : naturel = bon = valeur)

2) désirs naturels mais non nécessaires : boire du vin, boire du vin en abondance, manger des plats compliqués. Ne sont pas vraiment causes de douleur si on ne les satisfait pas. Ne pas boire de vin, ce n'est pas grave; l'eau suffit très bien. Vous ne devez donc pas les désirer ou attendre qu'ils vous rendent heureux. Pas nécessaires, donc, pourquoi se compliquer la vie pour rien? Ensuite, peuvent être cause d'insatisfaction (mal au foie).

3) désirs vains : ne désirez jamais la pluie et le beau temps, car ça, vous n'y pouvez rien; ne désirez pas les choses impossibles, elles vous gâcheraient trop l'existence car sont de l'ordre de l'incertain

Bref : désirez seulement le strict nécessaire (du pain, de l'eau), ainsi, vous n'aurez aucun risque de souffrir, de ressentir de la douleur. En d'autres termes, ne désirez pas autre chose que ce qui est nécessaire à la tranquillité de votre corps et de votre âme. Sachez vous contenter de peu, désirez seulement ce qui ne peut vous manquer, pour ne pas souffrir. Ne désirant que ce que vous pouvez obtenir, vous ne manquerez pas d'obtenir ce que vous désirez!

Le bonheur est donc possible en cette vie parce qu'il consiste dans une attitude de votre esprit, donc de vous-mêmes, à l'égard des événements extérieurs.. Le bonheur, c'est dire oui au monde et à la vie, désirer le réel pour ce qu'il est, l'accepter, s'en réjouir, au lieu de le refuser et de désirer l'impossible (sagesse = supporter, accepter, aimer)

Note : on dit souvent que pour Epicure, le bonheur s'identifie au plaisir (= hédonisme).-Mais il faut préciser qu'Epicure fait une distinction entre deux sortes de plaisirs : 1) le plaisir en mouvement (boire quand on a soif) ; 2) le plaisir au repos, stable (ne pas avoir soif, ne pas être inquiet, etc.) : il désigne donc l'état d'apaisement de tout l'être.

Si donc Epicure soutient que le plaisir est le but de la vie et donc le souverain bien, le bonheur, il veut dire que le bonheur ne consiste pas dans tous les plaisirs, mais dans le plaisir en repos.

Différence notable avec Socrate (cf. cours bonheur et plaisir) : le plaisir n'est pas seulement un accompagnement du bonheur mais il est le bonheur.


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